Fiche du document numéro 32142

Num
32142
Date
Mardi 7 juillet 1998
Amj
Auteur
Taille
2620348
Titre
Audition de M. Herman Cohen, conseiller pour les Affaires africaines du Secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères (avril 1989-avril 1993)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Herman COHEN
Conseiller pour les Affaires africaines du Secrétaire d’Etat américain
aux Affaires étrangères (avril 1989-avril 1993)
(séance du 7 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Herman Cohen, soussecrétaire
d'Etat pour les Affaires africaines du gouvernement américain entre
avril 1989 et avril 1993. Il a précisé que M. Herman Cohen avait participé, à
plusieurs reprises, en tant qu'observateur, aux négociations entre les
représentants du gouvernement rwandais et ceux du FPR.
M. Herman Cohen a souligné tout d’abord que la France n'était
pas le seul gouvernement à avoir soutenu le président Habyarimana qui a
reçu en son temps l’appui des Etats-Unis, de l'Allemagne, des Nations unies,
de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international. Tous considéraient
le gouvernement du Rwanda comme légitime et méritant une aide. A
Washington, l’Agence pour le développement international (USAID)
notamment était très satisfaite du Rwanda, en raison du succès de son
programme d'ajustement structurel.
M. Herman Cohen a affirmé que l'invasion du 1er octobre 1990
avait surpris les Etats-Unis qui n’en avaient pas été avertis, malgré leurs
excellentes relations bilatérales et leur programme de coopération militaire
avec l'Ouganda, et le fait que M. Kagame ait étudié dans une école militaire
américaine. M. Herman Cohen a déclaré qu’il avait reproché à l’époque à
l’ambassade américaine à Kampala et aux services de renseignements de ne
pas avoir été à même de prévoir cette attaque.
M. Herman Cohen a relaté que, le 1er octobre 1990, il était à New
York, avec le président Bush et le secrétaire d’Etat Baker, pour une
réception offerte aux chefs d'Etat africains qui participaient au sommet de
l'Enfant. A l’annonce de l’attaque du FPR, les présidents Habyarimana et
Museveni qui étaient présents se sont retirés pour en discuter, le président
Museveni affirmant qu'il n'était au courant de rien.
Les Etats-Unis n’avaient pas lieu d’être satisfaits de cette invasion.
Le FPR n'était pas accueilli à bras ouverts par la population rwandaise, ce qui
mettait à bas la thèse d’une armée de libération. Cette attaque était même
critiquée par certains Tutsis qui disaient que, si le FPR gagnait la guerre, les
Tutsis rwandais en feraient les frais et qu’ils seraient tous tués. La première
conséquence de cette invasion a d’abord été une catastrophe humanitaire qui
a jeté sur les routes 250 000 réfugiés. L’invasion, qui survenait en outre à la
fin du programme d'ajustement structurel, contraignait le Rwanda à accroître
ses dépenses budgétaires pour acheter des armes et pour augmenter les
effectifs de l’armée, qui passaient de 5 000 à 50 000 hommes. Il n’est donc
pas étonnant que les Etats-Unis se soient réjouis de l’arrivée des soldats
français. Cette intervention permettait de stabiliser le front, d’atténuer la
catastrophe humanitaire et d’ouvrir un espace pour les négociations.
Entre octobre 1990 et avril 1992, la politique des Etats-Unis a été
volontairement peu active au Rwanda. Il faut rappeler qu’ils étaient alors très
occupés par leur rôle de médiateur en Angola, au Mozambique, au Soudan et
en Éthiopie. Le Rwanda était moins prioritaire. La France et la Belgique y
étaient en revanche présentes et l’OUA avait décidé de prendre en mains les
négociations.
