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L’interrogatoire de l’ex-gendarme rwandais Philippe Hategekimana, naturalisé français sous le nom de Philippe Manier, a tourné court mardi devant la cour d’assises de Paris, l’accusé refusant de répondre aux questions.
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Poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité, l’accusé a fait savoir à la cour mardi soir qu’il ne répondrait pas aux questions. Ex-adjudant-chef de la gendarmerie de Nyanza, dans la préfecture de Butare, au sud du Rwanda, M. Manier, 66 ans, devait être interrogé sur les faits qui lui sont reprochés pour la première fois depuis l’ouverture de son procès le 10 mai.
« J’entends, jour après jour, des inconnus m’accuser de tous les crimes imaginables », a indiqué M. Manier dans sa courte déclaration à la cour. « La plupart de ces personnes, je ne les connais pas. Quant aux récits qu’ils font, vous en avez relevé vous-mêmes les incohérences. Et il apparaît manifeste que ces récits ne sont pas plausibles et de plus sont contradictoires entre eux. Je n’en peux plus », a-t-il fait savoir.
« Je compatis sincèrement aux souffrances endurées par les victimes. Le génocide à l’encontre des Tutsis est une réalité. Et j’en ai été le témoin. Mais je n’ai rien à me reprocher », a insisté l’accusé. « Pendant cette période de chaos, où la vie humaine ne comptait pour rien, j’ai risqué ma vie pour sauver des personnes menacées », s’est-il défendu.
Participation à trois massacres
M. Hategekimana/Manier est poursuivi pour son implication présumée dans les meurtres de dizaines de Tutsis dans la préfecture de Butare, dont le bourgmestre de Ntyazo qui résistait à l’exécution du génocide dans sa commune. Il aurait notamment ordonné l’érection de plusieurs « barrières », des barrages routiers, « destinés à contrôler et à assassiner les civils tutsis ».
L’accusation lui reproche également d’avoir participé, en donnant des ordres, voire en étant directement impliqué sur le terrain, à trois massacres : celui de la colline de Nyabubare, où quelque 300 personnes ont été tuées le 23 avril 1994, celui, quatre jours plus tard, de la colline de Nyamure, où s’étaient réfugiés des milliers de Tutsis, et celui de l’Institut des sciences agronomes du Rwanda, où des dizaines de milliers de victimes ont été recensées.
L’ex-gendarme rwandais conteste toutes ces accusations. Il a notamment affirmé lors de l’audience qu’il se trouvait à Kigali, chargé de la sécurité d’un colonel, au moment du massacre de la colline de Nyabubare.
Dans sa déclaration, M. Manier a dénoncé « des accusations injustes ». « Je subis une détention difficile. Ma famille est détruite, ma vie ruinée », a-t-il déploré. « Reconnaître mon innocence ce n’est pas nier le génocide, ce n’est pas nier les souffrances des victimes. C’est tout simplement accepter de reconnaître la complexité de la situation de l’époque », a-t-il fait valoir.
Cinquième accusé renvoyé aux assises en France
Si au cours de ces dernières semaines des dizaines de témoins ont raconté l’horreur du génocide, peu ont pu identifier formellement l’accusé, connu au moment des faits sous le nom de « Biguma ». « Il a un peu vieilli mais c’était bien ce visage-là », a affirmé Valens Bayingana, un rescapé du massacre de la colline de Nyamure, en montrant l’accusé. Mais la plupart des autres témoins ont admis qu’ils ne connaissaient pas l’accusé en soulignant qu’ils avaient « entendu dire » que « Biguma » avait organisé des attaques.
La cour a aussi entendu les témoignages d’anciens assaillants, condamnés pour participation au génocide, interrogés par visioconférence depuis leur prison de Kigali : ils ont livré les témoignages les plus accablants à l’encontre de l’accusé, mais la défense a émis des doutes sur leur crédibilité.
L’ancien adjudant-chef est le cinquième accusé renvoyé aux assises en France pour des crimes commis au cours du génocide au Rwanda, qui a fait plus de 800.000 morts selon l’ONU, essentiellement des Tutsis exterminés entre avril et juillet 1994. Les réquisitions sont attendues le 26 juin et le verdict le 28 juin.