Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée, poursuivait pour diffamation Annie Faure, médecin, et Sybile Veil, présidente de Radio France, après une interview diffusée sur France Inter où il était accusé d’avoir «
accepté ou fermé les yeux » sur des livraisons d’armes par Paris aux génocidaires rwandais en 1994 (en violation de l’embargo de l’ONU). Devant la XVII
e chambre du Tribunal Judiciaire de Paris, Annie Faure avait pour avocat M
e Antoine Comte. Sybile Veil était assistée par M
e Sabrina Goldman. Hubert Védrine avait pour avocats son associé M
e Michel Pitron et pour second avocat M
e Gabriel Hannotin. Le procès avait duré deux jours les 20 et 21 avril 2023, en raison du nombre de témoins appelés à la barre et le jugement mis en délibéré au 6 juillet.
Maître Antoine Comte avait fait citer six témoins : Guillaume Ancel, ancien officier, écrivain et consultant militaire, Jean-François Dupaquier, ancien rédacteur en chef et directeur délégué de
L’Evènement du jeudi, écrivain et journaliste, Patrick de Saint-Exupéry, ancien envoyé spécial au
Figaro, créateur de la revue
XXI, écrivain et journaliste, Rafaëlle Maison, professeur de droit et écrivaine, Hélène Dumas, historienne et écrivaine (finalement excusée au procès pour raison de santé) et Colette Braeckman, journaliste et écrivaine belge.
Aucun témoin n’avait été cité par la défense de Sybile Veil, laquelle apparaissait comme une « accusée collatérale », en tant que directrice de publication. Et un seul témoin par Hubert Védrine : l’amiral Jacques Lanxade, ancien chef d’état-major particulier du président de la République puis chef d’état-major général des armées.
En arrivant au tribunal, surprise pour Annie Faure, l’audience n’aura pas lieu au 4
e étage, comme d’habitude devant la XVII
e chambre (spécialisée dans les délits de presse), mais au 2
e étage : une plus grande salle, qui sert pour les procès avec détenus car il y a un box fermé et vitré. Devant la salle d’audience, six policiers en uniforme. Pourquoi leur présence en nombre ? Réponse de l’un d’eux : «
C’est compte tenu de la personnalité qui est à l’intérieur ».
Que craint «
la personnalité » dans ce bâtiment hyper-sécurisé ? A 13h50, Hubert Védrine s’est déjà installé dans la salle d’audience et lit
Le Figaro.
Hubert Védrine, personnalité menacée ?
M
e Antoine Comte sollicite la Présidente du tribunal pour l’audition de l’extrait radiophonique de France Inter incriminé, ainsi que le témoignage de Colette Braeckman en « visio ». Il voudrait aussi voir diffusé l’extrait du journal de TF1 du 11 mai 1994 (présenté par Patrick Poivre d’Arvor) où apparaissait furtivement Annie Faure, alors présente sur les lieux du génocide en tant que praticienne recrutée par Médecins du monde.
L’avocat d’Hubert Védrine s’oppose au visionnage de Colette Braeckman. Sa réclamation est acceptée par la Présidente.
On entend donc d’abord l’extrait de la déclaration d’Annie Faure au micro de France Inter, qui lui vaut d’être poursuivie en diffamation par Hubert Védrine :
«
C’est comme si les premiers secrétaires du Parti socialiste, tout jeunes qu’ils soient, n’avaient aucune possibilité de rejeter le lourd fardeau du mitterrandisme sur cette complicité du génocide des Tutsi et qu’ils étaient sous l’influence de ceux qui ont beaucoup à perdre. Hubert Védrine en particulier, on en parle beaucoup dans la presse en ce moment parce que Védrine était secrétaire général de l’Elysée en 1994 ».
Annie Faure y enfonçait le clou : «
C’est lui qui était l’intermédiaire entre Mitterrand, l’armée française et l’armée rwandaise. C’est lui qui a accepté ou fermé les yeux sur la livraison d’armes et la protection des génocidaires rwandais. C’est ça la réalité ».
Témoignage d’Annie Faure
Annie Faure est appelée à la barre. Invitée à déclarer son identité, elle lit ensuite une déclaration, car, dit-elle, «
voici ma défense contre ma poursuite en diffamation par un homme qui était le secrétaire général de l’Elysée en 1994 ». Elle déplie ses feuilles.
***
1 074 017 victimes recensées du génocide mené contre les Tutsi du Rwanda et du massacre politique, mené par les mêmes, contre les Hutu opposants au régime.
Pourquoi suis-je intervenue au Rwanda ? Après le 6 avril 1994, on commence à voir à la télévision des images du carnage. Des images envoyées par des équipes qui couvrent surtout la fuite des Européens. Un check point. Un homme en chemise blanche. Immobile, debout, sans armes. A côté, un homme, vêtu en militaire, qui le frappe violemment. Sensation d’un danger imminent. Monceaux de corps sur les routes.
Je suis disponible. J’appelle Médecins du monde pour participer à une mission. J’ai travaillé pour eux. La consigne est «
Voir, soigner, témoigner ». Mes missions sont brèves. Je ne fais pas carrière dans l’humanitaire. Je me suis rendue en Thaïlande, chez les kharens de Birmanie, au sud-Soudan, en Irak chez les résistants Kurdes iraniens.
Annie Faure : « La consigne est “Voir, soigner, témoigner” »
Médecins du monde me propose de partir au Rwanda. Une demi-heure pour me décider. Je dis oui. Départ pour la région libérée par le FPR. Je suis à Gahini le 27 avril 1994, la trouille au ventre. Quelques jours avant mon départ, un délégué de la Croix-Rouge à Butare, au sud du Rwanda, avait lancé un SOS sur Radio France internationale : «
En Europe on ne parle que de Gorazde, alors qu’ici au Rwanda c’est l’horreur absolue ».
Le matin de mon départ, j’ai emporté le journal
Libération. Il comporte le précieux article de Jean-Pierre Chrétien, « Un nazisme tropical ». J’ai aussi en tête la phrase de l’envoyé spécial de
Libération, Alain Frilet : «
La France n’est pas l’amie de Kagame » (le leader de la rébellion).
Arrivée au consulat de France en Ouganda. Le consul ou l’ambassadeur, je ne sais plus, nous dit en substance : «
La France s’intéresse aux Rwandais qui fuient en Tanzanie, au Zaïre et au Burundi ». Puis le chemin en 4x4 sous escorte de l’Armée patriotique rwandaise (APR). Rouler vite. Peur des embuscades. Avec Marie-Odile, infirmière, et Olivier, chirurgien, nous traversons des villages ravagés aux maisons détruites. Le sol est jonché de pièces de vêtements. Des hommes debout au milieu des maisons arrêtent le 4x4. Ils ont faim. Ils ont vu ou commis des meurtres de Tutsi. Rescapés ou tueurs ? Je ne sais pas. Le silence est lourd. Toujours. Le silence de la terreur. Le silence des morts. On leur donne un cageot de la nourriture du stock destinée aux enfants de Gahini.
« La France s’intéresse aux Rwandais qui fuient en Tanzanie, au Zaïre et au Burundi »
Des milliers de chaussures sur la route et les bas cotés. Des caisses de bouteilles vides. Boire et tuer. Sur le gris de la route, il y a une sandalette menue en plastique rouge. Echouée et célibataire. Celle qu’une enfant a perdue dans sa fuite ? Rouge comme la robe de la petite fille de « La liste de Schindler », le film de 1993.
A l’hôpital de Gahini, 110 enfants. Des lits cassés. Manque de matelas. Pas un cri, pas le moindre gémissement chez ces enfants déchiquetés par des balles, des machettes ou des grenades. Ils sont isolés, recroquevillés. Les enfants se taisent, terrés, collés au mur, assis. Ils veulent se faire oublier. Ils ont peur de se déplier, peur de leurs mouvements. Comme s’ils pouvaient s’arrêter de respirer.
Dans la maison où nous vivons, du sang sur le mur. Des cadavres dans le jardin. Je n’irais pas les voir. Je n’irais pas voir les cadavres dans l’église. J’ai assez à faire.
***
Annie Faure s’interrompt
Annie Faure s’interrompt un instant. Ses descriptions sont quasi insoutenables pour l’auditoire. Emotion lourde, palpable dans la salle. A la fin de ce récit, elle ne peut apparaître aux yeux de l’auditoire, juges compris, que comme l’incarnation fragile du courage et de l’héroïsme. Une leçon d’humanité.
Annie Faure explique que ce sont ces images, qui continuent de la hanter près de trente ans plus tard, qui ont motivé son engagement à faire émerger la vérité en tant que militante associative et militante politique.
« Faire émerger la vérité »
Annie Faure reprend son récit.
***
5 mai 1994 : passe l’évêque, silencieux. Kibungo. Des femmes tutsi éventrées dans le service de gynécologie, les bébés écrasés ; les rescapés sidérés ont du mal à me raconter. Et le rire des infirmières. Le rire d’Immaculée, la surveillante : «
Français soutien des forces armées, Français ennemis ». Le soutien de la France au gouvernement génocidaire est déjà une évidence pour mes interlocuteurs. Les virées au Rwanda de « Papamadit », le fils Mitterrand, ont alimenté les rumeurs. J’ai même un garde du corps pour me protéger des… Tutsi, moi la Française !
Angélique, son cri strident, la bouche ouverte ; les yeux pleins de larmes, elle hurle, elle a 6 ans. Elle n’a aucune blessure visible. Sa démarche est maladroite précautionneuse, ses jambes sont légèrement écartées : le viol ! L’arme de destruction massive. Les femmes tutsi ont été violées puis tranchées. Pour celles qui étaient laissées en vie, on choisissait parmi les violeurs les malades du Sida. Les femmes tutsi survivantes seraient enceintes et malades du Sida.
Je ne me souviens pas de ton prénom. Tu as 7 ans à Kayonza, le 12 juin. Un Rwandais tout agité, criant, est venu me chercher et me fait monter dans le 4x4. Tutsi surpris par les tueurs, rares survivants… Le feu pour cuire leur maigre repas les a trahis. Les zones libérées par le FPR sont des ilots. Il y a encore des tueurs dans les collines.
« Tu gis au sol. Tailladé »
Tu gis au sol. Tailladé. Ta joue droite est pendante. Ton œil gauche écrasé. Ton front est tranché, ton index sectionné. Je me souviens d’avoir posé ma main sur ton cou où je cherchais la carotide pour mesurer les battements de ton cœur et d’avoir mis l’autre devant ta bouche pour guetter ton souffle.
Sur la route passe un gros camion. Un véhicule de l’ONU dans les tons bleus. On agite les bras. Le camion ralentit, s’arrête ; un homme descend. Il est grand, il a le look Nations unies. Le gilet pare-balles et la veste multi-poches. Il n’est pas là pour nous aider. Il n’est pas là pour s’occuper de ces blessés-là. Nous sommes le 12 juin, l’opération Turquoise est dans les tuyaux. L’ONU va au secours des réfugiés qui fuient au Zaïre. Avant, c’étaient ceux qui fuyaient en Tanzanie. L’ONU abandonne encore et encore les rares rescapés tutsi survivants.
Nous t’avons ramené à Gahini. Tu as été opéré par René. Je sais que tu t’es rétabli. Je sais que ton visage est presque indemne. Il me semble que je t’ai vu un jour de commémorations à la mairie de l’arrondissement parisien qui nous accueillait.
« Tu es mort en deux heures »
Je me souviens de toi, garçonnet au coup tranché. Tu es à l’hôpital. Tu saignes régulièrement. Olivier, le chirurgien, recoud et recoud encore ta carotide fissurée. Cela ne tient pas. Tu perds ton sang.
Une nuit, on m’appelle auprès de ton lit. Tu es tombé sur le sol. Le teint est ivoire, ta joue gauche est gonflée comme un ballon de rugby. Il va me falloir me démener, réveiller l’infirmier pour me prélever et lui donner mon sang compatible. Mais ce soir-là, je suis trop fatiguée. J’abandonne. Je t’abandonne. Tu es mort en deux heures. Tu es mort comme meurt l’homme dans une formidable solitude.
Je suis déjà confrontée à ceux qui veulent prouver un « double génocide ».
C’est un Blanc, un jeune homme en pantalon de camouflage. Il est journaliste, francophone. Il est venu faire une enquête. Il est venu voir par hasard puisque je suis médecin si… si j’avais un enfant dont les parents ont été tués : je ne connais que ça ! Il précise : en fait il cherche un enfant hutu dont les parents hutu auraient été salement exécutés par les hommes de Kagame.
Déjà ceux qui veulent prouver un « double génocide »
«
Des salauds contre des salaud », les graines négationnistes là, déjà, à l’hôpital de Gahini.
A Kabale, réunion des Nations unies avec les ONG, Oxfam, Croix-Rouge, etc. Je crois que c’est début juin. On nous a réunis pour nous demander «
si nous avions vu des exactions du FPR ». Je n’en reviens pas. Je me suis mise en colère. J’ai abandonné les malades de l’hôpital pour ça ? J’ai pris la parole dans un anglais approximatif. J’ai parlé du désastre des Tutsi. Un lourd silence après mes paroles. Dehors, quand j’ai repris le 4x4, les bénévoles m’ont remerciée.
A présent se déroule l’opération Turquoise. Je suis convoquée par un gradé de l’APR. Traducteur, un confrère formé à Lille. Emile Rwamasirabo. On me propose de quitter le Rwanda sous escorte. Oui, les rebelles de Kagame tireront sur les soldats français si nécessaire (il y a une menace de parachutage français à Kigali pour remettre le Gouvernement intérimaire en place par exemple). Ma conscience de médecin et de citoyenne. Mère professeur agrégée d’histoire, j’ai été bercée dans le scandale de la collaboration et du génocide des Juifs. Je n’ai pas attendu Chirac en 1995 pour comprendre la responsabilité de l’Etat français. Je reste.
« En France les cadavres des Tutsi sont déjà oubliés »
Plus tard, c’est le retour en France.
En France les cadavres des Tutsi sont déjà oubliés. Deux sujets font la Une. Le choléra au Zaïre ET les ex-ac-tions du FPR. On dit «
les génocides » ou «
le génocide rwandais ». Kouchner dit que le choléra a effacé le génocide. Le choléra, c’est 70 000 morts. Le génocide des Tutsi, c’est 1 074 017 morts.
