Fiche du document numéro 33148

Num
33148
Date
Jeudi 12 octobre 2023
Amj
Taille
570152
Titre
Les journaux télévisés de TF1 durant le génocide des Tutsi
Sous titre
Cet article constitue la version écrite – et légèrement augmentée – de notre communication donnée à l’Ecole normale supérieure (ENS) le 14 septembre 2023 lors du Colloque international intitulé « Savoirs, sources et ressources sur le génocide perpétré contre les Tutsi. La recherche en acte ». Il a pour objet de présenter brièvement les apports de la base de données www.francegenocidetutsi.org (en abrégé « fgt ») à travers le thème de la désinformation dans les journaux télévisés français, étant précisé qu’une attention particulière est ici portée aux journaux télévisés (JT) de TF1.
Mot-clé
Source
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
Archives audiovisuelles : les apports de la base de données www.francegenocidetutsi.org

Les journaux télévisés de TF1 durant le génocide des Tutsi
Par Aymeric Givord, le 12 octobre 2023

Cet article constitue la version écrite – et légèrement augmentée – de notre communication
donnée à l’Ecole normale supérieure (ENS) le 14 septembre 2023 lors du Colloque
international intitulé « Savoirs, sources et ressources sur le génocide perpétré contre les
Tutsi. La recherche en acte ». Il a pour objet de présenter brièvement les apports de la base
de données www.francegenocidetutsi.org (en abrégé « fgt1 ») à travers le thème de la
désinformation dans les journaux télévisés français, étant précisé qu’une attention
particulière est ici portée aux journaux télévisés (JT) de TF1.
L’analyse des JT français
La désinformation est communément définie comme un ensemble de pratiques et techniques de
communication visant à influencer l’opinion publique en diffusant volontairement des
informations fausses, faussées ou biaisées2. Elle peut être volontaire ou non (on parle dans ce
dernier cas de mésinformation).
A l’exception notamment des travaux de François Robinet ou Frédéric Debomy3, l’analyse des
journaux télévisés n’a pas fait – ou peu fait – l’objet de recherches universitaires. Nous avons
donc pris l’initiative, à partir de l’été 2021, de transcrire tous les JT de TF1, France 2 et France 3
diffusés entre le 7 avril (date généralement retenue comme le début du génocide des Tutsi) et
le 22 août 1994 (date correspondant à la fin de l’opération Turquoise) afin de mettre à la
disposition des chercheurs ce « matériau brut ».
Il convient à cet égard de préciser :
- que tous les passages des JT consacrés au Rwanda sont intégralement transcrits (y
compris les bégaiements, hésitations, lapsus des personnes interviewées dans les
reportages ou en plateau) ;
- que, dans la mesure du possible, les scènes diffusées à l’image font l’objet d’une
description minutieuse (identification des lieux, des noms de personne, des équipements
militaires ; commentaires des cartes projetées…) ; et
- que les noms des auteurs des reportages, des personnes ou encore des lieux cités sont
systématiquement renseignés afin d’alimenter le moteur de recherche de fgt.

