Fiche du document numéro 32500

Num
32500
Date
Lundi 5 juin 2023
Amj
Taille
324572
Sur titre
Disparition
Titre
Au Rwanda, « tout le pays pleure la mort » de Damas Gisimba, véritable héros pendant le génocide
Sous titre
Directeur d’un orphelinat à Kigali, Damas Gisimba a caché et sauvé près de 400 Tutsis au cœur des massacres. Célébré comme un Juste de la nation, il s’est éteint ce week-end à 61 ans.
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Damas Gisimba en 2019 à Kigali, devant un mur de photos d'enfants sauvés par son action. (Emmanuel Kwizera/Wikimedia Commons)

Un journaliste rwandais l’avait un jour surnommé «l’homme au cœur
d’or»
. Mort ce week-end à 61 ans, Damas Gisimba était bien plus : un héros national qui aura fait preuve d’un courage inouï pendant le génocide des
Tutsis en 1994. Lorsque les massacres commencent en avril, cette année-là, il dirige un orphelinat crée par son père, dans le quartier populaire de
Nyamirambo, à Kigali, la capitale. Très vite, l’établissement est submergé
par l’arrivée de nombreuses familles tutsies qui cherchent à se cacher
pour échapper aux militaires et aux milices interahamwe qui quadrillent
la ville.

Pendant trois longs mois, Damas Gisimba va marchander, négocier, et même corrompre les tueurs qui se présentent au portail. Sans éviter des incursions qui se révéleront hélas parfois meurtrières. Dans ce climat de peur et de violences permanentes, alors que les expatriés et la majorité des Casques bleus présents dans le pays ont vite plié bagage, près de 400 personnes s’entassent dans le petit orphelinat, plus de 300 enfants mais aussi 80 adultes. Damas Gisimba apprend aux petits à se taire, à ne pas révéler que les adultes sont dissimulés sous les lits, dans les placards, les faux plafonds.

Les extrémistes veulent s’attaquer aux enfants ? Il leur assure inlassablement qu’il ne connaît pas leur identité ethnique, prétend que ce sont tous des orphelins. Et leur laisse croire qu’il est «l’un des leurs». Du moins, en principe : un Hutu, appartenant à cette ethnie majoritaire au nom de laquelle le génocide contre la minorité tutsie a été déclenché.

Il n’est pas le seul Hutu à avoir refusé de céder aux injonctions des génocidaires. Lesquels avaient, dès le 7 avril 1994, assassiné un par un tous les leaders de l’opposition hutue qui auraient pu s’opposer aux massacres. D’emblée, le message était clair pour les Hutus : soit ils rejoignaient le camp des tueurs, soit ils subiraient le sort réservé aux Tutsis. Certains vont pourtant sauver des vies, bien conscients des dangers qui pèsent dès lors sur eux.

Manque de vivres



Pour Damas Gisimba, c’était presque un héritage familial : son propre père, Pierre-Chrysologue, avait dû fuir le pays après s’être publiquement opposé aux premiers pogroms anti-tutsis en 1959, à la veille de l’indépendance. Aîné de la fratrie, Damas va ainsi naître à Goma, dans le vaste pays voisin alors baptisé Zaïre, avant de devenir la république démocratique du Congo (RDC). A l’issue d’un exil de vingt ans, la famille rentre au Rwanda, où les parents Gisimba ouvriront cet orphelinat. Leur fils en assumera à son tour la responsabilité en 1986 après la mort de son père.

Mais les tueurs connaissent la réputation de cette famille, opposée aux sirènes de la logique ethnique. Et l’étau va peu à peu se resserrer autour de l’orphelinat qui, dès le mois de mai, commence à manquer de vivres.

Malgré le soutien d’un adventiste américain, Carl Wilkens, resté lui aussi au cœur du carnage pour tenter de sauver des vies. A plusieurs reprises, ce dernier approvisionne, comme il le peut, les 400 pensionnaires terrorisés, blottis dans l’ombre de ce petit havre de résistance. Jusqu’à la fin juin, lorsque les évènements s’accélèrent.

Damas Gisimba est alors ouvertement menacé. Les tueurs ont décidé d’en finir avec lui. Le 28 juin, il est exfiltré et se démène aussitôt pour évacuer ses protégés. Deux jours plus tard, grâce à l’aide de Carl Wilkens, ils quittent enfin tous l’orphelinat pour se réfugier dans une église en ville.

Une sortie négociée avec les autorités génocidaires, qui sont alors aux abois. La capitale est sur le point de tomber aux mains du Front patriotique rwandais (FPR) une rébellion tutsie, qui va chasser les leaders extrémistes hors du pays.

Comme un père Après le génocide, Damas Gisimba reprendra sa place à la tête de l’orphelinat. Les références ethniques, jusqu’alors mentionnées sur les cartes d’identité, sont abolies. Mais il sait bien que la plupart des enfants qu’il accueille désormais sont des orphelins du génocide dont les parents ont été massacrés. Célébré comme un héros, il parcourt également le monde pour raconter ces trois mois tragiques à l’issue desquels il a pu sauver près de 400 personnes.

Discret, modeste, il ne cherchera pourtant jamais les honneurs.

Retrouvera souvent certains de ses protégés autour d’une bière. Comme Isaac, tailleur à Nyamirambo, qui aura passé toute cette période dans la petite pharmacie dont l’entrée était dissimulée par une armoire. La femme d’Isaac, qui travaillait à l’orphelinat avant le génocide, sera enlevée puis tuée par les interahamwe, un jour où, en l’absence du directeur, elle s’occupait des enfants. Ces derniers, devenus adultes, continueront à le considérer comme un père, exigeant sa présence à leurs mariages, aux baptêmes de leurs propres enfants. Il en parlait souvent dans le petit bureau de son établissement, transformé en mémorial et lieu de soutien scolaire pour les enfants démunis à partir de 2015, après que le gouvernement ait décrété en 2012 la fermeture de tous les orphelinats du pays, préférant placer ces enfants dans des familles d’accueil. Depuis quelques années néanmoins, il était affaibli, amaigri. L’échec d’une greffe du rein a précipité sa disparition.

Damas Gisimba fait désormais partie de l’histoire de ce pays. En 2007, il avait officiellement été élevé au rang de Juste de la nation. Son destin rappelle que les Hutus n’étaient pas tous engagés dans le génocide. «Mais parmi les Justes, il est certainement celui qui aura sauvé le plus de vies, dans un endroit particulièrement dangereux», rappelle l’historienne Hélène Dumas, qui en 2019 a répertorié les archives de l’orphelinat transformé en mémorial. «Depuis ce week-end, je reçois beaucoup de messages : tout le pays pleure sa mort», ajoute-t-elle.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024