En 1995 je publierai chez Balland mon témoignage,
Blessures d’humanitaire.
Au Sommet africain de Biarritz, Kagame n’est pas invité. Dans les archives déclassifiées, on apprendra que M. Védrine appuie la proposition du général Quesnot de ne surtout pas inviter de représentants du Rwanda. Mitterrand accepte. Au sommet de Biarritz, il parle DES génocides.
1998, colère du journaliste Patrick de Saint-Exupéry. Son enquête dans
Le Figaro provoque la création d’une Mission d’information parlementaire. Je suis reçue par l’un des rapporteurs, Bernard Cazeneuve. Ses questions portent sur les ex-ac-tions du FPR. Non, je n’en ai pas vu. Mon témoignage n’est pas retenu.
« La colère du journaliste Patrick de Saint-Exupéry »
2009 : interview d’Hubert Védrine dans la revue
Politis. Il y développe la thèse de la cinquième colonne chère aux négationnistes. L’idée : les Tutsi de l’extérieur, ceux d’Ouganda, massacrent « exprès » des Hutu au Rwanda ; donc les Hutu se vengent sur les Tutsi de l’intérieur et les massacrent. Les survivants Tutsi deviennent dépendants de leurs sauveurs, les Tutsi d’Ouganda.
Dire qu'Hubert Védrine n’aime pas Paul Kagame serait une litote. Il le compare souvent à Lénine. Il reprend une citation de Lénine : «
On ne fait d’omelette sans casser des œufs ». Tout est dans l’insinuation : Kagame aurait fait tuer les Tutsi de l’intérieur pour asseoir son pouvoir.
« Avec Hubert Védrine, tout est dans l’insinuation »
A Kigali en 2002, alors ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin, M. Védrine a refusé d’aller s’incliner devant le mémorial élevé à la mémoire des victimes du génocide pour ne pas, dira-t-il sur France info, «
céder à l’instrumentalisation ».
Dans l’hebdomadaire
Le Point en 1996, Hubert Védrine a écrit une chronique hallucinante proposant la division du Rwanda entre Hutuland et Tutsiland.
2017. Dans la revue
XXI, Patrick de Saint-Exupéry signe un article intitulé « Réarmez-les ! ». Cet article fondamental pour moi jette un regard documenté sur les réalités des livraisons d’armes aux génocidaires par Paris. Ainsi que sur la lettre de protestation de militaires de l’opération Turquoise contre la livraison d’armes aux génocidaires. Il y aurait une annotation d’Hubert Védrine en marge, de «
s’en tenir aux directives fixées ». A ma connaissance, M. Védrine n’a pas demandé de droit de réponse à la revue
XXI, ni engagé des poursuites…
Le refus de l’arrestation des génocidaires rwandais
En 1994, sur une dépêche de l’agence Reuters questionnant la possible arrestation de génocidaires par les militaires français de Turquoise, Hubert Védrine a écrit en marge : «
Ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre ».
C’est l’article de Patrick de Saint-Exupéry qui m’a convaincue du rôle majeur d’Hubert Védrine dans l’implication de la France. L’auteur de l’article de
XXI n’a pas été poursuivi en diffamation. D’où ma liberté, lors de l’interview devant le jardin du Luxembourg, renforcée par l’euphorie de l’annonce du Président Emmanuel Macron de la création de la commission Duclert.
Concernant mon rôle au Parti socialiste où je suis rentrée en 2006 dans le XVII
e arrondissement, je dois dire que mes critiques sur le rôle de François Mitterrand au Rwanda ont été bien accueillies.
En 2018, il y a une réunion de militants du PS du XVII
e arrondissement où sont invités le chercheur François Graner, l’historien Marcel Kabanda et moi. Nous produisons nos informations sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi. Le général Varret est présent. Le secrétaire Clément Descamps rédige une proposition pour la Fédération du Parti socialiste de Paris. Cette lettre demande l’ouverture des archives de l’Elysée et l’émancipation de la tutelle de Dominique Bertinotti, qui a la haute main sur les archives de François Mitterrand. Le texte ne sera ni débattu, ni voté à la Fédération. Les militants PS du XVII
e arrondissement ont quitté la salle. On apprendra ensuite que la censure vient de Paul Quilès.
L’ouverture des archives de l’Elysée
Concernant « la protection des génocidaires », permettez-moi de citer Yannick Gérard, ambassadeur de France, présent à Goma pour l’opération Turquoise : il a demandé à l’Elysée, je lis, «
des instructions claires » sur la conduite à tenir vis-à-vis des responsables qui portent «
une lourde responsabilité dans le génocide », et il ajoute que pour Paris il ne voit pas «
d’autre choix, quelles que soient les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée ».
Voici la réponse retrouvée dans les archives de Bruno Delaye, conseiller Afrique du président François Mitterrand -- un « confidentiel diplomatie » daté du 15 juillet 1994 : «
Vous pouvez […] utiliser tous les canaux indirects et notamment vos contacts africains en ne vous exposant pas directement afin de transmettre à ces autorités notre souhait qu’elles quittent la Zone humanitaire […]. Vous soulignerez que la communauté internationale et en particulier les Nations unies devraient très prochainement déterminer la conduite à suivre à l’égard de ces soit-disantes-autorités ».
Ce texte concernait l’ancien régime de Kigali replié a Cyangugu sur la frontière avec le Zaïre en juillet 1994.
Les temps ont changé
Je voudrais vous lire maintenant deux citations qui montrent combien les temps ont changé.
Alain Juppé, le 1
er avril 2016 : «
Faire procès à la France de porter une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda est une honte et une falsification de l’histoire ».
Antoine Anfré, ambassadeur de France au Rwanda, le 19 juillet 2021 : «
Le génocide des Tutsi n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique. Cette responsabilité nous oblige ».
7 avril 2019 : manifestation de commémoration du génocide des Tutsi. Olivier Faure est absent. En tant que membre du Parti socialiste et médecin humanitaire au Rwanda, je suis interviewée ce matin-là par le journaliste de France info et France Inter, Rémi Brancato, devant le jardin du Luxembourg au sujet du silence du Parti socialiste sur le génocide des Tutsi du Rwanda.
Le lendemain 8 avril, Florence Paracuellos diffuse mon interview sur France Inter. C’est le matin au journal de 8 heures.
Hommages à Francis Christophe, mon ami journaliste, mort ce 3 octobre 2022, le journaliste des « trous noirs » qui aurait tant aimé être ici. Merci au grand Géraud de Gouffre de la Pradelle et son
Imprescriptible. Merci François-Xavier Verschave, Jean-Paul Gouteux, Sharon Courtoux, Bernard Patureau, José Kagabo. Merci à Jean de Dieu Mucyo dont le rapport a fait trembler l’Elysée.
Merci à Jean Carbonare pour ses larmes le 28 janvier 1993 sur France 2 où il témoignait pour la FIDH de la préparation du génocide des Tutsi au Rwanda. En 1998, appelé à commenter cette interview de Carbonare, Hubert Védrine lâchera : «
C’est pour ameuter le chaland ».
Hubert Védrine sur les larmes du lanceur d’alerte : « C’est pour ameuter le chaland »
2004 : le Mouvement des Jeunes socialistes réclame un débat sur le rôle de Paris au Rwanda avant le génocide. Védrine refuse la réunion-débat sur le sujet. Il me semble que ce devait être au siège du PS, rue de Lille.
2004 : Commission d’enquête citoyenne de l’association Survie. Pour elle, je rédige une revue de presse des quotidiens français entre le 6 avril et le 30 août 1994.
Avec des militants socialistes, nous partons au Rwanda recueillir les plaintes des rescapés de Bisesero et de Murambi pour l’association Survie ainsi que les plaintes des femmes tutsi de Murambi et Nyarushishi pour viols.
Je fais partie de ceux qui critiquent l’instruction uniquement à charge du juge Bruguière contre Paul Kagame dans l’attentat contre l’avion.
***
« Je fais partie de ceux qui critiquent l’instruction uniquement à charge du juge Bruguière »
Annie Faure s’interrompt. La présidente la questionne sur l’articulation existant entre ce vécu et son engagement militant au PS. Annie Faure précise qu’elle entre au PS en 2006. Elle mentionne sa tentative de faire ouvrir les archives de l’Elysée auprès de Dominique Bertinotti qui en est la gardienne.
Fin de non-recevoir, refus catégorique de la Fédération du PS et veto de Paul Quilès qu’elle ressent alors comme «
une violence ».
Elle évoque ensuite la question des livraisons d’armes aux génocidaires (directes et indirectes) dénoncées un peu plus tard par Patrick de Saint-Exupéry et corroborées dans le livre de Guillaume Ancel.
S’agissant des livraisons d’armes, toujours, elle cite une déclaration d’Hubert Védrine : «
Il faut s’en tenir aux objectifs fixés ».
Lorsqu’elle mentionne le rapport Duclert, Hubert Védrine jusqu’alors impassible semble céder à l’agacement. Il a une mimique de colère et se tourne vers son avocat.
Annie Faure, n’étant pas juriste, dit ne pas pouvoir se prononcer sur la qualification de «
complicité de génocide » concernant Hubert Védrine.
La Présidente l’encourage à poursuivre dans sa déclaration, avec cet esprit de «
droit d’inventaire ».
La qualification de « complicité de génocide » ?
Une des juges assesseurs l’invite à parler de son engagement dans l’association Survie.
Annie Faure précise qu’elle en fait partie depuis 2004. Elle parle des plaintes pour viol (qui concernent l’armée française), des plaintes concernant l’affaire de Bisesero (déposées et toujours en cours). Elle explicite le rôle de l’opération Turquoise.
Annie Faure justifie son devoir de témoigner en tant que seule médecin humanitaire à avoir été présente sur les lieux en avril 1994, au moment où était perpétré le génocide.
M
e Michel Pitron, l’avocat d’Hubert Védrine, l’interroge sur les mobiles de ses déclarations.
Annie Faure répond par une analogie : «
C’est comme la nécessité de dénoncer les crimes d’inceste ». Elle assure plaider «
de bonne foi ».
Passe d’armes entre avocats
Passe d’armes entre la défense d’Hubert Védrine et M
e Antoine Comte sur la légitimité des pièces produites par la défense d’Annie Faure. Antoine Comte balaie d’un revers de manche : cette justification n’a pas à être exigée.
Annie Faure évoque l’obstruction d’Hubert Védrine aux demandes de vérité des Jeunes socialistes.
Elle revient sur la question des livraisons d’armes aux génocidaires. Annie parle de la requête de l’ambassadeur Yannick Gérard (présent au Rwanda), auprès des instances décisionnelles parisiennes afin de neutraliser les génocidaires lors de l’opération Turquoise.
La réponse de Bruno Delaye, chef de la Cellule Afrique de l’Elysée, sera défavorable, ce que ne pouvait ignorer Hubert Védrine qui, selon Annie Faure, «
a fermé les yeux ».
Hubert Védrine « a fermé les yeux »
Outre la missive à Dominique Bertinotti, M
e Comte fait préciser à Annie Faure deux autres démarches qu’elle entreprend en 2014 (année de la vingtième commémoration du génocide) pour alerter certains représentants du PS (ou apparentés) sur l’indifférence et la cécité entretenues par leur parti sur la question du génocide des Tutsi du Rwanda.
Annie Faure accuse à cet instant publiquement Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice «
d’avoir courbé l’échine ». Annie Faure lui reconnaît cependant le mérite d’avoir accepté de recevoir à l’Assemblée nationale des femmes rwandaises victimes de viols imputés à l’armée française pendant le génocide.
Antoine Comte fait valoir qu’Hubert Védrine n’est pas mis en cause personnellement par Annie Faure dans cette période où elle tente d’alerter des représentants du PS sur leur réticence à faire advenir la vérité sur le génocide des Tutsi du Rwanda.
Hubert Védrine pas mis en cause personnellement
M
e Sabrina Goldman, l’avocate de Sybile Veil, présidente de Radio France (poursuivie pour complicité de diffamation) demande à Annie Faure d’expliciter le contexte de la journée où elle a été amenée à faire ses déclarations à l’encontre d’Hubert Védrine.
Annie Faure : – C’était au Luxembourg, le jour de la commémoration. On m’a tendu un micro, j’ai répondu. Le journaliste devait sans doute savoir que j’étais une militante socialiste…
Cette interview sera diffusée à l’antenne de France Inter le lendemain de la commémoration du 25
ème anniversaire du génocide, le 8 avril 2019.
Revenant sur la cécité et de l’inaction du pouvoir français au moment de la préparation du génocide, ceci malgré les alertes, M
e Comte rappelle les déclarations de Jean Carbonare (président de l'association Survie, présent au Rwanda en 1993) et qui, lors d’un journal télévisé, à une heure de grande écoute, s’exprime des sanglots dans la voix, pour implorer le gouvernement français d’agir, vu l’urgence de la situation et de ce qu’il pressent une imminente tragédie.
Une imminente tragédie annoncée en 1993
Antoine Comte termine en faisant rappeler par Annie qu’elle a déjà fait l’objet d’un procès pour diffamation en 2000.
La Présidente prononce une suspension de séance. Annie Faure s’est exprimée longuement. Il est 17h20.
L’audition d’Hubert Védrine
Vers 17h40, après l’audition d’Annie Faure, Hubert Védrine est invité à prendre la parole. La Présidente lui demande d’expliquer au tribunal les raisons de sa plainte.
Hubert Védrine : – Ce n’est pas parce que je suis très ému par le témoignage de Madame Faure que je n’en suis pas moins choqué ou révolté depuis des années sur la manière de présenter la politique française au Rwanda. Des dizaines de livres et d’articles existent dans le monde, qui prouvent qu’on n’a rien à reprocher à la France. Ils ne trouvent jamais d’écho dans notre pays. Des personnalités comme le Dr Mukwege, qui est choqué de ce qu’on dit depuis longtemps sur la France, un prix Nobel ! Les accusations reposent sur une construction absurde, sur rien, sur des extrapolations, qui ignorent totalement le fonctionnement de l’Etat. Je suis indigné par la critique contre François Mitterrand.
[Hubert Védrine va ensuite faire un déroulé des événements au Rwanda.]
