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Le ministre français des affaires étrangères a achevé à Kinshasa, mardi soir 14 août, une tournée éclair dans cinq pays d'Afrique centrale concernés par la guerre régionale dans l'ex-Zaïre qui, depuis trois ans, aurait fait -- de façon directe ou indirecte -- plus de deux millions de victimes. Au terme de sauts de puce en Tanzanie, en Ouganda, au Rwanda et, pour finir, au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa, il a constaté que les accords de paix signés dès août 1999 ne sont toujours pas mis en œuvre par les belligérants. « Ces accords ne sont pas appliqués. C'est précisément pour cela que je suis là, a-t-il déclaré. Les parties doivent respecter leurs engagements, c'est une question de ténacité et de persévérance. »
D'une capitale à l'autre, Hubert Védrine a donc rappelé l'accord de paix qu'une Mission d'observation des Nations unies au Congo (Monuc) tente d'inscrire dans les faits. Mais, en fonction du lieu où il s'exprimait, le ministre français a été entendu de façon différente. A Kinshasa, on a surtout retenu que « l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo [était] fondamentale » et que les voisins ne pouvaient pas justifier leur présence militaire par des « problèmes de sécurité aux frontières ». A Kigali, on s'est félicité d'une déclaration soulignant que « toutes les dispositions de l'accord de paix doivent être mises en œuvre, y compris, bien sûr, le désarmement des forces qui menacent encore le Rwanda et qui pèsent sur sa sécurité ».
Le périple du ministre français n'a pas permis de sortir de l'ambiguïté d'un plan de paix qui veut mettre fin à l'invasion du Congo en liant le retrait des troupes étrangères à la démocratisation du régime. Or, à quelques jours d'un « prédialogue intercongolais », qui doit s'ouvrir le 20 août, la foire d'empoigne pour la représentativité des mouvements armés et des quelque 200 partis d'opposition augure mal du « nouvel ordre politique » qui devrait satisfaire les Etats voisins au point de retirer leurs forces. D'autant que ces voisins ne sont pas nécessairement de bonne foi. Tout en répétant à Hubert Védrine leur volonté de quitter le Congo, l'Ouganda et le Rwanda mettent en place, dans les parties de l'est de l'ex-Zaïre qu'ils contrôlent, des administrations sous leur coupe pour pérenniser leur présence.
"Normalisation définitive"
Dans l'immédiat, Hubert Védrine a prêté une attention particulière aux « forces négatives » -- miliciens extrémistes hutus et ex-soldats rwandais -- aux frontières orientales du Congo, qui servent à Kigali de justification de son intervention et qui sont considérées, à Kinshasa, comme armes de la résistance contre l'occupation. Paris plaide pour un traitement dit « humanitaire plus » -- des fonds d'aide et un programme de réinsertion -- pour venir à bout du problème.
C'est également ce que vient de proposer, au terme de sa propre tournée dans la région, la ministre britannique à la coopération, Clare Short, qui a débloqué l'équivalent de 25 millions de francs à cette fin. Mais on peut douter de la capacité des 500 observateurs de l'ONU à désarmer et persuader de revenir à la vie civile des « forces négatives » que l'armée rwandaise traque en vain depuis trois ans.
Le voyage de M. Védrine a surtout permis de renouer avec le Rwanda « sans revanchisme et sans repentance », selon la formule d'un membre de la délégation française. Lors de son tête-à-tête avec le président-général Paul Kagamé, le chef de la diplomatie française a lui-même abordé le génocide de 1994, pour lequel Paris a été mis en cause par le nouveau régime. Tout en soulignant « la volonté de la France d'être auprès du Rwanda moderne pour un travail de reconstruction débarrassé des horreurs du passé », M. Védrine a expliqué que « la politique française au Rwanda a été en général injustement présentée ».
Les comptes du passé ont ainsi été suffisamment apurés pour que, côté rwandais, on envisage une « normalisation définitive » de relations encore très tendues au début d'année. Lors du sommet France-Afrique, en janvier, Jacques Chirac avait menacé le Rwanda de « sanctions ». En mars, Paul Kagamé avait pourfendu « la persistance d'une ancienne ligne politique vis-à-vis du Rwanda » à Paris.