Citation
Entretien
Michel Roussin : « La communauté africaine doit condamner ce génocide. »
Dans une interview au « Quotidien », le ministre de la Coopération Michel Roussin réfute les accusations portées contre la
France par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) et
déplore l'absence de mobilisation de la communauté africaine face
au drame que traverse ce pays.
LE QUOTIDIEN - Le secrétaire général de l'ONU Boutros Boutros-Ghali vient de dénoncer l‘«échec» de la communauté internationale face au drame du Rwanda et à qualifié de «scandale » cette situation. Ne pourrait-on pas ajouter qu'il s'agit aussi d'un échec cuisant et sanglant pour la politique française en Afrique
Michel ROUSSIN - Sûrement pas. Boutros-Ghali a reconnu avec lucidité l'échec de la communauté internationale. La France quant à elle n’a cessé d'encourager les parties en présence à trouver un accord. Entre 1990 et 1993, deux compagnies ont été mises en place avant que la communauté internationale ne prenne ses responsabilités et décide du déploiement d’une force internationale sous l'égide des Nations unies. Celle-ci a été installée après les accords d’Arucha dont elle devait garantir le bon déroulement. La France a joué un rôle efficace et déterminant dans la prise de conscience des différentes parties au Rwanda qui ont finalement choisi de s'asseoir autour d’une même table en Tanzanie. Je peux vous citer un télégramme du FPR datant de septembre dernier et exprimant «ses remerciements les plus sincères pour le rôle d’observateur joué par la France lors des négociations ». Puis tout a basculé. Les accords d'Arucha n’ont pas été respectés. L'avion du président a été abattu. Les violences se sont déchaînées. C’est à ce moment-là que nous sommes intervenus pour évacuer en deux jours plus de 2 000 personnes dont 600 ressortissants français. Même si elle n’est plus présente au Rwanda, la France reste mobilisée avec la volonté de faciliter le dialogue et d'obtenir un cessez-le-feu. Je me suis rendu à Bruxelles où j'ai rencontré mes homologues ministres de la Coopération européens afin que nous prenions ensemble une décision, il y a quinze jours.
Q - Et pourtant, devant la poursuite des massacres, on a le sentiment que la France est aujourd'hui «hors jeu» au Rwanda. Sentiment confirmé par les déclarations, jeudi, d'un porte-parole du FPR s'opposant à une participation française à la MINUAR. Cela parce que, toujours selon le FPR, la France aurait fourni des armes à l'armée gouvernementale.
M. R. - Je coupe les ailes de ce canard : par où pourrions-nous fournir des armes et par quel moyen ? Cela serait en totale contradiction avec la politique africaine du gouvernement. Selon les gens du FPR — qui sont d’ailleurs prudents dans leurs dernières déclarations — des armes transiteraient par la petite ville frontière de Goma au Zaïre. C’est méconnaître nos relations avec ce dernier pays que tous les spécialistes de politique africaine connaissent bien. Si l'on connaît un peu la situation tactique sur le terrain, on sait bien qu'il est impossible d'avoir par cette zore-là le moindre contact avec les forces armées du gouvernement rwandais. C’est une manipulation et une désinformation : ces affirmations ne tiennent pas la route, ni politiquement, ni techniquement.
Q - Ne vous apparaît-il pas tout de même génant que le FPR mette la France au ban de la MINUAR ?
M. R. - Nous n’avons jamais été dans la MINUAR. Le FPR nous exclut parce qu’il estime que nous avons soutenu le président Habyarimana, avec lequel il était tout de même allé à Arucha et avec lequel il avait signé. Nous avons eu des relations avec le président Habyarimana parce qu’il était à la tête d’un gouvernement légitime et reconnu par le monde entier. Si vous dites que la France est au ban de la MINUAR, moi je pose la question : quand les dirigeants africains vont-ils se prononcer ? Si l’on excepte le président du Sénégal Abdou Diouf, la communauté africaine ne s’est pas encore rassemblée pour condamner ce génocide.
Nous sommes présents dans les pays limitrophes du Rwanda pour faire de l’humanitaire et c’est nous qui, dans ce domaine-là, sommes les plus engagés pour l’aide aux réfugiés. Bien sûr, il s’agit du plus grand drame de la fin du siècle. Mais face à cela, nous sommes très présents, avec les moyens dont nous disposons : le ministre de la Santé est allé sur place, les ONG travaillent. Nous continuons nos efforts par le biais d’un pont aérien acheminant vivres et médicaments vers les camps de réfugiés : 200 000 en Tanzanie, 75 000 au Burundi, d'autres au Zaïre. Je n'accepte pas que l’on montre la France du doigt dans cette affaire. Le FPR réfute la présence de la France ? C’est parfait, si dans le même temps s'organise véritablement une deuxième conférence d'Arucha. Ce que nous avons dit, c’est qu’il faut se remettre autour d’une table de négociation, rester dans le cadre d'Arucha, quitte à modifier quelque peu les choses. Nous avons toujours préconisé que ce soit la communauté africaine qui soit associée au règlement du problème. Notre gouvernement n’a cessé de dire que les affaires africaines doivent être traitées par les Africains.
Q - Comment expliquez-vous le silence de la communauté africaine que vous évoquiez ?
M. R. - J'ai demandé hier au Premier ministre rwandais désigné qui est venu me voir : ``et vos frères, que disent-ils, comment s’organisent-ils au niveau régional ?'' Une proposition de réunion, formulée il y a un peu plus qu’une semaine, a été récusée. On ne voit pas les Africains se mobiliser. Je m’attendais pourtant à ce qu’il y ait sur cette affaire une véritable prise de conscience et un grand concours de démarches. Au moins pour amener les belligérants à signer un cessez-le-feu ; pour arrêter le massacre, un instant, pour permettre de faire arriver l’aide au Rwanda, pour soigner les blessés au Rwanda. Nous nous sommes engagés en périphérie, mais que pouvons-nous faire au Rwanda, en pleine guerre ? Et alors que le FPR fait cette stupéfiante déclaration : si les Français équipent la partie africaine francophone du contingent des Nations unies, nous voulons savoir si ces armes ne sont pas dangereuses pour le peuple rwandais! Pour notre part, nous avons aidé le peuple rwandais dans son ensemble. La République française n’a jamais traité avec telle partie du pays plutôt que telle autre.
M Propos recueillis
par Paul CAMBON
et Alain BARLUET