***
Il y a des massacres au Rwanda et au Burundi depuis 1962, beaucoup de Rwandais ont fui le pays vers l’Ouganda, dont la famille de Paul Kagame. En 1990, à la satisfaction de Museveni qui veut qu’ils partent, le FPR, le parti des Tutsi de la diaspora, attaque le Rwanda. Dès l’attaque, François Mitterrand comprend que cela va être un bain de sang s’il laisse faire. A chaque fois qu’il y aura un coup de force, des deux côtés, on ne peut pas se permettre de laisser faire.
La politique française, dès l’origine en 1990, est à double volet : il faut enrayer la guerre civile, c’est pourquoi on décide d’envoyer l’armée en appui au gouvernement rwandais, légitime, et reconnu partout comme légitime. De 1990 à 1993, la France est en soutien militaire au Rwanda, ceci est documenté par de nombreux livres de militaires. Le but depuis le début de l’engagement est d’empêcher la guerre et de trouver un compromis. La France est partie prenante des accords d’Arusha, on fait pression pour que les accords aboutissent. C’est Alain Juppé qui s’occupe de ce dossier.
Le déroulé des évènements selon Hubert Védrine
Août 1993 : signature des accords d’Arusha, la France s’en va. Justement pour permettre que ces accords aient une chance. C’est à la demande expresse de Paul Kagame que la France s’en va sinon il ne signe pas les accords. Les accords d’Arusha sont une preuve que la France ne prend pas parti : au contraire, la France pousse ces accords, qui donnent la moitié de l’armée au FPR alors que la population tutsi est une petite minorité. En même temps, la France fait pression pour faire sortir les éléments les plus durs du gouvernement hutu. Puis création de la MINUAR pour gérer la situation.
Entre 1990 et 1993, Habyarimana se soumettait au diktat de la France. Au moment de l’attentat, il revenait d’une négociation. La question qui se pose à Paris est : faut-il revenir au Rwanda ? Le 6 avril 1994, le Président entre dans mon bureau et me dit : «
C’est épouvantable, tout le travail est par terre, ils vont s’entretuer ». Juppé dit : «
C’est un génocide », avant les journalistes.
C’est la cohabitation, décision de Mitterrand et Balladur : on dit qu’on est disponible, le monde s’en fout, pas nous, mais on ne revient qu’avec un mandat de l’ONU. On suit au jour le jour les discussions à New York. Les Etats-Unis ne veulent pas s’engager. Quelques semaines auparavant, ils ont perdu des soldats en Somalie. Ces négociations durent trop longtemps, c’est la seule chose que regrette Juppé.
Vote de la résolution en juin 1994, c’est trop tard, mais la France n’y peut rien. On n’est pas dans la Françafrique, qui date de bien longtemps avant.
La mission sera uniquement humanitaire et limitée dans le temps. Entre temps, le génocide a eu lieu, avec un nombre épouvantable de morts.
Turquoise arrive et fait de son mieux.
« Turquoise a fait de son mieux »
Turquoise se termine. Kagame développe son autorité.
Je l’ai rencontré deux fois, ce qui prouve bien qu’il ne me reproche pas de complicité, sinon il ne m’aurait pas rencontré.
Quelques années plus tard, le juge Bruguière ouvre une enquête sur l’attentat, et conclut à la responsabilité du FPR. En réponse, Kagame fait rédiger le rapport Mucyo. C’est parce qu’il en a besoin à ce moment-là, politiquement. Il ne l’a pas fait rédiger avant. Le débat en France est très animé.
A l’époque du gouvernement Jospin, commission [sic] d’enquête [sic] parlementaire. On ne doit pas ignorer que nous nous sommes posé des questions, que nous avons ouvert le débat.
Malgré tout, il y a une forme d’ignorance sur le sujet en France. On n’a pas assez expliqué.
« On n’a pas assez expliqué »
Le rapport Duclert est très proche de la commission [sic] parlementaire, sauf dans ses conclusions. Après un gros travail, il parle de «
responsabilités lourdes et accablantes ». Avant ce travail, Duclert avait dit qu’il s’agirait de montrer le «
degré de complicité » de la France. Or, dans le rapport, il conclut à l’absence de complicité. Cela démontre qu’il n’a rien trouvé.
Au bout de plusieurs années, je me décide à porter plainte en diffamation contre plusieurs personnes. Je n’ai jamais refusé le débat.
***
Hubert Védrine explique qu’il défend la mémoire et l’héritage de Mitterrand. Il réclame un «
travail de plusieurs jours sur la question, pour en sortir d’un point de vue historique » (ouverture des archives de tous les pays et de tous les protagonistes).
***
En tout cas, on ne peut pas me reprocher de fuir le débat.
La thèse de Madame Faure vient à l’encontre de plusieurs choses : elle refuse de voir qu’il y a eu des crimes aussi du côté du FPR. Dans les zones libérées par le FPR il y a eu des exécutions sommaires.
« Dans les zones libérées par le FPR il y a eu des exécutions sommaires »
De nombreuses personnalités soutiennent ce point de vue : Carla Del Ponte, Stephen Smith, Charles Onana. De nombreux livres ne peuvent pas être publiés «
en toute sécurité » en France sur le sujet tant il y a de pressions de la part du camp auquel appartient Annie Faure [qu'Hubert Védrine appelle à un moment «
les corrompus »].
Tout ceci est très vif en France. Dès que quelqu’un contredit la version «
officielle », on le traite de négationniste. Ce n’est pas pour mettre les crimes des FAR et du FPR sur le même plan, mais il y a eu quand même des meurtres du côté du FPR.
La seule réponse que la France veut apporter est un accord politique sous mandat international : les accords d’Arusha. Jusqu’en 1993, on ne peut rien nous reprocher parce qu’il y avait l’objectif de ces accords.
Des questions de la Cour
La Présidente du tribunal a des questions à poser à Hubert Védrine.
«
Sur l’héritage mitterrandien, vous dites que vous ne pouvez pas ne pas défendre Mitterrand. Pourquoi ? ».
Hubert Védrine : – J’ai une relation personnelle et professionnelle avec François Mitterrand. J’ai été président de l’Institut François-Mitterrand pendant dix-neuf ans. Mais quand je dis que je défends la France en 1994, c’est la cohabitation, ce n’est pas lié à Mitterrand ou au PS, c’est l’honneur de la France que je défends.
Si Clinton demande pardon à un moment, c’est parce qu’il est responsable d’avoir fait traîner l’adoption de la résolution [de l’ONU autorisant l’opération Turquoise]. De quoi sinon il demanderait pardon ?
Toutes les accusations sont relayées par Kigali. Je suis révolté par la phrase inscrite par l’ambassadeur de France sur le livre d’or. Si une telle phrase avait été écrite avant, je ne serais pas allé au Mémorial.
« C’est l’honneur de la France que je défends »
La Présidente de la XVII
e chambre : – Quel est votre rôle à l’Elysée à ce moment-là ?
Hubert Védrine : – Sur la politique africaine, très peu. J’ai mille sujets par jour à traiter, mais sur l’affaire du Rwanda, quasiment aucun [rôle]. Je trouve bien de bloquer la guerre civile, mais en tant que secrétaire général, je n’ai pas de pouvoir de décision. On m’a reproché de ne pas être au courant des détails de Turquoise. Oui, moi je m’occupais de la décision générale : il fallait bloquer la guerre civile. Je n’étais pas au courant de la mise en œuvre ni des détails.
La Présidente de la XVII
e chambre : – Qu’est-ce que vous faites au quotidien ?
Hubert Védrine : – Je parle avec des ministres sur des questions de gouvernement, je dois être au courant de tout ce qui se passe : que font les ministres, que font les partis politiques… J’ai un rôle de tour de contrôle. Parfois, je prépare des discours, comme le discours de la Baule : là j’ai pu donner mon avis, aider un peu plus les pays démocratiques. J’assiste aux réunions. Pendant la cohabitation, je fais le relais entre tout le monde. Lors de la fameuse réunion où il y a la note sur l’arrestation des génocidaires, j’assiste à la réunion et je rappelle juste ce qui a été dit. Entre 1990 et 1993, le Rwanda n’est pas un sujet pour moi. Ça en devient un au moment de l’attentat.
« J’ai un rôle de tour de contrôle »
La Présidente de la XVII
e chambre : – Qui étaient les décideurs ?
Hubert Védrine : – A la fin des fins, c’est le Président. Ça ne veut pas dire domaine réservé.
La Présidente de la XVII
e chambre : – Je vous pose cette question parce que, parmi les pièces, on reconnaît votre écriture.
Hubert Védrine : – C’était mon travail, mais il ne faut pas confondre avec la prise de décision. Raison pour laquelle je trouve ces accusations personnelles extravagantes. Pour la période chaude, Turquoise, par exemple : les gens sur place, les militaires, disent voir des génocidaires. Faut-il les arrêter ? A Matignon, c’est Balladur et Juppé qui décident qu’on ne peut pas sortir de la résolution. On fait une demande à l’ONU pour bouger un peu cette résolution et nous permettre d’agir, mais le 13 juillet 1994, on ne PEUT PAS les arrêter. Ce n’est pas de la complicité avec les génocidaires, c’est l’application d’une résolution des Nations unies. J’écris sur la note : «
Ce n’est pas ce qui a été dit… », ensuite, je dis d’autres choses oralement. Ce document ne dit rien du tout finalement ! La plupart des accusations pour me mettre en cause sont fabriquées de cette manière.
La présidente de la XVII
e chambre : – Vous dites devoir être au courant de tout et du coup que pensez-vous de la phrase d’Annie Faure : «
l’intermédiaire entre Mitterrand et l’armée française… » ?
Hubert Védrine : – Annie Faure ne semble pas savoir ce qu’elle dit. Je ne comprends pas sa phrase. «
Intermédiaire », au mieux c’est impropre.
« Intermédiaire, au mieux, c’est impropre »
La Présidente de la XVII
e chambre : – On entend ce que vous expliquez de la politique menée par François Mitterrand, et votre indignation des accusations sur le rôle de la France au Rwanda. Vous évoquez aussi des problèmes de communication, de pédagogie. Est-ce que vous avez une idée des raisons pour lesquelles la thèse vous accusant soit si vive en France ?
Hubert Védrine : – Beaucoup de gens sont convaincus de ce qu’ils disent. Je ne les comprends pas. Croire que la France puisse être complice, c’est fou. Beaucoup de gens sont bouleversés, traumatisés à vie. Il y a aussi un profond antimilitarisme en France, et les mouvements décoloniaux. A tel point que la France serait ontologiquement coupable.
Sur la question de la communication, c’est quelque chose qu’on avait très bien fait pour la guerre au Koweït. Sur le Rwanda, rien.
Questions des avocats d'Hubert Védrine
[A noter qu’ils l’appellent «
Monsieur le Ministre ».]
M
e Michel Pitron : – Quelle était votre fonction ? vous parlez de «
relai permanent », en quoi est-ce différent de ce que dit Madame Faure qui, elle, parle d’«
intermédiaire » ?
Hubert Védrine : «
Intermédiaire », on dirait que c’est en sous-main, caché. Sur la question des livraisons d’armes aux génocidaires et les propos tenus en 2014, «
la livraison d’armes s’est poursuivie après le génocide », je n’ai jamais dit ça !
[Ce que dit ensuite Hubert Védrine est assez vague, et sa diction est mauvaise, il parle très bas, ce qui rend ses propos parfois difficiles à comprendre.]
«
Monsieur le Ministre » dit qu’il y a des délais entre les décisions et leur mise en œuvre. Mais que c’est mensonger de lui prêter ces propos.
M
e Michel Pitron : – Sur les allégations de Madame Faure selon qui vous auriez protégé les génocidaires ?
Hubert Védrine : – Je ne vois pas en quoi on aurait aidé. Et cela n’a aucun rapport avec moi. Je suis secrétaire général de l’Elysée jusqu’en 1995, au ministère des Affaires étrangères ensuite. Il peut y avoir des génocidaires qui sont passés [par la zone Turquoise] mais cela n’a rien à voir avec moi. En résumé, Mitterrand depuis le début veut empêcher la guerre civile, maintenir l’équilibre militaire et politique. Sinon le vainqueur impose sa loi.
***
Hubert Védrine fait valoir la nécessité pour la France d’intervenir mais seulement sous couvert de l’ONU : «
L’opération Turquoise n’est pas une intervention française ». Il ajoute que l’opération Turquoise a «
fait du mieux possible ».
Autres questions
La Présidente : – Je vous repose cette question car je n’ai pas compris quel était votre rôle, vos missions ?
Hubert Védrine s’empêtre, redit ce qu’il a exprimé tout en étant très confus : le relai, courir d’un ministère à l’autre, travailler 100 heures par semaine…
La Présidente : – Bon, quel est votre statut ?
[Après de nouveaux propos inaudibles, il finit par répondre qu’il est maître des requêtes, détaché du Conseil d’Etat.]
Son avocat lui fait expliciter le terme de «
rôle polyvalent ».
Hubert Védrine précise immédiatement qu’il n’avait «
pas de délégation de signature ».
Il poursuit, se perd dans une description de son quotidien affligeante de banalité et émaillé de détails prosaïques. Il minimise le rôle décisionnaire de sa fonction de secrétaire général de l’Elysée. Il décrit le quotidien de sa fonction de façon imagée, vivante mais par trop banale…
M
e Gabriel Hannotin, le second avocat d’Hubert Védrine, l’invite à parler des livraisons d’armes.
Hubert Védrine affirme ne pas y avoir eu de rôle particulier «
sauf à un niveau très abstrait ». Il reconnaît les livraisons d’armes de 1990 à 1992 et jusqu’aux accords Arusha en août 1993.
«
Mais compte tenu des délais de livraison, il est possible que d’autres armes soient parvenues par la suite au Rwanda ».
Suit une question de M
e Gabriel Hannotin sur la protection des génocidaires.
Réponse péremptoire d’Hubert Védrine : «
Je n’ai rien à voir avec ça ! ».
« La protection des génocidaires ? Je n’ai rien à voir avec ça ! »
Une des juges assesseurs questionne Hubert Védrine sur son statut élyséen.