Nous tenons à remercier le concepteur de fgt, l’immense Jacques Morel, avec lequel nous éprouvons beaucoup
de plaisir à collaborer à cette base de données depuis plusieurs années.
2
Pour une analyse de la méthode de propagande employée au Rwanda, cf. Jean-François Dupaquier, Politiques,
militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d’une désinformation, Karthala, mars 2014.
3
V. notamment François Robinet, « La fabrique médiatique des événements internationaux : Afrique, un continent
en marge (1994-2008) ? », Le Temps des Médias, juin 2013 ; François Robinet, « Médiatisation, communication
et prise de décision politique : Rwanda 1994, une histoire française », in Rwanda, 1994-2014. Histoire, mémoires
et récits, Les presses du réel, octobre 2017 ; François Robinet, « Rwanda, 1994 : ce génocide que les médias
français ont tardé à voir », La Revue des médias, 17 mai 2021 ; Frédéric Debomy, « Le génocide des Tutsi et la
télévision française », Les Temps modernes, décembre 2014.
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On peut dire que ce travail, fastidieux4, fait émerger des faits importants, parfois oubliés ou
souvent passés inaperçus5.
Mais nous partageons surtout le constat du regretté Jean-Paul Gouteux qui, en 2001 déjà,
écrivait ceci : « Le cas du Rwanda devrait servir d’exemple-type de faillite du “devoir
d’informer” dans les écoles de journalisme6 ».
Focus sur les JT de TF1
A la date de notre communication à l’ENS, nous recensons 432 scripts mis en ligne sur le site
fgt. Ils se répartissent comme suit :
A titre indicatif, les 168 scripts des JT de TF1, disponibles dans la rubrique « Multimédia » du site fgt,
représentent l’équivalent d’un texte de police de caractères de 12 points de plus de 500 pages. Ce travail de
transcription nous a pris plusieurs centaines d’heures.
5
Entre discours trompeurs et fidélité des images au réel, citons pêle-mêle quelques exemples issus des JT de TF1 :
- dans un reportage diffusé au JT de 20 heures du 26 juin 1994, il est possible de distinguer des jeeps P4
équipées de moyens de transmission qui appartiennent au groupe du lieutenant-colonel Duval qui est
monté à Bisesero le lendemain 27 juin (ce reportage est donc la preuve que les militaires français
disposaient de moyens de communication) ;
- dans le JT de 20 heures du lendemain, Justin Mugenzi, alors ministre du Commerce et de l’Industrie du
Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), reconnaît par une maladresse le recrutement des milices :
« Justin Mugenzi, “Ministre de l’Industrie du Gouvernement Rwandais” [se trouve assis à ses côtés
Casimir Bizimungu] : - “Les massacres qui ont eu lieu, euh…, ont été des massacres organisés par, euh,
la population spontanément”. Nahida Nakad : - “Tant que les milices existent il y aura certainement des
exactions. Vous comptez garder ces milices ?”. Justin Mugenzi : - “Les milices, euh…, il faut bien
comprendre le sens, euh, dans lequel nous avons recruté : le gouvernement a appelé la population à la
résistance. C’est une résistance civile” ». De son côté, le général Lafourcade parle de « bandes un petit
peu désorganisées » pour désigner les génocidaires (interview diffusée dans le JT de 13 heures du
24 juin 1994) ;
- les images du JT de 20 heures du 22 juillet 1994 prouvent quant à elles que les militaires français n’ont
pas désarmé les Forces armées rwandaises (FAR) en fuite : « les soldats de l’armée gouvernementale ont
entraîné dans leur fuite une population que jusqu’alors ils protégeaient, et qui leur sert aujourd’hui de
bouclier [on voit passer, au milieu des réfugiés, des véhicules militaires et une auto-mitrailleuse] ». Dans
ce même JT, on apprend que le Front patriotique rwandais (FPR) ne se comporte pas comme ses
adversaires : « les témoignages sont unanimes : l’armée rebelle ne s’est jamais livrée comme ses
adversaires à des massacres systématiques de civils » ;
- dans le JT de 20 heures du 26 juillet 1994, un ex-major des FAR reconnaît les livraisons d’armes par la
France : « Major Debihora [?], “Ex-Force Armée Rwandaise” [on le voit en tenue civile] : “J’ai
l’impression que… on a été abandonné par les Français [ricanement]. C’est…, c’est mon sentiment. Et
c’est le sentiment de…, de plusieurs de nos militaires. Toutes les armes que nous avions, c’était de
fabrication française et… c’est par les Français que on pouvait avoir des munitions” » ;
- dans le JT de 20 heures du 5 août 1994, le général Kagame déclare que les Français sont complices des
génocidaires : « Paul Kagame, “Vice-Président du Rwanda” [il s’exprime en anglais mais ses propos
sont traduits] : “Les Français qui ont en principe le contrôle sur la zone de sécurité ont fait peu de choses
pour stopper les ex-milices et les soldats. On peut dire que les Français sont leurs complices. La zone de
sécurité fait partie intégrante du territoire rwandais. Le Rwanda a un gouvernement légal. Le processus
nous amènera obligatoirement à exercer notre pouvoir sur cette zone” ». Contrairement au narratif
souvent mis en avant par Hubert Védrine, Paul Kagame n’a donc pas attendu les résultats de l’enquête
Bruguière pour lancer ses accusations contre la France ;
- enfin, dernière illustration, le journal de 13 heures du 11 août 1994 vient confirmer l’absence de
neutralisation de la RTLM alors qu’un brouillage de cette radio, exigé par le Conseil de sécurité, était
techniquement possible par les militaires français présents sur place : « Dans les camps de réfugiés, de
vieux transistors cherchent encore une station. Et selon certaines informations [on voit un enfant marcher
dans un camp de réfugiés, une cigarette et un transistor à la main], la Radio Mille Collines ou une autre
radio hutu émettent encore de temps à autre propagandes et rumeurs affolantes ».
6
Jean-Paul Gouteux, La Nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle, Izuba
éditions, Dagorno, L’Esprit frappeur, octobre 2001.
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-

168 scripts correspondent aux sujets consacrés au Rwanda par les JT de TF1, soit la
totalité des JT en notre possession7 ;
158 scripts correspondent aux sujets consacrés au Rwanda par les JT de France 2, soit
61 % des JT en notre possession8 ;
106 scripts correspondent aux sujets consacrés au Rwanda par les JT de France 3, soit
63 % des JT en notre possession9.

Toutes les vidéos des JT en cause figurent sur le site fgt dans la rubrique « Multimédia ». Elles
ont été copiées par Bruno Boudiguet et David Michel puis remises à Jacques Morel par Georges
Kapler il y a une quinzaine d’années.
Compte tenu du fait qu’à la date du 14 septembre 2023, la transcription des JT de France 2 et
France 3 n’était pas terminée, nous avons décidé de limiter notre étude aux seuls JT de TF1.
Nous avons toutefois conscience que ce parti pris induit un biais important dans la mesure où
TF1 est une chaîne privée, contrairement à France 2 et France 3. Or à lire les consignes données
à l’envoyé spécial de France 2 Philippe Boisserie quand il part au Rwanda en avril 1994, il
semblerait que sa direction exécute des ordres venus de plus haut. Nous renvoyons sur ce point
le lecteur à l’interview très instructive de Philippe Boisserie par Danielle Birck, intitulée
« Retour sur images » et publiée dans la revue Les Temps modernes de juillet 199510.
Si l’on en revient donc aux JT de TF1, le graphique ci-dessous récapitule la durée – exprimée
en secondes – des JT de 13 heures (en foncé) et celle des JT de 20 heures (en clair).

