Citation
La sixième semaine de procès s’ouvre à 9h ce lundi 12 juin. Cinq parties civiles seront entendues ce jour. Tout d’abord, Madame Anne-Marie Mutuyimana, constituée partie civile auprès de Maître Karongozi, sera auditionnée en visioconférence depuis Kigali. Naturellement, elle souhaitera faire une déclaration spontanée afin de présenter son historie à la Cour et aux parties. Lorsque l’avion du président Juvénal Habyarimana tombe, le 6 avril 1994, elle est chez elle, dans le secteur de Nyamure, à Ntyazo. La situation s’aggrave rapidement aggravée et les balles commencé à siffler : « C’était comme si la colline allait s’effondrer ». Madame Mutuyimana et sa famille commencent donc à se cacher dans les brousses. Cependant, rapidement, ils se séparent afin de pouvoir se dissimuler plus facilement. Elle reste en compagnie de deux de ses sœurs, Françoise et Chantal, et de son frère Dominique. Ils décident de retourner chez eux. Malheureusement, lorsqu’ils arrivent à proximité de leur domicile, ils entendent des Interahamwe parler des massacres et les voient détruire leur maison. C’est dans leur fuite qu’ils voient également les leurs être massacrés à la colline de Nyamure. Ils se font repérer par des miliciens portant des « feuilles de bananiers sur la tête et ayant des gourdins et des machettes ». Ses deux sœurs sont attrapées par les assaillants et elle parvient à s’enfuir avec son frère de 7 ans. Cependant, dans leur course, ils sont séparés. Madame Mutuyimana retourne dans sa localité d’origine où elle retrouve son père. Ils décident de ne pas s’attarder à cet endroit, les Interahamwe étant très actifs. Ils retrouvent finalement une des grandes sœurs du témoin, Françoise, et décident de se rendre dans le secteur de Rutara, à Kirundo. A ce moment, un communiqué mensonger est diffusé dans cette région, « indiquant que les massacres ont cessé et que les gens peuvent rentrer chez eux ». La jeune fille et sa famille se font piéger par cette annonce et sont arrêtés par des Interahamwe et conduits à une barrière. Son père sera tué à cet endroit alors qu’elles et sa sœur parviennent à fuir. Enfin, les Inkotanyi arrivent. Les combats sont extrêmement violents et toute la population est obligée de fuir, Hutu et Tutsi confondus. Quelques temps plus tard, les combats cessent, les soldats du FPR sauvent les rescapés. Les déclarations spontanées se terminent et le Président Lavergne prend la parole. Il posera tout d’abord diverses questions sur les membres de la famille de Madame Anne-Marie Mutuyimana et sur la localisation de leur domicile. « Aucun enfant n’a été tué de ma fratrie [ils étaient cinq, quatre filles et un garçon]. C’est mon père, ma grand-mère et mon grand-père maternels ainsi que mes oncles et mes cousins qui sont morts ». Les questions seront assez rapides. Maître Epoma s’avance ensuite vers le micro pour les parties civiles. Il posera quelques questions sur le père de la rescapée et lui demandera pourquoi ses sœurs ne se sont pas constituées partie civile. Elle répondra que ces dernières « n’ont pas encore accepté ce qu’il leur est arrivé, elles ne peuvent toujours pas en parler ». Le Ministère public ne souhaitera pas interroger l’intéressée et la parole sera donc laissée à la défense. C’est Maître Duque qui se chargera du contre-interrogatoire. Une nouvelle fois, elle demande à la rescapée si elle a déjà témoigné dans d’autres affaires. La réponse sera négative. L’avocate de Monsieur Manier posera ensuite différentes questions et finalement l’audition de cette première témoin se terminera.