Hubert Védrine décrit l’organigramme constitué autour de la Présidence : du chef d’état-major des Armées, du chef de cabinet et du secrétaire général (qu’il est).
La juge, après ses explications, précise que son statut est «
maître des requêtes au Conseil d’Etat, en détachement ».
La Présidente le questionne alors sur les véritables « décideurs »…
Hubert Védrine botte en touche, dévie du sujet et parle de… Poutine [sans doute veut-il comparer le chef de l’Etat rwandais au leader russe].
Il se reprend et affirme que la décision d’intervenir de la France après le déclenchement du génocide a été prise par le duo Mitterrand-Balladur [il établit le distinguo entre une position stratégique (la sienne) et un pouvoir de décision qu’il tente de faire apparaître comme lui étant, de par sa fonction, totalement étranger].
Il se définit métaphoriquement comme «
une gare de triage », il évolue dans «
une ruche », son rôle se bornant à trier de façon binaire «
oui/non » la pléthore d’informations qu’il reçoit sur son bureau, sur tous les sujets possibles et qu’il fait ensuite remonter au Président.
Pressé par la Présidente de se montrer plus précis, il se définit comme «
un relais polyvalent ».
Hubert Védrine se définit finalement comme « un relais polyvalent »
Hubert Védrine réaffirme que le mandat de Turquoise était humanitaire. Il défend mordicus le bien-fondé de l’intervention française.
Une des juges l’interroge et le ramène à la phrase d’Annie Faure qui le présente comme «
l’intermédiaire entre Mitterrand, l’armée française et l’armée rwandaise ».
Une autre juge le questionne sur son degré de compréhension de la thèse inverse, celle accusatrice du rôle de la France.
La réaction d'Hubert Védrine est immédiate : il conteste la conclusion du rapport Duclert qui évoque une «
responsabilité accablante » de l’Elysée.
Il se cramponne alors à sa bible, composée des fameux «
trente livres » glanés dans la littérature internationale qui, selon lui, dédouanent la France de toute responsabilité.
Puis il continue à louvoyer. Il parle du Koweït et de Villepin, de Mandela qui se positionnait du côté de la politique étrangère mitterrandienne. Il redit son hostilité au rapport Mucyo. Il avoue un «
soulagement » après le désengagement français à la suite des accords d’Arusha.
Questions d’Antoine Comte à Hubert Védrine
M
e Antoine Comte : – Encore une fois, en quelle qualité portez-vous plainte ? J’ai du mal à comprendre… Un coup vous êtes une personne, une autre fois – en juin 2022 pour le procès contre Guillaume Ancel – vous êtes secrétaire général de l’Elysée…
Hubert Védrine : – A la fin de tout, je me sens offensé en tant que personne.
M
e Antoine Comte : – J’ai besoin de savoir en quelle qualité ?
Hubert Védrine : – L’agressivité est personnalisée contre moi, je me sens offensé en tant que personne.
M
e Antoine Comte : – Les actes reprochés à Madame Faure sont liés à votre fonction. Ce n’est pas tout le monde qui ferme les yeux sur des livraisons d’armes…
Hubert Védrine : – Les attaques de Madame Faure mélangent tout !
M
e Antoine Comte : – Vous insistez beaucoup sur le fait qu’avec les accords d’Arusha, tout est terminé [M
e Comte donne lecture du rapport Duclert (p. 799) sur les premiers accords d’Arusha qui prévoient la fin des livraisons d’armes mais que les Français trouvent le moyen de contourner]. Les Français ne semblent pas jouer le jeu. Vous parlez du fait que les Français partent en application des accords d’Arusha, mais en fait ils restent puisqu’ils deviennent coopérants. Sur la fin des livraisons d’armes, ça passe pour la France «
sous réserve que le transport se fasse dans la plus grande discrétion ». La France joue un drôle de jeu, non ? Vous n’étiez pas au courant de grand chose, d’accord, mais tout de même !
« Le rapport Duclert n’est pas une bible pour moi »
M
e Antoine Comte : – S’agissant du rapprochement de l’armée française et de l’armée rwandaise, et s’agissant des livraisons d’armes, vous n’avez pas le statut de « Monsieur tout le monde », Monsieur Védrine ! Où est votre cohérence comme plaignant dans l’affaire Guillaume Ancel et dans l’affaire Annie Faure ? Je n’ai pas lu vos supposés «
30 livres » qui innocenteraient Paris, mais, s’agissant des livraisons d’armes, croyez-vous qu’elles aient été stoppées après Arusha, vraiment ?
Hubert Védrine : – Le rapport Duclert n’est pas une bible pour moi. Il met en cause le rapport dans sa conclusion «
qui n’a pas été délibérée, un des membres de la commission s’en étant à ce moment-là retiré » [il s’agit de M. Vigouroux]. Vous citez le rapport Duclert, il est quand même «
moyen » sur certaines questions. Et dans ce que vous citez, vous parlez de 1992, c’était une étape. Notre objectif, c’est les accords d’Arusha.
« Le rapport Duclert est quand même “moyen” sur certaines questions »
M
e Antoine Comte : – Comment voulez-vous que j’avale que nous, citoyens français, sommes impliqués dans le génocide des Tutsi du Rwanda ?
[Antoine Comte lit la conclusion du rapport Duclert. Puis parle de nombreuses informations démontrant que le génocide était prévisible, qu’il y a eu de nombreux massacres ethniques avant, et que la DGSE avait tiré la sonnette d’alarme.]
Hubert Védrine : – Cette note de la DGSE, elle venait de renseignements d’Ouganda [Hubert Védrine maintient que la décision de 1990 était courageuse, que la France est le seul pays à avoir réagi].
M
e Antoine Comte : – Quand le ministre de la Défense François Léotard se rend au Rwanda, il doit être accompagné du général Quesnot. Vous déconseillez que Quesnot y aille, parce que vous trouvez que ce n’est pas opportun. Vous avez quand même un rôle de conseil dans cette affaire ? Mitterrand refuse que Quesnot y aille. On vous écoute…
Hubert Védrine : – Oui, bah, vous devriez me remercier d’avoir écarté Quesnot !
« Vous devriez me remercier d’avoir écarté Quesnot ! »
M
e Antoine Comte : – Le général Varret, en poste au Rwanda rencontre le chef d’état-major des FAR qui lui demande des armes et qui parle très clairement de l’objectif de massacrer tous les Tutsi. Varret en rend compte, il alerte. A son retour en France, il est écarté du dossier rwandais. Pourquoi ? Vous devriez vraiment mesurer à quel point il y a des zones grises dans votre action et dans celle de la politique française au Rwanda !
Hubert Védrine : – Il y a des années que je reviens sur cette époque. Notre objectif était les accords d’Arusha. Avec Arusha on était content, on avait obtenu ce qu’on voulait et on pouvait partir. Août 1993 est une fierté, un soulagement. Moi je suis aux manettes, Juppé est un facilitateur.
A une question d’Antoine Comte, Hubert Védrine reconnaît qu’une lutte d’influence se faisait jour entre le général Varret et le général Quesnot, il parle même de «
guerre » entre les deux hommes.
M
e Antoine Comte : – Mitterrand malade, était-il en état de gouverner ?
Hubert Védrine : – La seule période où il n’était pas possible de lui poser des questions de fond, c’est la petite semaine après sa deuxième opération. Le reste du temps, il avait une maîtrise intellectuelle lumineuse, il répondait aux questions. La seule époque où je m’occupe du Rwanda, c’est pour avoir l’accord des Etats-Unis et de l’ONU pour que la France intervienne.
« François Mitterrand avait une maîtrise intellectuelle lumineuse »
Hubert Védrine fait valoir l’enquête du juge Bruguière qui pointe la responsabilité du FPR, notamment celle de Paul Kagame dans l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana le 6 avril 1994 [comme si cette thèse n’avait pas été mise en pièce par l’instruction ultérieure, conduisant à une ordonnance de non-lieu].
« L’engrenage ? J’y connais rien, moi ! »
M
e Comte rappelle l’existence des «
massacres ethniques répétés » antérieurs, perpétrés au Rwanda et qu’il ne pouvait ignorer.
Hubert Védrine précise que la DGSE présente au Rwanda était le seul moyen d’avoir une connaissance de la situation.
M
e Antoine Comte : – Donc vous connaissez l’engrenage !
Hubert Védrine (énervé) : – L’engrenage ? J’y connais rien, moi !
Hubert Védrine rappelle que Lionel Jospin a créé la commission Quilès (au nom du «
devoir d’inventaire ») et se présente comme un homme ouvert : – J’ai toujours accepté les débats
Il fait valoir les massacres commis par le Front patriotique rwandais (FPR dirigé par Paul Kagame) pour justifier l’intervention française. Il se réfère à Carla Del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international pour le Rwanda, et au journaliste Stephen Smith.
Hubert Védrine récuse l’idée d’avoir usé de son influence auprès des instances du PS sur la question rwandaise et affirme que «
la France peut regretter mais n’a pas à demander pardon ».
« La France n’a pas à demander pardon ! »
[Hubert Védrine détourne le fil de l’échange et invoque encore Carla Del Ponte.]
M
e Antoine Comte parle ensuite du rôle de François Léotard et la relation du général Quesnot (en sa qualité de chef d’état-major particulier du Président) avec François Mitterrand, à partir de juillet 1994. Il décrit alors l’univers élyséen comme très centralisé, verticalisé, où se met en place «
un mode de fonctionnement parallèle entouré d’une zone grise ».
[Il s’agit de la période postérieure à la deuxième opération subie par François Mitterrand, où ses facultés sont alors gravement altérées, ce que reconnaît volontiers Védrine. L’ex-secrétaire général de l’Elysée ne peut pas s’empêcher de pérorer sur le fait qu’il est au courant de tout, alors qu’il sait que cela lui nuit ensuite. Mais il ne parvient pas à ne pas le répéter. Problème d’hubris ?]
Témoignage de Guillaume Ancel
Récemment poursuivi pour diffamation par Hubert Védrine et partiellement condamné pour les propos tenus, Guillaume Ancel le toise ostensiblement lorsqu’il se dirige vers la barre.
Répondant à l’interrogatoire d’identité de la Présidente, Guillaume Ancel rappelle son cursus en quelques mots. Saint-Cyrien, jeune capitaine qui participe à l’opération Turquoise, il rentre du Cambodge où il avait déjà été confronté à la réalité du génocide. Après le Rwanda, il partira à Sarajevo où il assistera aux massacres de Srebrenica qualifiés aussi de génocide par le Tribunal pénal international. Il a témoigné, oralement et par écrit, du soutien de l’Elysée aux génocidaires du Rwanda. Il travaille à présent à la Direction de l’Agirc-Arrco. Il rappelle à la Présidente sa propre condamnation pour diffamation et que le jugement précisait aussi qu’il était «
légitime de prendre part au débat portant sur le rôle de la France dans les tragiques évènements survenus au Rwanda » et «
d’évoquer la personne d’Hubert Védrine au regard du rôle de secrétaire général occupé par celui-ci à l’époque ».
Guillaume Ancel raconte son implication dans l’opération Turquoise qui, selon lui, est «
sans rapport avec l’action humanitaire ». Il souligne cette «
affaire désastreuse pour laquelle Hubert Védrine doit rendre des comptes » puisque c’était bien l’Elysée qui pilotait cette intervention et qu'Hubert Védrine y jouait un rôle clef dont il se vante volontiers auprès de ses proches.
« L’Elysée avait connaissance de la “solution finale” envisagée par le pouvoir hutu contre les Tutsi du Rwanda »
Guillaume Ancel : – L’Elysée avait connaissance de la «
solution finale » envisagée par le pouvoir hutu contre les Tutsi du Rwanda, puisqu’elle était connue bien avant le génocide, comme en a témoigné notamment le général Jean Varret.
Guillaume Ancel dénonce l’escorte pour la protection des génocidaires qu’il a directement observée lors de l’opération Turquoise. D’après lui, la « Zone humanitaire sûre » déployée par la France a d’abord servi à protéger la fuite des génocidaires.
Il témoigne ensuite de l’escamotage de preuves (ordres écrits détruits) pour un raid terrestre envisagé (avant d’être annulé) sur Kigali, opération dirigée depuis l’Elysée, dont il a été le témoin-acteur direct.
Guillaume Ancel raconte une livraison d’armes aux soldats ayant commis le génocide et la tentative de diversion organisée et avalisée par son supérieur, le colonel Jacques Hogard, pour tromper une trentaine de journalistes au moment où sont acheminées au Zaïre des armes dans des containers par la logistique de l’armée française.
Guillaume Ancel précise que le général Patrice Sartre tente de s’opposer à ces livraisons d’armes aux génocidaires (il rappelle que les officiers français sont sensibilisés à la jurisprudence de Nuremberg) et il affirme que c’est bien l’Elysée qui a confirmé la poursuite des livraisons d’armes à ceux qui étaient pourtant les génocidaires et qui ne s’en cachaient même pas. Il cite notamment la société SPAIROPS qui opérait directement sur la base opérationnelle française de Goma au Zaïre.
Guillaume Ancel raconte une livraison d’armes aux génocidaires
Selon Guillaume Ancel, les directives n’ont pu venir que de l’amiral Lanxade (chef d’état-major des Armées) et d’Hubert Védrine puisque aucune chaîne de commandement officielle n’aurait accepté d’endosser une telle responsabilité de livrer des armes alors qu’un embargo avait été décrété par l’ONU et que le mandat officiel de la France était supposé purement humanitaire.
Sur l’origine du tir ayant abattu l’avion du Président Habyarimana, il rappelle son expertise et confirme le rapport balistique demandé par la justice française : cet attentat ne peut pas être imputé au FPR (Front patriotique rwandais) dirigé par Paul Kagame, mais bien à des mercenaires recrutés par les extrémistes hutu et protégés par la garde présidentielle. Le tir fatal a en effet été effectué à partir du camp même où cette dernière était basée…
« L’amiral Lanxade et Hubert Védrine pilotaient les décisions de l’Elysée »
Guillaume Ancel a eu l’occasion de porter la contradiction à l’amiral Lanxade lors d’une rencontre organisée à Sciences Po devant quatre cents étudiants. Selon lui, «
l’amiral est dans le déni total conformément à une culture du silence qu’il avait lui-même imposée pendant des années. Cela était d’autant plus flagrant qu’il se vantait aussi d’avoir pu faire tout ce qu’il voulait à cette époque puisque le Président Mitterrand était gravement malade. Lui et Hubert Védrine pilotaient les décisions de l’Elysée ».
