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La journée commence avec l’audition de Claudette Umuhoza, témoin de faits et partie civile. Madame Umohoza a 40 ans, elle habite à Tumba et est enseignante à l’école maternelle. Madame Umuhoza raconte que le 20 avril 1994, elle était à Tumba quand elle a vu des balles être tirées à partir du centre-ville. En réaction, une partie de la population Tutsi a fui vers une forêt proche de Tumba. Les Tutsi ont ensuite vu arriver un groupe de plusieurs personnes qui comprenait Sosthène Munyemana. Madame Umuhoza explique que Monsieur Munyemana s’est adressé à la population en leur disant de rentrer chez eux parce qu’ils ne faisaient pas partie des gens menacés. Claudette et sa sœur Monique sont rentrées chez elles. Le lendemain, Claudette Umuhoza et ses sœurs ont appris que les Tutsi allaient être tués et qu’il fallait se cacher. En partant pour se cacher, Claudette a croisé un groupe de tueurs notamment Emmanuel Twagirayezu et Sosthène Munyemana. Ce dernier tenait une liste avec des noms de Tutsi qui devaient être tués. Il s’est adressé à Madame Umuhoza pour lui demander où était son cousin Vianney. Elle a poursuivi sa route et est partie se cacher chez sa tante maternelle. Au bout d’une semaine, Gérard Simuhuga, alias Mambo, a dit aux Tutsi cachés qu’il y avait une accalmie, que la paix était revenue et qu’il fallait se rassembler devant le bureau de secteur. En arrivant, Claudette voit Sosthène Munyemana ouvrir le bureau de secteur et remarque que des Tutsi y sont enfermés.
Monsieur Munyemana a ensuite pris la parole pour remercier les Hutu présents qui avaient bien « travaillé » et pour les encourager à poursuivre leurs efforts. Il leur aurait alors demandé s’ils ont bien reçu des outils pour continuer les tueries. Après cette réunion, les Tutsi présents repartent sains et saufs et Madame Umuhoza retourne chez elle. Dans la nuit, elle a vu un grand groupe de tueurs conduire un Tutsi, André Ntugugu. Ils l’ont fait s’asseoir devant chez Claudette et ont fait sortir trois familles de Tutsi qui vivaient dans le quartier dont celle de Claudette. Les trois familles, soit environ 13 personnes, ont été conduites près d’une fosse chez un certain James. Madame Umuhoza a pu s’échapper mais le reste de sa famille a été tuée près de cette fosse. Elle est ensuite retournée chez sa tante. Dans la soirée, le tueur Célestin Rugeminatwaza est venu la trouver parce qu’il avait entendu lors d’une réunion qu’un enfant de la famille de Madame Umuhoza n’avait pas été retrouvé. Il l’a emmené chez Siméon Remera où étaient réunis beaucoup d’Interahamwe et Sosthène Munyemana. Ce dernier a dit à Célestin qu’il pouvait l’amener avec lui et « l’éduquer », ce qui voulait en réalité dire que Sosthène Munyemana lui donnait la permission de vivre avec elle comme un mari et une femme et d’abuser d’elle. C’est ce que Célestin Rugeminatwaza a fait pendant deux mois. Claudette avait à l’époque 11 ans. Quand le FPR est arrivé à Tumba en juillet, Célestin a tenté de prendre Claudette avec lui dans sa fuite. Mais ils ont été rattrapés par les soldats du FPR qui ont ramené Claudette à Tumba où elle a pu retrouver deux de ses sœurs qui avaient survécu. Claudette explique ensuite qu’elle s’est mariée en 2011 mais que son mari est décédé en 2021 d’un accident, la laissant seule avec leurs trois enfants.