Focus sur les JT de TF1 (13 h et 20 h)
ne couverture modeste au moment paroxystique des massacres

1

7/4 14/6

2

15/6 11/7

3

12/7 22/8

Extrait du document « PowerPoint » projeté le 14 septembre 2023 à l’ENS.
Il s’agit essentiellement des JT de 13 heures et de 20 heures.
Il s’agit des JT diffusés dans l’émission « Télématin » ainsi que des JT de 13 heures, de 20 heures et du journal
de la nuit (ce dernier étant à l’époque diffusé entre 22 h 45 et 1 h 30).
9
Il s’agit des éditions de la mi-journée et du soir (« 12H45 », « 19/20 » et « Le Soir sur la 3 »).
10
Cette interview, en ligne sur fgt (http://francegenocidetutsi.org/RetourSurImagesTMjuillet1995.html.fr),
renseigne également sur la manipulation des images.
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8

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A cet égard, trois périodes ont pu être identifiées :
-

du 7 avril au 14 juin 1994, où l’information dominante sur les évènements en cours peut
se résumer à un « conflit interethnique » (avec toutefois un début de prise de conscience,
après la mi-mai, de la véritable nature des tueries ainsi que du rôle de la France). Sur
cette période, le temps total consacré au Rwanda est très précisément de 147 minutes et
28 secondes, soit environ 2 heures 30 réparties sur 68 jours11 ;

-

la deuxième période court du 15 juin au 11 juillet 1994 : c’est la période où se décide,
débute puis se déroule l’opération Turquoise, qui peut être perçue comme un outil à la
fois de reconquête de l’opinion et de désinformation. Le total des sujets « Rwanda » est
d’environ 4 h 5012 – soit près du double de la période précédente – réparties sur
seulement 26 jours ;

-

enfin du 12 juillet au 22 août 1994, le génocide disparaît presque totalement des écrans
au profit du choléra. Le total des sujets consacrés à ces évènements est d’environ
4 h 2013 réparties sur 41 jours.

Quelques exemples de désinformation triviale
Nous n’avons pas d’hésitation à affirmer qu’en ce qui concerne le génocide des Tutsi, la
désinformation a été triviale (pour ne pas dire vulgaire, voire obscène). En effet, outre la volonté
de tromper ou d’imposer au téléspectateur la ligne politique officielle, l’analyse des archives
audiovisuelles témoigne d’une grande ignorance des journalistes et d’un recours presque
systématique aux clichés, au bréviaire.
Dans son ouvrage de référence L’Etat criminel14, Yves Ternon a pourtant montré l’importance
de l’information : ce sont « les cris des spectateurs » qui peuvent interrompre « la
représentation du crime » nous dit-il. Or, en l’espèce, nous allons voir à travers quelques
exemples que tout est noyé dans les poncifs de la « lutte interethnique », ce qui permet d’éluder
toute explication politique.
Les expressions mises en exergue dans les tableaux ci-dessous sont celles prononcées verbatim
indifféremment par les présentateurs des JT eux-mêmes, par les journalistes basés à Paris ou
par les envoyés spéciaux sur le terrain15 :
Expressions recensées

Référence des JT concernés
JT de 20 heures du 7 avril 199416
JT de 20 heures du 11 avril 1994
JT de 20 heures du 13 avril 1994
JT de 13 heures du 19 avril 1994
JT de 20 heures du 18 mai 1994
JT de 20 heures du 25 juillet 1994
JT de 13 heures du 29 juillet 1994

« massacres interethniques »
« affrontements interethniques »
« violence interethnique »

Ce qui représente une moyenne journalière d’à peine plus de 2 minutes.
Très précisément 288 minutes et 41 secondes.
13
Soit 257 minutes et 48 secondes.
14
Yves Ternon, L’Etat criminel. Les génocides au XXe siècle, Seuil, 1995.
15
A noter que le moteur de recherche de fgt permet de déterminer la fréquence des mots ou expressions utilisés.
16
Dans ce JT, l’envoyée spéciale au Rwanda pour TF1 affirme également sur un ton péremptoire que « Tutsi et
Hutu n’ont qu’un objectif : liquider totalement l’autre ».
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Expressions recensées

Référence des JT concernés
JT de 13 heures du 10 avril 1994
JT de 20 heures du 10 avril 1994
JT de 20 heures du 13 avril 1994
JT de 13 heures du 27 mai 1994
JT de 20 heures du 27 mai 1994

« Hutu et Tutsi continuent le massacre »
« massacres des deux côtés »
« massacres et contre-massacres »
« massacre général »

A titre de comparaison, le mot « génocide » n’apparaît pour la première fois que dans le JT de
20 heures du 18 avril 1994 mais il n’est pas explicité. C’est même pire : il est employé pour
désigner de « violents combats » entre le Front patriotique rwandais (FPR) et la garde
présidentielle, les auteurs et les victimes de ce génocide n’étant de surcroît pas désignés17.
Dans plusieurs JT également, le FPR est accusé de provoquer des massacres par son offensive.
Il est ainsi rendu responsable d’un « véritable bain de sang », de « combats sanglants » ou
encore de « tueries qui ensanglantent le pays »… :
Expressions recensées