M. Herman Cohen a relaté qu’il s’était rendu à Kampala le 8 et
9 mai 1992 pour y rencontrer le président Museveni. L’ambassadeur
américain au Rwanda estimait alors que les Etats-Unis pouvaient faciliter les
négociations. M. Herman Cohen a donc demandé au président Museveni de
faire pression sur le FPR pour qu’il accepte de négocier de bonne foi. Le
président Museveni a donné son accord, à la condition que l’on fasse
également pression sur le président Habyarimana car il estimait que l’origine
du conflit était rwandaise et non ougandaise. Lors de son séjour au Rwanda
les 10 et 11 mai, M. Herman Cohen a déclaré avoir découvert que l'ancien
système de parti unique avait disparu, remplacé par un système multipartite,
à l’occasion notamment d’une grande manifestation organisée en son
honneur, par l’opposition, dans les rues de Kigali. Il a rencontré le
président Habyarimana qui lui a fait observer que le problème était, pour lui,
d’abord ougandais et non rwandais.
M. Herman Cohen a relaté qu’il avait passé beaucoup de temps avec
le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères rwandais qui étaient
des responsables de l'opposition. Il a été étonné de constater qu'eux aussi
étaient opposés à la perspective de négociations avec le FPR car ils en
avaient peur. M. Herman Cohen a dû les persuader d’accepter ces
négociations. Finalement, le ministre des Affaires étrangères rwandais s’est
rendu dans cet esprit à Kampala le 24 mai.
Le 6 juin 1992, les discussions préliminaires ont commencé à Paris.
Le samedi 20 juin, une réunion s’est tenue dans cette ville entre M .Dijoud,
directeur des Affaires africaines et malgaches, M .Ssemogerere, ministre des
Affaires étrangères de l’Ouganda et M. Herman Cohen. Cette réunion avait
été suscitée par M. Dijoud qui avait demandé à M. Herman Cohen de
l’appuyer auprès du ministre ougandais afin que ce dernier obtienne du FPR
qu’il renonce aux conditions inadmissibles qu’il avait posées en préalable à
toute négociation, notamment la démission du gouvernement Habyarimana.
Au cours de cet entretien, M. Ssemogerere s’est défendu de toute aide au
FPR mais M. Herman Cohen lui a précisé que les Etats-Unis dépensaient des
millions de dollars en aide humanitaire au Rwanda et que si cette situation se
prolongeait, ils seraient obligés de réduire, par mesure d’économie, leur
contribution en faveur de l’Ouganda. M. Ssemogerere en a pris acte et est
rentré à Kampala. Le 12 juillet suivant, les négociations d'Arusha
commençaient. Indéniablement, c’était le résultat des pressions conjointes de
la France et des Etats-Unis sur les gouvernements rwandais et ougandais.
Les Etats-Unis avaient envoyé un observateur aux négociations
d’Arusha, l'ambassadeur David Rawson. Ses instructions étaient
d'encourager les discussions susceptibles de conduire à un système
démocratique au Rwanda. L'OUA a joué un grand rôle dans les négociations,
en particulier le ministre des Affaires étrangères de la Tanzanie.
M. Herman Cohen a indiqué qu’il n’avait pas personnellement suivi
les négociations d'Arusha de très près. Mais fin 1992 et début 1993, il a
commencé à recevoir des signaux indiquant que la situation évoluait de
manière défavorable. La CIA a fait une analyse, fin 1992, selon laquelle, il
serait impossible d'appliquer les accords. A Arusha, un siège restait vide,
celui du président Habyarimana qui n'était pas présent. Le ministre des
Affaires étrangères du Rwanda négociait de fait sans l'appui du
président Habyarimana et il semblait impossible d’envisager la mise en
oeuvre d’accords obtenus dans ces conditions.
M. Herman Cohen s’est déclaré avoir été un peu choqué de
constater que les accords d’Arusha attribuaient au FPR 50 % des officiers et
40 % des effectifs de l’armée, et qu’il permettaient à six cents de ses soldats
de stationner au Rwanda pendant la période de transition. Il s’est souvenu
avoir dit que cette concession provoquerait des réactions hystériques parmi
la population hutue. Il était donc très pessimiste lorsqu’il a quitté ses
fonctions en avril 1993. M. Herman Cohen a, au reste, souligné le rôle positif
qu’avait joué la France tant par la présence de ses soldats que par son action
diplomatique.
