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Le docteur Sosthène Munyemana au Palais de justice de Paris, en France, le 14 novembre 2023. © REUTERS/Gonzalo Fuentes.
C’est au tour des témoins de personnalité de se présenter à la barre. Ce 30 novembre, trois proches du docteur Sosthène Munyemana, jugé à la cour d’assises du Palais de justice de Paris, ont été entendus dans la matinée. Ces derniers n’ont pas évoqué la vie rwandaise du gynécologue de Tumba, mais plutôt ses années bordelaises. Sosthène Munyemana est accusé de « génocide et complicité de génocide », ainsi que de « crimes contre l’humanité et complicité de crimes contre l’humanité ».
Le médecin résidait dans l’ancienne préfecture de Butare, au sud du Rwanda, durant le génocide des Tutsi, qui s’est déroulé d’avril à juillet 1994. En juin, il fuit le pays avec ses enfants, et après deux mois au Zaïre, rejoint la France pour s’installer à Talence, près de Bordeaux (Sud-Ouest). Il réside depuis dans la région.
C’est son fils, Gustave Ngabo, quadragénaire bordelais, qui est appelé en premier à la barre. Cadre dans le conseil en informatique, il est le cadet de Sosthène Munyemana. Après avoir vécu en France une partie de son enfance, il a déménagé avec sa famille à Butare ; il allait sur ses douze ans lors du génocide.
« Le génocide a aussi fait des morts dans ma famille »
Gustave Ngabo décrit un père présent, lui ayant transmis des valeurs d’humilité, et verse des larmes lorsqu’il évoque les conséquences des poursuites judiciaires contre Sosthène Munyemana sur sa famille. « Pour mon père, ma mère, ma grande sœur, mon petit-frère, cela a démarré il y a trente ans », explique-t-il, mentionnant les Unes de journaux locaux consacrés à l’affaire. [Pour] moi, le “boucher de Tumba”, ce n’est pas mon père. »
« Le génocide, insoutenable, a fait des morts dans toutes les familles, y compris la mienne. Et cela continue de les toucher aujourd’hui », souligne Gustave Ngabo, qui dit n’avoir eu ni conscience ethnique ni débats politiques avec ses parents durant son enfance. Un témoin a affirmé au cours du procès avoir aperçu Sosthène Munyemana avec son fils au cours d’une patrouille. « Au-delà d’être ridicule, c’est faux », conteste Ngabo.
À ses yeux, son père est parfaitement innocent et a été un véritable « rempart » pour protéger sa famille et ses proches durant le génocide, quatre mois pendant lesquels Gustave Ngabo dit ressentir une forte insécurité et entendre les balles siffler. « Je l’ai vu défendre des gens au détriment de sa propre personne et sûrement de la nôtre, appuie-t-il. Je suis convaincu à travers l’expérience vécue qu’il n’a jamais concédé quoi que ce soit pour survivre. »
Un « collègue de confiance »
Lors de son retour en France, en septembre 1994, Sosthène Munyemana trouve un travail de médecin urgentiste dans le Lot-et-Garonne. Quelques mois plus tard, il le perd en raison de la plainte déposée à son encontre. Le médecin exerce par la suite pendant près de vingt ans au centre hospitalier Saint-Cyr de Villeneuve-sur-Lot, avant de prendre sa retraite à la fin de 2022. Il y fait notamment la rencontre de Christine Bartou, en 2001.
Cheffe du service des urgences, la quinquagénaire dresse le portrait du « docteur Sosthène » : un homme « humble » et « très consciencieux », au « désir de bien faire et de peaufiner ses connaissances ». À ses yeux, le profil du médecin est incompatible avec les accusations à son encontre. La médecin décrit un collègue toujours disponible, n’ayant jamais un mot plus haut que l’autre, un « fédérateur » au sein de l’équipe médicale, qui suscitait « d’emblée la confiance ».
David Chaury est lui aussi médecin au centre hospitalier Saint-Cyr, dans la branche gériatrique. Il décrit Sosthène Munyemana comme un collègue avec qui « il est simple de travailler ». Il le côtoie à partir de 2012 aux urgences, et salue son empathie à son égard lorsqu’il est hospitalisé pour une crise de fatigue sévère. « Je ne souhaitais pas rester au lit une fois les premiers symptômes passés, et il m’a obligé à continuer tant que mon bilan de santé n’était pas arrivé », raconte le docteur en gériatrie. Comme Christine Bartou, David Chaury insiste sur la volonté de Sosthène Munyemana de toujours s’adapter aux dernières innovations médicales et de poursuivre constamment sa formation.
Compétence universelle
À deux reprises, les tribunaux populaires dits gacaca ont condamné Sosthène Munyemana par contumace. Le Rwanda émet ensuite un mandat d’arrêt international à son encontre et dépose une demande d’extradition, qui sera refusée en 2010. Le procès du médecin, âgé de 68 ans, se déroule à la cour d’assises de Paris depuis le 13 novembre et doit se clôturer le 22 décembre.
La France use en effet de la compétence universelle pour juger le gynécologue. C’est le sixième procès rwandais ayant lieu en France. En juin, l’ancien gendarme Philippe Hategekimana a été condamné à la réclusion à perpétuité pour des chefs d’accusation similaires. Sosthène Munyemana encourt la même peine.