Référence des JT concernés
JT de 20 heures du 7 avril 1994
JT de 20 heures du 8 avril 1994
JT de 13 heures du 9 avril 1994
JT de 20 heures du 9 avril 1994
JT de 20 heures du 10 avril 1994
JT de 13 heures du 12 avril 1994
JT de 20 heures du 16 mai 1994
JT de 20 heures du 21 mai 1994
JT de 13 heures du 24 mai 1994
JT de 20 heures du 12 juin 1994
JT de 20 heures du 12 avril 1994
JT de 20 heures du 18 avril 1994
JT de 20 heures du 2 mai 1994
JT de 20 heures du 15 mai 1994
JT de 20 heures du 23 juin 1994

« véritable bain de sang »
« combats sanglants »
« pays à feu et à sang »

« tueries qui ensanglantent le pays »
« véritables tueries entre ethnies »
« gigantesque tuerie »

C’est ce que nous appelons, inspiré sur ce point par Léon Saur18, « la stratégie de la dissuasion
par la machette » qui était chère au Président Kayibanda et qui sera reprise par certains
responsables français, tel l’ambassadeur Marlaud dans sa note du 25 avril 199419.
Les archives des JT montrent par ailleurs que le génocide est parfois présenté comme un « fait
culturel » :
Extrait du script de ce JT : « Et la capitale du Rwanda s’enfonce un peu plus dans l’horreur. Les combats, ces
dernières heures, redoublent de violence [on voit des militaires des FAR en train de tirer des obus]. Les pourparlers
se sont enlisés. 3 600 rebelles du Front patriotique rwandais occupent des positions stratégiques [diffusion
d’images d’archives de soldats du FPR au combat]. Mais la garde présidentielle résiste toujours. La chronique
d’un génocide annoncé continue sous nos yeux, tandis que chaque Rwandais sait aujourd’hui qu’il est un mort en
sursis [on voit des véhicules pillés et abandonnés dans les rues désertes de Kigali] ».
18
Léon Saur, Catholiques belges et Rwanda : 1950-1964. Les pièges de l’évidence, thèse sous la direction du
professeur Pierre Boilley, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2013. Selon l’auteur, Grégoire Kayibanda aurait
pratiqué la dissuasion par la machette en gardant des Tutsi en otage pour les exécuter en cas d’agression extérieure
par des Tutsi exilés.
19
Jugeant que le FPR est responsable de l’attentat et de la poursuite des massacres, l’ambassadeur de France
semble admettre la légitimité des tueries perpétrées par les Hutu pour empêcher le FPR de prendre le pouvoir (« les
Hutu, tant qu’ils auront le sentiment que le FPR essaie de prendre le pouvoir, réagiront par des massacres
ethniques ») : V. http://francegenocidetutsi.org/NoteMinAffEtr25041994.html.fr.
17

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Expressions recensées
« 35 ans de massacres entre les deux
ethnies »
« les ethnies hutu et tutsi se battent pour
le pouvoir et surtout pour régler de
vieilles haines ancestrales »
« antagonisme Hutu-Tutsi »
« affrontements tribaux »
« guerre tribale »
« luttes tribales »

Référence des JT concernés
JT de 20 heures du 11 avril 1994
JT de 20 heures du 2 mai 1994
JT de 20 heures du 24 juin 1994
JT de 20 heures du 27 juin 1994
JT de 20 heures du 10 avril 1994
JT de 13 heures du 14 mai 1994
JT de 13 heures du 23 juin 1994

Mais le génocide est aussi et surtout présenté comme un dégât collatéral inhérent à une guerre :
Expressions recensées
« une guerre sans merci, les principales
victimes ont été des enfants »
« cette terrible guerre qui a fait des
centaines de milliers de morts »
« dans quelques jours un nouveau
pouvoir installé à coups de haches et de
canons »
« chaque victoire d’un camp présage des
massacres dans l’autre »

Référence des JT concernés
JT de 20 heures du 12 juin 1994
JT de 20 heures du 15 juin 1994

JT de 13 heures du 13 avril 1994
JT de 20 heures du 13 juin 1994

A partir de la fin mai et jusqu’à la fin août 1994, la thèse du double génocide apparaît « à fleur
de mots » pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Chrétien20. Est bien sûr ici visée la crainte
des représailles du FPR, qui constitue une autre illustration de « la stratégie de la dissuasion par
la machette » :
Expressions recensées

Référence des JT concernés
JT de 20 heures du 25 mai 1994
JT de 20 heures du 17 juin 1994
JT de 13 heures du 11 juillet 1994
JT de 13 heures du 15 juillet 1994
JT de 20 heures du 2 août 1994
JT de 13 heures du 18 août 1994

« massacres commis en représailles »
« attaques en représailles »
« craintes de représailles »

