Citation
S.S. PIE XII
MESSAGES
DE GUERRE AU MONDE
LA GUERRE MONDIALE. — APPELS
AUX PEUPLES ET AUX CHEFS D'ETATS.
— ADRESSES A LA FRANCE, À LA
POLOGNE, A L'ITALIE. — LES CONDI-
TIONS DE LA VIE DES NATIONS ET -
LES RAPPORTS ENTRE LES PEUPLES, —
APPEL AUX TRAVAILLEURS. — LA
QUESTION SOCIALE. — L'ORGANI-
SATION DE LA DÉMOCRATIE. —
LETTRE A LA FRANCE.
Introduction de Gabriel Louis JARAY
ÉDITIONS SPES - PARIS
MESSAGE DE NOEL 1942
SUR L’ORDRE ET LA PACIFICATION
DE LA SOCIETÉ
C'est avec une joie et une piété toujours renouve-
lées, fils très chers de l'univers entiers, que nous rece-
vons chaque année, lorsque revient la fête de Noël,
le message qu'entendit autrefois la crèche de
Bethléem. Telle une lumière au milieu des ténèbres,
la parole de Jésus trouve toujours un suave écho
dans les cœurs chrétiens, car elle illumine de la
splendeur dos vérités célestes un monde aveuglé par
de tragiques erreurs, elle apporte une joie débor-
dante et toute pleine d'espoir à des hommes accablés
d'une profonde ot amère tristesse, elle annonce aux
fils d'Adam leur libération et leur affranchissement
des liens du péché, elle promet enfin la miséricorde,
l'amour ét la paix à la foule innombrable des souf-
frants et des affligés, de ceux qui voient leur hon-
heur anéanti et leurs énergies brisées par l'ouragan
de rivalités et de haines qui ravage notre époque.
Et les cloches qui répandent ce message par toute
la terre ne rappellent pas seulement le don divin
fait à l'humanité à l’origine du christianisme : elles
annoncent et proclament une réalité non moins con-
solante pour nous, une réalité éternellement jeune,
vivante et vivifiante, celle de la « lumière véritable,
qui éclaire tout homme venant en ce monde » et ne
244 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
connait pas de déclin, Le Verbe Eternel, voie, vérité
et vie, en naissant dans l'obscurité d’une grotte, a
par le fait même anobli et consacré la pauvreté. Il
a également inauguré sa mission de docteur, de
Sauveur et de Rédempteur du genre humain, et la
doctrine, que venait de consacrer son exemple conti-
nue à renfermer pour nous les paroles de la vie
éternelle, les seules capables de résoudre les pro-
blèmes les plus angoissants, ces problèmes que n’ont
jamais résolus ni ne résoudront jamais des doctrines
éphémères, des industries purement humaines, et
dont la solution s'impose pourtant plus impérieuse-
ment que jamais à une humanité plongée dans
l’amertume de la révolte.
Le « Misereor super turbam », dont s’inspira
toute la vie du Christ, demeure pour Nous une con-
signe sacrée et inviolable, qui vaut pour tous les
siècles et toutes: les situations humaines. À moins
de se renier elle-même et de renoncer à sa mission
maternelle, l'Eglise doit prêter l'oreille au cri d’an-
goisse filiale qui monte vers elle de toutes les classes
de l'humanité. Sans doute ne prétend-elle exprimer
aucune préférence pour telle ou telle solution par-
ticulière et concrète qu’un peuple ou un Etat parti-
culier cherche à apporter aux très graves problèmes
de sa stabilité intérieure ou de sa politique inter-
nationale. Il lui suffit que la loi divine soit respectée.
Mais, d’autre part, l’Eglise est « la colonne et le
fondement de la vérité » (1 Tim. 3,15). De par la
volonté de Dieu et en vertu d'une mission reçue du
Christ, elle est la gardienne de l'ordre, naturel et
Surnaturel. À ce titre, elle est obligée de rappeler
bien haut, devant ses fils et en présence de l'univers
entier, les principes inébranlables dont doit s’inspi-
rer la vie humaine, et maintenir ces principes à
l'abri de toute interprétation fausse ou tendancieuse,
de tout obscurcissement, de toute contamination, de
toute erreur, C’est qu’en effet la seule observation
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 245
de ces règles, et non pas les efforts individuels de
volontés nobles et généreuses, assurera la solidité
dernière de n'importe quel ordre nouveau, national
et international, de cet ordre que tous les peuples
réclament avec d’ardentes supplications. Nous savons
quel courage et quel esprit de sacrifice animent au-
jourd'hui tant de nations : Nous connaissons aussi
leurs angoisses et leurs souffrances. Et c’est pour
tous les peuples sans aucune exception qu'en cette
heure d'épreuves et de peine indicibles, Nous ressen-
tons un amour profond, impartial, indéfectible. Nous
désirons de tout Notre âme leur apporter tous les
éncouragoments, leur procurer tous les secours qui
#oront en Notre pouvoir,
Rapports internationaux et ordre intérieur
des nations
Notre dernier messagé de Noël exposait le point
de vue chrétien sur l'établissement d’un ordre inter-
“ national conforme aux exigences divines. Aujour-
d'hui, certains que nous sommes de l'approbation
bienveillante de tous les gens honnêtes, nous vou-
lons Nous occuper, avec un soin tout particulier et
non moins d’impartialité, des règles essentielles qui
doivent présider à l’ordre intérieur des Etats et des
peuples, Rapports internationaux et ordre intérieur
sont en dépendance très intime : l’équilibre et l'har-
monie entre les Nation dépendent de l'équilibre inté-
rieur, du degré de développement matériel, social et
intellectuel auquel sera parvenu chaque Etat parti-
culier. L'expérience a montré qu'il était impossible
d'entretenir avec l'extérieur des relations pacifiques
à la fois solides et durables s’il n’existe pas, à l’in-
térieur des frontières, un « front do paix » qui ins-
pire confiance. Il s’ensuit que seule la volonté bien
arrêtée d'établir à l’intérieur comme à l'extérieur
une paix intégrale permettra de libérer les peuples
246 MESSAGES DE GUERNE AU MONDE
do ln oruelle obsession de la guerre, de rendre plus
rares ou même de supprimer graduellement les can.
ses matérielles et psychologiques de nouveaux con-
flits ot de nouveaux bouleversements.
