Fiche du document numéro 32143

Num
32143
Date
Mercredi 8 juillet 1998
Amj
Auteur
Taille
0
Titre
Audition de M. Henri Rethoré, ambassadeur au Zaïre (20 juin 1989-8 décembre 1992)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Henri RETHORÉ
Ambassadeur au Zaïre (20 juin 1989-8 décembre 1992)
(séance du 8 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Henri Rethoré,
Ambassadeur au Zaïre du 20 juin 1989 au 8 décembre 1992. Il a expliqué
que la mission d’information sur le Rwanda souhaitait entendre les
responsables diplomatiques en poste dans les pays voisins du Rwanda de
1990 à 1994, même si l’incidence des événements rwandais n’avait peut-être
pas été la plus forte au Zaïre.
M. Henri Rethoré a d’abord souligné qu’il était un témoin
lointain des événements qui faisaient l’objet des travaux de la mission
d’information : lointain dans le temps, puisqu’il avait cessé ses fonctions au
Zaïre en décembre 1992, alors que l’on n’en était encore qu’aux prémices du
drame rwandais de 1994 ; lointain dans l’espace, Kinshasa étant, d’une part,
séparée de Kigali par près de 2 000 kilomètres et par une immense forêt, et,
d’autre part, située dans un environnement physique, humain, culturel et
économique extrêmement différent ; lointain, enfin, en raison du contexte
dans lequel il avait travaillé comme ambassadeur.
Il a rappelé à cet égard qu’il avait, tout au long de son séjour à
Kinshasa, vécu la décomposition du Zaïre : la fin du monde bipolaire, la fin
du soutien des occidentaux au régime en place dans ce pays, les tactiques
catastrophiques du Maréchal Mobutu pour garder le pouvoir, son repli à
Gbadolite -sa résidence personnelle à 1 000 kilomètres de la capitale-, le
poids croissant de son entourage clanique, son effacement progressif de la
scène internationale et sa perte de crédibilité en Afrique. M .Henri Rethoré a
également rappelé que c’était dans cette débâcle qu’avait été assassiné, par la
garde présidentielle, en janvier 1993, l’Ambassadeur de France au Zaïre,
M. Philippe Bernard.
M. Henri Rethoré a fait observer qu’à cette époque et vu de
Kinshasa, le Rwanda, dont on savait les problèmes ethniques et politiques, et
dont on pensait bien qu’il connaîtrait un jour de nouvelles flambées de
violence, apparaissait comme un exemple de développement, contrairement
au Zaïre où tout était en ruine. Le Rwanda était ce que n’était pas le Zaïre :
le pays des routes parfaites, des champs cultivés, de l’électricité et même du
téléphone. Il a mentionné, à ce propos, le fait que lorsqu’il était à Goma, au
Kivu il fallait aller de l’autre côté de la frontière, au Rwanda, à Gisenyi, pour
téléphoner. Quant à l’image du Président Habyarimana, elle était plutôt
bonne. Il a ajouté à ce sujet que ses collègues étrangers en poste à Kinshasa,
revenaient toujours très impressionnés de leurs missions périodiques au
Rwanda, pays dans lequel, à cette époque, comme ailleurs en Afrique, le
processus de démocratisation semblait engagé, même si chacun était
conscient qu’il y avait fort à faire en matière de respect des droits de
l’homme, quoique, là encore, la comparaison entre le Rwanda et le Zaïre
paraissait, à tort ou à raison, accablante pour ce dernier.
M. Henri Rethoré a évoqué les activités agressives du FPR, au
sujet desquelles il avait eu des conversations avec son collègue rwandais, à
Kinshasa, avec certains conseillers du Maréchal Mobutu ainsi qu’avec les
représentants des institutions internationales, expliquant que les uns, dont il
était lui-même, considéraient l’attaque d’octobre 1990 comme une agression
à l’égard du Rwanda, tandis que les autres y voyaient le geste désespéré de
jeunes gens auxquels le régime du Président Habyarimana refusait le retour
dans leur pays. M. Henri Rethoré a précisé que les représentants des
organisations internationales, notamment, voyaient dans la position du
régime rwandais une attitude anti-Tutsi et anti-anglophone, mais que dans
ces années-là et jusqu’en 1992, on croyait encore possible une réconciliation
entre Rwandais, grâce à des changements institutionnels.