Le JT de 13 heures du 27 mai 1994, un modèle du genre
Une interview assez remarquable de Marine Jacquemin, l’envoyée spéciale au Rwanda pour
TF1 revenue temporairement à Paris, résume parfaitement cette désinformation triviale21. Nous
reproduisons ci-après le script de la vidéo mise en ligne sur fgt [c’est nous qui mettons en gras] :
Jean-Pierre Chrétien, Le défi de l’ethnisme. Rwanda et Burundi, Karthala, janvier 2012.
Même si – nous l’avons dit plus haut – les JT de France 2 et France 3 ne constituent pas l’objet de la présente
étude, notre transcription d’une grande partie de ces JT (période d’avril à juin 1994) montre que les chaînes
publiques ne sont pas en reste. Morceaux choisis concernant France 2 : « Les affrontements ethniques au Rwanda
auraient fait plusieurs dizaines de milliers de morts » (JT de 20 heures du 9 avril 1994) ; « A Kigali, Hutu et Tutsi
continuent de s’entretuer » (JT de 8 heures du 11 avril 1994) ; « Les rebelles tutsi sont entrés dans la capitale hier.
Résultat : nouvelle journée de massacres » (JT de 8 heures du 14 avril 1994) ; « Au Rwanda les massacres
continuent partout et pour tout : Hutu et Tutsi s’entretuent » (JT de 7 heures du 25 avril 1994) ; « Au Rwanda Hutu
et Tutsi continuent de s’entretuer : hommes, femmes, enfants, vieillards, malades, voilà les victimes désignées des
20
21

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[Jean-Pierre Pernaut interviewe sur le plateau du JT Marine Jacquemin, l’envoyée spéciale de TF1 au
Rwanda.]
Marine Jacquemin : […] pour dire qu’il y aurait à peu près, euh…, 400 à 500 000 morts ! Et, et…, et
c’est tout à fait possible. Quand on se promène autour des…, des villes que nous avons traversées, il y
a des charniers partout ! C’est-à-dire que la terre est…, est fraîchement, euh, recouverte. Il y a eu des
tombes incroyables tout autour de ces villes-là [des colonnes de réfugiés prenant la fuite sont diffusées
au même moment]. Et…, et par exemple, nous sommes arrivés dans un camp, le camp de Kabgayi, que
vous venez de voir sur ces images. Et… [des images de réfugiés sont toujours diffusées], là vous voyez
le…, l’exode. L’exode est massif, évidemment. Maintenant…
Jean-Pierre Pernaut : Partout sur toutes les routes, des milliers gens qui fuient un peu dans tous les sens ?
Marine Jacquemin : Oui, oui. Ils ne savent pas où aller ! Ils sont…, ils sont perdus parce que… Là,
actuellement [elle montre de la main les images qui sont en train d’être diffusées], ce sont les Hutu qui
fuient Kigali parce qu’il y a eu tellement de massacres commis par les Hutu que l’avancée des
forces FPR, c’est-à-dire tutsi… – c’est un p’tit peu compliqué à expliquer mais… j’essaie de le
faire simple –, l’avancée des forces FPR à majorité tutsi, donc, fait fuir les Hutu qui ont peur
maintenant des contre-massacres [diffusion d’images de camps de réfugiés]. Et…
Jean-Pierre Pernaut : Donc tout l’monde massacre tout l’monde en fait ? Ça…, ça s’tue dans tous
les sens ?
Marine Jacquemin : Mais c’est-à-dire que c’est…, c’est clair, net et précis que les Hutu ont
massacré…, ont massacré sous l’influence, euh, de…, de ces…, de ces milices qui… Vous savez les…,
les…, ces…, les Hutu sont à majorité paysanne. Ce sont des gens pas très instruits. Et ce sont des
gens qui sont armés de machettes, euh…, de…, de grenades et qui ont tué un p’tit peu [sourire]
n’importe comment et salement tout ce qui bougeait… côté tutsi. Maintenant côté FPR, les
premiers témoignages que nous avons font état également de massacres. Je dirais – entre
guillemets – "un peu plus propres" puisque ils semblent massacrer avec des balles de…, de ce
côté-ci [gros plans sur des civils blessés].
Jean-Pierre Pernaut : Vous avez évoqué le…, la Croix-Rouge tout à l’heure. Y’a beaucoup
d’organisations humanitaires à part la Croix-Rouge là-bas ?
Marine Jacquemin : Écoutez, pour l’instant il n’y a pratiquement que la Croix-Rouge qui ait aidé. Euh…,
ils ont une alliance avec MSF. Donc il n’y a que la Croix-Rouge sur le terrain. Et une Croix-Rouge
qui…, qui est freinée par, euh, par le danger [diffusion d’images d’un hôpital de fortune]. Et…, par
exemple, où nous étions, à Gitarama, nous avons emprunté une route pour monter vers Kigali que la
Croix-Rouge actuellement n’emprunte plus parce que ils ont été, euh, mitraillés et un de leurs médecins
a été blessé.
Jean-Pierre Pernaut : Marine, depuis des années, vous…, vous… allez dans le monde entier pour TF1.
Vous avez déjà vu une telle tension ailleurs ?
tueurs des deux camps » (JT de 8 heures du 25 avril 1994) ; « En un mois, la guerre civile au Rwanda a fait peutêtre 200 000 morts et les combats continuent. Une lutte à mort entre deux ethnies » (JT de 7 heures du 4 mai 1994).
Et, s’agissant des JT de France 3 : « Depuis trois jours, plus de 1 000 personnes ont été tuées. Ce sont les rebelles
de l’ethnie minoritaire tutsi qui sèment la terreur » (JT de 19 heures du 9 avril 1994) ; « Une partie des rebelles a
déjà pénétré dans Kigali. Ces violences auraient fait déjà plusieurs milliers de morts » (JT de 23 heures du 12 avril
1994) ; « Depuis le début des affrontements, les Casques bleus des Nations unies assistent impuissants aux
massacres perpétrés par les Hutu ou par les rebelles tutsi » (JT de 12 heures du 19 avril 1994) ; « Plus de 200 000
personnes auraient été tuées dans la guerre tribale qui oppose les Tutsi aux Hutu » (JT de 19 heures du 6 mai
1994) ; « Ces rebelles tutsi ne sont pas des anges : eux aussi massacrent l’ethnie ennemie, les Hutu » (JT de
19 heures du 14 mai 1994).
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Marine Jacquemin : Non, non. J’ai jamais vu…, j’ai jamais vu une horreur pareille. Jamais, jamais [gros
plan sur des cadavres tourbillonnant dans les chutes de Rusumo]. On…, on a peur à chaque instant.
On…, même…, même nous, nous avions très peur. Et, euh…, bon il semble que la France, euh, soit
toujours le pays ami, côté forces gouvernementales. C’qui nous a évidemment, euh, sauvé la vie à
chaque barrage. Car si nous avions été Belges… À chaque fois la question se reposait : "Etes-vous
Belges ou êtes-vous Français ?". Euh, les armes étaient pointées sur notre ventre et ils étaient prêts
à dégainer tout de suite. La chance a voulu que nous soyons Français.
Jean-Pierre Pernaut : Voilà. Vous étiez là-bas avec Thierry Froissart et Gilles Tuban. Et on verra dans…,
dans toutes nos éditions du week-end et lundi avec ce camp. Euh…, vous avez filmé des…, des
documents qu’on reverra dans nos prochaines éditions. Merci Marine pour ce témoignage.