Deux conditions de la paix sociale,
Toute vie sociale digne de ce nom, de même qu'elle
est née d'upe volonté de paix, doit se proposer la
paix comme but suprême, autrement dit cette « tran-
quillité dans l’ordre » où St Thomas voit comme
l’essence de la paix (IT a, IL ae, q. 29 a. 1 ad 1). La
vie sociale dépend donc de deux conditions primor-
diales : vie commune dans l’ordre, vie commune
dans la tranquillité,
I. — LA VIE COMMUNE DANS L’ORDRE
L'ordre, fondement de la vie sociale, d’une vie mo-
née par des êtres donés d’intelligence et de sens
moral et qui aspirent à réalfser une fin conforme à
leur nature, ne saurait être une pure juxtaposition
d'éléments numériquement distinéts : il est plutôt,
et surtout doit être une tendance à la réalisation
toujours plus parfaite d’une unité intérieure, sans
que disparaissent pour autant des différences justi-
fiées, sanctionnées par la volonté du Créateur ou par
des normes surnaturelles, ;
Une claire intelligence des fondements authenti-
ques de toute vie sociale s'impose aujourd’hui plus
que jamais, à une époque où l'humanité, intoxiquée
par la virulence des erreurs et des égarements s0-
ciaux, en proié à une fièvre de désirs, dé projets, de
doctrines contradictoires, se débat anxieusement au
sein d’un désordre qu'elle-même a provoqué, et cons.
tate à ses dépens la force destructrice des fausses
doctrines sociales qui font abstraction des lois de
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 27
Dléu ou même les contredisent. Et puisque l’anar-
éhié no peut disparaître que devant un ordre de
choses librement accepté et conforme aux exigences
de la nature — (de même que les ténèbres, avec leur
cortège d'incertitudes et de terreurs, ne peuvent être
chassées que par la pleine lumière, et non par des
foux follets) — le salut, le renouveau et une amélio-
ration progressive de la société, ne peuvent être
(spérés et rendus possibles que par le retour d’élites
nombreuses et influentes à une juste conception de
là vie sociale. Un pareil retour exige, de la part de
Dieu, une grâce exceptionnelle, et, de la part des
hommos de bien qui contemplent do loin cot idéal,
uno volonté inébranlable, constamment décidée au sa-
eriflée, Peu à pou, de cos élitos plus influentes et
plus capables d'ostimor éxactement tout ce qu’une
Juste conception de la vie sociale renferme d’atti-
tante benuté, pénétrera dans les masses elles-mêmes
ln foi dans la valeur, dans l’origine spirituelle et
divine de la vie sociale. C’est ainsi que s'aplanira la
voie qui conduit au réveil, à l'approfondissement et
à la consolidation de ces principes moraux sans les-
quels les plus orgueilleuses réalisations ne représen-
teront jamais qu’une Babel dont les habitants, même
S'ils vivent entre les mêmes murs, parlent des lan-
gues diverses et contradictoires, ;
Dieu, cause suprême et fondement premier de la vie
individuelle et sociale.
De la vie individuelle et sociale il convient de re-
monter à Dieu, sa Cause Suprême, son Fondement
premier, puisqu’il a créé la première société conju-
gale, source dé la famille et des communautés ethni-
ques ou nationales. La vie sociale reflète vraiment
quoique imparfaitement son exemplaire, le Dieu Un
en trois personnes, qui par le mystère de son Incar-
nation a racheté et relevé la nature humaine, Elle
248 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
possède donc — la raison et la révélation nous l’ap-
prennent — un idéal et une fin d’une portée morale
et d’une valeur absolues, et qui demeurent, au-
dessus de toutes ses transformations historiques. Elle
possède aussi une puissance d’attraction qui, loin
d'être diminuée par les déceptions, erreurs ou échees,
entraîne {rrésistiblement les esprits les plus nobles et
les plus fidèles au Seigneur, à reprendre avec une
énergie accrue, une expérience nouvelle, des connais-
sances, des moyens et des méthodes mieux adaptés,
ce qu’en d’autres temps et circonstances on avait
tenté en vain.
La raison d’être de la société, sa fin essentielle,
c'est de conserver, développer et perfectionner la per-
sonne humaine, en l’aidant à réaliser aussi parfaite-
ment que possible les principes et l’idéal religieux et
culturel assignés par le Créateur à chaque homme en
particulier et à toute l’humanité dans son ensemble
et dans ses ramifications naturelles.
Toute doctrine ou construction sociale qui nie cette
connexion de l'humain avec Dieu ou qui en fait abs-
traction, s’engage dans la voie de l'erreur. D'une
main elle construit, mais de l’autre elle prépare les
forces de désagrégation qui tôt ou tard se retourne-
ront contre elle. Lorsque, méconnaissant le respect
dû à la personne et à son activité, elle ne lui fait
aucune place dans ses institutions et ses fonctions
législatives ou exécutives, loin de servir la société
elle en sape les bases; loin d'animer ou de réaliser
l'aspiration commune, elle lui ôte toute valeur pro-
pre pour la réduire en formules de propagande qui
rencontreront dans une masse toujours plus nom-
breuse une répulsion nette et résolue.