Jacques Lanxade lui aurait confié avant même l’annonce de la commission Duclert : «
Il va y avoir une commission d’historiens, mais ils ne trouveront rien ».
Pour la défense d’Hubert Védrine, M
e Michel Pitron interroge Guillaume Ancel sur la question de l’escorte des génocidaires ainsi que sur les livraisons d’armes.
M
e Gabriel Hannotin cite le rapport Duclert pour qui la fin des exportations d’armes a eu lieu le 6 avril 1994, au moment de l’embargo.
Guillaume Ancel maintient que les livraisons d’armes se sont poursuivies sur un mode parallèle, et que les archives qui pourraient en témoigner restent classifiées ou ont été détruites. Il rappelle que la commission Duclert a simplement établi qu’elle n’avait pas trouvé d’archives sur ce sujet, pas qu’il n’y avait pas eu de livraisons d’armes…
Selon lui, «
les livraisons d’armes ont eu lieu avant, pendant et après le génocide ».
Les livraisons d’armes ont eu lieu avant, pendant et après le génocide »
Le second avocat d’Hubert Védrine tente d’en faire porter la responsabilité à Edouard Balladur en s’appuyant sur le rapport Duclert.
Réplique instantanée de Guillaume Ancel : – Vous n’avez lu que partiellement le rapport Duclert car le gouvernement de l’époque était complètement tenu à l’écart du pilotage de l’Elysée comme lui avait confié notamment François Léotard, alors ministre de la Défense.
Le témoin mentionne la ligne de communication et de commandement directe installée à l’Elysée par le général Quesnot, et précise que c’est l’amiral Lanxade qui a avalisé cette chaîne de commandement parallèle.
L’audience s’achève à 20 h 50.
Reprise de l’audience le 21 avril 2023
Reprise de l’audience le lendemain 21 avril. L’amiral Jacques Lanxade qui devait être entendu en dernier sollicite d’intervenir en début pour raisons d’agenda. La Présidente le lui accorde.
L’amiral Lanxade va s’exprimer durant un peu plus d’une heure. Extraits.
***
Je m’appelle Jacques Lanxade, j’ai 89 ans, j’ai été militaire puis diplomate [ambassadeur en Tunisie]. Comme militaire, j’ai terminé comme chef de l’état-major particulier de François Mitterrand jusqu’en 1991, puis chef d’état-major des armées.
Comment a été décidée l’opération Noroît : pendant la guerre du Golfe, on était en inspection en Arabie saoudite et dans les émirats. On dînait à quatre, avec le Président et Chevènement [alors ministre des Armées], sur un bâtiment ancré dans le port d’Abu Dhabi. Arrive un message de l’Elysée, avec la demande formelle du Président Habyarimana qu’on intervienne contre l’agression du FPR qui venait de se produire. Dès que le président Mitterrand reçoit ce message, il appelle le CEMA [chef d’état-major des Armées], et lui demande d’envoyer un élément militaire. Le lendemain matin, deux compagnies atterrissent à Kigali.
Chevènement a fait quelques commentaires. Mitterrand lui explique le pourquoi de sa décision : il y a un risque de guerre civile, il faut éviter la déstabilisation de ce pays. Les militaires français ne doivent pas intervenir dans les combats, ils doivent protéger les intérêts français et notamment les ressortissants et l’ambassade, et servir de dissuasion face au FPR. Dans son esprit, il ne suffisait pas d’une action militaire, il fallait aussi convaincre Habyarimana de démocratiser [l’amiral calque son explication sur celle d’Hubert Védrine]. Il y avait déjà des négociations pour des accords de paix qui ont abouti deux ans plus tard à Arusha. Les forces françaises ont un rôle difficile : ne pas combattre, mais protéger les Français (dont ceux habitant Ruhengeri). C’est tendu, jusqu’à Arusha.
***
« Chevènement a fait quelques commentaires. Mitterrand lui a expliqué le pourquoi de sa décision »
L’amiral Lanxade explique qu'Hubert Védrine était peu impliqué pendant l’opération Noroît.
***
C’est la cellule Afrique, et moi comme CEMP [chef d’état-major particulier du Président] qui étions des acteurs. Mitterrand cloisonnait, le Rwanda et les opérations extérieures étaient traités par la cellule Afrique et l’EMP. C’était la fin de la guerre froide, la réunification allemande, la guerre du Golfe : il y avait beaucoup de dossiers concernant la sécurité.
En 1991, je deviens CEMA et Védrine devient Secrétaire général de l’Elysée. J’ai pris en charge l’opération Noroît. Peu de temps après, avec Hubert Védrine, on a insisté pour créer le conseil de défense. Car pendant la guerre du Golfe, Mitterrand avait changé la gestion des dossiers. Depuis de Gaulle jusqu’à 1990, les Affaires étrangères et le militaire sont gérés à l’Elysée. En 1990, il y a une vraie guerre : Mitterrand implique le gouvernement et le Parlement (vote). Donc une procédure nouvelle : le conseil des ministres restreint, puis le conseil de défense. Il n’y a pas d’autre intervenant, et je n’accepte pas ce qu’en dit le rapport Duclert.
J’avais des instructions claires du Président en présence du Premier ministre, une fois par semaine. Ça suffisait pour la conduite des opérations. Toutes les questions y étaient soumises, notamment pendant Turquoise. Pendant la cohabitation, Balladur accepte cette procédure, que je lui avais expliquée. Il y a ajouté une réunion préparatoire la veille à Matignon, avec quelqu’un de l’Elysée. Grâce à ça, il y a eu un consensus malgré la cohabitation.
« J’avais des instructions claires du Président »
Les accords d’Arusha en août 1993 entraînent la fin de Noroît, le retrait des forces françaises, l’arrivée de la MINUAR. Le processus de démocratisation d’Arusha est sous l’égide de l’ONU. La France se retire presque complètement avec le sentiment d’avoir réussi. On avait obtenu l’accord de paix et la démocratisation.
L’attentat de 6 avril 1994 contre le Président Habyarimana déclenche d’abord la reprise des combats. Puis très vite on s’est aperçu qu’un génocide avait débuté. L’opération Amaryllis évacue les Français. L’Italie et les Belges ont fait de même. Globalement les Européens ont été évacués, ainsi que quelques Rwandais considérés comme menacés. L’ambassade faisait le tri et le transfert sur le terrain d’aviation. Puis les services français regardaient qui était effectivement évacué.
Il y a eu des difficultés graves, d’abord la guerre civile qui s’est développée puis le génocide qui démarrait. La France a demandé à d’autres pays d’intervenir, ils ont refusé.
Finalement la France est mandatée par l’ONU d’une mission humanitaire. J’ai été en charge de cette opération, très dure pour les soldats français. Car ils ont vu des scènes épouvantables, et ils ont eu des questions difficiles. Que faire des représentants du GIR [Gouvernement intérimaire rwandais] ? La décision en conseil restreint est de ne pas les arrêter. Car nous n’en avions pas le mandat. Et il n’y avait pas de justice, de prisons et d’Etat au Rwanda. On leur a intimé l’ordre de partir. Donc ça a été difficile à tous ces points de vue. Les Hutu qui fuyaient devant les combats et partaient au Zaïre [actuelle RDC] à Goma où régnait une épidémie de choléra. Le service de santé de l’armée française a déployé ses moyens.
« Beaucoup de soldats français sont encore victimes de traumatismes extrêmement graves »
J’ai été à Goma et j’ai enjambé des cadavres de réfugiés. J’ai vu des soldats français enterrer des cadavres dans une fosse commune. Ils n’en sont pas revenus indemnes. Beaucoup sont encore victimes de traumatismes extrêmement graves. La période a été difficile et douloureuse pour tous, ceux qui étaient à Paris et surtout ceux sur le terrain.
L’opération a été strictement humanitaire, malgré les accusations ultérieures. Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour l’arrêt des massacres et soigner la population. Une anecdote : les Français ont protégé une maternité attaquée par les génocidaires, un prêtre a accouché une jeune fille tutsi. Un de ces bébés témoignera plus tard qu’il a été sauvé par la France. C’était ça l’opération Turquoise.
Dans toute cette période, je posais mes questions au conseil de défense et je transmettais les réponses au général Lafourcade. Védrine assurait le fonctionnement du conseil de défense mais n’intervenait pas dans les instructions, qui étaient données par le Président en présence du Premier ministre. La période était très tendue. Dans les propos poursuivis, il y a quelque chose sur les ventes d’armes. Il y a une très grande méconnaissance du fonctionnement de l’Etat. Les ventes sont sous la responsabilité du Premier ministre, la CIEEMG qui donne les autorisations et assure le suivi, les services de douane (ministère de l’Economie et des Finances) qui s’assurent de la réalisation. Le secrétaire général n’intervient pas là-dedans. C’est une méconnaissance.
***
« Védrine assurait le fonctionnement du conseil de défense mais n’intervenait pas dans les instructions »
Question d’une juge : – Quelle est votre analyse des débats sur la politique française et sa remise en cause ? Quelles sont les responsabilités françaises ?
Jacques Lanxade : – Ce que j’ai vécu, c’est une inquiétude sérieuse pour la stabilité de ce pays, qui était notre priorité. On savait la menace des extrémistes hutu sans imaginer le génocide. L’idée du Président, qui était aussi la mienne, était d’empêcher la déstabilisation, d’amener la démocratie et le retour des réfugiés. On pensait avoir réussi. C’était ça la position française, qui s’imposait aux militaires. On connaissait les tensions et c’est pourquoi il fallait agir. L’attentat du FPR [il se reprend] – non, on ne sait pas qui c’est – a eu comme conséquence ce qui s’est passé ensuite.
Question de la Présidente : – De votre point de vue, d’accord. Mais la question de ma collègue était : «
Pourquoi y a-t-il encore des débats aujourd’hui ? ».
Jacques Lanxade : – La France n’est pas sortie indemne de la fin de la colonisation. En France, beaucoup d’organisations et de partis ont affiché des positions contre la colonisation et la façon de décoloniser. Il y a un débat sur la Françafrique encore aujourd’hui. Ça touche à des ressorts profonds de la société : par exemple au Maghreb, il en est resté des effets qui ne sont pas évacués.
« La France n’est pas sortie indemne de la fin de la colonisation »
[La Présidente essaie de recentrer sur la question.]
Jacques Lanxade : – Les militaires français ont accompli ce qu’on leur a demandé. Ce sont des exécutants des autorités politiques. Il y a eu des dégâts psychologiques sur ces militaires. C’est un double trauma : ce qu’ils ont vu, et les attaques subies. Le débat France-Afrique est toujours présent. J’entre dans la Marine au moment de Suez, puis l’Algérie, la décolonisation, donc je comprends bien.
Question de M
e Hannotin, l'un des avocats d’Hubert Védrine : – M. Ancel a dit, publiquement, sur Turquoise : «
La France a livré des armes aux génocidaires pendant Turquoise ».
Jacques Lanxade : – C’est infondé. En tout cas, pas par l’armée française ni par les services français. C’est tout à fait impossible. Ça n’a jamais été prouvé, et c’est faux. Je connais les forces spéciales, je les ai créées, je connais tous leurs officiers, ça me paraît impensable. J’ai confiance en Lafourcade, on se téléphonait plusieurs fois par jour. C’est impensable.
Question : – M. Ancel a également dit, et Annie Faure l’a repris : «
L’armée française aurait protégé les génocidaires rwandais ? ».
« L’armée française a arrêté les massacres »
Jacques Lanxade : – Faux, l’armée française a arrêté les massacres. On a prié le GIR de quitter la ZHS [Zone humanitaire sûre], créée vite après notre arrivée car les combats se rapprochaient entre le FPR et ce qui restait de l’armée rwandaise aux ordres du GIR. Et je ne voulais pas être mêlé aux combats. Je l’ai proposé au Président et au Premier ministre. L’ONU en a été informée. Le Premier ministre m’a demandé si je pourrais la défendre, j’ai dit oui. On a dit aux suspects de partir. Il n’y avait pas de police, de justice, de prison pour les arrêter. Il n’y a pas eu de décision de leur arrestation en conseil restreint. La résolution des Nations unies ne nous le permettait pas.
Question de M
e Comte : – Vincent Duclert cite des entretiens filmés entre vous et le colonel Patrice Sartre, qui était sur le terrain, contrairement à vous…
Jacques Lanxade : – J’ai été deux fois en ZHS.
M
e Comte : – Vous étiez à l’EMP jusqu’à quand ?
Jacques Lanxade : – Mai 71 [il se reprend], non, 91.
M
e Comte : – Et ensuite à l’EMA ?
Jacques Lanxade : – En 1991, je deviens CEMA. Il y a un changement important, le CEMA devient à partir de cette époque-là le seul responsable des opérations militaires. Les CEM Terre, Air et Marine sont écartés de la partie opérationnelle.
M
e Comte : – Vous êtes responsable des trois armes ?
Jacques Lanxade : – Oui, avec des fonctions nouvelles : le COIA, le COS pour les forces spéciales, le renseignement avec la DRM.
« Quand on a conçu Turquoise, on ne savait pas à quoi s’attendre »
M
e Comte : – Pages 861 et suivantes du rapport Duclert, il y a des échanges entre vous et Sartre (et même à partir du début de la page 855). Les conceptions s’opposent manifestement. Sartre regarde les difficultés de terrain, Lanxade la réalité attendue. Turquoise sur le terrain, c’est le sacrifice des soldats. Il y a deux volets : humanitaire et reprise de Kigali.
Jacques Lanxade : – Faux.
M
e Comte : – Guillaume Ancel parle de la mission pour préparer un éventuel (mais annulé) bombardement sur Kigali.
Jacques Lanxade : – Fantasme. C’est un jeune officier qui s’occupe de la technique. Quand on a conçu Turquoise, on ne savait pas à quoi s’attendre, ni ce que feraient vis-à-vis de nous les différentes factions militaires sur place. On a pris des précautions : avions, blindés. Lafourcade a certainement fait des exercices. Et une fois on a utilisé l’aviation pour dissuader le FPR de bombarder des réfugiés à Goma. On a survolé ses batteries et on lui a fait savoir via Dallaire que s’il continuait à tirer sur des réfugiés je ferais détruire ses batteries. J’ai rendu compte au Premier ministre qui a approuvé. Mais l’idée d’aller à Kigali, non. Ancel n’est pas sérieux.
