A Courcouronnes, dans l'Essonne, ses voisins savent juste que c'est la veuve d'un président africain. Installée dans une grande maison ombragée, c'est une vieille dame de 68 ans,
«gentille et surtout discrète», que les gendarmes sont venus arrêter hier matin. Motif de l'interpellation ? Un mandat d'arrêt international émis par son pays d'origine, le Rwanda, qui l'accuse d'avoir participé au génocide qui s'est déroulé dans ce petit Etat de l'Afrique des grands lacs en 1994. Agathe Habyarimana, née Kanziga, est la veuve du président Juvénal Habyarimana dont l'assassinat, le 6 avril 1994, sert de déclencheur au génocide des Tutsis du Rwanda. Hier, son arrestation surprise a conforté, pendant quelques heures, tous ceux qui l'accusent d'avoir joué un rôle majeur dans la planification des massacres qui ont fait près de 800 000 victimes en seulement trois mois. Mais, en fin d'après-midi, nouveau coup de théâtre : elle a été libérée tout en restant sous contrôle judiciaire. Philippe Meilhac, son avocat, voit dans cette interpellation
«un geste de la France en faveur de Kigali».
Compromissions
L'arrestation de l'ex-première dame rwandaise intervient en effet cinq jours après la visite de Nicolas Sarkozy au Rwanda, la première d'un président français depuis 1994. Après le rétablissement des relations diplomatiques fin novembre, ce sont désormais les dossiers judiciaires qui devraient sceller le réchauffement des relations franco-rwandaises. Engluées dans leurs compromissions avec le précédent régime génocidaire, les autorités françaises ont en effet longtemps été réticentes à interpeller les réfugiés rwandais soupçonnés d'avoir participé aux massacres.
Agathe Habyarimana peut se défendre de ne pas y avoir assisté : le 9 avril 1994, elle est évacuée par les forces françaises. Pourtant, dès cette époque, son rôle présumé dans l’organisation du génocide a été évoqué. Des témoignages, recueillis en juin 1994 par l’auditorat militaire belge, l’accusent notamment d’avoir, dès le soir du 6 avril, lancé des appels aux meurtres contre les opposants hutus et les Tutsis. Elle est également soupçonnée de faire partie de l’Akazu, un cercle extrémiste qui entourait le président défunt et dont elle a toujours nié l’existence. Mais, jusqu’à présent, la veuve du président rwandais n’avait jamais été convoquée par la justice malgré l’ouverture d’une instruction judiciaire contre elle, suite à une plainte déposée en février 2007 par un collectif de victimes du génocide. Ce n’est pourtant pas la plainte française mais la demande d’extradition rwandaise, adressée seulement en novembre 2009 à Paris, qui a motivé son arrestation.
«Rouage»
Dans le dossier du parquet de Kigali, l'ex-première dame est accusée d'avoir planifié des tueries avant même le génocide, encouragé la création des escadrons de la mort et, entre le 6 et le 9 avril, ordonné des assassinats.
«Dans le dossier rwandais comme dans la plainte française, il n'y a rien de concret», affirme l'avocat d'Agathe Habyarimana. Cette dernière n'a effectivement jamais fait de déclaration publique, ni signé de document l'impliquant dans les massacres. Mais pour Alain Gauthier, responsable du collectif à l'origine de la plainte française, son rôle ne fait aucun doute :
«Elle est citée par de nombreux ouvrages de référence comme un rouage essentiel de l'Akazu», rappelle-t-il, tout en soulignant que c'est l'administration française qui a porté le coup le plus sévère contre elle : en 2004, Habyarimana dépose une demande pour obtenir le droit d'asile. Trois ans plus tard, la commission des recours des réfugiés rend une décision accablante : demande rejetée. La candidate est en effet
«soupçonnée d'incitation au génocide». En septembre 2009, le Conseil d'Etat confirme en appel le jugement de la commission des recours, et souligne encore les soupçons qui pèsent sur son implication dans le génocide.
«Peut-on croire que le Conseil d'Etat prend ce genre de décision à la légère ?» insiste Alain Gauthier.
Tabou
La réponse viendra peut-être dans deux mois : ses avocats seront alors convoqués par le procureur pour examiner les informations supplémentaires demandées au Rwanda. Entre-temps, la vieille dame discrète a retrouvé sa maison en banlieue parisienne. Une longue procédure est désormais enclenchée, qui n'aboutira pas forcément sur une extradition. Mais sa brève arrestation a levé un tabou et envoie un signal à tous ceux qui, réfugiés en France, sont soupçonnés d'avoir participé au génocide.