C’est ensuite Madame Florence Nyirabarikumwe, partie civile assistée par Maître Paruelle, lui-même présent au Rwanda aux côtés de la rescapée, qui sera entendue depuis Kigali. Elle commencera par présenter son histoire. Très rapidement, au mois d’avril 1994, plusieurs membres de sa famille et voisins viennent à son domicile en disant que chez eux la guerre a éclaté. Les massacres se propagent jusque dans sa localité, les forçant à quitter leur maison et à aller se réfugier sur la colline de Nyamure. « On disait que les Hutu allaient tuer les Tutsi ». Sur cette colline, les réfugiés subissent de nombreux assauts de la part des Interahamwe « qui portaient des feuilles de bananiers sur leurs têtes », mais réussissent à les mettre en déroute en leur jetant des pierres. Cependant, quelques jours plus tard, Madame Nyirabarikumwe entend sa mère dire « que c’était fini pour nous parce que cette fois-ci, les gendarmes venaient ». Les balles commencent à pleuvoir : « J’ai vu les morceaux de chair humaine à côté de moi ». Gravement blessée, le témoin raconte qu’elle est restée plusieurs jours allongée parmi les cadavres. De cette position, elle voit les membres de sa famille et ce que les miliciens leurs font : « Ma mère, ils l’avaient découpée au-dessus des yeux et au niveau du nez. Pour mon frère, ils lui avaient découpé les jambes qui étaient séparées du reste du corps. Pour ma sœur, on l’avait éventrée. Le diaphragme était sorti. J’ai su plus tard que c’était le diaphragme. Pour ma petite sœur, ils l’avaient blessée au front et après, ils l’avaient déposée sur ma mère. Moi, j’étais blessée au niveau des tempes et des poignets ». La rescapée reste plusieurs jours sur cette colline avant de trouver la force, tant physique que mentale, de quitter cet endroit et ses proches décédés. Madame Nyirabarikumwe errera dans la brousse jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi. Elle terminera sa déclaration en s’adressant à Philippe Hategekimana : « Lorsque vous avez tué les nôtres, un premier jour, un deuxième jour, un troisième jour, vous avez tué vos voisins. Est-ce que votre conscience ne vous disait rien ? ». Le Président Lavergne déclare qu’il laissera la possibilité à l’accusé de répondre plus tard, même s’il conteste les faits depuis le début. Il prendra ensuite la parole pour interroger la partie civile. Il lui pose tout d’abord plusieurs questions afin d’éclaircir la situation personnelle de cette dernière lorsque le génocide commence. Madame Nyirabarikumwe avait 9 ans au moment des faits et habitait à côté de l’école située en contrebas de la colline de Nyamure. Seul un de ses frères a survécu aux massacres. Monsieur Lavergne poursuit en abordant plusieurs points. Sur ces derniers, le témoin niera avoir vu des gendarmes sur la colline de Nyamure mais elle confirmera avoir entendu « des choses qui explosaient et des bruits de balles » disloquant les corps. Elle affirme en effet avoir vu « des morceaux de corps qui tombaient à côté des fumées » sans pour autant voir de terre soulevée. Quand la parole sera donnée aux avocats des parties civiles, seuls Maîtres Paruelle et Gisagara demanderont à leur cliente de préciser certains points. De même, les avocates générales ne poseront que trois questions abordant la stratégie utilisée par les réfugiés pour se défendre des assauts des Interahamwe avant la grande attaque. Madame Nyirabarikumwe confirmera qu’elle a participé au ramassage de pierre avec les autres femmes et enfants, afin de les donner aux hommes pour qu’il les lancent sur les miliciens. Maître Duque n’aura aucune question pour la défense. Elle souhaitera simplement rappeler, pour répondre à la question posée par le témoin, que son client est présumé innocent. Enfin, quand le Président Lavergne proposera à Monsieur Hategekimana de répondre à la question qui lui a été posée, il dira simplement : « Je ne peux pas réagir parce que je n’étais pas là ».