Si la vie sociale comporte l'unité, elle ne supprime
pas pour autant les différences naturelles. Mais, si
l'on pose comme fondement Dieu, suprême régula-
teur de tout l'humain, ressemblances et différences
entre les hommes se situent à leur place dans un
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 249
ordre absolu d’êtres et de valeurs, ordre moral par
conséquent. Si au contraire l’on supprime ce fonde-
ment, aussitôt, entre les divers domaines de l’acti-
Vité humaine, s'ouvrent de dangereuses fissures
leurs caractères, leurs limites, leurs valeurs respec-
tives se confondent; des influences tout empiriques,
souvent même des impulsions aveugles décident, à
la mode du jour, laquelle de ces formes d'aczivité
prendra le pas sur les autres,
Ainsi, pendant ces dernières décades, toute la vie
de la cité s’ordonnait au profit. Maintenant, une
autre idéologie règne, qui envisage toutes choses et
toutes personnes du seul point de vue politique, à
l'exclusion de toute considération morale et reli-
gieuse. Déviation fatale, lourde de conséquences im-
prévisibles pour la vie sociale, qui n’est jamais plus
près de perdre ses plus nobles prérogatives que lors-
qu’elle croit pouvoir oublier où renier la source
éternelle de sa dignité : Dieu.
La raison, éclairée par la foi, attribue aux person-
nes et aux sociétés particulières une place détermi-
née et noble; elle sait — pour nous en tenir au plus
important — que toute l’activité de l'Etat, politique
ou économique, doit s’ordonner à la réalisation du-
rable du bien commun, c’est-à-dire de ces conditions
extérieures nécessaires à l’ensemble des citoyens
pour le développement de leurs qualités et de leurs
aptitudes, de leur vie matérielle, intellectuelle et reli-
gieuse; mais cela, dans la mesure seulement où,
d’une part, la famille et les autres organismes aux-
quels la nature a d’abord confié cette charge, n'y suf-
fisent pas, et d'autre part, où la personne humaine,
pour la réalisation de ses fins religieuses, n'aurait
pas déjà à son service l'Eglise, cette autre société
universelle, établie par la volonté salvifique de Dieu.
Dans une construction sociale pénétrée et comman-
‘dée par la pensée religieuse, la fonction économique
et toutes les autres fonctions de la culture humaine
0 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
constituent, par leur riche variété et leur harmo-
nieuseé coordination, comme un vaste chantier où
les hommes, égaux par leur âmes et divers par leur
rôle, voient leurs droits respectés et trouvent leur
plein accomplissement; sinon, le travail sera dépré-
cié et l’ouvrier avili.
L'organisation juridique de la société et ses fins.
Pour que la vie sociale, telle qu’elle est voulue par
Dieu, puisse atteindre son but, elle a besoin d’une
organisation juridique qui lui serve d’appui exté-
rieur, de rempart et de protection. Organisation dont
le rôle n’est pas de dominer, mais de servir le déve.
loppement et le progrès vivant du groupe social avec
toute la richesse de ses fins diverses; et cela, en
secondant le concours pacifique de toutes les énergies
individuelles et, par des moyens appropriés et hon-
nêtes, en défendant ces énergies contre tout ce qui
conträrierait leur complet développement.
Pour garantir l'équilibre, la sécurité et l'harmonie
dans la société, cette organisation jouit également
d'une puissance de coercition à l'égard de ceux que
d’autres moyens ne suffisent pas à maintenir dans
les bornes de la discipline du groupe. Mais dans le
juste exercice de ce droit, une autorité digne de ce
nom ne perdra jamais la conscience angoissante de
sa responsabilité devant le Juge éternel, au tri
bunal de qui toute sentence injuste et plus encore
tout rejet dés normes voulues par lui, sera inexora-
blement condamné.
Les principes premiers, décisifs, fondamentaux,
de la société demeurent au-dessus des entreprises de
l'intelligence humaine. On pourra les nier, les mépri-
ser, les transgresser, jamais les abroger par un acte
de droit efficace. Les conditions de la vie se trans-
forment avec le temps, sans doute, mais il n’y a
jamais différence absolue ni discontinuité complète
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 251
entre le droit d'hier et celui d'aujourd'hui, entre la
disparition des constitutions et des pouvoirs anciens
et l'apparition d'institutions nouvelles.
En tout cas, quels qu’aient été les changements ou
les transformations, la fin de toute vie sociale de-
meure identique, sacrée, obligatoire : le développe-
ment des valeurs personnelles de l'homme, image de
Dieu. L'obligation demeure, pour chaque. membre de
la famille humaine, d'accomplir son immuable des-
tinée, quel que soit le législateur à l'autorité duquel
il obéit. Par conséquent, tout homme conserve le
droit inaliénable, qu'aucune opposition ne peut dé-
truire, êt qui doit être reconnu par ses amis et par
ses ennemis, à une organisation juridique qui, dans
ses principes et son activité, demeure pénétrée de la
pensée que sa seule raison d'être, c’est de servir le
bien commun, ÿ
A l’organisation juridique également incombe la
tâche très haute, mais très ardue, d’&ssurer les rap-
ports harmonieux entre les individus, entre les grou-
pes sociaux et à l’intérieur de ces groupes, Elle y
parviendra, pourvu que les législateurs se gardent
de certaines maximes funestes à la communauté et à
sa cohésion interne, maximes qui tirent leur origine
d’une sériè de postulats erronés,
Parmi ces postulats, il faut compter celui du posi-
tivisme juridique, qui confère une fausse majesté
aux lois positives purement humaines, frayant la
voie à un discrédit dangereux de la loi de la cons-
cience morale. Il faut compter aussi une théorie qui
revendique pour telle nation, telle race, telle classe,
l’ « instinet juridique », impératif suprême et norme
sans appel. Il faut compter enfin ces systèmes diffé-
rents d’allures et fondés sur des principes opposés,
mais qui s'accordent à considérer l'Etat ou une oli-
garchie qui le représente comme une autorité absolue
et suprême, au-dessus de tout contrôle et de toute
critique, même quand ses maxinmes et leurs applica-
252 MESSAGES DH GUERRE AU MONDE
tions aboutissent à nier les données fondamentales
de la conscience humaine et chrétienne.