M
e Comte : – Est-ce que la mission était univoque ? Ou bien y avait-il un « plan B » éventuel ?
Jacques Lanxade : – Univoque : humanitaire. Le plan se fait à l’état-major et pas sur le terrain. Le reste est fantasme !
M
e Comte : – M. Duclert le cite. Plan initial comportant un volet humanitaire au sud, militaire au nord.
« Un bombardement sur Kigali, je l’ai immédiatement réfuté »
Jacques Lanxade : – Faux. J’ai planifié l’opération. J’ai présenté au conseil de défense trois plans. Le premier : un débarquement à Kigali, que j’ai immédiatement réfuté, et c’était mon but. Le deuxième : par le Burundi, écarté en conseil de défense, voir les comptes rendus, car il y avait les mêmes problèmes qu’au Rwanda. Le troisième : par Goma. Il n’y a jamais eu l’idée d’aller à Kigali. Que des gens aient voulu y aller, ou qu’on nous reproche de l’avoir quitté après Amaryllis, certes. Mais pas question de ré-intervenir dans les combats.
M
e Comte : – Vous dites que vous n’aviez pas de mandat des Nations unies pour arrêter les génocidaires en ZHS. Etes-vous informé que, selon M. Duclert, les Etats-Unis ont proposé une extension de la mission à la France en vue des arrestations ?
Jacques Lanxade : – Non, je n’en suis pas informé. Mon instruction est celle du conseil de défense, qui est très claire là-dessus : pas d’arrestations.
M
e Comte : – Et le passage des FAR et des génocidaires au Zaïre, avec leurs armes, sans problème ? Il y a des témoignages.
Jacques Lanxade : – Je n’en ai pas de souvenir. On avait peu de troupes. 1 500 hommes c’est peu, vu la taille de la zone. Notre rôle est d’arrêter les massacres, pas de mener une quelconque action de police. Les gens sont partis.
M
e Comte : – Avec leurs armes.
Jacques Lanxade : – Oui.
« Notre rôle est d’arrêter les massacres, pas de mener une quelconque action de police »
M
e Comte : – Durant l’opération Amaryllis, vous êtes informé des massacres ?
Jacques Lanxade : – Il n’y a pas de massacres pendant Amaryllis, à notre connaissance.
M
e Comte : – M. Bruno Delaye rédige des rapports qui en parlent. Cette opération permet aussi d’exfiltrer des Rwandais, vous l’avez dit. Dont l’épouse du Président Habyarimana, sur instruction du Président Mitterrand.
Jacques Lanxade : – Oui. La liste des gens à évacuer est établie par l’ambassadeur, qui la donne au colonel Poncet [commandant opérationnel d’Amaryllis].
M
e Comte : – La liste est faite par l’Elysée ?
Jacques Lanxade : – Par l’ambassade, sauf cas particuliers comme Madame Habyarimana.
M
e Comte : – L’ambassade a reçu les extrémistes pour préparer le GIR !
Jacques Lanxade : – Je ne l’ai pas su. Je me suis concentré sur l’opération militaire, et les forces spéciales dans les quartiers. C’était une opération extrêmement périlleuse, qui s’est déroulée du mieux possible.
« Il n’y a pas de massacres pendant Amaryllis, à notre connaissance »
M
e Comte : – Avez-vous eu un retour sur l’ampleur du génocide, des massacres ? La Première ministre assassinée ?
Jacques Lanxade : – Et des Français tués. Pour nous c’est une guerre civile, pas un génocide. Le génocide est apparu plusieurs jours après, Juppé en a parlé. Pendant Amaryllis c’est une guerre civile. Il y a le FPR qu’on avait contribué à faire revenir. On a évacué ceux qu’on nous a demandés d’évacuer.
M
e Comte : – Aucune alerte des services français, de la presse, de la DGSE, sur ce qui se préparait ? En 1993, il y a une longue note de la DGSE expliquant que si on force le gouvernement à partager le pouvoir, entre Hutu au pouvoir et Tutsi de retour de leur refuge des pogroms d’il y a 20 ans, on a des infos très précises sur ce qui se prépare.
Jacques Lanxade : – Il y avait une claire menace des extrémistes hutu. Donc la politique française c’est Arusha, pour l’éviter. On aurait pu s’en laver les mains, se retirer, les laisser s’entre-tuer.
M
e Comte : – C’est raté !
Jacques Lanxade : – Au départ, c’était réussi. L’attentat a fait tout échouer.
Témoignage de Jean-François Dupaquier
Succédant à l’amiral Lanxade, Jean-François Dupaquier est appelé à la barre des témoins. Il décline son identité : écrivain, journaliste, 76 ans. Cité par Annie Faure, il souhaite parler des alertes sur le risque de génocide qu’il a produites dans l’hebdomadaire
L’Evènement du jeudi où il était un des rédacteurs en chef.
Jean-François Dupaquier déclare qu’il ne tire aucune gloriole d’avoir été ce qu’on appelle un « lanceur d’alerte » : «
J’étais seulement au mauvais endroit au mauvais moment ».
Il est parti au Burundi comme Volontaire du service national [VSN] en décembre 1971. Il y a vécu dix-neuf mois. «
J’étais assez peu informé de ce pays. J’ignorais tout des tensions hutu-tutsi. Comme professeur à l’Ecole Nationale d’Administration à Bujumbura, la capitale du Burundi, j’avais aussitôt créé un groupe théâtral et adapté une pièce de théâtre. Il y avait une scène de duel entre deux valeureux combattants. Lorsque j’ai réparti les rôles, un étudiant m’a pris à part pour me dire : “Attention, il ne faut pas opposer un Hutu et un Tutsi. Il faut qu’ils appartiennent à la même catégorie pour éviter des problèmes”. J’ai brusquement découvert que la société civile développait des stratégies d’évitement d’un problème insidieux que je commençais seulement à entrevoir ».
« Rwanda et Burundi suivaient un processus mortifère parallèle »
Jean-François Dupaquier indique qu’en 1972, durant son séjour, des violences politiques de masse ont éclaté au Burundi, qui ont provoqué entre 100 000 et 200 000 morts. En réaction, le régime rwandais a fait une chasse aux Tutsi dans les écoles et l’administration. «
Avant mon retour en France, j’ai vu ces groupes de Rwandais venir se réfugier au Burundi. Les deux pays suivaient un processus mortifère parallèle ».
A son départ pour le Burundi, il était déjà journaliste depuis cinq ans, ce qu’il avait caché, sachant qu’il vaut mieux ne pas en faire état sous une dictature. Il a tenté d’alerter les médias français des massacres en cours au Burundi, sans succès : «
Ça n’intéressait guère les médias français qui répétaient les mêmes clichés sur les “luttes tribales”. Après mon retour j’ai cherché un éditeur pour relater mon expérience. Sans résultat sur le moment. Je n’ai pu écrire ce livre qu’avec le grand historien Jean-Pierre Chrétien. Il est paru en 2007, trente-cinq ans après, sous le titre Burundi 1972. Au bord des génocides
, aux éditions Karthala ».
Jean-François Dupaquier précise : «
J’ai pris conscience peu à peu de l’instrumentalisation politique du soi-disant “problème” hutu/tutsi. Des catégories que l’on qualifie en Occident de “races”, de “tribus”, d’“ethnie”, etc. Tout ça n’a pas de sens. Hutu et Tutsi sont avant tout des catégories socio-politiques, que l’on appelle abusivement “races” ».
« J’ai pris conscience peu à peu de l’instrumentalisation politique du soi-disant “problème” hutu/tutsi »
Jean-François Dupaquier a continué de suivre, de loin, l’évolution politique au Burundi et au Rwanda.
***
Au mois d’août 1988, un incident a mis le feu aux poudres dans deux communes limitrophes du Burundi et du Rwanda, Ntega et Marangara. Des paysans victimes de l’incurie politique et d’une atmosphère de terreur sociale ont tué des voisins. L’armée burundaise est rapidement intervenue et a tiré sur tout le monde. Il y a eu entre 20 000 et 40 000 morts. Les rescapés se sont enfuis au Rwanda.
Au Burundi, beaucoup de gens ont compris en 1988 que le pays allait vers une forme de suicide collectif si les manipulations identitaires n’étaient pas réglées. Ces massacres récurrents ont paradoxalement entraîné une prise de conscience du Président burundais, Pierre Buyoya. Il était un militaire ayant pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, comme ses prédécesseurs. Mais il était un homme intelligent et un vrai chef d’Etat. J’ai pu l’interroger à cette époque et visiter la région concernée. Buyoya a pris des mesures fortes pour en finir avec la manipulation de la haine entre Hutu et Tutsi. Malheureusement, sa politique a fini par échouer. C’est une autre histoire…
« J’ai écrit en 1988, “Demain, si les fous sanguinaires qui attisent les conflits ethniques ne sont pas muselés, on ira vers un génocide à la cambodgienne ».
Analysant la situation politique au Burundi et au Rwanda, j'ai publié une longue enquête dans
L’Evènement du Jeudi daté du 1
er septembre 1988 où j'ai notamment mis en cause les cartes d’identité ethnique au Rwanda. C’était deux ans avant l’intervention militaire française et six ans avant le génocide des Tutsi. J’ai écrit un article intitulé « Hutu et Tutsi ne savent pas même pas pourquoi ils s’entre-exterminent ». Je vous en lis le sous-titre : « Demain, si les fous sanguinaires qui attisent les conflits ethniques ne sont pas muselés, on ira vers un génocide à la cambodgienne ».
J’avais conscience qu’on se dirigeait vers des génocides dans la région des Grands Lacs, mais en même temps le mot « génocide » me faisait peur. A cette époque il n’était pas galvaudé comme aujourd’hui. J’ai cessé d’utiliser ce terme jusqu’en 1994, pour parler de «
risque d’extermination ».
Au moment de l’intervention militaire française, j’ai publié deux articles dans
L’Evènement du jeudi : le premier est paru le 11 octobre 1990 sous le titre « Rwanda : que fait l’armée française ». Je parle de «
la corruption et l’incapacité d’une dictature militaire à bout de souffle ». J’ajoute que «
les terribles campagnes d’extermination (depuis 1959) ont entraîné la mort de plus de 100 000 personnes ».
« En octobre 1990, j’écris que “Le Président Habyarimana entend profiter de l’échec des rebelles pour se débarrasser définitivement à la fois de l’élite tutsi et des opposants hutu” »
J’écris aussi : «
Le Rwanda est le dernier pays du monde avec l’Afrique du Sud à inscrire l’appartenance “raciale” des habitants sur les cartes d’identité. Le Président Habyarimana entend […] profiter de l’échec des rebelles pour se débarrasser définitivement à la fois de l’élite tutsi et des opposants hutu. La dictature militaire et tribale du général major Habyarimana risque de conférer un caractère bien peu humanitaire à l’envoi des parachutistes français ».
Dans
L’Evènement du jeudi du 18 octobre 1990, j’ai développé mon analyse. Sous le titre « Rwanda : extermination raciale », j’écrivais ceci : «
L’arrivée des militaires européens a coïncidé avec une série d’opérations punitives lancées par l’armée rwandaise, exclusivement constituée de Hutu, contre tous les opposants au régime, et surtout contre les notables tutsi, par définition suspects. La dictature tribale du Président Habyarimana n’a en effet retrouvé ses vieux réflexes d’extermination tribale qu’après la mise en place de la force d’intervention européenne à l’aéroport et dans la capitale ».
Je qualifiais le système Habyarimana ainsi : «
Un régime néo-fasciste ». En 1992, deux ans avant le génocide, je parlerai plus précisément de «
régime fasciste ».
Comme lanceur d’alerte, je me posais des questions. Avais-je raison ? Etait-il possible que je sois le seul à crier dans le désert ? En 1998, les débats menés dans le cadre de la Mission d’information française sur le Rwanda m’ont montré qu’au même moment, l’attaché militaire français à Kigali, le colonel Galinié, alertait de son côté Paris d’un risque de génocide. L’ambassadeur de France de l’époque, Georges Martres, relayait les mêmes informations.
« En 1992, deux ans avant le génocide, je parlerai de “régime fasciste” »
Ce dernier avait aussi alerté Paris sur le journal extrémiste
Kangura qui publiait dans son numéro de décembre 1990 un article d’un racisme très violent, «
Les 10 commandements du Hutu ». Si vous me le permettez, je vais vous lire un extrait de ce bréviaire de la haine visant tout particulièrement les femmes tutsi : «
Les Tutsi ont vendu leurs femmes et leurs filles aux hauts responsables hutu [ce] qui a permis de placer dès à l’avance des espions incontournables dans les milieux hutu les plus influents. […] Hutu, c’est plus que jamais le moment de nous réveiller. […] Les Hutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi. […] Tout Hutu doit savoir que la femme tutsi où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent est traître tout Muhutu : qui épouse une Tutsi ; qui fait d’une Umututsikazi sa concubine ; qui fait d’une Tutsi sa secrétaire ou sa protégée ».
Les alertes n’ont donc pas manqué dès 1990 à Paris. On sait depuis lors que des africanistes y ont contribué à tenter d’infléchir la politique de l’Elysée au Rwanda. En 1991, Jean-Pierre Chrétien a dénoncé « Les 10 commandements » dans la revue
Politique africaine. L’africaniste Jean-François Bayart, qui participait à une cellule d’analyse stratégique au Quai d’Orsay, avait lui aussi alerté les autorités. Le spécialiste des questions militaires Pierre Conesa, qui était membre d’une cellule similaire au ministère de la Défense, n’a pas eu plus de succès.
« Depuis 1990, les alertes n’ont pas manqué ! »
Au contraire, les lanceurs d’alerte ont été sanctionnés, tel le colonel Galinié, qui finira par démissionner. Et son supérieur, le général Jean Varret, chef de la Mission d’assistance militaire au ministère de la Coopération, qui sera débarqué à la suite de ses alertes et démissionnera également de l’armée.