M. Herman Cohen a déclaré qu’après le déclenchement du
génocide, il avait été très fâché de l’attitude du gouvernement des Etats-Unis
qui avait empêché une intervention de l'ONU. Il l’a même écrit dans un
article paru dans le Washington Post du 4 juin. Il a estimé que l’opération
Turquoise avait été le seul effort entrepris pour sauver la vie des Tutsis et il a
chiffré entre 20.000 ou 40.000 le nombre de Tutsis ainsi épargnés grâce à la
France.
Le Président Paul Quilès a demandé M. Herman Cohen s’il avait
été informé des rencontres entre des représentants du FPR et du
gouvernement rwandais, organisées à Paris entre octobre 1991 et janvier
1992.
M. Herman Cohen a répondu qu’il en était tenu informé par
l’ambassade des Etats-Unis à Paris, même s’il n’avait pas beaucoup de
détails.
Le Président Paul Quilès a interrogé M. Herman Cohen sur la
politique africaine des Etats-Unis dans la région des Grands Lacs et s’il était
vrai qu’ils considéraient l’Ouganda et le président Museveni comme un point
d’appui contre toute tentative de déstabilisation de la région en provenance
notamment du Soudan.
M. Herman Cohen a confirmé que les Etats-Unis étaient très
favorables à l'Ouganda et au président Museveni pour plusieurs raisons. Ce
dernier était considéré comme une personnalité nouvelle aux idées modernes,
qui cherchait à bâtir une économie de marché. Il est vrai que les Etats-Unis
craignaient une déstabilisation en provenance du Soudan mais ils ont toujours
refusé, du moins lorsque M. Herman Cohen était aux affaires, de vendre des
armes à l’Ouganda bien que M. Museveni disait craindre une invasion des
forces soudanaises. Cette crainte paraissait non fondée à M. Herman Cohen
qui faisait observer que la principale menace consistait surtout dans l’appui
que le Soudan accordait aux rebelles de l’Ouganda.
M. Herman Cohen a démenti à ce propos que les Etats-Unis aient
fourni des armes à M. Museveni pour qu’il les partage avec le FPR. Certes,
l'administration Clinton a décidé de fournir des matériels militaires à
l’Ouganda mais il ne s’agissait pas d’armes, mais simplement de camions et
d’uniformes.
Le Président Paul Quilès a demandé si M. Herman Cohen
possédait des informations sur les sources d’approvisionnement en armes et
munitions du FPR.
M. Herman Cohen a précisé qu’elles avaient été prélevées sur les
stocks de l’Ouganda. Les responsables du FPR faisant partie de l'armée
ougandaise, ils avaient accès aux armes qui se trouvaient dans ses stocks.
Des armes ont également été prises à l’armée rwandaise.
M. Pierre Brana a demandé si, au sein de l’ONU, les interventions
des Etats-Unis allaient dans le même sens que celles de la France qui
tendaient à éviter toute solution militaire risquant de déboucher sur des
massacres.
M. Herman Cohen a expliqué que, lorsqu’il était aux affaires,
l'ONU n’était pas encore partie prenante aux discussions qui demeuraient
bilatérales entre l’Ouganda et le Rwanda. Les Etats-Unis ont toujours
soutenu des négociations qui amèneraient une transition démocratique au
Rwanda. Ils encourageaient à l’époque les efforts de l’OUA qui leur semblait
devoir être privilégié par rapport à l’ONU.
M. Pierre Brana a demandé si, avec le recul du temps, M. Herman
Cohen avait le sentiment que M. Museveni s’était servi davantage des Etats-
Unis que les Etats-Unis de lui et s’il en était de même pour M .Habyarimana
avec la France.
