La « mise à la retraite » du général James Kabarebe, figure de l’appareil sécuritaire de Paul Kagame, n’aura pas duré longtemps. Moins d’un mois après l’annonce de son départ des Forces de défense rwandaises (RDF, acronyme en anglais), l’ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise a été désigné, mercredi 27 septembre, ministre d’Etat chargé de la coopération régionale.
Ministre de la défense de 2010 à 2018, ce militaire de 64 ans est l’un des hommes dont la trajectoire, parsemée de secrets et de polémiques, raconte les dernières décennies d’histoire du Rwanda.
« Beaucoup ont été surpris par l’annonce de sa retraite, estime Phil Clark, professeur de politique internationale à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’université de Londres.
Le général Kabarebe semblait bien trop jeune et on pouvait se demander pourquoi risquer de laisser hors du gouvernement une figure militaire aussi influente. La vision d’ensemble est bien plus claire désormais. »
Engagé au sein du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame dès leur entrée en rébellion en 1990 contre le pouvoir alors tenu par Juvénal Habyarimana, le général James Kabarebe est l’un des plus anciens fidèles de l’actuel président. Parmi les dossiers brûlants sur le bureau du nouveau ministre : le conflit à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), dans un contexte régional tendu depuis fin 2021 et le début de l’offensive du groupe rebelle du Mouvement du 23 mars (M23).
« Durcissement et intransigeance »
« Les Rwandais considèrent M. Kabarebe comme l’un des meilleurs connaisseurs diplomatiques et militaires de la RDC, affirme un observateur de la région des Grands Lacs.
Mais la nomination du général, chiffon rouge pour Kinshasa, adresse un message de durcissement et d’intransigeance au gouvernement congolais. » Sa nomination a d’ailleurs été accueillie très froidement à Kinshasa.
Le stratège militaire est connu pour le rôle clé qu’il a joué auprès du rebelle Laurent-Désiré Kabila dans le renversement du président zaïrois Mobutu Sese Seko lors de la première guerre du Congo, entre 1996 et 1997, période où il fut aussi le mentor du fils de son allié, Jospeh Kabila, qui deviendra président en 2001. La carrière militaire de Kabarebe est donc intimement liée aux relations complexes entre Kigali et son voisin. Pendant quelques mois chef d’état-major de l’armée congolaise jusqu’à la rupture de l’alliance entre le nouveau président Kabila et le Rwanda, il dirigea les troupes rwandaises lors de la seconde guerre du Congo à partir d’août 1998, conflit impliquant les troupes de neuf pays africains, dont le bilan s’élève à plus de 4 millions de morts, pour la plupart de famine et de maladie, selon l’ONG International Rescue Committee.
« Le choix de Kabarebe montre que le Rwanda veut exclure la RDC de sa vision de la coopération régionale, analyse Phil Clark.
Le gouvernement rwandais sait très bien que Kinshasa le voit, à tort ou à raison, comme le cerveau de l’implication militaire rwandaise en RDC des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. »
En juin, le nom du général était cité dans le rapport des experts des Nations unies sur la RDC comme l’un des officiers rwandais impliqués dans des opérations militaires dans la province congolaise du Nord-Kivu ces derniers mois. Selon le rapport onusien, ces opérations visent à
« renforcer le M23 en fournissant troupes et matériel, et à les utiliser pour sécuriser le contrôle de sites miniers, gagner de l’influence politique en RDC et décimer les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) », groupe rebelle hutu rwandais initialement formé par d’anciens génocidaires.
« Respecté sur le continent »
Les autorités rwandaises ont toujours rejeté toute accusation de lien avec le M23.
« C’est un narratif qui perdure depuis longtemps », dénonçait le 4 juillet pendant une interview à la télévision nationale le chef de l’Etat rwandais.
« Est-ce que c’est vraiment destiné à régler le problème ? », questionnait-il, pointant le silence de la communauté internationale sur le sort des réfugiés congolais rwandophones installés au Rwanda et la collusion des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec les FDLR, groupe qu’il considère comme une menace pour Kigali.
La nomination de James Kabarebe, qui a des liens avec des officiers dans de nombreux appareils sécuritaires des pays de la sous-région, devrait en tout cas influencer les relations du Rwanda avec ses voisins.
« Alors que la RDC voit Kabarebe avec grande suspicion, il maintient des réseaux puissants à travers les Grands Lacs et est respecté sur le continent, non seulement pour son rôle dans la chute de Mobutu, mais aussi pour les différentes missions de maintien de la paix du Rwanda au Mozambique et en Centrafrique », affirme le professeur Phil Clark.