M. Henri Rethoré a expliqué que le Rwanda, le Burundi et
l’Ouganda ne pesaient pas de façon prioritaire dans les préoccupations d’un
diplomate en poste à Kinshasa. Il a précisé qu’il n’était informé que
succinctement de la politique française à l’égard du Rwanda et que les
télégrammes échangés entre Paris et Kigali n’étaient pas systématiquement
communiqués à Kinshasa, pas plus que les notes et synthèses de la direction
des affaires africaines et malgaches relatives à la crise rwandaise.
Il a déclaré avoir néanmoins eu à connaître de l’affaire rwandaise
entre 1990 et 1992, plus ou moins directement, dans différentes occasions.
La première occasion survint en octobre 1990, lors de l’attaque du
FPR. A la requête du Président Habyarimana, le Président Mobutu avait
envoyé au Rwanda un corps d’environ 2 000 hommes, composé d’éléments
de la division spéciale présidentielle, d’un bataillon de la 31ème brigade
parachutiste et du service d’action et de renseignements militaires. En appui
aux FAR, cette troupe progressa jusqu’à Gabiro, au nord du Rwanda, où elle
perdit un homme et eut plusieurs blessés. Sur ordre du Maréchal, selon les
uns, à la demande du Président Habyarimana, selon les autres, elle rentra au
Zaïre après quinze jours, non sans d’être livrée à quelques pillages,
notamment celui de l’hôtel de Gabiro.
La deuxième occasion intervint en juillet 1991. M .Henri Rethoré a
expliqué qu’il avait participé, à cette date, à Kigali, à une conférence
régionale d’ambassadeurs, organisée par le directeur des affaires africaines et
malgaches, à l’époque M. Paul Dijoud. Celui-ci avait alors présenté,
s’agissant du Rwanda, point majeur de l’ordre du jour, la ligne politique
française : rétablissement par le dialogue des rapports entre l’Ouganda et le
Rwanda grâce à la relance de la diplomatie française dans la région ;
réouverture de la route Kigali-Kampala, axe majeur entre le Rwanda, le
Burundi, le Zaïre et le port de Mombasa au Kenya, que l’on appelait le
corridor et qui avait une extrême importance sur le plan économique ;
réaffirmation, à l’attention des dirigeants rwandais, d’un lien fort entre l’aide
française et le processus de démocratisation. M. Henri Rethoré a ajouté que
les problèmes démographiques et fonciers avaient également été abordés,
compte tenu de leur importance pour le Rwanda, de même que la question de
la nécessaire suppression des mentions d’appartenance ethnique sur les cartes
d’identité. En marge de la réunion, M .Paul Dijoud avait eu des contacts avec
les différents partis politiques rwandais qui venaient d’être autorisés et avec
les autorités en place. M. Henri Rethoré a précisé qu’il avait été reçu à cette
occasion, avec M. Paul Dijoud, par le Président Habyarimana et son épouse,
et qu’à l’issue de cette réunion, le Ministre des Affaires étrangères rwandais
était parti, à bord d’un avion personnel, vers Gbadolite, sans doute pour
« rendre compte » au maréchal Mobutu. M. Henri Rethoré a fait observer
que, à l’aller, comme au retour, il avait fait le trajet par la route entre Goma
et Kigali, en longeant la frontière nord du Rwanda, et que, si l’on voyait
beaucoup de militaires, le pays paraissait alors calme et étonnamment civilisé
par rapport au Zaïre.
M. Henri Rethoré a indiqué qu’il avait également eu à connaître de
la question rwandaise lors de ses visites au Kivu, durant lesquelles il avait
rencontré à Goma des personnes d’origine rwandaise qui y étaient installées
depuis des générations, les Banyamulenge. Ces personnes avaient été
transférées par les Belges, au moment de la colonisation, pour peupler le
Kivu ou bien s’étaient réfugiées au Kivu au début des années soixante et en
1973. M. Henri Rethoré a expliqué que ces Rwandais se montraient très
inquiets de l’attitude du gouvernement zaïrois qui manifestait la plus
mauvaise volonté à leur reconnaître la nationalité zaïroise. Une loi de 1972
avait accordé cette nationalité à tous les Rwandais installés au Zaïre avant
1950, mais elle avait été abrogée dans les années quatre-vingts sous la
pression des populations autochtones et de leurs représentants.