On relèvera que la question de l’implication de la France aux côtés des forces génocidaires est
à peine effleurée par l’envoyée spéciale. Quant à l’horrible phrase de Jean-Pierre Pernaut
entendue dans ce JT (« Donc tout l’monde massacre tout l’monde en fait ? Ça…, ça s’tue dans
tous les sens ? »), elle entre en résonnance avec ce que le Président Mitterrand confiait
cyniquement à son fils Jean-Christophe : « Dans cette région des Grands Lacs les massacres
sont devenus la norme. Dans ce type de conflit ne cherche pas les bons et les méchants, il
n’existe que des tueurs potentiels22 ».
La tromperie par l’image
Notre travail de transcription a aussi mis en évidence des cas de tromperie par l’image. Il semble
cependant exister une pratique courante à la télévision qui consiste à considérer l’image comme
une simple « décoration » : en d’autres termes, il suffit que l’image concerne le Rwanda pour
qu’elle soit retenue. Quatre exemples suffiront à démontrer cette déclinaison singulière de la
désinformation :
1) Dans les JT de 13 heures et 20 heures du 9 avril 1994, le FPR est assimilé aux
Interahamwe. Ainsi, pour illustrer l’offensive du FPR sur Kigali, sont diffusées des
images montrant des Interahamwe à l’entraînement :

JT de 13 heures du 9 avril 1994.
Commentaire de l’envoyée spéciale illustré par l’image ci-contre :
« Et selon les dernières informations, les troupes du Front patriotique rwandais rejettent le nouveau
gouvernement. Il se dirigerait actuellement en masse vers la capitale du Rwanda ».
22

Jean-Christophe Mitterrand, Mémoire meurtrie, Plon, août 2001, page 154.
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2) Dans d’autres JT, on impute les massacres du gouvernement génocidaire au FPR23. Par
exemple, dans le JT de 20 heures du 9 juin 1994, est diffusé un sujet concernant un acte
de vengeance isolé commis sur des religieux par quatre soldats du FPR. Il y est précisé
par le présentateur Patrick Poivre d’Arvor que « les gardes croyaient que les religieux
avaient participé à des tueries contre leurs familles ». Toutefois, pour illustrer les
propos de l’envoyée spéciale sur le terrain, sont diffusées non pas des images de ces
religieux fusillés mais des images du massacre de l’église de Ntarama !

JT de 20 heures du 9 juin 1994.
Commentaire de l’envoyée spéciale illustré par l’image ci-contre :
« L’archevêque de Kigali, deux évêques, 10 autres prêtres viennent donc d’être assassinés par quatre soldats du
FPR chargés de leur sécurité ».

3) Un troisième exemple est donné par le JT de 20 heures du 19 juin 1994 où l’on montre
une barrière mise en place par des Interahamwe pour désigner la ligne de front entre les
FAR et le FPR :

JT de 20 heures du 19 juin 1994.
« Les barrages qui délimitent les zones rebelles ne sont plus empruntés qu’en cas d’extrême nécessité. Personne
ne se hasarde à proximité de la ligne de front ».

23

V., en particulier, le JT de 20 heures du 10 avril 1994 et ceux de 13 heures et 20 heures du 9 juin 1994.
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4) Enfin de nombreux JT utilisent des images de réfugiés hutu pour évoquer les victimes
du génocide24. Ainsi en va-t-il des images diffusées dans un reportage pour illustrer ce
commentaire : « Il est difficile de savoir si le durcissement français aura une influence
suffisante pour mettre fin à cette terrible guerre qui a fait des centaines de milliers de
morts ».

JT de 20 heures du 15 juin 1994.