Le troisième témoin de la journée, Monsieur Eugène Habakubaho, est assisté de Maître Paruelle. Il commencera son audition par des déclarations spontanées. En avril 1994, il habitait dans la commune de Ntyazo. Une semaine après la chute de l’avion présidentiel, il part avec ses parents et ses deux frères et sœurs pour aller « à l’endroit où Nyagasaza venait d’être tué » [ce qui correspond à l’ancienne localité de Mushirarungu]. Face à l’annonce de ce meurtre, ils rebroussent chemin et décident d’aller trouver un prêtre, ami du père de Monsieur Habakubaho, afin de lui demander de l’aide. Ce dernier leur indique de se rendre à l’Isar Songa, afin de « rejoindre vos congénères ». Accordant une pleine confiance à cet homme, ils partent immédiatement en direction de ce lieu où ils retrouvent effectivement « beaucoup d’autres Tutsi réfugiés ». Dans les jours qui suivent leur arrivée, ils sont attaqués plusieurs fois par la population civile hutu, assauts auxquels ils résistent « avec des jets de pierres ». Le 28 avril, « aux alentours de 15-16h », les Interahamwe arrivent, accompagnés des gendarmes de Nyanza qui leurs tirent dessus. Le père du témoin meurt à cet endroit. Plusieurs réfugiés fuient en direction du Burundi, pourchassés par les miliciens. Le groupe arrive finalement dans l’ancienne commune de Muyaga, où ils subissent une autre attaque. Monsieur Habakubaho est blessé gravement dans le creux du cou, en bas de la nuque. Le Président diffuse des photos de cette blessure transmises par la victime. Le coup semble provenir d’une machette. Le rescapé poursuit et explique qu’à cet endroit, « on a tué beaucoup de gens ». Il est lui-même tombé dans le coma après avoir été « découpé ». Un homme est ensuite arrivé et l’a soigné en le cachant chez lui « jusqu’au moment où sont arrivés les militaires du FPR ». Le Président commence son interrogatoire. Il demande tout d’abord au témoin des précisions sur sa situation en avril 1994. Ce dernier explique qu’il avait 11 ans au moment du génocide et qu’il habitait dans la commune de Ntyazo (secteur de Gisasa, commune de Gashuru) avec ses deux parents, agriculteurs et éleveurs, et ses deux jeunes frères et sœurs. Il avait également trois autres frères qui étaient partis de la maison pour aller à Kigali. Il présente ensuite les différents lieux où il suppose avoir perdu ses proches, n’ayant jamais pu identifier les corps. Monsieur Lavergne essaie par la suite de resituer la chronologie de tous les évènements racontés par le témoin. Ainsi, ce dernier confirme que la première étape de leur trajet est Mushirarungu, où ils apprennent que le bourgmestre Narcisse Nyagasaza vient tout juste tout juste d’être assassiné, rendant la zone très dangereuse pour les Tutsi. A cette annonce, son père décide d’aller voir un « ami » prêtre. Ce dernier les envoie vers l’Isar Songa. Sur question du Président, Monsieur Habakubaho déclare qu’il « ne sait pas ce qui était dans sa tête, cependant il y avait des tueries qui se passaient là-bas […] Il y avait des tueries dans tout le pays et il le savait ». A ce moment, sa mère et sa sœur se séparent du reste du groupe, ne rejoignant pas l’Isar. Monsieur Lavergne poursuit ses questions en lui demandant de présenter plus en détail ce qu’il s’est passé à cet endroit. Le rescapé explique donc que « le 28, jusqu’à 16h, est arrivée une attaque de gendarmes en provenance de Nyanza. Cette attaque comprenait beaucoup d’Interahamwe. […] Les balles pleuvaient, on a tiré, tiré, tiré sur nous. Les gens qui n’étaient pas tombés sous les balles essayaient de s’enfuir et quand ils étaient en train de fuir, ils rencontraient les Interahamwe qui les blessaient à l’aide d’armes traditionnelles ». Le témoin poursuit et confirme qu’il y avait effectivement « des choses qui explosaient partout » et les gendarmes étaient habillés avec « des uniformes de couleur kaki, quelque chose qui ressemble au kaki avec des chapeaux rouges ». Après quelques questions complémentaires concernant sa fuite vers le Burundi, le Président lui demande quelle est sa situation aujourd’hui, s’il a pu reconstruire une famille. Monsieur Habakubaho lui confirme qu’il s’est marié, a eu deux enfants et a trouvé un travail à Kigali. Sans question des autres membres de la Cour, la parole est ensuite donnée aux parties civiles. Maître Paruelle lui pose quelques questions afin d’apporter des éclaircissements sur certains points. Il permet notamment à son client de confirmer que l’Isar Songa est un très grand site et qu’il a aperçu un hélicoptère survoler les réfugiés, en pleine journée, la veille de la grande attaque : « Il est venu, il a fait le tour du camp et il est parti ». Sur sa fuite, il déclarera qu’au moment où il est blessé, une centaine de ses congénères, guidés par Tharcisse Sinzi, vous parvenir à traverser la frontière vers le Burundi. Maître Gisagara posera à son tour quelques questions. Les représentantes du Ministère public prendront la suite. Ces dernières lui demandent de confirmer qu’à leur arrivée à l’Isar Songa, les réfugiés sont recensés par leurs congénères tutsi déjà présents dans le camp, ce qu’il fait. Elles lui posent ensuite plusieurs questions afin de parvenir à localiser précisément où se situaient les réfugiés sur le site de l’Isar. Ce dernier répond qu’« il existe dans cette localité une colline entourée par d’autres collines et c’est sur celle-là que les gens avaient trouvé refuge. […] Les gendarmes descendaient des collines d’en face avec les Interahamwe ». Il ne sera cependant pas en mesure de donner des précisions sur la nature de l’arme utilisée pour tirer sur les Tutsi. La défense n’aura pas de question à poser. Dès que la caméra est éteinte, le Président prend la parole et fait savoir à Maître Gisagara que la partie civile entendue à l’instant ne concerne pas les faits de la colline de Nyamure qui doivent être étudiés ces jours. Il soutient que, ne correspondant pas au planning, cela ne permet pas à la Cour et aux parties de se préparer correctement. [En effet, le planning est organisé afin que les lieux soient étudiés les uns après les autres, dans l’ordre chronologique, pour permettre une meilleure lecture à la Cour et aux parties, et notamment aux jurés].