M. Herman Cohen a rapporté que le président Museveni pensait,
avec raison, que les Etats-Unis seraient réticents à critiquer publiquement
l'Ouganda pour l’invasion du Rwanda par le FPR. Ce fut sans doute une
erreur de Washington de ne pas demander qu’il soit mis fin à l'invasion et que
les envahisseurs se retirent en Ouganda. Les Etats-Unis ont surtout pensé à
utiliser cette invasion comme un moyen d’encourager des négociations entre
Rwandais pour une transition démocratique.
M. Herman Cohen a estimé que la France avait eu tort d'accorder
trop sa confiance à M. Habyarimana et de dire à l'avance, qu'elle serait à ses
côtés quelle que soit la situation, et quoi qu’il fasse sur le plan militaire et
politique. C'était, au demeurant, la même situation des deux côtés. La France
et les Etats-Unis étaient tous les deux trop gentils avec leur "client" respectif.
M. Pierre Brana a demandé quelle était l'attitude de Mobutu à
l'égard d'Habyarimana et de Museveni et si la déstabilisation du Rwanda a été
la cause de la chute du régime zaïrois.
M. Herman Cohen a déclaré que Mobutu haïssait Museveni. Il le
regardait comme un jeune arriviste moderne tout en sachant que Museveni le
considérait comme un représentant des dictateurs de l’ancien style, et le
détestait en retour. Mobutu, qui était très ami avec Habyarimana était, par
ailleurs, convaincu que l'armée ougandaise appuyait Kabila.
Mobutu croyait, après le déclenchement du génocide, que les Hutus
allaient gagner. Il fondait son jugement sur l’idée qu’il était impossible que
les Tutsis tuent tous les Hutus. Il soutenait les Hutus, également pour des
raisons intérieures, car au Zaïre même il y avait une minorité tutsie qui n'était
pas bien vue par le reste de la population.
M. Pierre Brana a demandé quels étaient les intérêts géopolitiques
des Etats-Unis dans la région des Grands lacs.
M. Herman Cohen a estimé que, si l’on mettait à part le problème
du Soudan, il n'y avait pas de réelle stratégie géopolitique des Etats-Unis
dans cette région, du fait notamment de l’absence de ressources naturelles.
Ils considéraient toutefois l'Ouganda comme un pays ayant de grandes
chances de se développer, avec une bonne politique économique.
M. Pierre Brana a demandé si M. Herman Cohen pensait que les
Etats-Unis avaient tout fait pour retarder le moment où les Nations unies
auraient utilisé le terme de génocide, afin d’échapper à l'obligation
d'intervention.
M. Herman Cohen a répondu par l’affirmative. Après l’épisode
somalien, les Etats-Unis étaient devenus allergiques à toute intervention
militaire de l'ONU dans les pays sous-développés. M. Lake, qui était chargé
de la sécurité nationale à la Maison Blanche, a donné en 1997 une interview
où il reconnaissait n’avoir pas voulu, à l’époque, envoyer au Rwanda des
soldats qui risquaient de subir le même sort qu’en Somalie. Mais il n'était pas
prêt non plus à permettre l’envoi d’une force africaine qui aurait été
disponible et que le Secrétaire général de l’OUA avait promise si on lui avait
fourni la logistique.
Les américains, qui ont longtemps refusé de reconnaître le génocide,
pour échapper aux conséquences juridiques d’une telle reconnaissance, n’ont
pas voulu non plus approuver une action du Conseil de sécurité.
M. Herman Cohen a estimé que la défaite de Mobutu a été d’abord
provoquée par sa propre attitude. Il n'a rien fait, dans les camps, pour séparer
les réfugiés de ceux qui avaient perpétré le génocide. Il a voulu, au contraire,
aider les responsables du génocide à attaquer le Rwanda. De ce fait, le
nouveau gouvernement rwandais a décidé de détruire les camps, alors même
que la communauté internationale ne faisait rien. A cette occasion, le
Rwanda s’est aperçu que l'armée du Zaïre n'était pas une vraie armée, et le
résultat a été l'arrivée de Kabila au pouvoir. L'effet domino a donc joué mais
de manière indirecte.