Brouillage de l’information, confusion médiatique
En troisième et dernier lieu, le récit proposé par les JT de TF1 aboutit à brouiller la
compréhension ou rendre confuse l’information. A l’instar du travail de désinformation opéré
par Jacques Isnard pour le journal Le Monde25, nous sommes ici en présence de cas de
désinformation plus subtiles que ceux évoqués ci-avant.
Le JT de 20 heures du 16 mai 1994 nous donne une assez bonne illustration de cette confusion.
Ainsi, avant la célèbre interview de Jean-Hervé Bradol de MSF, qui, pendant plusieurs minutes,
décrit une politique planifiée d’extermination commise selon lui « par des gens financés,
entraînés et armés par la France », un reportage censé planter le décor est diffusé. Il évoque
notamment la détresse des réfugiés mais il insiste surtout sur le fait que « les responsables des
massacres appartiennent aux deux ethnies ».
Marine Jacquemin [envoyée spéciale au Rwanda pour TF1] : Hutu en territoire rebelle, Tutsi
dans les zones gouvernementales : les responsables des massacres appartiennent aux deux
ethnies. Il n’y a plus de mots pour décrire le pays des mille collines devenu en cinq semaines
le pays des milliers de morts [gros plans sur des cadavres gisant dans l’herbe]. 200 000, premier
chiffre avancé. Plus du double selon certaines organisations humanitaires. Saura-t-on jamais ?
L’urgence à présent concerne donc les déplacés. Aux quatre coins du pays et des pays voisins,
comme l’indique cette carte [une carte du Rwanda indique 500 000 déplacés au sud-est du pays
en direction de la Tanzanie ; 10 000 et 260 000 au sud en direction du Burundi ; 90 000 au sudV. notamment les JT de 20 heures des 2 mai, 11 mai et 15 juin 1994 ainsi que les JT de 13 heures des 23 mai et
12 juin 1994.
25
Dans son livre Le Monde, un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais
(L’Esprit frappeur, janvier 2000), Jean-Paul Gouteux a étayé le fait que Jacques Isnard serait un « honorable
correspondant des services français » à propos de la façon dont le quotidien de référence a rendu compte du
génocide des Tutsi en 1994.
24

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ouest et 10 000 au nord-ouest, en direction du Zaïre ; 8 000 en direction de l’Ouganda], près
d’un million de réfugiés au total. Une situation sans nul doute explosive dans cette région des
Grands lacs, en pleine saison des pluies. Et qui pourrait bien être à feu et à sang d’ici à l’automne,
si aucun accord n’est trouvé [diffusion d’images d’un camp de réfugiés].

Nous ne nous étendrons pas sur la médiatisation du « désastre humanitaire » de Goma, qui
constituera une véritable aubaine pour les complices du génocide. De nombreux JT de TF1
diffusés pendant les mois de juillet et août 1994 rendent compte de cette utilisation politique de
l’humanitaire26. En revanche, nous dirons brièvement quelques mots sur le traitement de
l’opération Turquoise à travers deux exemples de désinformation.
1) Alors que durant la première moitié du mois de juin 1994, le Rwanda n’intéresse
pratiquement plus la rédaction de TF1 (la durée moyenne des 12 sujets consacrés à l’évènement
n’excède pas 1’45’’), on note un changement radical dès la mi-juin. Plusieurs reportages
diffusés à partir de cette date témoignent en effet d’une certaine connivence avec le pouvoir :
ainsi, dans un reportage diffusé dans le JT de 20 heures du 16 juin 1994, le téléspectateur est
saturé d’images d’enfants atrocement mutilés ou dans le dénuement le plus total pour justifier
l’intervention de la France au Rwanda. Dans le JT de 20 heures diffusé quatre jours plus tard,
le commentateur insiste sur le fait qu’il y a urgence à intervenir : « Ces dizaines de milliers de
réfugiés risquent d’être massacrés par l’un ou l’autre camp. C’est dire comme le temps
presse ». Une fois l’opération Turquoise engagée, Claire Chazal rappelle au téléspectateur, dans
le JT de 20 heures du 24 juin suivant, que « la mission Turquoise, on l’a bien compris, est
purement humanitaire ». Et, plus loin dans ce même JT, elle revient à nouveau sur ce caractère
humanitaire : « On l’a bien compris, la mission française est donc purement humanitaire ». Il
faudra au téléspectateur moyen attendre le JT de 13 heures du 28 juillet 1994 pour découvrir le
pot aux roses, l’envoyé spécial de TF1 admettant qu’« A Goma, l’immensité des moyens que
les Américains mettent en place ne trouvent pas de camions pour être acheminés. Les Français,
eux, n’étaient pas programmés à l’origine pour les tâches humanitaires »27.
2) Le second exemple de brouillage de l’information constitue l’archétype de l’« infox » (ou
“fake news”) diffusée dans les médias par l’armée française, et plus particulièrement dans les
JT de TF1 des 27, 28 et 29 juin 1994 : il s’agit ici de faire croire au téléspectateur que les
derniers Tutsi survivant à Bisesero seraient en réalité des soldats du FPR en cours d’offensive.
Trois jours durant, le téléspectateur glisse ainsi subtilement d’une information supposée (donc
à vérifier) vers une information confirmée : ainsi, dans le JT de 20 heures du 27 juin 1994,
Catherine Jentile, en duplex de Bukavu, se fait la porte-parole du colonel Rosier, tout en
précisant bien que ses informations sont à prendre avec précaution :
Eh bien alors, écoutez, ce sont des informations encore à prendre avec précaution que nous
a livrées le colonel Rosier, qui est responsable du dispositif ici dans le Sud. Et plus précisément,
c’est à 15 kilomètres de la ville de Kibuye que s’est déroulé cet accrochage qui a commencé
ce matin à 11 heures et demie et s’est terminé v…, euh, en début d’après-midi. Alors il
aurait opposé d’un côté les forces du FPR et de l’autre les milices hutu, appuyées par
l’armée rwandaise. Ce qui est spectaculaire dans cette affaire, c’est donc l’endroit où s’est
déroulé l’affrontement. C’est-à-dire qu’on avait toujours parlé, depuis longtemps, d’infiltrations
Ainsi en va-t-il de Philippe Douste-Blazy qui, répondant à une interview dans le JT de 20 heures du 23 juillet
1994, déclarera qu’« Après le génocide des Kalachnikov ou des machettes, il faut échapper au génocide du
choléra ». Sur le journalisme de compassion ou de complaisance, lire Patrick de Saint-Exupéry, « La dictature du
visible », in Les manipulations de l’image et du son (rencontres internationales Médias-Défense), Pluriel, octobre
1996.
27
D’autres JT diffusés à partir de la fin juillet 1994 évoquent l’inadéquation du dispositif français pour les
opérations humanitaires.
26

