Fiche du document numéro 33320

Num
33320
Date
Mercredi 20 décembre 2023
Amj
Taille
33734
Titre
Génocide des Tutsi au Rwanda : l’ex-médecin Sosthène Munyemana a pris « une part active » aux tueries selon la justice française
Sous titre
L’ancien docteur, installé en France depuis 1994, était jugé à Paris en vertu de la compétence universelle. La cour d’assises l’a condamné à 24 ans de réclusion criminelle.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Après 28 années d’instruction et plus de 15 heures de délibérés, Sosthène Munyemana a été condamné, mercredi 20 décembre, par la cour d’assises de Paris à 24 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de 8 ans pour son implication dans le génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda. Agé de 68 ans, l’ancien médecin de Butare (sud du Rwanda) a été reconnu coupable de génocide, crimes contre l’humanité et participation à une entente en vue de la préparation de ces crimes.

« Le jury a considéré que vous vous étiez inscrit dans la politique génocidaire en y adhérant, mais également en y prenant une part active intellectuellement et matériellement, a expliqué devant une salle comble Marc Sommerer, le président de la cour, vers 1 heure du matin. En tant que médecin, vous avez trahi votre serment. Vous avez abusé de votre influence, du respect et de l’autorité que vous donnait votre notabilité. »

Suite à une plainte déposée à Bordeaux en 1995, l’ancien gynécologue était jugé en France en vertu de la compétence universelle, un principe qui stipule qu’un Etat peut poursuivre les auteurs de certains crimes quel que soit le lieu où ils ont été commis. « Les témoignages contradictoires laissaient pourtant la place au doute, a déploré Florence Bourg, l’avocate de Sosthène Munyemana. Tout ce qu’a fait mon client pour sauver des vies s’est retourné contre lui. » La défense va faire appel de cette décision.

Pendant les six semaines de son procès qui a vu défiler 65 témoins, Sosthène Munyemana a clamé son innocence, se présentant comme un Hutu, politiquement modéré, ayant tenté de « sauver » des Tutsi. Son récit n’a pas convaincu : la cour d’assises de Paris a retenu tous les arguments de l’accusation.

Barrages et rondes nocturnes



« La somme des choix de Sosthène Munyemana dessine les traits d’un génocidaire », avait asséné Nicolas Peron, l’un des deux avocats généraux, lors de sa plaidoirie lundi 18 décembre. Parmi les choix de l’accusé, il y avait d’abord son orientation politique. Même si Sosthène Munyemana a toujours nié avoir appartenu au MDR Power, une branche radicale du Mouvement démocratique républicain (MDR), dans la droite ligne des extrémistes du « Hutu Power », « il n’y a pas d’ambiguïtés sur ses motivations idéologiques », a estimé Sophie Havard, l’autre magistrat chargé de porter l’accusation.

« Dès juillet 1993, il a soutenu Jean Kambanda [le premier ministre du gouvernement intérimaire, définitivement condamné en 2000 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda à la réclusion criminelle à perpétuité pour sa participation au génocide] au sein du MDR Power. M. Munyemana ne se désolidarisera jamais des propos génocidaires de ce parti », a-t-elle poursuivi.

L’ancien médecin était accusé d’avoir mis en place des barrages et des rondes nocturnes au cours desquelles des Tutsi ont été interpellés puis massacrés. Il était également soupçonné de s’être physiquement rendu sur les points de filtrage où des exactions ont été commises, ce que des témoins ont confirmé à la barre. « Vous avez fait partie d’un petit groupe d’individus qui a préparé, organisé, piloté et mis en œuvre de façon concrète et au quotidien le génocide des Tutsi sur Tumba [un quartier résidentiel de Butare], a déclaré Marc Sommerer. Rien ne montrait que vous aviez le leadership dans ce groupe, mais vous avez appartenu à ce noyau dur. »

Au sein de la matrice génocidaire



Le président ne s’est pas attardé sur son rôle joué au sein du bureau de secteur. Dans ce bâtiment considéré comme le centre du pouvoir local, où étaient transmises les directives préfectorales et nationales, une cinquantaine de Tutsi ont été séquestrés avant d’être tués. L’accusé a expliqué qu’il les avait enfermés (sans eau, sans nourriture et sans toilettes) pour « leur offrir un refuge ». Pouvait-il réellement ignorer que la plupart d’entre eux seraient ensuite massacrés puis jetés dans des toilettes publiques ? « Une chose est sûre : il exerçait son autorité sur un lieu voué à la mort », a assuré Sophie Havard.

Pendant le génocide, plusieurs options s’offraient pourtant à lui. Sosthène Munyemana aurait pu, par exemple, s’exiler vers le Burundi. En mai 1994, il s’est rendu à plusieurs reprises chez sa belle-famille à quelques encablures de la frontière. Mais il a préféré rester au sein de la matrice génocidaire de Tumba, conserver son statut de médecin influent jusqu’à l’avancée des troupes du Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire composé de Tutsi venus d’Ouganda.

Fin juin 1994, Sosthène Munyemana a fui en traversant le Rwanda puis le Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo) jusqu’à Kinshasa. Il a réalisé ce parcours de 2 500 kilomètres avec ses enfants grâce à un homme influent, son ami Straton Nsabumukunzi, ministre de l’agriculture dans le gouvernement génocidaire. Arrivé en France à l’été 1994, il a rejoint la Gironde (où il avait fait ses études de médecine dix ans plus tôt) et travaillé à l’hôpital Saint-André de Bordeaux. C’est ensuite à Villeneuve-sur-Lot, où il tissa un réseau d’amitiés, qu’il a poursuivi sa carrière, passant par le service des urgences et la gériatrie. Sosthène Munyemana, qui a été incarcéré après l’énoncé de son jugement, était à la retraite depuis décembre 2022. Il est désormais le septième Rwandais condamné en France pour sa participation au génocide des Tutsi.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024