Que l’on considère loyalement et attentivement la
connexion vitale entre un véritable ordre social et
une véritable organisation juridique ; qu’on se rap-
pelle que pour l'unification intime de la diversité
sociale, il faut que prédominent les forces spirituelles,
que l’on respecte la dignité humaine, en soi et chez
les autres, qu’on aime la société et les fins que Dieu
lui à assignées, et l’on ne s’étonnera plus alors de
voir le triste aboutissement de ces Systèmes juridi-
ques qui ont quitté la voie royale de la vérité pour
S'avancer sur le terrain mouvant des postulats ma-
térialistes. Au contraire, on comprendra, qu’il est né-
cessaire et urgent de revenir à une vue du monde
spirituelle et morale, sérieuse et profonde, chaude
de sentiments véritablement humains et illuminée
des splendeurs de la foi chrétienne, qui nous montre,
dans l'organisation juridique, le reflet apparent de
la structure sociale voulue par Dieu, beau fruit de
l'intelligence humaine qui est elle-même image de
l’esprit de Dieu,
Cette conception organique, seule vivante, et dans
laquelle s’harmonisent le plus noble humanisme et .
le plus authentique esprit chrétien, se résume dans
la formule lapidaire de l’Ecriture, brillamment com-
mentée. par saint Thomas : « Opus justitiae pax »
(ITa Iae, q. 29, a. 3). Elle s'applique à toute la vie
sociale, à son aspect intérieur comme à son aspect
extérieur. Elle repousse le contraste et le dilemme :
amour ou droit ; elle proclame la synthèse féconde :
amour et droit. É : ;
Amour. et droit : double reflet du même esprit de
Dieu. Les deux termes résument l’aspiration et ga-
rantissent la dignité de l'esprit humain. Ils s’exigent
l’un l'autre, coopèrent, s’animent, se soutiennent,
préparent de concert les voies de la concorde et de
la paix, le droit ouvrant la route à l’amour, l'amour
MESSAGÉS DE GUERRE AU MONDE 3
tempérant la rigueur du droit et lui donnant tout
son sens. De concert, ils entretiennent la vie de
l'homme dans cette atmosphère sociale qui, malgré
les déficiences, les échecs, les épreuves de cette terre,
permet une fraternelle communauté.
Mais que les pernicieuses idées matérialistes vien-
nent à prendre le dessus ; que l’ambition du pouvoir
et du pouvoir sans contrôle leux donne la direction
des événements, alors on verra, de jour en jour davan-
tage s’affirmer leur force de désagrégation et dispa-
raître la justice et l’amour : prélude aux catastrophes
imminentes pour une société qui a renié Dieu.
TT, — VIE EN COMMUN DANS LA TRANQUILLITÉ
Le second élément fondamental de la paix, celui
vers lequel tend presque instinctivement toute société
humaine, c’est la tranquillité. Bienheureuse tranquil-
lité, qui n'a rien de commun avec un fixisme dur et
obstiné, tenace et puérilement attaché à soi-même ;
rien de commun non plus avec certaine répugnance,
fille de l'ignorance et de l’égoïsme, à appliquer l’es-
prit aux problèmes que posent l’évolution et la mon-
tée des générations nouvelles, avec leurs progrès et
leurs besoins nouveaux. ;
Car un chrétien, conscient de sa responsabilité
mème envers le plus petit d'entre ses frères, ne peut
se résoudre à une tranquillité paresseuse. Loin de se
dérober, il agira, luttera contre l’inertie, dans cette
grande bataille spirituelle dont le but est de cons-
truire la société, ou plutôt de lui donner une âme.
Accord de la tranquillité et de l'activité,
Aux yeux de qui a compris la convenance et la
nécessité d’un substrat spirituel pour la société, et
la noblesse de son idéal, la tranquillité, telle que
l’entend saint Thomas, loin de s'opposer à une acti-
254 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
vité intense, se fond harmonieusement avec elle. À
vous surtout, jeunes gens, si portés à tourner le dos
au passé et à diriger vers l'avenir un regard chargé
| | de désirs et d’espoirs, nous dirons, mûs par Notre
/ amour et Notre sollicitude paternelle : l’exubérance
et l'audace ne suffisent pas : il faut qu’elles soient :
ÿ mises au service du bien et d’un drapeau sans tache.
Vaine est l'agitation, la fatigue qui ne se repose pas
en Dieu et sous sa loi éternelle, Il faut qu'une certi-
tude vous anime : la certitude de combattre pour la
vérité, de lui vouer votre estime, vos énergies, vos
aspirations, vos sacrifices ; la certitude de combattre
pour les lois éternelles de Dieu, pour la dignité de la
personne humaine et la réalisation de ses fins. Là
où, hommes mûrs et jeunes gens, à l’image de la
vivante et éternelle tranquillité de Dieu, coordon-
nent, dans un authentique esprit chrétien, la diver-
sité des caractères et des activités, là où les forces
d'évolution s'accommodent aux forces modératrices,
l'écart naturel entre les générations ne deviendra
jamais un péril, mais favorisera beaucoup, à travers
les changements des conditions de la vie, d'une épo-
que à l’autre, le jou des lois éternelles de Dieu,
Le monde ouvrier.
Il est un domaine de la vie sociale où, après un
siècle des plus âpres conflits, on voit régner aujour-
d'hui un calme au moins apparent ; et nous voulons
| parler de ce monde, toujours plus étendu, du travail,
' de cette immense armée des ouvriers, des salariés,
des « dépendants ». Si l’on prend comme une donnée
| de fait la situation présente, ‘avec les nécessités de
| la guerre, on pourra dire que cette tranquillité est
| une exigence nécessaire et fondée, mais si on l’envi-
sage du point de vue de la justice, cette tranquillité
restera pure apparence tant que le but — un mouve-
| ment ouvrier réglé et légitime — ne sera pas atteint.
