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Le procès de Philippe Hategekimana, naturalisé français en 2005 sous le nom de Philippe Manier, est entré dans sa dernière ligne droite lundi 26 juin. L’accusé est poursuivi devant la Cour d’assises de Paris dans le cadre d’une procédure hors-norme pour « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Les fais imprescriptibles qui lui sont reprochés ont été commis dans la préfecture de Butare, dans le sud du Rwanda au printemps 1994.
Après sept semaines d’audiences, « 106 personnes entendues et 288 heures de débats, la justice va pouvoir être rendue pour des évènements complexes qui se sont déroulés à l’autre bout du monde, a rappelé Céline Viguier, l’une des deux avocates générales. Les récits décrits étaient parfois horribles… Philippe Hategekimana n’est pas un “petit poisson”, ni un simple exécutant mais un maillon fondamental de la mise en œuvre du génocide. » Le parquet a requis contre lui la réclusion criminelle à perpétuité et demandé à la cour de « retenir sa responsabilité pénale » pour tous les chefs d’accusation portés à son encontre.
L’ancien adjudant-chef de la gendarmerie de Nyanza, âgé de 66 ans aujourd’hui, assure qu’il se trouvait en poste à Kigali, chargé de la sécurité d’un colonel à la fin du fin du mois d’avril 1994 lorsque sa région a plongé dans l’horreur. Celui que tout le monde surnomme « Biguma » aurait donc été absent au moment où plusieurs milliers de Tutsi ont été exterminés sur la colline de Nyamure, que 300 autres ont péri à Nyabubare et que le bourgmestre Narcisse Nyagasaza a été assassiné.
« Ce procès nous a montré l’histoire du génocide dans la sous-préfecture de Nyanza et l’horreur ne nous a pas été épargnée, a plaidé Me Domitille Philippart, avocate du Collectif pour les parties civiles pour le Rwanda (CPCR). La violence inouïe et la créativité dans la cruauté sont entrées dans cette salle d’audience. La liste des morts est interminable. »
Incertitudes
Les faits s’étant produits il y a vingt-neuf ans, à une époque où il n’y avait pas de téléphone portable ni de trace ADN, aucune preuve matérielle n’a pu être exhumée. La responsabilité présumée de l’accusé repose donc uniquement sur la base de témoignages. « Dans ces procès de génocide, il n’y a que la parole qui sert de preuve, a rappelé Me Rachel Lindon, avocate de la Licra. Et en 1994, l’objectif était d’anéantir, de tout effacer et même de faire disparaître les corps. »
Mais la preuve testimoniale est parfois fragile. Si des témoins ont formellement identifié Philippe Hategekimana « sur les lieux des tueries » comme l’a rappelé Me Matthieu Quinquis, un autre avocat de la Licra, d’autres ont admis à la barre qu’ils ne le connaissaient pas en soulignant qu’ils avaient « entendu dire » que « Biguma » avait organisé des attaques.
En croisant les récits, des différences sont aussi apparues. Elles concernaient la couleur du véhicule de « Biguma » ou les dates de certains massacres. La défense de l’accusé s’est engouffrée dans ces incertitudes, cherchant dans les souvenirs parfois confus des témoins de quoi faire naître le doute chez les jurés. « Cette décrédibilisation systématique fait partie de la stratégie en miroir, a fait savoir Me Domitille Philippart. Cette mécanique de défense a été vue dans tous les procès de ce type. » Les chocs traumatiques subis par les survivants peuvent également créer une altération du réel. « Une rescapée d’Auschwitz disait qu’elle avait vu quatre cheminées alors qu’il n’y en avait qu’une seule », a ainsi expliqué Me Mathilde Aublé, avocate d’Ibuka, principale association de victimes du génocide des Tutsi.
« Je ne les connais pas »
Qui est Philippe Manier ? Un mois et demi d’audiences n’a pas permis de le savoir car l’accusé, crâne rasé et allure massive, s’est réfugié dans le silence. « “Aucun commentaire” est la phrase qu’il a le plus prononcée devant “Ce témoin, je ne le connais pas” », a fustigé Céline Viguier. Mercredi 21 juin, alors qu’il devait être entendu pour la première fois de son procès commencé le 10 mai, Philippe Manier a lu une courte déclaration à la Cour :
« Je suis enfermé dans ce box, et j’entends, jour après jour, des inconnus m’accuser de tous les crimes imaginables. La plupart de ces personnes, je ne les connais pas. Quant aux récits qu’ils font, vous en avez relevé vous-mêmes les incohérences. Il apparaît que ces récits ne sont pas plausibles et qu’ils sont contradictoires. Je n’en peux plus. Tout cela est vraiment au-delà de mes forces. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas m’exprimer… Je compatis sincèrement aux souffrances endurées par les victimes. Le génocide à l’encontre des Tutsi est une réalité. Et j’en ai été le témoin mais je n’ai rien à me reprocher. »
« Philippe Manier a refusé de se replonger dans ses souvenirs. Vous pouvez le contraindre à faire face à son passé, a déclaré Matthieu Quinquis à l’attention des jurés, en conclusion de sa plaidoirie. Vous pouvez imposer les faits à ceux qui les contestent. Vous pouvez imposer la justice à ceux qui la fuient. » Les plaidoiries de la défense auront lieu mardi 27 juin. Le jugement sera rendu le lendemain.