La quatrième témoin de la journée, Madame Grâce Byukusenge, assistée par Maître Gisagara, entre dans la salle et s’approche de la barre. Après avoir décliné son identité, elle commencera sa déclaration spontanée. Cette dernière avait 15 ans en 1994. Quand le génocide commence, elle est chez sa tante maternelle, à Gitarama. Les deux femmes essayent de rejoindre Nyamure afin d’être en présence des autres membres de leur famille. Le trajet est particulièrement complexe et la tante du témoin décide de rebrousser chemin, laissant donc l’adolescente terminer seule. Après avoir pris un bus et marché, elle arrive chez elle pendant la nuit. Elle retrouve beaucoup de voisins et de membres de sa famille, à la fois proche et éloignée. Le lendemain, « les attaques des Interahamwe ont commencé à sévir ». Les habitants de la localité de Madame Byukusenge, Hutu comme Tutsi, décident de se défendre, ne voulant pas « que ces choses-là qui se passaient ailleurs arrivent et se reproduisent dans le secteur ». Les miliciens appellent les Hutu et « probablement que les attaquants leur ont dit qu’ils ne visaient que les Tutsi. Ils leur ont dit “c’en est fini pour vous” ». C'est alors que les proches du témoin décident de fuir leur domicile pour se rendre à Nyamure « où d’autres gens avaient trouvé refuge ». Elle situe cet évènement à la date du 22 avril. Les attaques des Interahamwe s’enchaînent sur la colline, sans pour autant arriver à leur fin. Finalement, « il se peut que ces Interahamwe soient allés demander des renforts. Le 27, est arrivé un véhicule avec des gendarmes et des policiers, ils sont venus en provenance de Migina et ils étaient à bord d’une Toyota Bleu-Rouge. Ils sont venus jusqu’à l’école de Nyamure, enfin la route se terminait à cette école-là ». Madame Byukusenge poursuit et explique qu’une femme était en train d’accoucher : « Les autres femmes l’avaient encerclée et elles avaient étendu leurs pagnes pour la protéger de la foule ». Les gendarmes sont arrivés au pied de la colline et, accompagnés des Interahamwe, ils ont commencé à se diriger vers le sommet. L’un d’entre eux marchait devant les autres et tirait en direction de ce groupe de femmes. La rescapée affirme que cet homme était Biguma. Dès ce premier tir, les réfugiés commencent à courir pour fuir. Madame Byukusenge essaye de se rendre vers sa maison, au lieu-dit « Mahaha ». Cependant, cette dernière a été complètement détruite. Le témoin parvient tout de même à se cacher à proximité et entend les Interahamwe passer, discutant de l’attaque. Elle les entend parler de certains membres de sa famille, notamment son père, sa grande sœur et une cousine germaine. L’adolescente décide ensuite de sortir de sa cachette et de continuer son périple. Elle finit par retrouver son père. Elle ne peut pas l’approcher mais parvient tout de même à distinguer ce qui lui arrive. Ce dernier sera arrêté à trois reprises par des Interahamwe qui lui demanderont d’aller chercher de l’argent auprès de sa mère s’il souhaite rester en vie. Ce qu’il fera. Finalement, la troisième fois, il sera emmené par les Interahamwe et tué à un autre endroit. Madame Grâce Byukusenge décide de fuir. Elle sera arrêtée à une barrière, où un attaquant lui assènera un coup de gourdin dans le dos. Elle parviendra cependant à repartir vivante, en soutenant qu’elle est originaire de Nyabisindu et qu’elle n’est pas Tutsi. Arrivée à Nyanza, elle sera ensuite arrêtée par des militaires qui l’emmèneront, avec d’autres rescapés, à un autre endroit, où se trouvent des prêtres. Dans ce semblant de « camp », les femmes et les jeunes filles sont souvent emmenées par des assaillants pour être violées et les hommes sont tués petit à petit et jetés dans la rivière Nyabarongo. Finalement, les Inkotanyi arrivent et viennent les libérer. Madame Byukusenge