|
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
Toujours mue par des motifs religieux, l'Eglise a
condamné les divers systèmes du socialisme mar-
xiste, Elle maintient toujours cette condamnation, car
c’est son devoir et son droit permanent de préserver |
les hommes des courants d'influences qui mettent en
danger leur salut éternel. Mais elle ne peut ni igno-
rer, ni refuser de voir que l'ouvrier, dans son effort - |
pour améliorer sa condition, se heurte à un système |
social qui, loin d’être conforme à la nature, s'op- |
pose à l’ordre établi par Dieu et à la fin qu'il a assi-
gnée aux biens de la terre. Aussi, tout en constatant
que certains efforts d'amélioration, ayant fait fausse
route, sont périlleux et condamnables, quel homme,
‘et surtout quel prêtre et quel chrétien pourrait de-
meurer sourd au cri parti du plus profond de la
masse, qui dans le monde d’un Dieu juste appelle
la justice et la fraternité ? Pareille attitude serait
coupable, injustiflable devant Dieu, contraire à la
parole inspirée de l'Apôtre qui, tout en proclamant
là nécessité de s'opposer résolument à l'erreur, sait
aussi qu'il faut être plein d’égards pour ceux qui se
trompent et demeurer accueillant à leurs aspirations,
à leurs espérances et aux motifs qui les animent.
Dieu, en bénissant nos premiers parents, leur a
dit : « Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre
et soummettez-la. » (Gen, I, 28.) Et plus tard, au pre-
mier chef de famille il a dit encore : « Tu mangeras
ton pain à la sueur de ton front. » (Gen. III, 19.) La
dignité de la personne humaine exige donc normale-
ment comme fondement naturel de la vie, le droit à
l'usage des biens de la terre, auquel répond l’obliga-
tion fondamentale d’assurer à tous les hommes, au-
tant que possible, la propriété privée. Les normes
juridiques positives, qui règlent la propriété privée, |
peuvent changer et en restreindre plus ou moins le 2
libre usage ; mais si elles veulent contribuer à la
pacification de la communauté, elles devront empê-
cher que l’ouvrier qui est, ou doit devenir père de
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
famille, soit condamné à une dépendance, à une ser-
vitude économique inconciliable avec ses droits de
personne, ;
Que cette servitude dérive de la dictature du capi-
tal privé ou de la puissance de l'Etat, l'effet en est
le même ; bien plus, quand un Etat prétend dominer
et régler vie publique et vie privée, étendant son do-
maine jusqu'aux croyances et aux consciences, ce
manque de liberté peut avoir des conséquences plus
graves encore : les faits en font foi. ;
Cinq points fondamentaux
pour l'ordre et la pacification de la société
Si l’on juge à la lumière de la raison et de la foi
ces fondements et ces fins de la vie en société que
nous venons d'exposer, si l’on contemple leur pureté,
leur élévation morale et leurs effets bienfaisants dans
tous les domaines, on se ralliera du coup à ces puis-
sants principes, que des énergies tendues vers un
grand idéal et résolues à renverser tous les obstacles
pourraient donner pour règle, ou mieux, rendre à
un monde en complet désarroi, après avoir abattu
les barrières intellectuelles et juridiques dressées par
les préjugés, les erreurs, l'indifférence et par une
laïcisation prolongée de la pensée, du sentiment, de
l’action qui a soustrait la cité terrestre à la lumière
et à l’influence de la Cité de Dieu. ;
Aujourd'hui plus que jamais, c'est l'heure de ré-
parer : c’est l'heure de réveiller la conscience du
monde du lourd sommeil où l’a plongée le poison
des idées fausses largement diffusées. Et cela d’au-
tant plus qu’en ce temps de désarroi matériel et mo-
ral, ceux qui, aux jours dits « heureux », bien loin
de voir dans l'absence de tout lien avec l’éternel le
vice radical de tous leurs plans, n'avaient conscience,
ni pour eux-mêmes ni pour la société, de cette ab-
sence, ceux-là reviennent de leur illusion et recon-
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 207
naissent la fragilité et l'inconsistance de toute cons.
truction purement humaine.
Ce qui naguère apparaissait clairement au chré-
tien à la foi vive, souffrant de l’ignorance des autres,
maintenant, dans l’effroyable bouleversement qui
‘revêt la solennité d’un jugement général, apparaît
plus clairement encore aux tièdes, aux indifférents,
aux esprits superficiels. Ce qui se manifeste tragique-
ment en des péripéties nouvelles, c'est la même
vieille vérité qui, de siècle en siècle, de génération
en génération, gronde dans la parole du Prophète :
« Omnes qui Te derelinqunt confundentur : recen-
dentes a Te, in terra scriabentur : quoniam derelin-
quetunt venam aquarum viventium, Dominum » (Jér.
17, 13) (1). ‘
L'heure, cependant, n’est pas aux lamentations mais
Kux actes, Au lieu de pleurer sur ce qui a été ou sur
ce qui ent, In consigne est de reconstruire ce qui sera
ét qui, pour le bien de la société, doit être. Saisis
de l'enthousiasme des Croisades, que les meilleurs
de In Chrétionté s'unissent dans un même esprit de
vérité, de justice el d'amour, au cri de : Dieu le veut !
prêts à servir el à ne ancrifler comme les croisés d’au-
trefois, Il s'aglssail alors de libérer la Terre sanc-
tifiée par ln vie du Verbe Incarné : aujourd’hui il
s’agit, si Nous pouvons Nous exprimer ainsi, d’une
nouvelle croisière sur In mer des erreurs du temps
présent, pour aller délivrer ln terre aninte de l’es-
prit, celle qui portera les principes et les lois immua-
bles de constructions sociales d'une solidité intérieure
à toute épreuve.
