Citation
Audition de M. Georges ROCHICCIOLI
Ambassadeur en Tanzanie (10 décembre 1992-4 mai 1995)
(séance du 2 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Georges Rochiccioli,
ambassadeur de France en Tanzanie de décembre 1992 à mai 1995. Il a
souligné que M. Georges Rochiccioli a occupé ses fonctions au moment où
les négociations d’Arusha, après de nombreuses difficultés, ont débouché sur
les accords d’août 1993.
M. Georges Rochiccioli a tout d’abord exposé qu’il n’avait jamais
entendu prononcer le mot Rwanda à l’occasion des visites qu’il avait rendues
aux différentes administrations, cellules et autorités militaires, avant son
départ en poste, sauf au quai d’Orsay bien entendu.
Au Département, la négociation d’Arusha était suivie par un
observateur que le ministère envoyait en fonction de l’importance des sujets
traités. En son absence, la relève était prise par les diplomates en poste à Dar
Es-SalaM. Pour des raisons diverses, le Département a mis fin à cette
procédure d’observateurs particuliers et lui a demandé de suivre à temps
complet cette négociation d’Arusha, avec son collaborateur,
M. Jean-Christophe Belliard, ce qu’ils ont fait jusqu’au mois d’août, au cours
duquel ont été signés les accords.
Certes, la mission était essentiellement une mission d’observation,
de contact avec les autorités tanzaniennes qui jouaient le rôle de facilitateur
et avec des diplomates belges, allemands et américains qui étaient eux-mêmes
également observateurs. Bien entendu, au moment où les sujets les plus
importants étaient traités, l’ambassadeur de France au Rwanda, qui avait la
connaissance du sujet et des hommes, venait en renfort à Arusha pour
participer également à la négociation.
La mission n’avait aucune autre instruction que de suivre et
maintenir les contacts, tant avec ceux qui négociaient qu’avec ceux qui
entouraient la négociation, et de rendre compte au Département.
Ultérieurement, après l’attentat d’avril 1994, l’ambassade en
Tanzanie a eu à connaître des événements du Rwanda en raison de l’afflux de
réfugiés qu’ils avaient provoqués sur le territoire tanzanien. Là aussi, la
mission de M. Rochiccioli fut de renseigner Paris sur la situation des camps
où se regroupaient ces réfugiés et son évolution possible tout en maintenant
les contacts les plus étroits, tant avec les différentes ONG présentes qu’avec
les organismes relevant des Nations Unies.
Le Président Paul Quilès a demandé des indications sur l’attitude
de la Tanzanie et des observateurs belges et américains à l’égard de la
revendication du FPR qui consistait à poser le retrait des troupes françaises
comme préalable à toute discussion sur la formation d’une nouvelle armée
nationale rwandaise. Il a rappelé que le prédécesseur de M. Georges
Rochiccioli avait rapporté que la Tanzanie considérait que, puisqu’il y avait
un accord entre la France et le Rwanda, cette présence n’était pas
fondamentalement critiquable.
M. Georges Rochiccioli a expliqué que le rôle des autorités
tanzaniennes dans cette négociation avait véritablement été un rôle d’arbitre.
Elles tenaient à leur rôle de facilitateur. Elles avaient pu amener les
différentes parties à Arusha et, pendant toute la négociation, elles se sont
vraiment efforcées de maintenir la balance entre le FPR et le gouvernement
rwandais de l’époque, de façon très neutre, du moins la plus neutre possible.
A leur avis, il n’était pas question d’imposer le départ des troupes françaises
du Rwanda comme condition essentielle à l’aboutissement de la négociation
qui se déroulait à Arusha.
Il convient de rendre hommage à l’action qu’ont menée les autorités
tanzaniennes à l’époque. Elles se sont toujours efforcées de jouer leur rôle de
facilitateur dans la plus grande neutralité possible et de renseigner les
différents observateurs qui suivaient la négociation.
Le Président Paul Quilès a demandé comment la Tanzanie avait
réagi lorsqu’il y avait eu violation du cessez-le-feu par le FPR en février
1993. D’après ce qu’on peut savoir, le gouvernement tanzanien aurait
demandé à la France de faire davantage pression sur le Président
Habyarimana pour faire cesser les exactions contre les Tutsis.
