Dans une entrevue de plus d’une heure à l’émission
The Sunday Edition, à la radio de CBC, il déplore que le président américain de l’époque, Bill Clinton, de même que les Nations unies ne lui aient pas permis d'intervenir.
À l’écoute d’un discours datant de 1998 et dans lequel le président Clinton regrette de ne pas être intervenu assez rapidement, l'officier supérieur à la retraite ne cache pas son amertume.
«
Un mois avant le génocide, il a émis une directive présidentielle qui statuait que les États-Unis ne s’engageraient dans aucune opération humanitaire, sauf si c’était dans leur intérêt », explique-t-il. «
Il a demandé à ses employés […] de ne pas lui dire ce qui était en train de se passer ».
Roméo Dallaire était alors responsable de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda.
Dans les mois précédant les massacres commis par les milices hutues, il a prévenu plusieurs fois le Conseil de sécurité de l’ONU que quelque chose de catastrophique se préparait. Or, les autorités mondiales étaient trop préoccupées par la sécurité des Casques bleus pour le laisser intervenir, selon lui.
Il est revenu au Canada anéanti, meurtri par son incapacité à convaincre les autorités d’en faire davantage pour prévenir le génocide.
«
J’ai été en thérapie pendant près de 20 ans. Ils ont tenté par tous les moyens possibles de faire en sorte que ma culpabilité s’évanouisse ».
Des pouvoirs limités
Roméo Dallaire a été déployé au Rwanda en 1993 dans le but de superviser une trêve entre les Hutus et les Tutsis. En vertu du chapitre 6 de la Charte des Nations unies, le rôle de ses troupes était limité à celui de «
facilitateur », ce qui ne leur permettait pas l’usage de la force, sauf pour se défendre.
Lorsque, le 11 janvier 1994, un commandant lui a appris que les milices se préparaient à commettre des atrocités de masse, il a envoyé une télécopie indiquant qu’il se préparait à intervenir au-delà du mandat qui lui était prescrit par le chapitre 6.
«
J’ai eu la réponse la plus rapide que je n’avais jamais eue de New York : "Vous n’allez pas intervenir, vous n’allez pas mettre les troupes à risque" ».
Pendant deux mois, il a continué à demander à l’ONU de l'autoriser à faire des interventions modestes pour prévenir la violence.
«
Nous nous apprêtions à les lancer quand le génocide a débuté », indique-t-il.
Mutilations et viols comme armes de guerre
Le 6 avril, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana était abattu par un missile. Les Hutus ont blâmé les Tutsis.
Par la suite, les appels à la radio à détruire «
les cafards », un terme employé pour désigner les Tutsis, se sont multipliés, de même que les massacres dans les rues.
«
L'objectif, ce n’était pas seulement de les tuer, c’était de les faire souffrir », souligne Roméo Dallaire.
Pour le commandant à la retraite, le viol comme arme de guerre reste la pire dimension du génocide. Plus d’un demi-million de femmes et d’enfants ont été violés ou mutilés lors du génocide.
Pendant ce temps, les membres du Conseil de sécurité débattaient encore pour déterminer si oui non le général Dallaire devait avoir le mandat d’intervenir.
L’après-Rwanda
Après la fin du conflit, Roméo Dallaire a demandé à être relevé de ses fonctions. Il s'est alors mis à avoir des comportements dangereux, dans l'espoir de mettre fin à sa souffrance et à son sentiment de culpabilité.
Menacé de mort, il devait être escorté lors de ses déplacements. Or, il conduisait ou marchait seul en ville en espérant se faire tuer dans une embuscade.
À son retour au Canada, il a tenté de se suicider.
Il a aussi cherché à évacuer ses remords dans le travail, entre autres en s'investissant dans des projets de prévention du recrutement des enfants soldats.
Le commandant à la retraite se dit maintenant rassuré par l’influence grandissante du mouvement pour les droits de la personne.
«
Je suis de plus en plus convaincu qu’un jour, nous pourrons résoudre nos frictions sans faire usage de la force. Même si ça peut prendre quelques siècles, je suis prêt à essayer ».
Depuis un an et demi, le général ne veut plus mourir. Mais il sait qu’il ne redeviendra jamais celui qu’il était jadis.
«
Mon âme est toujours au Rwanda », laisse-t-il tomber.