Pour atteindre un but aussi élevé, près de la crèche
du Prince de la paix, et confiant que sa grâce se ré-
pandra dans tous les cœurs, Nous Nous adressons :
(1) « Tous ceux qui t’abandonnent seront confondus : ceux
qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils ont
abandonné la source des eaux vives, le Seigneur. »
258 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
à vous, Fils bien aimés, qui reconnaissez et adorez
en Jésus.Christ votre Sauveur : à tous ceux qui Nous
Sont unis au moins par le'lien spirituel de la foi; à
tous ceux enfin qui, pour sortir du doute et de l’er-
reur, attendent lumière et guide ; et nous vous exhor-
tons et conjurons avec une paternelle insistance, non
seulement de comprendre intimement la gravité ter-
rible.des circonstances présentes, mais aussi de son-
ger à la possibilité d’une bienfaisante aurore surna-
turelle, et de vous unir, et de travailler en commun
pour le renouvellement de la société en esprit et en
vérité. _ 2 épi
Le but essentiel de cette croisade nécessaire et
sainte, c’est que l’étoile de la paix, l’étoile de Beth-
léem se lève à nouveau sur l'humanité, éclatante,
heureuse, pacifiante comme la promesse et le pré-
lude d’un avenir meilleur et plus fécond. ;
Certes, la route qui va de l'obscurité à l’aube ra-
dieuse sera longue ; mais ce sont les premiers pas
qui comptent, les cinq premières étapes, définies,
pour ainsi parlor, dans les cinq formules que voici :
ZI. — DIGNITÉ ET DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE
Voulez-vous que l’étoile de la paix se lève et s’ar-
rête sur la société ? De tout votre pouvoir, travaillez
à rendre à la personne humaine la dignité dont Dieu
l’a gratifiée dès l’origine ; ne permettez pas qu’on
amplifie le groupement humain au point d’en faire
une masse sans âme ; portez remède au désarroi
économique, social, politique, intellectuel et -moral,
à l'absence de principes solides et de fortes convic.
tions, à la surexcitation et au caprice des sensibilités
et des instincts. Par tous les moyens permis, favori-
sez dans tous les domaines de l’activité, les formes
sociales qui permettent et garantissent l’entière res-
ponsabilité personnelle dans l’ordre temporel comme
dans l’ordre éternel, ; se
MISSAUNS DE GUERRE AU MONDE 259
faites qu'on respecte dans la pratique ces droits
fndamentaux de la personne : droits à la conserva-
{lon ol nu développement de la vie corporelle, intel-
lprtnelle et morale, et en particulier droit à une for-
mallon ol à une éducation religieuse ; droit au culte
ile Dieu privé et public, y compris la bienfaisance
religieuse ; droit au mariage surtout, et à la réalisa-
tlon do sa fin : la société conjugale et familiale ;
roll nu travail comme à l'indispensable soutien de
ln vie do famille ; droit au libre choix d’un état de
vie, y compris l’état sacerdotal ou religieux ; droit
A l'hgage des biens matériels dans les limites du de-
volr ol des obligations sociales. . f
II - DÉFENSE DE L'UNITÉ SOCIALE ET PARTICULIÈREMENT
DE LA FAMILLE
Voulez-vous que l’étoile de la paix se lève et s’ar-
râle sur la société? Rejetez toutes les formes du ma-
térialisme qui, ne voyant dans le peuple qu’un trou-
ponu d'individus distincts sans consistance intérieure,
considère le sujet d’un pouvoir absolu.
(horchez à concevoir la société comme un orga-
filgme que la Providence a fait venir à sa maturité ;
organisme un, qui, dans les limites à lui assignées
ui selon ses qualités propres, tend, par la collabora-
{lon des diverses classes et professions, aux fins éter-
folles et toujours nouvelles de la culture et de la
religion.
Défendez l’indissolubilité du mariage ; donnez à
In famille, cellule nécessaire de la nation, l’espace,
l'air et la lumière, pour qu’elle puisse se vouer à sa
mission : propager la vie, éduquer les enfants dans
Un esprit conforme à ses propres convictions reli-
plouses. Maintenez, affermissez ou reconstituez selon
vos forces, son unité économique, spirituelle, morale
ot juridique ; faites en sorte que les domestiques
nussi aient part aux biens matériels et spirituels de
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
la famille, Occupez-vous de procurer à chaque fa-
mille un foyer qui lui permette, dans la santé maté-
rielle et morale, de montrer sa vigueur et sa valeur.
Veillez surtout à faire renaître entre les écoles pu-
bliques et la famille ce lien de confiance et d’en-
_ traide qui, après avoir autrefois produit des résultats
Si heureux, a fait place aujourd’hui à la méfiance,
là où l’école, sous l’influence ou la contrainte de l’es-
prit matérialiste, empoisonne et détruit ce que les:
_ parents avaient déposé dans l’âme des enfants.
III — DIGNITÉ ET PRÉROGATIVES DU TRAVAIL
Voulez-vous que l'étoile de la paix se lève et s’ar-
rête sur la société ? Mettez le travail à la place que
Dieu lui a assignée dès l’origine. Moyen indispen-
sable pour établir la domination de l’homme sur la
Sance et de soumission à la volonté de Dieu.
Ceux qui connaissent les grandes Encycliques de
Nos Prédécesseurs, et Nos précédents Messages,
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 201
fût-elle modeste, à toutes les classes de la popula-
tion, qui favorise Féducation supérieure aux enfants
des classes ouvrières mieux doués d'intelligence et
de bonne volonté, qui ait soin de promouvoir les ac-
tivités pratiques favorables à l’esprit social, dans le
quartier, le village, la province, le peuple et la na-
ton ; qui, atténuant les conflits d'intérêts et de clas-
#os, ne laisse pas aux ouvriers l’impression d’être
mis en marge de la société, mais leur donne l’expé-
rience réconfortante d’une solidarité vraiment hu-
maine, chrétiennement fraternelle.
Les réformes sociales seront plus ou moins avan-
cées et parfaites dans chaque nation, selon sa puis-
sance économique. C’est seulement par un échange
intelligent et généreux des ressources entre puissants
ét faibles que l’on parviendra à une pacification gé-
nérale qui ne laisse plus subsister aucun foyer de
discorde ou de haine susceptible de donnes na*ssance
à de nouveaux malheurs.
