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Nicolas Sarkozy entame aujourd'hui une visite en Afrique qui tient du grand écart. Au Gabon, le président vient nourrir le lien fusionnel entretenu depuis quarante-deux ans avec les présidents Bongo, père et fils. Au Rwanda, qui a renoué en novembre dernier les liens diplomatiques rompus trois ans plus tôt, Nicolas Sarkozy va tenter de donner de nouvelles bases à une relation qui reste plombée par un lourd contentieux historique et judiciaire.
Malgré sa brièveté -- trois heures, selon le programme officiel --, le premier séjour d'un président français au Rwanda depuis le génocide de 1994 constitue le point saillant de ce voyage. Il doit permettre d'« acter la volonté des deux parties de se tourner vers l'avenir sans pour autant oublier le passé », déclare-t-on dans l'entourage du chef de l'État. Le moment fort de la visite sera un dépôt de gerbe au mémorial national du génocide, à Kigali, qui fait mémoire des 800 000 victimes.
Pas d'allocution prévue, mais un point de presse commun avec le président rwandais Paul Kagamé, qui devrait être l'occasion pour Nicolas Sarkozy d'avoir « des paroles fortes » tout en conservant la ligne qui est la sienne depuis son accession au pouvoir : reconnaissance des « erreurs » de la communauté internationale au Rwanda, de la « responsabilité collective dont la France a eu sa part », mais refus de présenter des excuses pour le soutien au régime rwandais avant et pendant le génocide. Bernard Kouchner, qui s'est rendu au Rwanda en janvier, a évoqué la mise en place d'une « commission d'historiens pour établir ce qui s'est passé alors ». « Si cette proposition est reprise par la partie rwandaise, on l'examinera, tempère-t-on à l'Élysée. On n'est pas fermé sur le sujet. »
Ce que Kigali dit espérer, c'est avant tout un investissement économique français. Dans l'attente d'une reprise des activités de l'Agence française de développement et d'une mission exploratoire du Medef, Nicolas Sarkozy pourrait annoncer demain le cofinancement par la France d'une centrale hydroélectrique, « Ruzizi 3 », à même de fournir le Rwanda mais aussi l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
La France est soucieuse de montrer qu'elle compte à nouveau dans la région des Grands Lacs, théâtre de conflits récurrents en grande partie basés sur l'exploitation illégale des ressources minières. Les diplomates français travaillent à l'organisation d'une rencontre entre les chefs d'État de la région en marge du sommet Afrique-France prévu à Nice fin mai, suivi en juin d'une conférence au niveau ministériel.
Paul Kagamé jouera-t-il le jeu ? On veut le croire à Paris. Pour André Guichaoua, professeur à l'université Paris 1 (1), cela dénote de la « naïveté » : « Ce que Paul Kagamé attend avant tout, outre des projets d'infrastructures sans rentabilité pour la France, c'est la fin des procédures judiciaires le mettant en cause, ainsi que son entourage, dans l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana », assure-t-il. « Par le passé, les autorités rwandaises ont senti que derrière les initiatives de la justice française il pouvait peut-être y avoir la main du pouvoir exécutif, déclare-t-on à l'Élysée. Aujourd'hui, elles reconnaissent que ce n'est pas le cas et que la justice agit de manière indépendante. »
C'est encore et toujours sur le terrain judiciaire que se poursuit un discret bras de fer. Alors que la justice française a relancé les procédures contre les Rwandais soupçonnés du génocide des Tutsis vivant sur leur sol, Kigali a envoyé un signal inamical en arrêtant, le 12 janvier, celui qui fut le chauffeur des ambassadeurs de France pendant plus de vingt ans. Selon les autorités rwandaises, Jean Rwabahizi, qui a la nationalité française, aurait été condamné en 2007 à 30 ans de prison pour génocide. Une condamnation jamais notifiée à l'intéressé, qui n'avait curieusement jamais été inquiété depuis 1994.
Laurent d'ERSU
(1) Auteur de Rwanda, de la guerre au génocide , La Découverte, 622 p., 29 euros.