M. François Loncle a rappelé que M. Roland Dumas s’était plaint
devant la Mission de l’attitude de M. Herman Cohen. Il a demandé si, dans
les moments décisifs, il y avait eu des différences d'appréciation très nettes
entre la France et les Etats-Unis.
M. Herman Cohen s’est déclaré très étonné du sentiment de
M. Roland Dumas étant donné qu’il passait très souvent à Paris où il avait de
nombreux entretiens avec MM. Dijoud, de la Sablière, Jean-
Christophe Mitterrand ou Delaye. Aucune demande d'entretien, à sa
connaissance, ne lui a été adressée par M. Dumas, sinon M. Herman Cohen
aurait considéré comme un honneur de rencontrer le ministre.
M. François Loncle a demandé quelle était la nature exacte de
l’aide américaine au FPR et ce qu’il pensait des thèses selon lesquelles les
Etats-Unis auraient pris une part dans l’attentat du 6 avril 1994.
M. Herman Cohen a affirmé que les Etats-Unis n’apportaient
aucune aide au FPR. Une douzaine d’officiers du FPR avait suivi des cours
aux Etats-Unis, mais c’était dans le cadre de la coopération militaire
américaine avec l'Ouganda. Ils avaient reçu cette formation en tant que
militaires ougandais. Il a souligné par ailleurs que les Etats-Unis avaient
toujours refusé les propositions d’achat d’armes du Président Museveni, et
que le FPR ne pouvait donc en bénéficier par cet intermédiaire.
M. Herman Cohen s’est déclaré très étonné de la théorie d'un
complot anglo-saxon contre les intérêts de la France qui ne correspondait à
aucune réalité. Si les Etats-Unis avaient voulu entreprendre une action contre
les intérêts français en Afrique, ils n’auraient pas commencé par le Rwanda,
car c’est un pays de très petite importance. Les Etats-Unis ont toujours
reconnu le « pré carré français » en Afrique comme un élément positif, qui
n’était pas contraire aux intérêts américains dans la mesure où il se traduisait
par une aide substantielle en faveur des pays concernés.
Cette crainte d’un complot anglo-saxon a empêché un réel dialogue
entre la France et les Etats-Unis pendant la crise, à l’exception de la période
où M. Dijoud dirigeait le service des Affaires africaines et au cours de
laquelle la coopération entre les deux pays a donné de très bons résultats.
M. Herman Cohen a, du reste, déclaré qu’il parlait très peu du Rwanda avec
ses interlocuteurs parisiens.
Quant à l'attentat contre le président Habyarimana, M .Herman
Cohen a pris acte de la thèse selon laquelle les missiles soviétiques tirés
contre l’avion venaient du golfe persique, qu’ils avaient été récupérés en Irak
par les Etats-Unis et donnés à l'Ouganda qui les aurait, à son tour, livrés au
FPR. Mais M. Herman Cohen n’a pas pu faire de commentaires à ce sujet,
l’attentat ayant eu lieu après qu’il eut quitté ses fonctions. Il a toutefois
estimé que la famille d’Habyarimana avait organisé cet attentat, en tout cas
c’est ce qu’il avait entendu dire par des membres de l’ambassade des Etats-
Unis à Kigali. Sa famille reprochait à Habyarimana d’être trop mou et de
vouloir des compromis avec le FPR. M. Herman Cohen a cependant déclaré
ne détenir toutefois aucune preuve de cette supposition.
Le Président Paul Quilès a souligné que la mission était avide
d’éléments factuels.
M. Bernard Cazeneuve a fait valoir que lorsqu’on examine les
textes philosophiques qui ont inspiré le FPR et l'action de Museveni, on
s'aperçoit qu'ils sont d'inspiration fortement marxiste avec beaucoup de
concepts idéologiques empruntés à la pensée de Marx. Les Etats-Unis
n’ayant pas d’intérêt particulier à aider l’Ouganda, mais entretenant
seulement des relations amicales avec ce pays et ne manifestant pas vraiment
de tropisme marxiste, il a demandé sur quelles bases étaient fondées ces
relations.