***
L’intervenant rappelle que les rapports circonstanciés du général Varret relayant les menaces de génocide émanant du chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise et du chef d’état-major de l’armée rwandaise ont disparu des archives de l’Etat français.
Jean-François Dupaquier cite l’intervention de Jean Carbonare au journal de 20 heures de France 2 du 28 janvier 1993 où il évoque, vidéos à l’appui, le risque de génocide des Tutsi au Rwanda. «
Il finit son intervention en disant “On peut faire quelque chose, il faut qu’on fasse quelque chose”. Il est au bord des larmes. Monsieur Védrine ironisera plus tard sur cette alerte ».
***
Je suis frappé de voir qu’aujourd’hui encore, un polémiste, M. Charles Onana, qui tient un discours similaire à celui de
Kangura sur les femmes tutsi, est loué par M. Védrine. M. Onana a été accueilli au quatrième colloque négationniste qu’a organisé M. Védrine au Sénat, le 9 mars 2020.
Rappelons que ce discours de haine de
Kangura vaudra aux femmes tutsi un sort particulièrement atroce durant le génocide. Si l’historienne Hélène Dumas avait pu venir témoigner, elle vous aurait parlé de ces femmes déshabillées et promenées nues dans leur quartier pour « vérifier » si leur sexe était semblable à celui des femmes hutu. Ces femmes sont ensuite violées en public puis parfois empalées, sous le regard de leurs enfants.
« M. Charles Onana, qui tient un discours similaire à celui de Kangura sur les femmes tutsi, est loué par M. Védrine »
Je suis surtout frappé du silence de M. Védrine au sujet des victimes. Mon métier de journaliste m’a appris une chose : pour comprendre un homme, il ne suffit pas de lire ses écrits. Il faut surtout analyser ce qu’il ne dit pas, alors qu’on attend de lui certaines paroles.
Depuis 29 ans, M. Védrine n’a jamais eu un mot de compassion pour les victimes du génocide. Pas un mot ! Ce silence est éclairant.
Comment comprendre cette absence de réaction aux alertes, ce silence ? Je pense que M. Védrine et les autres membres de la caste élyséenne, l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées, le général Quesnot, chef d’état-major particulier du Président, le colonel Huchon, son adjoint, ainsi que le chef de la « cellule Afrique » de l’Elysée, Bruno Delaye, qui succède à Jean-Christophe Mitterrand, sont des racialistes. Ils analysent tout au prisme de la « race ». C’est leur martingale pour intervenir en Afrique noire.
[ Jean-François Dupaquier donne deux exemples qui, selon, lui expliquent le refus de l’Elysée de prendre en compte les alertes sur le risque de génocide.]
En novembre 1996, onze mois après la mort de François Mitterrand, M. Védrine a obtenu un travail d’éditorialiste au magasine
Le Point. Il publie un article titré « Hutus et Tutsis, à chacun son pays ». Il y propose de démembrer le Burundi et le Rwanda pour créer un «
Hutuland » et un «
Tutsiland » comme on le voit mentionné sur les cartes des militaires français durant l’opération Turquoise. Ce fantasme me semble résumer la politique menée par l’Elysée au Rwanda.
« Depuis 29 ans, M. Védrine n’a jamais eu un mot de compassion pour les victimes du génocide »
Comment M. Védrine – qui se veut souvent un professeur de démocratie – se propose-t-il d’identifier les Hutu et les Tutsi pour ce projet ? Pourquoi ne suggère-t-il même pas un référendum pour consulter les habitants ? M. Védrine fait partie de cette caste de Blancs privilégiés parisiens qui croient comprendre les problèmes des Africains noirs sans même s’informer. C’est un peu comme le discours de Dakar où M. Sarkozy affirme que « les Africains ne sont pas entrés dans l’Histoire ».
[L’intervenant donne un second exemple de ce racialisme dans la revue d’extrême droite
Eléments à qui Hubert Védrine accorde une interview peu après la parution du rapport Duclert.]
Je cite M. Védrine : «
Je pense que les accusations contre la France au Rwanda sont une des plus grandes fake news lancées contre notre pays depuis la guerre froide ».
[Jean-François Dupaquier s’exclame : «
C’est du Donald Trump ! ». Il cite encore M. Védrine dans cet article de la revue d’extrême droite : «
Le Rwanda est devenu le prétexte pour tous les gauchistes de la place de Paris de régler leurs comptes avec François Mitterrand, la Vème République, la France comme puissance ».]
Il qualifie un peu plus loin les gens comme moi de « têtes folles ». Voici l’homme qui se prétend diffamé !
« M. Védrine cite à tout propos les accords d’Arusha mais ne s’est même pas donné la peine de les lire »
[Jean-François Dupaquier en vient au dernier volet de sa démonstration sur le racialisme d’Hubert Védrine, son discours sur les accords d’Arusha, qui devaient instaurer la paix au Rwanda.]
Depuis des années, M. Védrine glose sur les accords de paix d’Arusha, qu’il prétend initiés par Paris. Il en parle sans cesse, pour se plaindre que ces accords étaient déséquilibrés, qu’ils accordaient aux Tutsi une place démesurée dans l’armée et l’administration alors qu’ils ne composaient que 13 % de la population. M. Védrine dit à France Culture : «
A la longue je suis devenu une sorte de spécialiste du sujet ».
M. Védrine dit encore : «
Il y est notamment question de bâtir la nouvelle armée rwandaise, avec 40 % de Tutsi alors qu’ils représentaient 12 à 13 % de la population rwandaise ».
Le problème, c’est que depuis leur signature il y a 30 ans, en août 1993, M. Hubert Védrine ne s’est jamais donné la peine de lire les accords d’Arusha. C’est pourtant facile, Madame la Présidente. Je vous invite à le faire dans le temps de votre délibéré. Ça ne prend que quelques minutes. Vous verrez que les mots « Hutu » et « Tutsi » ne figurent pas dans les accords de paix ! C’est pourquoi je peux affirmer que M. Védrine, qui s’en dit le spécialiste, ne les a même pas lus, se contentant d’appliquer là encore sa vision racialiste sur la réalité.
« Le génocide au Rwanda n’est rien d’autre que la conséquence tragique d’un délire racialiste entretenu par la politique étrangère française »
Jean-François Dupaquier demande à la Présidente si elle a déjà vu une carte d’identité rwandaise qui permettait la discrimination des Tutsi. Il brandit une reproduction de carte d’identité « ethnique ». Celle-ci a été retrouvée sur le cadavre d’une fillette de 12 ans assassinée. Il précise que le document originel est demeuré intact dans la fosse commune car plastifié.
Le document de couleur verte, agrandi, lui sert maintenant de porte-document mais il veut en faire cadeau au Tribunal [il le remet à la greffière].
Selon lui, il aurait suffi de biffer sur le document administratif la mention « ethnie » Hutu ou Tutsi pour que les massacres n’adviennent pas ; ce qui n’eût pas été d’une lourdeur administrative insurmontable.
Pour le témoin, «
Le génocide au Rwanda n’est rien d’autre que la conséquence tragique d’un délire racialiste entretenu par la politique étrangère française ».
« Les mauvais jours de François Mitterrand, les Français l’ignorent encore, mais leur véritable Président était M. Hubert Védrine »
[Jean-François Dupaquier conclut sur le rôle d’Hubert Védrine à l’Elysée.]
Je me suis demandé pourquoi cet homme ne cesse de se présenter comme parlant au nom de la France, alors que son seul mandat électif a été conseiller municipal dans une cité de peu d’importance. Et je crois avoir un élément de réponse. En 1994, le Président Mitterrand était rongé par son cancer. Il se traînait au Conseil des ministres dans un état pitoyable. Dans son livre autobiographique
Le pouvoir ne se partage pas, le Premier ministre Edouard Balladur indique qu’il est alors tenté de faire constater l’incapacité du président de la République à exercer son mandat. C’est ce qui ressort également du livre du médecin personnel du chef de l’Etat, le docteur Claude Gubler. Et de bien d’autres témoignages.
Je ne dis pas que François Mitterrand était définitivement incapable de présider la France. Il était un homme en fin de vie, courageux devant le mal qui le rongeait. Simplement, il avait des bons et des mauvais jours. Et les mauvais jours de François Mitterrand, les Français l’ignorent encore, mais leur véritable président était M. Hubert Védrine.
***
Jean-François Dupaquier conclut en disant : «
Je remercie M. Védrine de m’avoir donné aujourd’hui l’opportunité d’apporter ma part de vérité ».
Les avocats d’Hubert Védrine n’ont aucune question à poser au témoin mais se récrient que leur client manquerait de compassion. Le Ministère public n'a pas davantage de questions.
Maître Antoine Comte lui demande : – Quel était le tirage de
L’Evènement du Jeudi lorsque vous avez publié vos alertes ?
Jean-François Dupaquier : – Dans les années 1990, la vente en kiosque était d’environ 250 000 exemplaires. A peu près comme
Le Point,
L’Express et
Le Nouvel Observateur.
Le témoignage de Patrick de Saint-Exupéry
Patrick de Saint-Exupéry s’avance à la barre. Il répond brièvement à la question sur son curriculum vitae. Journaliste au
Figaro, il a ensuite créé la revue
XXI.
Patrick de Saint-Exupéry évoque sa présence au Rwanda dès l’année 1990, puis en 1993, et après le déclenchement du génocide où il arrive à la mi-mai 1994 en tant que journaliste pour
Le Figaro.
Patrick de Saint-Exupéry décrit ses impressions en arrivant sur les lieux du génocide, d’abord l’incapacité qu’il éprouve à écrire un article pour son journal : des paysages magnifiques sous un ciel bleu, «
c’est beau le Rwanda », des paysages partout jonchés de cadavres, et le silence, partout le silence, partout des cadavres.
Il mettra trois jours avant de trouver un survivant qui puisse témoigner des horreurs vécues. «
C’est presque impossible à raconter, c’est ça un génocide ».
Il publie un livre,
Complices de l’Inavouable, après quoi il est poursuivi en justice par sept officiers français. S’en suivront trente procédures étalées sur dix années.
Finalement une plainte sera retirée, quatre plaignants seront déboutés.
Patrick de Saint-Exupéry, en tant que journaliste, parle de «
procédures-bâillon ».
Trente procédures-bâillon contre Patrick de Saint-Exupéry
Patrick de Saint-Exupéry a mis en cause Hubert Védrine dans un numéro de sa revue
XXI. Il s’étonne ironiquement de ne pas encore avoir été attaqué pour cela.
Pour un autre ouvrage sur le Congo (
La Traversée. Une odyssée au cœur de l'Afrique, paru en mars 2021) une procédure est actuellement en cours, l’affaire est audiencée pour janvier 2024.
Dans la suite de sa déclaration, Patrick de Saint-Exupéry commence à énumérer les livraisons d’armes par la France au régime Habyarimana. En l’espace de trois ans, 28 millions de francs d’armes sont vendues à ce petit pays déjà surarmé.
Il stigmatise le rôle du capitaine Paul Barril et de son lien probable avec la ligne directe installée à l’Elysée : «
Un circuit parallèle, contraire à toutes les règles du fonctionnement républicain ».
Une mission d’enquête parlementaire belge (ancien pays colonisateur du Rwanda) dénonce la continuation des livraisons d’armes par la France malgré l’embargo, et ce jusqu’à la fin mai 1994.
« La dernière livraison d’armes a lieu à Goma le 18 juillet 1994 à destination des FAR et des milices Interahamwe »
Toutes ces livraisons sont détaillées de façon minutieuse par Patrick de Saint-Exupéry : «
La dernière livraison d’armes a lieu à Goma le 18 juillet 1994 à destination des FAR et des milices Interahamwe exilées au Congo, désorganisées et à court de munitions ».
Patrick de Saint-Exupéry confirme que la DGSE sur place dénonce l’impunité dont bénéficient les génocidaires.
Il évoque les déclarations du général Quesnot (chef d’état-major particulier de François Mitterrand) sur la «
stratégie indirecte » de ventes d’armes, qu’il il se fait fort de mettre en œuvre.
Patrick de Saint-Exupéry rappelle l’action du général Huchon qui a consisté à équiper le commandement des Forces armées rwandaises, très impliquées dans les massacres des Tutsi. Il parle des «
lignes de communication sécurisées » (alors une technologie de pointe permettant d’exercer une surveillance généralisée avec des moyens de communications cryptées).
Patrick de Saint-Exupéry évoque « le jeu trouble du capitaine Barril et de son acolyte Bob Denard »
Patrick de Saint-Exupéry évoque l’enquête du juge Trévidic «
qui met en lumière le jeu trouble du capitaine Barril et de son acolyte Bob Denard ».
À noter que juste avant l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, le capitaine Barril a été aperçu dans les parages. Suivra la mise en scène de la fausse boîte noire retrouvée sur les lieux du crash, exhibée par Paul Barril pour la télévision.
Une note « néocoloniale » signée Hubert Védrine
M
e Antoine Comte intervient et présente une pièce officielle datée du 3 mai 1994 [au passage, il regrette l’absence à ce moment précis de l’amiral Lanxade qui a dû partir].
Il s’agit d’une note du général Quesnot à François Mitterrand visée par Hubert Védrine sous les initiales de sa main : « HV ».
La connotation « néo-coloniale » de cette note est patente.
Antoine Comte en demande la lecture à Patrick de Saint-Exupéry.
M
e Michel Pitron, l’avocat d’Hubert Védrine, intervient. Il questionne Saint-Exupéry sur le contenu de la note pour essayer de le mettre en difficulté.
Raté : Patrick de Saint-Exupéry en profite pour déployer sa démonstration, notamment sur la fiction de la prétendue «
neutralité » de l’opération Turquoise.
Question de M
e Comte sur l’exfiltration des génocidaires vers Goma. Patrick de Saint-Exupéry confirme. Il était présent sur les lieux. Il précise ensuite qu’il était considéré comme
personna non grata par les militaires français qui contrôlaient les camps de réfugiés de Goma.
La question des rescapés de Bisesero
M
e Antoine Comte aborde ensuite la question des rescapés de Bisesero [colline où les Tutsi traqués et démunis ont essayé de survivre pendant des semaines aux attaques répétées, quotidiennes, des milices génocidaires].