Dans la perspective d’élections au Zaïre, comme le prévoyait la
démocratisation annoncée par le Président Mobutu en 1990, une procédure
d’identification avait été décidée. Cette procédure traînait du fait de son
rejet, non seulement par l’opinion locale, qui ne tenait pas du tout à voir tous
ces Tutsis confirmés comme zaïrois, mais également par le Président de
l’Assemblée nationale, aujourd’hui réfugié en Tanzanie et qui avait mené un
combat farouche contre les Banyamulenge. M. Henri Rethoré a ajouté que,
dans la pratique, ceux qui étaient chargés de la mise en oeuvre de cette
procédure d’identification rançonnaient ceux qui demandaient à être
identifiés comme zaïrois. Il a précisé qu’il était évident, à cette époque, que
le climat se détériorait au Kivu entre la population autochtone et les
étrangers d’origine rwandaise, présents depuis des générations, le plus
souvent Tutsis, actifs, entreprenants, plus riches que la moyenne et qui
finançaient à la fois les autorités zaïroises et le FPR. Déjà, dans le nord du
Kivu, plus ou moins bien contrôlé par l’armée zaïroise, les incursions du FPR
étaient fréquentes et impunies. Il fut même dit, à cette époque, qu’il y avait
des camps d’entraînement du FPR dans le nord du Kivu. La situation était
aussi confuse dans la partie du Haut-Zaïre, située aux confins du Soudan.
M. Henri Rethoré a déclaré qu’à l’occasion d’un tête à tête avec le
Président Mobutu en 1991, il lui avait fait part de ses inquiétudes s’agissant
du Kivu, mais que ce dernier avait tenu des propos rassurants sur ses
intentions, affirmant qu’il comprenait parfaitement le désir des populations
d’origine rwandaise d’être stabilisées et reconnues comme zaïroises dès lors
qu’elles travaillaient au Zaïre. Il avait, en outre, affirmé à M H. enri Rethoré
que l’identification serait menée à bien, toujours dans la perspective des
élections à venir. M. Henri Rethoré a indiqué à cet égard qu’en 1986, les
élections législatives n’avaient pas pu être organisées dans le Kivu, parce que
l’on ne savait pas distinguer les étrangers des populations locales.
Il a toutefois fait observer que, comme toujours, le Président
Mobutu n’avait pas su s’abstraire du réseau d’influence qui l’enserrait de plus
en plus et que, inquiet à l’égard de toute perspective de changement, peutêtre
déjà malade, ayant perdu une bonne partie de son autorité, il avait oublié
ses projets et choisi l’immobilisme. M .Henri Rethoré a cependant insisté sur
le fait que le Président Mobutu n’éprouvait aucune hostilité personnelle à
l’égard des Tutsis, qu’il avait d’ailleurs eu, comme directeur de cabinet, un
Tutsi de grande valeur, M. Barthélémy Bisengimana, mort de maladie en
1992, et qu’en fait, le Maréchal avait un mauvais souvenir des autochtones
du Kivu qui avaient soutenu, à l’époque des rébellions de 1965, son
adversaire Mulélé.
M. Henri Rethoré a expliqué que le Maréchal Mobutu avait
néanmoins tenté d’apporter son concours au Président Habyarimana, en
raison, tout d’abord, des liens personnels très forts qui les unissaient, ensuite
parce que l’intégrité du territoire zaïrois, qui était la préoccupation de sa vie
et le succès de son action depuis 1965, était menacée, et, enfin, en vue de
sauvegarder son pouvoir personnel.
Il a ajouté qu’étant le doyen des Chefs d’Etat de la région et le
chef du deuxième Etat francophone du monde, comme il le disait, le
Président Mobutu avait toujours voulu jouer un rôle sur la scène
internationale, qu’à cette époque où son pouvoir s’effritait, c’était, avec la
défense, le seul domaine réservé que lui reconnaissaient les institutions de la
transition démocratique, préparée notamment par la conférence nationale.