M. Georges Rochiccioli a déclaré qu’il ne pouvait pas répondre à
cette question. Il ne se souvenait pas de pressions insistantes des autorités
tanzaniennes pour amener la France à changer de politique au Rwanda.
M. Pierre Brana a demandé en quoi consistait le rôle de
M. Rochiccioli, s’il rencontrait les différents protagonistes et s’il avait des
entretiens avec eux .
M. Georges Rochiccioli a exposé qu’il assurait une permanence
constante à Arusha avec son collaborateur, M. Jean-Christophe Belliard, sauf
lorsqu’il y avait quelques temps morts. Leur présence était quasi-continue.
Tout se passait dans le cadre assez réduit d’un hôtel. Il leur était permis
d’assister à certains moments de la négociation dans la salle des séances. Le
reste du temps les contacts se faisaient en commission avec les autorités
tanzaniennes qui leur rendaient compte de l’évolution des négociations
lorsqu’elles se déroulaient en dehors de la présence des observateurs. Cela se
faisait sur un plan informel mais quotidien.
M. Pierre Brana a demandé s’il y avait beaucoup de huis-clos.
M. Georges Rochiccioli a précisé que les négociations étaient assez
ouvertes.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir s’il y avait beaucoup de
discussions de couloirs.
M. Pierre Brana a demandé si ces conversations en coulisses se
faisaient devant les observateurs.
M. Georges Rochiccioli a répondu par l’affirmative.
M. Pierre Brana s’est enquis de savoir quels observateurs étaient
présents en permanence outre la France.
M. Georges Rochiccioli a précisé qu’il y avait les Belges, les
Allemands et les Américains. L’Egypte était également représentée en
permanence, ainsi que le Zaïre, le Burundi et le Zimbabwe. Tous les pays
africains n’étaient pas représentés.
M. Pierre Brana a demandé s’il y avait un représentant permanent
de l’OUA.
M. Georges Rochiccioli a répondu que par la négative.
Le Président Paul Quilès a fait observer qu’il y avait un
représentant du Président Museveni, qui avait de fait une double casquette.
M. Georges Rochiccioli a précisé que le Président Museveni n’était
pas représenté en tant que Président de l’OUA.
Le Président Paul Quilès a rappelé qu’au cours de son audition
devant la mission, M. Gasana, qui avait participé aux négociations en qualtié
de Ministre de la Défense du Rwanda, avait regretté la faiblesse de la
contribution française à ces négociations.
Il a demandé à M. Rochiccioli comment il pouvait expliquer ce
jugement et si la France aurait pu faire plus.
M. Georges Rochiccioli a estimé qu’à partir du moment où la
négociation plaçait les deux parties sous l’égide du facilitateur tanzanien, qui
plus est à Arusha même, la France et les autres observateurs n’avaient rien
d’autre à faire que du lobbying ou de l’observation au sens strict. Il a émis
l’hypothèse qu’il fallait peut-être comprendre l’observation de M. Gasana
comme un reproche fait à la France de ne pas avoir exercé de pressions en
dehors du contexte d’Arusha.
Le Président Paul Quilès a précisé que M. Gasana parlait
d’Arusha.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que la France ne pouvait agir
autrement qu’elle l’a fait à moins d’outrepasser son rôle d’observation.Il a
fait remarquer que si les observateurs étaient sortis de leur rôle, cette attitude
aurait été vraisemblablement très mal perçue par les Tanzaniens. Certains
observateurs faisaient quand même un peu d’activisme comme l’ambassadeur
américain, par exemple.
Le Président Paul Quilès a demandé de quelle façon.
M. Georges Rochiccioli a expliqué que l’ambassadeur américain
tenait des propos qu’on pouvait qualifier de soutien aux positions défendues
par le Président Museveni. Mais ce n’étaient que des propos de couloir car il
n’intervenait jamais au cours de la négociation proprement dite.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si M. Rochiccioli avait assisté à
la rencontre de Dar Es-Salam qui s’est déroulée le 4 et le 5 avril, avant
l’attentat.