Des soldats français découvrent cette situation critique mais ont ordre de ne pas porter secours. Ils sont déployés par leurs supérieurs sur une autre opération, mais promettent cependant de revenir dans un délai de trois jours.
Patrick de Saint-Exupéry décrit le drame, et le sentiment de dégoût des soldats français présents.
Il explique que ces Tutsi traqués «
n’ont que des cailloux à opposer aux miliciens génocidaires armés qui les tirent comme des lapins ».
La Présidente l’interroge sur les conséquences humanitaires de cette absence de protection militaire des Tutsi persécutés et abandonnés à leur sort.
L’avocat d’Hubert Védrine tente une dernière question, mais son intervention est confuse et contreproductive.
L’intervention de Rafaëlle Maison
Rafaëlle Maison est la dernière intervenante. Professeur de droit, elle souligne les problèmes juridiques qui suivent le rapport Duclert.
A l’issue de son témoignage très étayé factuellement et juridiquement et des questions des avocats de la partie adverse ainsi que de l’avocat de la défense Antoine Comte, celui-ci pose une dernière question : «
Après votre démonstration, pensez-vous que l’on puisse parler de “complicité de génocide” ? ». Réponse de Rafaëlle Maison : «
Oui »
Vient le moment des réquisitions et des plaidoiries.
L’un des avocats d’Hubert Védrine rejette la jurisprudence invoquée et oppose la sienne.
Comme pour les avocats d’Annie Faure et de Sybile Veil, nous avons demandé aux conseils de M. Védrine un résumé de leurs conclusions. Ils ne nous ont pas répondu favorablement et nous ne sommes pas en mesure de fournir un compte rendu précis de leurs plaidoiries.
Les réquisitions du Parquet
La représentante du procureur de la République s’exprime ensuite. Elle semble recommander de qualifier les déclarations d’Annie Faure comme une opinion qu’elle était libre et légitime d’exprimer dans le contexte qu’elle connaissait bien lorsque son avis lui a été demandé par un journaliste radio sur France Inter. Pour le Parquet, les propos d’Annie Faure relèvent de la liberté de chacun garantie par les lois de la République. Elle ajoute qu’au vu des décisions de la Cour de cassation, la responsabilité de M. Védrine dans le génocide ne pourrait être retenue comme celle des autres conseillers choisis par des élus. On croit comprendre que le Ministère public requiert la relaxe de la prévenue.
La plaidoirie de Me Sabrina Goldman
M
e Sabrina Goldman plaide la première en faveur de Sybile Veil, présidente de Radio France, poursuivie pour avoir diffusé les propos d’Annie Faure.
Elle invoque la nullité de la plainte pour défaut de précision sur les faits poursuivis : «
Cette imprécision porte atteinte aux droits de la défense ».
M
e Sabrina Goldman dit que, sur le fond, le bénéfice de la bonne foi doit être accordée à Radio France, notamment au regard du caractère d’intérêt général de ce sujet.
***
Il est manifeste que les propos en cause traitent d’un sujet d’intérêt général, à savoir la question de la responsabilité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi au Rwanda, qui fit près d’un million de morts entre avril et juillet 1994.
En effet, rappelons que les propos d’Annie Faure ont été prononcés à l’occasion de la journée commémorative du génocide des Tutsi au Rwanda, le 7 avril 2019. La responsabilité de la France dans ce crime est l’objet d’un débat qui est toujours d’actualité, notamment depuis le rapport intitulé « La France, le Rwanda, et le génocide des Tutsi (1990-1994) » remis au président de la République Emmanuel Macron le 26 mars 2021.
Ce rapport, fruit du travail colossal d’une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert, nourri d’un accès aux archives étatiques françaises, a conclu à «
un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » au sommet de l’Etat, à savoir à l’époque François Mitterrand et son état-major particulier parmi lequel Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée.
Me Sabrina Goldman : « La responsabilité de la France dans ce crime est l’objet d’un débat qui est toujours d’actualité»
Rappelons également que les propos poursuivis concernent Hubert Védrine, qui a été une personnalité politique de premier plan, secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand, puis ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin pendant la présidence de Jacques Chirac.
Ainsi, l’intérêt général des propos poursuivis est parfaitement incontestable et il était du devoir de Radio France, dans sa contribution au débat, en sa qualité d’organe d’information du public, de publier les propos d’Annie Faure.
En outre, il faut rappeler que les propos ont été tenus par Madame Annie Faure auprès de Rémi Brancato, journaliste à France Inter, lors de la commémoration du génocide des Tutsi le 7 avril 2019, et retransmis le lendemain au journal de 8h sur France Inter. Les propos de la personne interviewée n’ont été ni déformés, ni repris à son compte par le journaliste ou par la présentatrice du journal. Au contraire, Florence Paracuelos présente les propos d’Annie Faure en soulignant leur caractère subjectif et partisan : «
Le cri d’une militante socialiste au lendemain des commémorations du génocide rwandais ».
Par principe, l’existence de faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi du journaliste – qui conduit l’interview ou cite légitimement le propos d’un tiers – a pour effet d’exclure tant la responsabilité du journaliste que celle du directeur de la publication du support dans lequel les propos incriminés ont été publiés.
En l’espèce, même si le journaliste ayant réalisé l’interview d’Annie Faure, en recueillant les propos de cette dernière le 7 avril, n’est pas poursuivi, il ne fait pas de doute que le bénéfice de la bonne foi lui serait reconnu, compte tenu qu’il ne fait pas sien les propos, qu’il se contente de les recueillir sans faire part de son assentiment.
Par voie de conséquence, Madame Veil, en sa qualité de directrice de la publication, doit être relaxée.
***
La plaidoirie de Me Antoine Comte
Antoine Comte s’associe à cette démonstration : «
En réalité, ces propos de Madame Annie Faure s’inscrivent dans un débat historique essentiel sur la part de responsabilité de la politique française menée par l’ancien Président François Mitterrand au Rwanda dans la commission du génocide d’un million de Tutsi réalisé par le gouvernement de ce pays, qui a été soutenu, armé et financé par la France ».
M
e Antoine Comte ajoute qu'Hubert Védrine, partie civile, a été une pièce significative de cette politique qu’il continue de défendre. «
Madame Annie Faure, en sa qualité de militante du Parti socialiste, revendique un droit d’inventaire dans son parti au sujet d’une politique qui a impliqué la République française dans le crime des crimes, à la fin du siècle dernier, à peine cinquante ans après la découverte de la destruction des juifs d’Europe par les Nazis ».
L’avocat a produit de nombreuses pièces qui, selon lui, permettent de reconnaître la pertinence de la mise en cause d’Hubert Védrine, «
fondée sur des éléments objectifs et incontestables, s’inscrivant dans la volonté d’éclairer un débat historique persistant depuis près de trois décennies et visant à faire la lumière sur une politique française qui a abouti au pire ».
« L’intégralité » de l’émission de France Inter
M
e Comte restitue l’intégralité de l’émission de France Inter évoquant la vingt-cinquième commémoration où intervient Annie Faure. Nous la reproduisons ci-après.
Florence Paracuellos (la présentatrice) : – Vingt-cinq ans de silence à gauche. Voilà maintenant le cri d’une militante socialiste au lendemain des commémorations du génocide rwandais. Elle salue l’ouverture des archives annoncée par Emmanuel Macron et cette journée du souvenir tous les 7 avril mais elle réclame toute la lumière sur le rôle de François Mitterrand, Président en 1994. Elle qui fût médecin au Rwanda pendant le génocide chez Médecins du monde. Elle s’appelle Annie Faure, voici son combat, au micro de Rémi Brancato.
Annie Faure : – J’essaie de faire bouger le Parti socialiste sur ce sujet-là en dénonçant, en parlant des plaintes que j’ai ramenées contre l’armée française. Malheureusement, que ce soit au niveau de la Fédération du Parti socialiste, Emmanuel Grégoire en son temps, et maintenant Olivier Faure ne sont absolument pas prêts du tout du tout à admettre ce que leur mentor, ce que François Mitterrand a fait. Ce qui me choque, c’est que les années passent et qu’il n’y a pas de renouveau. C’est comme si les premiers secrétaires du Parti socialiste, tout jeune qu’ils soient n’avaient aucune possibilité de rejeter le lourd fardeau du mitterrandisme sur cette complicité du génocide des Tutsi et qu’ils étaient sous l’influence de ceux qui ont beaucoup à perdre. Hubert Védrine en particulier on en parle beaucoup dans la presse en ce moment parce que Védrine était secrétaire général de l’Elysée en 1994. C’est lui qui était l’intermédiaire entre Mitterrand, l’armée française et l’armée rwandaise. C’est lui qui a accepté ou fermé les yeux sur la livraison d’armes et la protection des génocidaires rwandais. C’est ça la réalité
Florence Paracuellos : – Annie Faure, médecin et militante socialiste, 800 000 Tutsi ont été massacrés au Rwanda en 1994 ».
[Fin de l’extrait.]
Me Antoine Comte dénonce « La confusion entretenue par Hubert Védrine concernant la loi sur la liberté de la presse »
Pour Antoine Comte, il est particulièrement important de rappeler l’intégralité des propos tenus sur France Inter car «
il s’agit là d’une opinion générale sur la politique mitterrandienne exposée de manière globale et insusceptible de faire l’objet d’un débat sur des faits précis ».
L’avocat d’Annie Faure souligne au passage qu'Hubert Védrine, le plaignant, a dans un premier temps tenté de faire prendre en charge par l’Institut François-Mitterrand la consignation que le Doyen des Juges de Paris avait fixée pour sa plainte, alors qu’il prétend être plaignant à titre personnel. Selon lui, «
il résulte des propos poursuivis et des débats devant le Tribunal que les propos n’ont pas visé le plaignant en sa qualité de particulier mais bien en sa qualité d’agent public, fonctionnaire affecté au secrétariat général de la présidence de la République entre 1991 et 1995 ». D’autant qu'Annie Faure fait explicitement référence aux fonctions du plaignant en indiquant «
… parce que Védrine était secrétaire général de l’Elysée en 1994 », et en estimant que «
c’est lui qui était l’intermédiaire entre Mitterrand, l’armée française et l’armée rwandaise ».
Pour l'avocat de la défense, cette confusion entretenue par Hubert Védrine serait en contradiction avec l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : «
Le tribunal pourrait donc juger la poursuite mal fondée et débouter le plaignant ».
Sur le fond, M
e Antoine Comte cite un grand nombre de documents annexés à ses conclusions qui tendent à prouver qu'Hubert Védrine était au cœur du dispositif mis en place à l’Elysée par le président de la République, en sa qualité de secrétaire général de la présidence entre 1991 et 1995, et que ce dispositif a conduit la politique française au Rwanda et ce, malgré les alertes sur les dérives racistes et criminelles du régime soutenu par la France. Qu’en outre, Hubert Védrine «
est intervenu pour empêcher l’arrestation des génocidaires pendant l’opération Turquoise, commencée fin juin 1994, allant jusqu’à faciliter le séjour en France de personnes recherchées par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda ».
L’avocat cite notamment un courrier du ministre de la Défense de l’époque, Pierre Joxe, adressé le 26 février 1993 au président de la République indiquant qu’il est profondément préoccupé par la politique française au Rwanda. Une lettre que le secrétaire général de l’Elysée semble n’avoir pas montrée à François Mitterrand.
Me Antoine Comte : « Hubert Védrine était au cœur du dispositif mis en place à l’ Elysée par le président de la République [qui] a conduit la politique française au Rwanda »
M
e Comte cite aussi l’audition d’Hubert Védrine le 16 avril 2014 par la Commission de la Défense nationale et des forces armées, au cours de laquelle il a déclaré au sujet des livraisons d’armes de Paris au Rwanda : «
Donc il est resté des relations d’armement et ce n’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies. C’est la suite de l’engagement d’avant. La France considérant que pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire ! ».
M
e Comte conclut qu'Hubert Védrine «
était bien au cœur du dispositif mis en place autour du président de la République pour conduire et impulser la politique française au Rwanda et que celle-ci, malgré les alertes multiples, a été maintenue à travers une coopération militaire multiforme, y compris après le début du génocide, coopération hautement revendiquée par le plaignant qui n’a cessé de désigner les Tutsi rwandais comme des ennemis alors que c’est la politique du parti unique raciste après l’indépendance qui a entrainé les pogroms qui ont fait fuir les Tutsi rwandais vers les pays limitrophes ».
L’analyse des archives Védrine
A la fin de sa plaidoirie, l’avocat de Madame Annie Faure cite aussi l’historienne Chantal Morelle qui s’est penchée sur les « archives Védrine » entre septembre 1993 et avril 1995 afin de déterminer le rôle qu’il a pu jouer auprès de François Mitterrand quant au Rwanda : «
Le secrétaire général Hubert Védrine est bien une “tour de contrôle” au service du président de la République. Une masse diverse d’informations convergent vers lui qu’il répercute au chef de l’Etat. L’expression qu’il utilise indique bien le “contrôle” de l’information qu’il exerce, au-delà de la simple courroie de transmission ».
Pour l’avocat, les questions soulevées par Annie Faure sont sérieuses et légitimes car «
il est évident que les citoyens ont le droit d’être informés sur un débat de première importance puisqu’il s’agit de faire la lumière sur l’implication d’une politique décidée de manière verticale par l’Elysée qui a abouti à ce que la République française soit impliquée dans le dernier génocide du XXème siècle ». Les propos tenus sur France Inter sont justifiés par l’analyse du rapport Duclert qui relève que : «
Ces responsabilités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent » (page 972 du rapport).
En conclusion, M
e Antoine Comte demande de débouter Hubert Védrine de toutes ses demandes et de relaxer Annie Faure.
Hubert Védrine reprend la parole pour réfuter point par point les accusations qui ont pu être portées contre lui pendant ce procès où il est pourtant le plaignant.
Annie Faure reprend elle aussi une dernière fois la parole, à l’invitation de la Présidente, en une seule phrase : «
Je remercie ce Tribunal de m’avoir permis de rendre hommage à toutes les victimes tutsi pour lesquelles la France a joué un rôle crucial ».
Le jugement mis en délibéré au 6 juillet est la relaxe d’Annie Faure…
[NB.- Texte légèrement révisé par Aymeric Givord]