M. Herman Cohen a considéré que Museveni était effectivement
marxiste quand il était étudiant à l'Université de Dar Es Salam mais que ce
n’était déjà plus le cas lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Il était, parmi les
dirigeants africains, le plus favorable à l'économie de marché. L’Ouganda est
le pays où il est le plus facile d’investir, alors que ce n’est pas toujours le cas
dans les pays africains.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si beaucoup d'Américains ont
investi en Ouganda.
M. Herman Cohen a répondu par la négative. Il a souligné que les
entrepreneurs américains s'intéressent peu à l'Afrique, sauf dans certains
secteurs comme l'énergie, le pétrole et les télécommunications.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité obtenir des précisions sur le
comportement des Etats-Unis à l’égard de la négociation des accords
d’Arusha à partir de 1992, dès lors qu’ils avaient acquis la certitude,
exprimée dans une note de la CIA, qu’ils ne seraient pas appliqués.
M. Herman Cohen a rappelé qu’à cette époque, il se préparait à
quitter ses fonctions, du fait de l’élection de M. Clinton. Il a toutefois indiqué
que les Etats-Unis avaient continué à encourager les deux parties au
dialogue, sans être véritablement actifs.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si M. Herman Cohen
considérait que la France avait mené une bonne politique vis-à-vis du
gouvernement d'Habyarimana.
M. Herman Cohen a répondu par l’affirmative. Il a rappelé que
tout le monde était content du régime d'Habyarimana entre 1985 et 1990.
Contrairement à ce que M. Michel Rocard a mentionné, lors d’une audition
précédente, ce n’était pas un régime qui devenait de plus en plus odieux.
Tout le monde l'appuyait et il était normal que la France ait une coopération
militaire avec lui.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si les Etats-Unis avaient prévu
le génocide.
M. Herman Cohen a répondu par la négative mais il a reconnu
qu’il y avait, à l’époque, des signes inquiétants qui auraient dû être mieux
interprétés, comme les assassinats où la création de la Radio Mille Collines.
Personne n’a imaginé la possibilité d’un génocide alors même qu’il y en avait
eu un au Burundi en 1972.
M. Bernard Cazeneuve a rappelé que Romeo Dallaire avait
envoyé une dépêche à New-York pour indiquer que quelque chose de
terrible se préparait.
M. Herman Cohen a répondu que cet épisode se situait après son
départ des affaires.
M. Jacques Myard a demandé si M. Herman Cohen n’avait pas eu
le sentiment que certains intérêts américains, qu’il a distingués du
Gouvernement, avaient avantage à une victoire du FPR, qui aurait pu avoir
des répercussions jusqu’à Kinshasa.
Il a également souhaité savoir si M. Herman Cohen pensait
qu’essayer de plaquer sur la sociologie africaine un processus démocratique
tel que celui que prévoyaient les accords d’Arusha, n’était pas voué à l'échec
du fait des clivages ethniques.
M. Herman Cohen a fait part de ses doutes quant à l’existence
d’une vision stratégique de l’administration Clinton à l’égard de la zone des
Grands lacs. Même après la prise de Kisangani par Kabila, les Etats-Unis
cherchaient encore une solution avec Mobutu. Il n’ont jamais eu l’idée que le
FPR serait l'instrument du changement au Zaïre.
Quand s’est posé le problème de l’action des extrémistes dans les
camps, où ils prenaient les réfugiés en otage, M. Kagame a demandé aux
Etats-Unis d’agir et averti qu’il interviendrait s’ils ne le faisaient pas. Il a
attendu douze mois et a détruit les camps. Mais les Etats-Unis n'ont pas
réfléchi aux conséquences ultérieures de cette action. Même M. Kagame n’a
pas pensé qu’elle allait mener à la défaite de Mobutu.
