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Dans la prison de Kibungo, se côtoient, à l'heure des repas, des tueurs des deux bords. Un tiers des détenus sont des soldats de l'actuelle armée. Certains ont tué pour venger leur famille décimée, tel Laurent, 25 ans.
Citation
Kibungo, envoyé spécial.
Rassemblés sous le préau à l'abri de la pluie, ils se sont regroupés par famille. Ici, une poignée d'anciens militaires des Forces armées rwandaises repentis ou capturés au combat, là des miliciens soupçonnés d'avoir participé aux massacres de la minorité tutsie, plus loin, des soldats de l'Armée patriotique rwandaise accusés de meurtre sur des civils hutus suspectés d'avoir pris part au génocide. La prison de Kibungo, située à une centaine de kilomètres au sud-est de la capitale rwandaise, est une des rares du pays où soldats gouvernementaux et miliciens cohabitent dans un même espace carcéral.
«Pas de traitement de faveur»
Si les dortoirs sont distincts, les deux repas quotidiens composés de maïs et de haricots sont préparés en commun. Seules les corvées de bois qui nécessitent de sortir de la prison sont interdites aux miliciens pour raisons de sécurité. Dans la cour collective, le voisinage forcé des prisonniers est garanti par une présence permanente de militaires en armes. «Nos soldats qui sont incarcérés ici ont violé le code de notre armée et sont considérés comme n'importe quels autres prisonniers, explique l'officier de la Sûreté militaire responsable de la prison. Ils n'ont droit à aucun traitement de faveur.»
Sur les 476 détenus de Kibungo, 315 sont des miliciens qui se sont dénoncés à la fin de la guerre ou ont été identifiés par des villageois survivants du génocide, 7 appartiennent à l'armée de la défaite et 154 sont membres de l'Armée patriotique rwandaise. Ces derniers, officiers ou simples soldats, sont pour certains accusés de viols, de pillages, pour d'autres d'avoir perdu leur arme, accidenté un véhicule militaire ou abandonné leur poste. La plupart, une centaine selon le responsable de la prison, ont froidement abattu des miliciens. Par vengeance.
Silémane a 24 ans. Il est le seul membre de sa famille à avoir rejoint l'APR et participé à l'offensive sur Kigali au sein du bataillon 26, basé à Byumba, dans le nord du pays. Le 28 mai, il profite d'une permission pour se rendre à la maison de ses parents. «Le toit avait été arraché et tout les meubles avaient disparu. Dans la cour, j'ai découvert mes parents et mes quatre petits frères. Ils avaient été tués à coups de machettes et jetés au fond d'un trou.» Dans le quartier, les voisins lui indiquent une maison dans laquelle Silémane trouverait les assassins de sa famille. «Quand je suis rentré et qu'ils ont vu mon uniforme, ils ont essayé de s'échapper. J'ai tiré en rafale et réussi à en tuer quatre. Les deux autres se sont enfuis.» Le soir même, de retour à son unité, il avoue son meurtre. Le lendemain, il est arrêté et envoyé à la prison militaire de Byumba.
Assis à ses côtés, Laurent, 25 ans, soldat au bataillon Bravo, né au Zaïre, de parents qui avaient fui les premiers massacres de Tutsis au Rwanda au début des années 60. Le 19 juin dernier, alors qu'il se trouve sur un des fronts de la capitale, il est chargé de transporter un de ses camarades blessé au combat à l'hôpital de campagne que l'Armée patriotique rwandaise a implanté dans les faubourgs est de la capitale. Dans la section réservée aux civils, il retrouve sa sœur agonisante, le bras sectionné par un coup de machette assené par un milicien pour qu'elle arrête de se débattre pendant qu'il la violait. «Quand elle m'a vu, elles s'est mise à pleurer, se souvient-il, et m'a raconté comment toute notre famille avait été tuée dans notre village de Bugesera. Mes trois sœurs, mon frère et ma mère.»
Menacés de la peine de mort
Cinq jours plus tard, Laurent, qui a obtenu l'autorisation de retourner voir sa sœur, apprend qu'elle est morte des suites de la gangrène. Il part aussitôt pour Bugesera avec la Jeep de sa section. Dans une des maisons qui jouxtent celle de sa famille, il reconnaît les meubles de son père et une robe de sa mère. «Ma sœur m'avait dit que les miliciens avaient pillé la maison.» Laurent a abattu les deux adultes et laissé la vie sauve aux deux enfants. Il est arrêté cinq jours plus tard par un officier de son bataillon qui avait enquêté sur la disparition de la Jeep. Silémane et Laurent n'ont aujourd'hui qu'une hâte. Etre jugés pour pouvoir se défendre. Selon le code pénal militaire rwandais toujours en vigueur, ils risquent la peine de mort.