terminera ce long récit en présentant sa vie après le génocide. Elle déclarera notamment avoir des problèmes de santé dus à ses blessures, l’empêchant d’avoir un enfant. Le Président Lavergne prendra ensuite la parole pour réaliser son interrogatoire. Il demandera tout d’abord des précisions sur la localisation exacte du domicile du témoin en avril 1994 et sur les distances entre les différents lieux évoqués lors de ce récit. Sur l’identité du gendarme ayant tiré en premier sur la colline de Nyamure, elle déclare que « des gens ont dit : “Ah voilà, c’est Biguma” ». Monsieur Lavergne posera quelques questions supplémentaires et la parole sera laissée aux avocats des parties civiles. Maître Gisagara, assistant Madame Grâce Byukusenge, prend la parole. Il reviendra sur le trajet de sa cliente, au tout début du génocide, entre Gitarama et Nyanza. Il posera plusieurs questions relatives aux temps de trajet entre les différents lieux de passage du témoin, afin de permettre à la Cour et aux parties de mieux se situer spatialement. Enfin, il lui demande si elle peut expliquer son état de santé actuel. Elle explique que deux blessures ne guérissent pas depuis 1994 et que la plus importante est certainement « celle du cœur ». Le Ministère public ne souhaitera pas poser de questions, et c’est donc la défense qui prendra la parole. Maître Lhote se lève donc pour aller en direction du micro. Il demande au témoin si elle connaît le vrai nom de Biguma. Elle répond qu’à l’époque du génocide, tout le monde parlait de lui en utilisant son surnom mais que maintenant elle sait qu’il se prénomme officiellement « Philippe Hategekimana ». Quand l’avocat de Monsieur Manier lui demande comment elle a pu savoir que ce sont des gendarmes qui sont arrivés à la colline de Nyamure, elle déclare qu’elle a vu « des gens qui portaient des uniformes kaki et des bérets rouges » mais que ce n’est que plus tard, après le génocide, qu’elle a su qui étaient ces gens. L’avocat poursuit ses questions, en demandant au témoin de donner plusieurs descriptions : de l’arme utilisée, du gendarme qui a tiré en premier, de la localisation de la femme qui accouchait. Madame Grâce Byukusenge répondra qu’elle ne peut pas donner tous ces détails, la situation ne permettant pas de prêter attention à tous ces éléments. Enfin, comme à chaque fois, Maître Lhote lui demande si elle a déjà témoigné « dans d’autres procès liés au génocide », ce à quoi elle répondra par la négative disant qu’elle n’a jamais été capable de le faire.
Le cinquième et dernier témoin de la journée, Madame Grâce Kezumukiza, constituée partie civile auprès de Maître Gisagara, sera également entendue en présentiel. Cette dernière fera une courte déclaration spontanée qui ne sera pas extrêmement claire. Il est très difficile de comprendre où se déroulent les faits qu’elle relate. Le Président Lavergne lui demandera et elle précisera que c’est à Nyanza. Elle parle des attaques qu’elle a subi avec les autres membres de sa famille et de la façon dont un gendarme l’a aidée et sauvée pendant le génocide. En réalité, on comprend que Madame Kezumukiza ne s’est pas elle-même réfugiée sur la colline de Nyamure, mais qu’elle y a perdu de nombreux membres de sa famille. Le Président prendra la parole et demandera à la rescapée quelles sont toutes les personnes de sa famille qui sont mortes à Nyamure, et les circonstances de ces assassinats. Cette dernière déclinera toutes les identités et les informations qu’elle possède pour chacune. Quand la parole sera donnée aux parties civiles, Maître Gisagara demandera à projeter les photographies de la famille de Madame Kezumukiza. Enfin, ni le Ministère public ni la défense ne souhaiteront poser des questions, et l’audience sera suspendue pour ce jour.
Par Emma Ruquet
Commission juridique d’Ibuka France