Citation
«Si les Nations unies avaient disposé de forces d'intervention immédiatement disponibles en avril 1994, nous aurions certainement réussi à empêcher le génocide du Rwanda.» Boutros Boutros-Ghali n'a pas hésité avant de formuler cette affirmation, mardi dernier, dans son bureau du 38e étage des Nations unies. Alors que les massacres menacent de dégénérer au Burundi, ce jugement résonne comme un avertissement aux mandataires d'un secrétaire général de plus en plus décidé à ne pas jouer les utilités et à ne pas céder au sentiment d'impuissance ambiant. Il y faut quelque mérite car le climat n'est pas au beau fixe sur les rives de l'East River : on s'y prépare bien à fêter le cinquantième anniversaire de l'organisation internationale mais l'enthousiasme n'est pas de la partie. Les désillusions y sont à la mesure des illusions nées de l'effondrement du bloc communiste et de cette guerre du Golfe qui n'a finalement pas été ce signe annonciateur d'un nouvel ordre mondial.
Feignant d'oublier que la promotion d'un tel ordre ne peut être que le résultat d'une volonté collective des Etats, bon nombre de gouvernants mettent aujourd'hui en accusation l'organisation dont ils sont membres. Une façon de se défausser sur un bouc émissaire, de masquer leurs responsabilités. Le secrétaire général, qui a beaucoup appris depuis qu'il a quitté Le Caire pour New York, n'est pas dupe de ce double langage et ne s'offusque pas outre mesure de ce rôle de «punching ball» que certains veulent lui attribuer. Mais certaines dérives pourraient être fort graves pour les Nations unies. Tel est le cas, actuellement, de la campagne anti-onusienne qui bat son plein au Congrès américain et qui vise, dans la pire tradition isolationniste, à priver l'institution internationale d'une bonne partie de ses ressources. Bill Clinton tente aujourd'hui de l'endiguer et menace même d'avoir recours, le cas échéant, au veto présidentiel pour éviter une asphyxie de l'ONU. Ses responsabilités n'en sont pas moins lourdes dans cette crise, puisqu'après avoir prêché en faveur du multilatéralisme lorsqu'il n'était que candidat à la présidence, il n'a pas hésité, après son élection et pour faire oublier le désastre somalien, à critiquer les Nations unies pour publier finalement des directives présidentielles liant toute participation des Etats-Unis à des opérations de l'ONU à la défense d'intérêts nationaux américains. La même inconstance se retrouve chez la représentante américaine aux Nations unies, Madeleine Albright : très critique des Nations unies et de son secrétaire général jusqu'à l'automne dernier, elle passe maintenant le plus clair de son temps à tenter d'endiguer l'isolationnisme du Congrès.
Ce changement de discours fait sourire les collaborateurs du secrétaire général mais il est peu probable que l'année se termine avec la mise à la disposition permanente de l'ONU de contingents spécialement formés et entraînés aux opérations de maintien de la paix. La mesure n'exigerait pourtant aucun marathon diplomatique, comme la modification de la composition du Conseil de sécurité ou aucun amendement -- forcément laborieux -- de la charte de l'ONU. Au moins permettrait-elle de mener des actions d'urgence ponctuelles, comme cela risque de se révéler indispensable demain au Burundi. Même si les intérêts nationaux américains ne sont pas menacés.