M. Herman Cohen a jugé que les accords d’Arusha n’étaient pas
mauvais, à l’exception des clauses sur le partage de l’armée qui
avantageaient trop le FPR. En outre, le Président Habyarimana n’avait pas
participé à la négociation mais laissé agir son ministre des Affaires
étrangères.
Il a regretté que la communauté internationale ait été obsédée par la
signature de ces accords, ce qui a conduit à négliger d’analyser précisément
leur contenu pour savoir s’ils pouvaient être appliqués. L’alerte de la CIA est
venue un peu tard. Cette obsession de faire signer à tout prix des accords
quel que soit leur contenu avait déjà créé des difficultés en Angola. Les
Etats-Unis en avaient tiré les leçons au Mozambique, où ils ont refusé des
accords qui ne leur semblaient pas applicables.
Le Président Paul Quilès a évoqué la directive présidentielle n° 25
du 5 mai 1994, qui prévoit que les Etats-Unis ne soutiendront militairement
ou financièrement des opérations des Nations Unies que si elles sont utiles
aux intérêts nationaux américains. Il semble bien que cette directive ait été
appliquée pour la première fois dans l’affaire rwandaise. Il a demandé à
M. Herman Cohen s’il pensait que le contenu de cette directive était de
nature à donner une impulsion nouvelle au rôle de la communauté
internationale, et plus exactement du Conseil de sécurité.
M. Herman Cohen s’est déclaré atterré par la directive
présidentielle n° 25. Après le voyage du président Clinton en Afrique, son
administration a demandé des avis d’experts, n’appartenant pas au
gouvernement, pour savoir ce qu’il fallait faire en Afrique. Le conseil de
M. Herman Cohen a été d’abroger cette directive. Certes, il est très difficile,
pour des raisons de politique intérieure, d’envoyer des soldats américains
dans des missions de l’ONU après ce qui s’est passé en Somalie. Mais il est
ridicule de refuser d'envoyer des soldats d'autres pays, sous l'autorité des
Nations unies. Si on avait envoyé le détachement de 5 000 soldats africains
que l’OUA proposait, leur seule présence aurait rendu le génocide plus
difficile. Un paysan qui a un soldat étranger à côté de lui ne va pas couper la
tête de son voisin à la machette. Une simple présence de l’ONU aurait pu
sauver de nombreuses vies.
M. Herman Cohen a estimé que l’attitude des Etats-Unis
s’expliquait aussi par une question d'argent. Les Etats-Unis ont un gros
arriéré de contributions au budget des Nations unies, surtout au titre des
opérations de maintien de la paix. Ils ne veulent donc pas autoriser des
opérations qui augmenteraient ces arriérés. La crise centrafricaine a
récemment soulevé la même difficulté. Il a été difficile d’obtenir l’accord des
Etats-Unis pour une action de maintien de la paix. Après avoir finalement
voté positivement en faveur de cette action, le gouvernement américain a eu
des difficultés avec le Congrès. La révision de la directive présidentielle n °25
apparaît dans ces conditions nécessaire.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si une mission d’information
pourrait être créée aux Etats-Unis sur les événements du Congo Kinshasa.
M. Herman Cohen a rappelé que les enquêtes faisaient partie de
l’activité quotidienne des commissions du Congrès, même si elles ne sont pas
aussi longues qu’en France.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si ces enquêtes concernaient
des sujets sur lesquels la responsabilité américaine est très fortement mise en
cause par la presse.
M. Herman Cohen a remarqué que le Congrès enquête surtout sur
les sujets qui passionnent le public américain, comme l'affaire «Iran-
Contras » dans laquelle les Etats-Unis ont fourni des armes à l'Iran pour de
l'argent destiné à financer les Contras au Nicaragua. Cette affaire a passionné
tout le monde et le Congrès a mené sur ce sujet une très grande enquête.
Mais tous les jours, il y a de petites enquêtes qui ennuient beaucoup les
responsables de l’exécutif obligés de témoigner devant le Congrès.

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