Des signes clairs permettent de penser que dans la
fermentation de tous les préjugés et de tous les sen-
timents de haine, conséquences tristes et inévitables
de cette psychose aiguë de la guerre, la conscience
qu'ont les peuples de leur intime et mutuelle solida-
rité dans lè bien comme dans le mal, loin de s’atté-
fuer devient plus vive et plus agissante. N'est-ce
pas un fait que des penseurs profonds voient de mieux
en mieux que la voie du salut, c’est que toutes les
nations renoncent à un isolement égoïste, et qu’ils
sont tout prêts de demander à leur patrie une lourde
part des sacrifices que réclame la pacification sociale
en d’autres nations ? Puisse ce message de Noël,
adressé à tous ceux qu’animent une bonne volonté
et un cœur généreux, encourager et accroître dans
tous les peuples les bataillons de la croisade sociale !
Et que Dieu veuille accorder à leurs pacifiques éten-
dards la victoire que mérite une si noble entreprise.
262 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
IV. « RÉINTÉGRATION » DE L'ORGANISATION JURIDIQUE
DANS L'ORDRE MORAL ET RELIGIEUX
Voulez-vous que l’étoile de la paix se lève et s’ar-
rête sur la vie sociale ? Collaborez à une profonde
réintégration de l’organisation juridique dans l’ordre
moral et religieux.
A l'heure actuelle, le sens juridique subit de fré-
quentes et graves atteintes, du fait des affirmations
et réalisations d’un positivisme et d'un pragmatisme
servilement enchaînés au service de certains grou-
pements, de certaines classes, de certains mouve-
ments dont les programmes fixent la voie à la légis-
lation et à la pratique judiciaire.
Pour remédier à cette situation il faut remettre en
valeur cette idée que le fondement de l’ordre juri-
dique, c’est le domaine souverain de Dieu, que l’ordre
juridique échappe à l'arbitraire des hommes ; que
sa puissance de protection et de répression s’étend
jusqu'aux imprescriptibles droits de l'homme et les
défend contre les atteintes de n'importe quel pouvoir
humain.
D'une organisation juridique voulue de Dieu, dé-
coule pour l’homme le droit inaliénable à la sécurité
juridique, et par conséquent, à un « domaine de
droit » bien défini, protégé contre toute atteinte ar-
bitraire. ÿ ; ;
Les relations de l’homme avec l’homme ; de l’indi-
vidu avec la société, l’autorité, les obligations civi-
ques ; les relations de la société et de l’autorité avec
les individus, doivent être assises sur une base juri-
dique nettement précisée «et confiées, au besoin, à la
sauvegarde du pouvoir judiciaire. Cela suppose :
d) un tribunal et un juge qui suivent les directives
d’un droit clairement formulé et déterminé ç
b) des principes juridiques clairs, qui ne puissent
être renversés par des appels abusifs à un prétendu
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 263
sentiment populaire, et cela pour des motifs pure-
ment utilitaires ; ;
c) la reconnaissance de ce principe, que même
l’INtat, les fonctionnaires et les organisations qui dé-
pendent de lui sont tenus à la réparation ‘et au re-
{rait des mesures lésant la liberté, la propriété,
l'honneur, la condition et la santé des individus.
V. — UNE CONCEPTION CHRÉTIENNE DE L'ÉTAT
Voulez-vous que l’étoile de la paix se lève et s'ar-
rête sur la société humaine ? Collaborez à la mise au
point d’une conception et d'une réalisation d’un Etat,
fondées sur une discipline raisonnable, un noble
humanisme, et le sens de la responsabilité chrétienne,
Contribuez à ramener l’Etat et son pouvoir au ser-
vice de la société, au respect sans réserve de la per-
sonne humaine et des activités qui lui permettent
d'atteindre ses fins éternelles. :
Travaillez à dissiper les erreurs qui soustraient
l'Etat et son pouvoir au domaine de la moralité ; qui
les dégagent du lien tout moral les unissant à la vie
des individus et des sociétés, et les mène à renier ou
à ignorer pratiquement la dépendance essentielle
qui les relie à la volonté du Créateur.
Tâchez de promouvoir la diffusion et la reconnais-
sance de la vérité qui enseigne que, même dans le
domaine temporel, ce qui donne au « régner » son
sens profond, sa vraie moralité et sa légitimité su-
prème, c’est le « servir ».
Réflexions sur la guerre mondiale
et le renouvellement social
Dieu veuille très chers Fils, que tandis que Notre
voix parvient à vos oreilles, votre cœur soit profon-
dément ému et impressionné par la gravité sérieuse,
l’ardente sollicitude, la pressante insistance avec
261 MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
lesquelles nous cherchons à vous pénétrer de ces
principes. Nous voulons que ce qui précède soit un
appel à la conscience universelle, un cri de rallie-
ment pour tous ceux qui savent généreusement éva-
luer la grandeur de leur mission et de leurs respon-
sabilités d’après l'immensité du désastre universel.
Une grande partie de l'humanité, et même, Nous
n’hésitons pas à l’affirmer, un bon nombre de ceux
qui se proclament chrétiens, partagent en un certain
sens la responsabilité collective de la mauvaise orien-
tation, des méfaits et du manque absolu d’élévation
morale dont souffre la société. d’aujourd’hui.
Cette guerre mondiale, et tout ce qui s’y rattache,
qu’on envisage ses causes éloignées ou prochaines,
Ou ses conséquences matérielles, juridiques et mora-
les, que représente-t-elle d’autre qu’un brusque écrou-
lement ? Des esprits superficiels ont pu en être sur-
pris ; mais la catastrophe avait été prévue et redou-
tée de tous ceux dont le regard avait scruté jusqu'en
ses profondeurs un ordre social qui, sous des appa-
rences trompeuses et par-delà le mensonge des for-
mules conventionnelles, dissimulait une faiblesse fa-
tale, un désir exaspéré de lucre et de domination.
Ce que l’on arrivait encore à réprimer en temps
de paix éclata, lors de la déclaration de guerre, en
une lamentable série de mesures en contradiction
complète avec l’esprit d’humanité du christianisme.