C’est dans cette perspective que s’inscrivait, en 1990, dans le cadre de la
Communauté économique des Grands Lacs (CEPGL), la création d’une
commission chargée de superviser le retour des réfugiés au Rwanda. En
octobre 1990, aussitôt après l’attaque du FPR, une réunion avait été
organisée entre les Chefs d’Etat de la CEPGL. Le Président Mobutu avait été
chargé d’une médiation, qui était déjà un peu entachée par le fait qu’il avait
envoyé un corps expéditionnaire aux côtés des troupes du Président
Habyarimana, ce qui le rendait suspect aux yeux du FPR et de la partie
ougandaise. En mars 1991, cette médiation avait abouti à N’sele, dans la
banlieue de Kinshasa, à la signature d’un accord de cessez-le-feu et à la
décision de déployer un groupe d’observateurs neutres africains sous l’égide
de l’OUA, décision qui ne fut pas suivie d’effet. En septembre 1991, au
sommet de Gbadolite, les négociations se poursuivirent, en prélude aux
réunions d’Arusha. La médiation du Maréchal Mobutu n’était cependant pas
allée jusqu’à son terme et celui-ci avait alors cessé de jouer un rôle actif, ce
qui témoignait de l’effacement du Zaïre confronté à des problèmes intérieurs
majeurs sur lesquels se fixa l’attention des représentants français, américains
et belges à Kinshasa.
M. Henri Rethoré a estimé qu’un Zaïre fort aurait pu donner un
autre tour aux événements de 1994, mais que son effondrement, prévisible et
inéluctable eu égard au système de gouvernement du Président Mobutu, avait
été et restait dramatique pour la région des Grands Lacs. Citant pour
conclure une phrase de Tocqueville qu’il avait mise en exergue dans son
rapport de fin de mission en 1992 : « Il n’y a qu’un grand génie qui puisse
sauver un prince qui entreprend de soulager ses sujets après une oppression
longue », M. Henri Rethoré a jugé que, six ans plus tard, après ce qui s’était
passé au Rwanda et au Zaïre, on appréciait singulièrement la pertinence de
cette citation s’agissant des deux Chefs d’Etat zaïrois et rwandais de
l’époque.
Le Président Paul Quilès a fait observer que le témoignage de
M. Henri Rethoré recoupait celui des anciens ambassadeurs français en
Ouganda, concernant notamment l’attitude des autorités politiques des pays
limitrophes du Rwanda à l’égard des réfugiés. Il a noté que ces communautés
déplacées, constituées en général de personnes actives, entreprenantes et
disposant de moyens supérieurs à ceux de la majorité de la population locale,
avaient, de ce fait, été rapidement rejetées par celle-ci. Le Président Paul
Quilès a alors souhaité que M. Henri Rethoré précise son analyse de la
communauté tutsie, en présentant notamment son organisation, ses rapports
avec le FPR et sa volonté de revenir au Rwanda, sans doute exacerbée par le
rejet dont elle était l’objet.
M. Bernard Cazeneuve a posé une question complémentaire
relative à l’existence éventuelle, parmi ces réfugiés, d’une élite susceptible de
dispenser un enseignement politique concernant l’avenir de leur nation et de
leur communauté.
M. Henri Rethoré a rappelé qu’il y avait eu plusieurs vagues
d’entrée de Tutsis au Zaïre et indiqué que ceux qui étaient au Zaïre de longue
date n’avaient qu’une ambition, celle de devenir Zaïrois. Ces réfugiés
vivaient en effet fort bien au Zaïre où ils possédaient des plantations, des
élevages, des boucheries, des abattoirs, et étaient bien intégrés. Cette
première vague de réfugiés s’était d’ailleurs si bien insérée dans la société
zaïroise que l’un de ses représentants,M. Barthélémy Bisengimana, avait été
directeur de cabinet du Président de la République pendant des années. Il
s’agissait de personnes actives qui savaient parfaitement qu’elles ne
retrouveraient pas au Rwanda la situation florissante qui était la leur dans le
nord du Kivu.
M. Henri Rethoré a fait observer que le gouvernement zaïrois
n’était cependant pas capable, à ce moment-là, alors qu’il n’était pourtant pas
encore submergé par des vagues de réfugiés, de les assimiler et de les
considérer comme Zaïrois. Il a alors évoqué les reproches qui avaient été
faits au Premier Ministre M. Kengo Wa Dondo qu’on accusait d’être issu
d’une mère étrangère -elle était rwandaise- et de nationalité « douteuse ».