Lors des questions des parties civiles, le conseil de Claudette Umuhoza, Maître Aublé lui demande d’expliquer à la Cour pourquoi elle a voulu se constituer partie civile. Elle répond que c’est pour défendre les droits des proches qu’elle a perdus. Le ministère public demande ensuite à la témoin de préciser certains points de son récit et c’est enfin à la défense de questionner la partie civile. Maître Bourg affirme que puisque Madame Umuhoza n’a pas été entendue pendant l’instruction, il n’y aucun moyen de vérifier que ce qui vient d’être dit est vrai. Elle lui demande ensuite comment elle a eu connaissance du procès et la questionne sur les associations dont elle a pu faire partie. Maître Dupeux lui, émet un doute sur sa compréhension des faits à l’âge de 11 ans.
Est donnée la parole à Monsieur Munyemana qui remet la parole de la témoin en question en ajoutant que tout est faux et qu’il n’est jamais allé chez Siméon Remera. Avant de terminer son audition, Madame Umuhoza conclut en disant que participer au génocide, ce n’est pas seulement tuer avec une machette, dans le cas de Sosthène Munyemana, c’était aussi organiser des réunions, donner des ordres, ou encore demander à ériger une barrière.
C’est ensuite un témoin de la défense qui est auditionné par la Cour. Il s’agit de Béata Uwamariya. Son audition commence quand Monsieur le président réalise qu’elle était dans la salle d’audience pendant l’audition précédente, ce qui est formellement interdit aux témoins qui n’ont pas encore témoigné devant la Cour. Ce n’est cependant pas susceptible de créer un vice de forme, l’audition se poursuit. Béata Uwamariya habite aujourd’hui à Liège, mais pendant le génocide, elle vivait dans la préfecture de Butare, près de Tumba et Sosthène Munyemana était son médecin gynécologue. Après avoir accouché une première fois d’un enfant mort-né, le docteur Munyemana avait conseillé à Madame Uwamariya et à son mari d’accoucher par césarienne. Plusieurs jours avant le début des massacres, Monsieur Munyemana était en congé. Le mari de Madame Uwamariya, Stanislas Kabanza, emprunte alors un véhicule de la croix rouge pour amener son épouse à l’hôpital. Béata Uwamariya accouche quelques jours plus tard, le 28 avril. C’est le docteur Munyemana qui l’accouche, accompagné d’un anesthésiste qui s’était caché dans l’hôpital et d’une infirmière. La témoin n’est pas sûre que Sosthène Munyemana savait qu’elle était Tutsi quand il a décidé de l’aider. Après son accouchement, Béata est restée environ deux semaines à l’hôpital. De la fenêtre de sa chambre, elle pouvait voir des militaires fouiller l’hôpital et tuer des Tutsi sur la colline en face. Les patients et leurs accompagnants devaient avoir un certificat pour montrer qu’ils étaient vraiment malades. La témoin affirme que c’est l’accusé qui aurait signé une attestation en défense de sa sœur qui était également Tutsi pour qu’elle reste à l’hôpital avec elle. Madame Uwamariya est incapable de dire si l’accusé venait la voir à l’hôpital après son opération, elle ne sait pas si lui et son mari étaient amis, elle ne connaît pas non plus les horaires de travail de Monsieur Munyemana et n’est pas au courant d’une certaine somme d’argent qu’il devait à son mari. Monsieur Munyemana est venu la voir chez elle à son retour de l’hôpital. A cette occasion, il lui a dit qu’il quittait le Rwanda et qu’il ne viendrait plus la voir.