Les conventions internationales destinées à humani-
ser la guerre, en la limitant aux seuls combattants,
en fixant les règles de l'occupation des territoires et
de la capture des vaincus, sont restées lettre morte
en maints endroits. Et qui pourrait prédire la fin
d’un état de choses qui ne fait qu’empirer de jour
en jour?
Les peuples souhaitent-ils par hasard assister sans
réagir à l'extension’ de ce désastre ? Ou bien, sur
les ruines d’un ordre social qui a donné une preuve
Si tragique de son impuissance à procurer le bien-
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 265
être des peuples, toutes les grandes âmes, toutes les
honnes volontés ne doivent-elles pas plutôt s’unir .
(lans le serment solennel de ne s’accorder aucun repos
livant que, dans tous les Etats et toutes les Nations
de la terre, ne se soient formées des légions d’hom-
mes absolument décidés à reconstruire l’édifice social
sur l’inébranlable centre de gravité de la loi divine,
entièrement dévoués au service de personnes et de
communautés qui auraient retrouvé en Dieu leur
vraie noblesse ?
Ce souhait, l’humanité doit de pouvoir le formu-
ler à la multitude innombrable des morts qui repo-
sent dans les champs de bataille. En sacrifiant leur
vie pour accomplir leur devoir, ils ont offert un ho-
locauste pour un ordre social nouveau et meilleur.
Ce vœu, l'humanité le recoit encore de la foule
immense des mères, des veuves et des orphelins, qui
se sont vu arracher la lumière, la consolation et le
soutien de leur vie.
Ce vœu, l'humanité l’entend formuler par ces exi-
lés sans nombre que l’ouragan de la Buerre a déra-
cinés et transportés loin de leur patrie, puis dis-
persés sur la terre étrangère. Ceux-ci ne pourraient-
ils pas s'approprier la plainte du prophète : « Notre
héritage a été donné à d’autres, notre demeure abrite
maintenant des étrangers » ? (Jer. Lam., 5, 2)
Ce vœu est encore celui des centaines de milliers
de personnes qui, sans la moindre faute de leur
part, mais simplement parce qu’elles appartiennent
à telle race ou à telle nationalité sont vouées à la
mort ou à un dépérissement progressif ?
Il est également celui de la multitude des non-
combattants, femmes, enfants, malades et vieillards,
victimes de la guerre aérienne. Celle-ci, dont nous
venons de dénoncer plus d’une fois les horreurs, a
anéanti sans aucun discernement, ou du moins sans
assez de prudence, les vies, les biens, les santés, les
demeures, les lieux de bienfaisance et de prière.
260
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE
Ce vœu, enfin, est exprimé par les torrents de
larmes et d'amertume, par les innombrables dou-
leurs et souffrances morales qu’entraîne le déroule-
ment homicide de ce gigantesque conflit. Toutes ces
Voix supplient le ciel, par l’'invocation de l’Esprit-
Saint, dé délivrer enfin le monde du cauchemar de
la violence et de la terreur.
Invocation au Rédempteur du Monde.
C’est aux pieds du « Désiré de toutes les nations »
que nous porterons nos vœux de renouvellement so-
cial. En quel lieu pourrions-nous les formuler avec
plus de sécurité tranquille, de confiance, de foi cer-
taine d’être exaucée ? Sous nos yeux, le Sauveur est
couché dans la crèche, avec tout le charme d’un
Petit Enfant, mais aussi avec tout l’émouvant attrait
de sa Mission rédemptrice qui commence. En quel
lieu du monde cette noble et sainte croisade pour
l'assainissement et le renouvellement de la société
pourrait-elle trouver de consécration plus parlante,
recevoir de plus efficaces encouragements qu’à
Bethléem ? C’est ici même, dans l’'adorable mystère
de l’Incarnation, que nous apparaît le Nouvel Adam,
aux sources de grâce et de vérité duquel il convient
que toute l’humanité vienne puiser l’eau salutaire, si
elle ne veut pas périr dans le désert de cette vie. ‘
« C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu »
(10, I, 16). Et cette plénitude de vérité et de grâges
se déverse aujoùrd’hui encore sur le monde, tout
comme il y à vingt siècles, sans avoir rien perdu de
sa force. Sa lumière triomphe de n'importe quelles
ténèbres, un rayon de son amour a raison du révol-
tant égoïsme qui empêche tant d'hommes de pro-
gresser et de travailler à leur bien-être. Quant à
vous, volontaires qui participez à cette sainte croi- -
sade des temps nouveaux, levez l’étendard de la
régénération morale et chrétienne, déclarez la guerre
MESSAGES DE GUERRE AU MONDE 267
à toutes les ténèbres qu'engendre l’abandon de Dieu,
à toutes les haines que provoque la discorde entre
fréres. Entreprenez-la, cette lutte, au nom d’une hu-
manité très gravement malade, qu’il s'agit de guérir
en formant chrétiennement les consciences, -
Que notre bénédiction, Nos vœux et Nos paternels
éhcouragoments accompagnent votre généreuse en-
(reprise. Qu'ils aillent consolèr tous ceux qui ne se
vefusent pas à de durs sacrifices, et emploient ainsi
(lo armes beaucoup plus puissantes que le fer pour
dombatire les maux dont souffre la société. Sur vo-
tro croisade pour un idéal chrétien, social et hu-
Main, resplendit consolante et attirante l’étoile qui
brillait sur la grotte de Bethléem. Cette étoile fut
dans tous les temps l’astre de bon augure de l’ère
chrétienne. A sa vue, tous les cœurs fidèles ont
obtenu, obtiennent et obtiendront la force : « Que
des armées entières me tiennent tête, je n’en espé-
rerai pas moins en Lui. » (Ps. 26, 3.) Vous trouverez
le Christ partout où resplendit cette étoile : « Avec
un tel guide, nous ne nous perdrons pas. Allons au
Christ en passant par lui, pour pouvoir nous réjouir
à tout jamais avec l’enfant qui naît aujourd’hui. »
(Saint Augustin, Ser. 1189, c. 4 — Migne P. L.,
- XXXVIII, col. 1007.)