Quant aux réfugiés arrivés plus récemment au Zaïre, M .Henri
Rethoré a indiqué qu’ils connaissaient de grandes difficultés économiques et
désiraient, sans aucun doute, rentrer chez eux, au Rwanda, mais qu’ils y
étaient également rejetés.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir comment les Tutsis
installés depuis longtemps au Zaïre percevaient ces nouveaux venus.
M. Henri Rethoré a répondu qu’à sa connaissance, il n’y avait
aucun problème entre les Tutsis anciennement installés et les nouveaux
arrivants et que la solidarité jouait entre eux, avec, comme objectif commun,
l’idée qu’il fallait devenir zaïrois.
Au Président Paul Quilès qui lui demandait à combien de
personnes pouvait être évalué le nombre de réfugiés, M. Henri Rethoré a
indiqué, sans pouvoir donner un chiffre précis, qu’ils étaient très
certainement plusieurs milliers, mais qu’ils n’étaient pas organisés en tant que
communauté tutsie au Zaïre -le Maréchal aurait, de toute façon, veillé à
l’empêcher-, qu’ils n’avaient aucune activité politique en tant que Tutsis,
mais cotisaient fortement, notamment au FPR qui devait venir les taxer
sachant qu’ils avaient de l’argent.
M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur les motifs qui
conduisaient ces Tutsis à cotiser au FPR, alors qu’ils étaient intégrés dans la
vie économique zaïroise.
M. Henri Rethoré a estimé qu’ils acceptaient d’être rackettés, ne
sachant pas quel serait leur avenir et préférant donc prendre des garanties. Il
a ajouté que ces personnes, allant très souvent à Kigali et n’étant pas du tout
coupées du Rwanda, savaient ce qui s’y préparait et préféraient ménager
l’avenir.
M. Pierre Brana a demandé à M. Henri Rethoré si ce n’était pas
également par solidarité avec ces réfugiés en situation précaire que ceux qui
étaient intégrés dans la vie zaïroise cotisaient au FPR de façon volontaire,
afin de leur garantir le droit de revenir, un jour, au Rwanda, s’ils le
souhaitaient.
M. Henri Rethoré a exprimé son accord avec ce raisonnement. Si
d’un côté, les Tutsis du Kivu sentaient que la situation y était très instable et
constataient une grande agressivité des populations locales à leur encontre, il
existait également une solidarité tutsie et un sentiment de fierté très puissant
au sein des Tutsis.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité connaître la nature de leurs
activités commerciales.
M. Henri Rethoré a répondu qu’ils étaient présents dans tous les
domaines -l’essence, le pétrole, les commerces d’huile et d’alimentation- et
qu’en outre, ils exerçaient des activités locales très appréciées, telles que
l’exploitation des grandes plantations, des élevages et des abattoirs, toutes
ces activités ayant été réduites à néant lorsque le désordre s’était installé dans
la région.
M. Jean-Louis Bernard a voulu savoir sur quels éléments
reposait l’intime conviction de M. Henri Rethoré que les réfugiés tutsis
versaient leur obole au FPR.
M. Henri Rethoré a indiqué que cette information faisait partie
des renseignements dont disposait l’ambassade, même si elle n’en avait pas la
preuve formelle. Toutes les informations dont elle disposait se recoupaient
cependant et montraient également que des membres du FPR venaient
s’entraîner dans le nord du Kivu et commençaient à s’y installer.
Le Président Paul Quilès a demandé à M. Henri Rethoré
comment il expliquait qu’en mars 1991, lors de la réunion qui avait donné
lieu aux accords de N’sele, le Maréchal Mobutu avait amené avec lui une
délégation du FPR conduite par MM. Bizimungu et Kagame. Il a également
voulu connaître l’état des rapports entre le Président Mobutu et le FPR.
S’agissant de la première question, M. Henri Rethoré a estimé ce
geste effectivement très surprenant sachant que le Maréchal s’était rangé du
côté du Président Habyarimana dès l’agression du FPR. Le fait est cependant
que le Maréchal Mobutu avait réussi à convaincre ces deux personnalités de
venir à N’sele.
