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Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Habyarimana est abattu par deux missiles à son arrivée à Kigali. L'attentat donne le signal des massacres qui feront environ 500.000 morts surtout dans la minorité tutsie, ainsi que parmi les opposants hutus. La victoire, en juillet, du Front patriotique rwandais, à dominante tutsie, provoque un exode massif vers les pays voisins. Près de deux millions de réfugiés hutus vivent toujours en exil.
Alors que quelque 30.000 personnes accusées de « génocide » attendent dans des prisons surpeuplées, le gros des enquêtes ne peut être assuré faute de moyens et de magistrats. A la veille d'une journée de deuil national, la justice rwandaise entame aujourd'hui un premier procès. Le tribunal international créé par l'ONU compte pour sa part procéder aux premières inculpations avant la fin de l'année. L'ouverture aujourd'hui du premier procès de huit détenus de la prison de Kigali accusés d'avoir participé au génocide de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus modérés, aussi symbolique soit-elle, ne doit pas cacher les nombreuses difficultés auxquelles le Rwanda continue d'être confronté.
Cet après-midi doivent aussi commencer les cérémonies marquant le premier anniversaire du début des massacres. La journée de demain a elle été décrétée journée de deuil national : le pays organisera des funérailles nationales pour des dizaines de martyrs.
Les huit hommes qui comparaissent aujourd'hui devant la justice rwandaise ne sont que les premiers d'un petit groupe de détenus qui ont avoué leurs crimes sur les 30.000 que comptent les prisons rwandaises. La plupart, qui nient leur participation au génocide, continueront de croupir dans des geôles surpeuplées sans espoir de voir leur cas traité rapidement, faute de magistrats et d'enquêteurs. Car si les massacres du printemps dernier ont laissé un profond traumatisme dans la société rwandaise, ils l'ont aussi rendu orpheline de ses cadres et d'une bonne partie de son administration. Les « conditions totalement impossibles » dans lesquelles travaillent les magistrats inquiètent Amnesty International, qui a décidé de lancer « un cri pour la justice » au Rwanda. « Très peu a été fait par la communauté internationale pour enquêter avec efficacité et identifier les personnes » responsables des violations des droits de l'homme, accuse l'organisation internationale dans un rapport publié aujourd'hui.
Si les Tutsis ont été la cible privilégiée des miliciens hutus les Interahamwe et des Forces armées rwandaises, les opposants hutus ont été tout aussi persécutés. La modération de leurs propos et leur plaidoyer en faveur d'un partage du pouvoir avec le Front patriotique rwandais, l'opposition armée tutsie au régime du président hutu Juvénal Habyarimana, en faisaient aux yeux des extrémistes hutus des complices du FPR et pire, des traîtres. La rapidité avec laquelle se sont déclenchés les massacres, quelques heures seulement après la mort du président Habyarimana dans l'attentat contre son avion, le 6 avril 1994 au soir, ainsi que leur niveau de barbarie, témoignent de la volonté des dignitaires hutus de conserver un pouvoir éminemment ethnique.
Les accords de paix signés en août 1993 à Arusha (Tanzanie) entre Habyarimana et le FPR, écarté du pouvoir et, pour beaucoup de ses membres, chassés du pays depuis trente ans, apparaissent aux yeux des extrémistes hutus comme une mise en cause de leur suprématie au Rwanda. Pour superviser l'application des accords, le Conseil de Sécurité de l'ONU crée la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar), qui devait compter 2.500 soldats au mandat et aux moyens limités. Mais l'ONU se débat alors dans le bourbier somalien et il n'est pas question de remettre sur pied une opération dont les soldats seraient autorisés à tirer.
Très vite pourtant, il devient évident que les accords d'Arusha n'ont guère convaincu que les étrangers, qui ont poussé le président à faire d'énormes concessions aux rebelles et à les inviter à participer à un gouvernement de transition «à base élargie ». Mais depuis l'offensive du FPR en octobre 1990, les haines entre Hutus et Tutsis sont ravivées. En janvier 1993, une commission d'enquête internationale qui dénonce des massacres, la formation de milices et la prolifération d'armes, conclut déjà à la perpétration « d'actes de génocide » contre les Tutsis par des escadrons de la mort mis sur pied par l'entourage immédiat du président Habyarimana.
La furie se déchaîne lorsque l'avion présidentiel est abattu dans un attentat dont les auteurs restent toujours inconnus. Débutés le soir même dans la capitale, Kigali, les massacres s'étendent dès le lendemain à toutes les collines du pays. Après l'assassinat de dix Casques bleus belges par des militaires rwandais, l'ONU retire ses soldats, pour n'en laisser qu'environ 400, pour la plupart désarmés. Elle tente sans succès d'obtenir un cessez-le-feu, pendant que les massacres et les combats font 500.000 morts, selon une estimation du ministre allemand des Affaires étrangères. Impossible à vérifier en raison des nombreux charniers que l'on découvre encore aujourd'hui, ce chiffre sert toujours de référence.
Dès le début des massacres, les étrangers évacuent leurs ressortissants et les organisations humanitaires internationales partent en hâte. Les Rwandais sont seuls. C'est en juin que la France, avec toute la suspicion que cela suppose, lance l'opération Turquoise, qui instaure une « zone de sécurité» destinée à sauver les Tutsis encore en vie et préserver les Hutus des représailles du FPR.
Depuis, deux millions de Hutus, soit le quart de la population initiale du Rwanda, ont trouvé refuge au Zaïre et en Tanzanie. Parqués sur des terres incultivables, dépendant d'une aide alimentaire internationale de plus en plus maigre, victimes de la terreur des extrémistes qui leur interdisent tout retour au Rwanda et effrayés par les récits d'exactions commises par l'Armée patriotique rwandaise, ils n'ont plus guère d'espoir. Dans ces camps, où la situation est explosive, il est fait état de manœuvres militaires de l'armée hutue et des miliciens Interahamwe. L'armée rwandaise et l'ONU affirment que la guérilla lance des raids à travers la frontière, et les employés des organisations humanitaires affirment que des avions amènent des armes de l'étranger.