Monsieur le président rappelle à Madame Uwamariya ses déclarations devant un juge d’instruction belge en 2012. Elle avait alors déclaré qu’elle est venue voir Monsieur Munyemana et son épouse à Paris en 2008, pour témoigner en sa faveur, mais elle ne savait pas de quelle procédure il s’agissait. On comprend au fil des déclarations qu’il s’agissait de l’audience de l’accusé devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Quelques années plus tard, elle a accepté de rédiger une attestation en faveur de l’accusé pour dire qu’il était incapable d’être impliqué dans le génocide. Lors des questions des parties civiles, maître Foreman interroge la témoin sur son suivi post-opératoire par le docteur Munyemana. Elle répond qu’après son accouchement, elle était désorientée et a peu de souvenirs des jours qui ont suivi. Elle dit cependant qu’elle n’a pas vu l’accusé avant de retourner chez elle deux semaines plus tard. Pourtant devant le juge d’instruction belge, elle avait dit l’inverse, et Monsieur Munyemana, lui, a dit devant l’officier de l’OFPRA qu’il venait la voir tous les deux jours pendant quinze jours pour assurer son suivi post-opératoire. Pendant la suite des questions, Béata Uwamariya explique que ce qui lui a permis de dire que l’accusé n’avait pas pris part au génocide, c’est qu’il l’avait sauvé elle, mais rien de plus. Maître Dupeux pour la défense insiste auprès de Madame Uwamariya sur le fait que sans le docteur Munyemana, elle, son enfant et sa sœur ne seraient probablement pas là aujourd’hui.
A la suite de cette audition, Monsieur Munyemana est interrogé sur ce suivi post-opératoire. Il répond qu’il est bien allé la voir à l’hôpital mais seulement trois fois et non pas tous les deux jours. Il dit qu’il n’a pas menti à l’OFPRA mais qu’il s’est sûrement simplement trompé en répondant de « manière automatique ». Maître Foreman demande à l’accusé pourquoi il a affirmé qu’il n’avait exercé qu’une seule fois pendant son congé alors que son ami Jean Kambanda a déclaré devant le TPIR que Monsieur Munyemana avait aidé la femme de l’ambassadeur du Burundi à accoucher à sa demande. Il lui demande également pourquoi il a affirmé être resté terré chez lui pendant le génocide alors qu’il se serait déplacé, au moins à cinq reprises pour aller voir cette patiente. Monsieur Munyemana répond qu’il circulait grâce au véhicule de la croix rouge. Concernant le nombre de ses déplacements ou l’accouchement de l’épouse de l’ambassadeur du Burundi, il a encore une fois, simplement oublié de le mentionner.
Après une suspension, l’audition du prochain témoin, Evariste Ntirenganya, est reportée à vendredi prochain. A la place, Monsieur le président fait la lecture des déclarations de Jean Kambanda devant le TPIR. Dans ses déclarations, l’ancien Premier ministre confirme la relation amicale qu’il entretenait avec Sosthène Munyemana et confirme que c’était lui qui était chargé de s’occuper de sa maison à Tumba pendant qu’il était à Kigali. Monsieur le président interroge l’accusé sur cette relation. Monsieur Munyemana affirme que le Premier ministre est venu le voir chez lui le 19 juin après qu’il ait appris qu’il avait reçu des menaces. Et ils se sont vus à la faculté de médecine le 14 mai mais sans se parler longtemps. Il répond ensuite aux questions du président en disant que Monsieur Kambanda le décrit comme faisant partie de la tendance MDR power parce qu’il pensait que tout le monde avait évolué vers cette tendance en même temps que lui et que si on n’était pas en faveur de Faustin Twagiramungu et du FPR, on était nécessairement MDR power. Il affirme de nouveau avoir été surpris en apprenant que le Premier ministre avait négocié avec le parti présidentiel. Monsieur le président s’étonne que l’accusé ne se soit jamais prononcé sur son positionnement politique devant Jean Kambanda, il répond à cela qu’on pouvait tout au plus se taire.
Monsieur Munyemana est ensuite interrogé sur la mort de son ami François Kanvamahanga, un Hutu tué par erreur par des militaires sur une barrière. Après avoir appris qu’il avait été arrêté à cette barrière, Monsieur Munyemana a tenté de lui venir en aide. En sortant de chez lui, il aurait croisé par hasard le colonel Muvunyi qui décide de l’aider à chercher son ami. Plus tard, Monsieur Munyemana apprend que son ami a été tué à Mukoni. Il aurait ensuite demandé l’autorisation au colonel d’aller chercher son véhicule pour le rendre à sa veuve et lui a demandé de mener une enquête au sein des militaires. L’accusé affirme que c’est à la suite de cet épisode qu’il a commencé à recevoir des menaces par ce groupe de militaires. C’est pour cette raison que Jean Kambanda vient le voir pour en apprendre plus sur ces menaces mais pour autant, il ne lui aurait pas offert d’aide pour le protéger. Monsieur Munyemana aurait donc décidé de fuir en conséquence de ces menaces et non pas à cause de l’arrivée du FPR.