Quant aux rapports entre le Maréchal Mobutu, alors triomphant,
et le FPR, M. Henri Rethoré a fait observer qu’il n’y avait entre eux aucune
espèce de familiarité. Il a ajouté que le Maréchal Mobutu voulait jouer le rôle
de grand médiateur de la région et qu’il s’était ensuite vanté d’avoir réussi à
faire venir ces personnes, de la même manière qu’il s’était vanté, en 1989
d’avoir réuni MM. Dos Santos et Savimbi à Gbadolite, tout en regrettant que
ces rencontres n’aient pas produit davantage de résultats.
M. Bernard Cazeneuve, évoquant les bonnes relations entre le
Maréchal Mobutu et le Président Habyarimana, dont M. Henri Rethoré avait
fait état, s’est demandé quel était, au-delà des tempéraments, le substrat
philosophique de cette connivence politique.
M. Henri Rethoré a déclaré qu’il n’était pas aisé de saisir les
ressorts de cette amitié, notant toutefois que les deux hommes étaient tous
les deux des militaires, des Chefs d’Etat et qu’ils travaillaient dans la cadre de
la Communauté des Grands Lacs. Il a ajouté que le Maréchal Mobutu
considérait le Président Habyarimana comme son jeune frère et qu’il avait
probablement le sentiment qu’il avait besoin de ses conseils.
A M. Bernard Cazeneuve qui lui demandait s’il n’y avait pas,
dans cette amitié, une certaine condescendance de la part du Président
Mobutu, M. Henri Rethoré a répondu que ce dernier était le doyen et
qu’ayant de grandes difficultés avec le Kenya et l’Ouganda, il avait tendance
à rallier autour de sa personne les dirigeants francophones.
M. Bernard Cazeneuve s’est alors interrogé sur la vision qu’avait
le Maréchal Mobutu de la personnalité et des vues politiques du Président
Museveni.
M. Henri Rethoré a déclaré que le Président Mobutu s’en méfiait
énormément, ayant, peut-on supposer, conscience qu’il pouvait jouer un rôle
important dans la région. En outre, le Président Museveni étant anglophone
et le Maréchal ne parlant pas un mot d’anglais, ils n’avaient aucun contact.
M. Henri Rethoré a ajouté que le Maréchal Mobutu avait été très agacé
lorsque le Président Museveni, invité à Paris, en 1989 pour le bicentenaire de
la Révolution, avait été reçu avec les honneurs et considéré comme un plus
grand démocrate que lui.
M. Bernard Cazeneuve s’étant demandé, avec étonnement, si le
Maréchal Mobutu avait le sentiment d’être un grand démocrate,M. Henri
Rethoré a répondu par l’affirmative et indiqué qu’il affirmait avoir décidé
lui-même le processus de démocratisation, en 1990, avant le discours de La
Baule. Il a ajouté qu’aux yeux du Président zaïrois, le Président Museveni,
comme d’ailleurs tous les dirigeants anglophones, n’était pas un démocrate,
puisqu’il s’en tenait à un parti unique. C’est pourquoi il avait été meurtri que
le Président Museveni soit mieux reçu en France que lui, Maréchal Mobutu,
qui avait tant fait pour essayer de développer la démocratie dans son pays.
M. Antoine Carré, évoquant les propos de M. Henri Rethoré
selon lesquels, dans ces années-là, on croyait encore possible une
réconciliation entre Hutus et Tutsis, s’est demandé s’il s’agissait d’une
analyse politique des Chefs d’Etat de la région ou d’une analyse des milieux
étrangers et quels étaient ceux qui partageaient ce point de vue.
M. Henri Rethoré a rappelé le contexte de démocratisation qui
avait suivi le discours de La Baule, faisant observer qu’on pensait alors que
les problèmes des pays africains allaient être réglés grâce au multipartisme et
à l’introduction des différentes tendances politiques dans les instances
dirigeantes de l’Etat. Il a précisé que telle était, en tout cas, la vision des
diplomates étrangers en poste à Kinshasa. Quant à savoir si le Président
Mobutu pensait vraiment qu’une réconciliation fût possible, il a déclaré n’en
être pas certain.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024