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La France n'a pas soutenu le Rwanda du président Habyarimana. C'est l'actuel ministre des Affaires étrangères français, ancien secrétaire général de l'Elysée sous François Mitterrand, qui l'a affirmé hier devant les députés de la mission d'information sur le Rwanda. «Sans arrêt, jusqu'au bout», la France a «fait pression», dit Hubert Védrine, pour que le président rwandais partage le pouvoir. «Pression» et non «soutien», répète-t-il. Il tient à la nuance. «La diplomatie française met les mains dans le cambouis en étant en contact avec tous les côtés» : le gouvernement d'Habyarimana, dont l'assassinat, le 6 avril 1994, déclenchera le génocide, comme les représentants du Front patriotique rwandais (FPR), alors qualifié de rébellion armée. «La politique française, à tort ou à raison, était fondée sur l'idée qu'il fallait absolument arriver à un accord politique.» Mais jusqu'où a-t-il fallu plonger dans le cambouis pour en arriver à ce que, en plein génocide, des militaires français soient accueillis par des miliciens hutus comme des alliés ? C'est ce que les députés sont chargés d'établir. Ce n'est pas la séance d'hier qui permettra de le dire.
Hubert Védrine est dans son rôle. Il parle diplomatie. Il rappelle aux députés les bases de la politique africaine de la France depuis les indépendances, aide au développement et sécurité, dont François Mitterrand s'est voulu le «continuateur». A l'époque, dit-il, le Rwanda est considéré comme la Suisse de l'Afrique, et Habyarimana est plutôt bien vu. «Le réflexe, c'est qu'on ne pouvait pas laisser renverser un gouvernement par un mouvement armé.» La France aide donc le Rwanda à renforcer son armée. Exclusivement hutue, fait remarquer le député socialiste Pierre Brana. Hubert Védrine est «choqué» par cette remarque : «On est dans une mission d'information, on ne fait pas un article de journal.» Quand on apporte son aide à un régime, «on fait avec ce qu'il y a», dit-il. Le ministre est encore dans son rôle quand il s'offusque que l'on puisse penser qu'il y ait eu, en France, une politique africaine occulte. On «fantasme», selon lui, sur le rôle de la cellule africaine de l'Elysée.
La seule chose qu'on a appris hier, c'est que, huit jours avant l'attentat contre Habyarimana, le général Roméo Dallaire, chef des forces de l'ONU au Rwanda, avait fait un compte rendu optimiste de la situation, ce qui expliquerait, selon Hubert Védrine, que le Conseil de sécurité de l'ONU n'ait pas réagi aux premiers massacres. Le ministre des Affaires étrangères n'ignore pas la polémique dont, hier encore, à Nairobi, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, s'est fait le porte-parole en accusant le «manque de volonté politique de la communauté internationale» au Rwanda. Hier, Hubert Védrine a renvoyé la balle en déclarant que «si quelqu'un avait les moyens sur place» d'arrêter les massacres, c'était bien le général Dallaire, autrement dit l'ONU.
Autant dire que l'audition n'a rien apporté. Certes, tout ne se passe pas en public. Outre les auditions à huis clos, les députés travaillent sur des documents. Mais il y a des questions qui se perdent. Sur l'attentat. «On se demande toujours pourquoi il n'y a pas eu d'enquête depuis quatre ans», s'interroge à voix haute Paul Quilès. Mais il ne pose pas la question au chef de la diplomatie française. Sur le rôle de la France après le 6 avril 1994, aucun député ne demandera à Hubert Védrine quand la France a rompu tout lien avec le gouvernement intérimaire, clairement extrémiste, mis en place après l'attentat. La question est pourtant d'actualité. Le Premier ministre de ce gouvernement, Jean Kambanda, vient d'être déclaré coupable de génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il est le premier responsable rwandais à avoir plaidé coupable. Il sera sans doute aussi le grand «repenti», celui dont le témoignage éclaircira peut-être les zones sombres de la tragédie rwandaise. La France, qui, selon Védrine, faisait pression sur Habyarimana «pour le détacher de ses extrémistes», a-t-elle, après sa mort, entretenu des relations avec ces mêmes extrémistes ? En novembre 1994, huit mois après le début du génocide, le «ministre des Affaires étrangères» de ce gouvernement, réfugié au Zaïre après la victoire du FPR, affirmait à Libération (23 novembre 1994) qu'il avait rencontré, quinze jours plus tôt, des «officiels» français.