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des hommes du FPR. Mais si le chiffre dont on dispose actuellement, et qui est de 1 000 à
2 000 hommes du FPR présents dans cette région, évidemment on ne peut plus parler
d’infiltrations mais d’une véritable percée du Front patriotique rwandais. Alors résultat :
il pourrait ainsi couper en deux la zone gouvernementale d’est en ouest. Mais également couper
en deux le dispositif français, qui lui se déploie du nord au sud.

Le lendemain 28 juin, toujours au JT de 20 heures de TF1, Patrick Poivre d’Arvor et Catherine
Jentile sont nettement moins précautionneux :
[Patrick Poivre d’Arvor :] Maintenant, toujours le Rwanda avec le début des opérations
humanitaires puisque 40 religieuses et orphelins – celles que vous aviez vu dans notre reportage
d’hier soir [27 juin] – ont été évacués de Kibuye vers Goma au Zaïre. Il est vrai qu’à une
dizaine de kilomètres de là, de nouveaux affrontements avaient opposé le FPR aux forces
gouvernementales. […]
[Catherine Jentile :] Depuis 24 heures les commandos de marine ont l’œil collé dans le viseur
de leurs missiles Milan [on voit en effet à l’image un militaire français en pleine observation ;
une incrustation ”Kibuye, Rwanda” s’affiche à l’écran]. Sur la colline d’en face, à portée de
fusil, des affrontements entre Rwandais ont fait hier [27 juin] 22 morts. Nous sommes à
Gishyita, en plein centre du dispositif français. C’est à quelques kilomètres que sont regroupés
1 000 à 2 000 hommes du FPR [on voit des véhicules de l’armée française ; sur l’un d’eux, on
discerne l’inscription ”Commandos marine”].

Et dans le JT de 13 heures du 29 juin 1994, les supposés affrontements deviennent un fait établi :
[Jean-Claude Narcy :] Nouvel envoi…, nouvel envoi de renforts de soldats français dans le cadre
de l’opération Turquoise. Toute la journée, près de 200 soldats de la 9ème division d’infanterie
de marine vont s’envoler, donc, de Nantes à destination du Rwanda. Et au moment même où
François Léotard se trouve dans le pays, eh bien, les soldats français pénètrent de plus en plus
profondément le Rwanda et se rapprochent du front. Ils ont été témoins hier [28 juin]
d’affrontements entre le FPR et les Forces armées rwandaises. Ils ont également découvert
de nombreuses fosses communes. Le reportage de nos envoyés spéciaux Catherine Jentile et
Thierry Froissart. C’est à Kibuye a à peu près 50 kilomètres de la frontière zaïroise.

Conclusion
L’amiral Lanxade a montré qu’en temps de crise, une politique de communication bien
maîtrisée est indispensable pour ne pas subir la pression des médias : « Tout l’art du metteur en
scène est d’harmoniser le jeu des acteurs qui dépendent de son autorité et d’amener la presse
à servir ses desseins : ou bien on infléchit son action pour tenir compte d’une opinion façonnée
par les journalistes ou bien on amène les représentants des médias à informer l’opinion
conformément à l’action que l’on veut mener28 ».
Force est de constater que cette stratégie a parfaitement fonctionné en 1994, le génocide
perpétré contre les Tutsi illustrant de façon négative l’importance socio-politique de
l’information. Parce que les médias – et tout particulièrement les JT de TF1 qui étaient à
l’époque les plus regardés de France (et même d’Europe) – n’ont pas joué le rôle de contrepouvoir que l’on pouvait attendre d’eux, nous avons pu contempler, au fil de nos transcriptions
des archives audiovisuelles, non seulement l’étendue de la faillite du devoir d’informer mais
aussi la manifestation d’une intention de tromper l’opinion publique.

28

Jacques Lanxade, Quand le monde a basculé, Nil éditions, avril 2001, pages 312-313.
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