Les avocats des parties civiles interrogent ensuite Monsieur Munyemana sur cet épisode, il admet qu’il avait enquêté sur la mort de son ami avec le colonel Muvunyi, un tueur connu. Alors que l’accusé essaie de répondre aux questions des avocats qui le confrontent à de nombreuses contradictions, Monsieur le président lui demande comment se fait-il qu’il se rappelle d’autant de détails alors qu’un argument de sa défense consiste à dire que les témoins entendus ne peuvent pas se rappeler aussi bien des faits 28 ans après les faits. Il répond que c’est parce qu’il fait de la répétition depuis 28 ans. Ce à quoi le président Sommerer réplique que les victimes, elles, vivent avec leurs souvenirs depuis 28 ans. Ces différentes contradictions concernent notamment le nombre de visites que lui a rendu Jean Kambanda et le fait que l’une de ces visites aurait été une célébration chez l’accusé.
Monsieur Munyemana dit que ce n’était pas une célébration mais qu’étaient présents aussi les locataires et les déplacés qui vivaient chez lui. Il est plus tard contraint d’avouer qu’étaient également présents des militaires. Les parties civiles lui font remarquer qu’il a tendance à garder beaucoup d’informations pour lui jusqu’au moment où il doit avouer de nouvelles bribes d’informations quand lui sont confrontées des nouvelles pièces du débat. C’est le cas concernant la venue de l’ambassadeur du Burundi et son épouse alors enceinte, ils sont venus avec la femme et la nièce de Jean Kambanda. Sosthène Munyemana a encore oublié de mentionner que la nièce du premier ministre est restée chez lui pendant plusieurs jours.
Enfin, la journée d’audience se termine avec l’audition de Fidèle Murera, un témoin de la défense. Fidèle Murera était un Hutu, mécanicien chauffeur à la gendarmerie de Tumba. Il habitait et habite encore aujourd’hui derrière le bureau de secteur de Tumba. Il a été condamné par une gacaca à une peine de 19 ans de prison pour sa participation au massacre de Kabakobwa. Pour Monsieur Murera, il a été condamné à tort et n’est pas sorti de chez lui pendant le génocide. De chez lui, il a cependant vu Remera Siméon diriger les groupes de tueurs et de militaires. Il l’a vu notamment tuer la famille de François Karangangwa qui étaient ses voisins. Lors d’une première audition en 2002 devant le juge d’instruction rwandais Martin Kagiraneza, Monsieur Murera a affirmé que Sosthène Munyemana était le second de Siméon Remera et qu’il parlait publiquement d’assurer la sécurité ce qui voulait en réalité dire tuer les Tutsi. Plusieurs années plus tard, devant les enquêteurs français, Monsieur Murera a démenti plusieurs de ses déclarations concernant Sosthène Munyemana et le bureau de secteur. Aujourd’hui, il affirme que le Tutsi étaient d’abord conduits chez Ruganzu et tués près d’une fosse. Il affirme que plus tard pendant le génocide, ils étaient conduits au bureau de secteur et enfermés pendant plusieurs jours. Selon lui, le bureau de secteur était comme une prison, gardée par des tueurs et les Tutsi étaient tués après quelques jours puisqu’ils partaient et ne revenaient jamais. En répondant aux questions du président Sommerer, il dit que Monsieur Munyemana détenait l’une des clés du bureau de secteur. La défense demande au témoin quelle version croire, Monsieur Murera répond qu’il faut croire ses déclarations d’aujourd’hui.
Margaux Gicquel, Stagiaire à Ibuka France