M. Georges Rochiccioli a confirmé sa présence à cette rencontre.
Tous les membres du corps diplomatique y avaient été conviés par le
Président Mwinyi.
M. Pierre Brana a demandé si M. Rochiccioli avait perçu une
certaine tension. On a lu un peu partout qu’il y avait eu des retards, plus ou
moins voulus dans le déroulement des travaux.
Le Président Paul Quilès a relevé que l’on avait dit que Président
Museveni aurait retenu le Président Habyarimana.
M. Georges Rochiccioli a déclaré qu’il n’avait rien remarqué de
particulier. Dans certains pays, les emplois du temps sont bien souvent un
peu bouleversés. A posteriori, si on interprète ces modifications comme le
résultat de calculs politiques, toutes les conclusions sont possibles.
M. Pierre Brana a demandé si les participants avaient l’impression
de vivre un moment important.
Le Président Paul Quilès a rappelé que d’après certains
témoignages, il s’agissait presque de l’aube d’une ère nouvelle et que l’on
était convaincu que tous les problèmes allaient enfin se régler. Il paraît que le
Président Museveni voulait faire venir le Président Habyarimana en Ouganda
pour accomplir des progrès décisifs dans le processus de paix.
M. Georges Rochiccioli a estimé que l’évolution des attitudes
n’était pas aussi spectaculaire et que cette réunion ne serait pas entrée dans
l’histoire, s’il n’y avait pas eu l’accident malheureux qui l’a suivie. Dire le
contraire est un peu une réécriture de l’histoire.
M. Bernard Cazeneuve a relevé que de nombreux témoignages
rapportaient que le Président Habyarimana avait déclaré à la fin de la réunion
à laquelle il avait assisté qu’il considérait que des choses déterminantes
s’étaient passées et qu’il croyait, pour la première fois depuis le début du
processus de négociation à Arusha, que le dialogue et la réconciliation
étaient possibles.
Il a également été indiqué que le Président Museveni avait demandé
au Président Ntaryamira de rentrer avec le Président Habyarimana à Kigali
pour se rendre plus facilement le lendemain à Kampala afin de participer à
une réunion de travail destinée à sceller définitivement leur accord.
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’il n’avait aucune information
à ce sujet.
M. Jacques Myard a demandé si, à la fin de cette journée du 6
avril, M. Rochiccioli était au courant de ce qui s’était passé lors des
négociations ou s’il attendait un compte rendu.
M. Georges Rochiccioli a indiqué qu’il avait directement suivi les
négociations à Arusha, mais qu’à Dar Es-Salam il devait attendre la
publication d’un compte rendu, ce qui n’avait pas encore été fait le soir du 6
avril.
M. Jacques Myard a demandé si ce compte rendu avait été publié
par la suite.
M. Georges Rochiccioli a répondu par la négative car après
l’attentat, les problèmes ont pris une autre envergure.
M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur le fonctionnement
diplomatique d’un processus comme celui d’Arusha. Deux parties
négociaient entre elles : le FPR et le gouvernement d’Habyarimana. Il y avait
un facilitateur, le gouvernement tanzanien, et des observateurs. On peut
s’interroger sur le rôle de ces observateurs : soit ils observent sans rien dire
et, dans ce cas, il s’agit d’un exercice dont l’utilité politique mérite sans
doute d’être démontrée ; soit ils interviennent et, dans ce cas, il est
intéressant de comprendre comment ils interviennent, quels objectifs ils
poursuivent en intervenant et quelles sont les relations qui se nouent entre
eux.
M. Georges Rochiccioli a répondu que le rôle des observateurs
était d’observer.
M. Bernard Cazeneuve s’est inquiété de cette activité.
M. Georges Rochiccioli a précisé que, dans la négociation
d’Arusha, il faisait de l’observation de terrain et que l’ambassadeur de France
au Rwanda venait en renfort lorsque la négociation prenait une tournure
importante sur des points essentiels. Le rôle l’ambassade de Dar Es-Salam
était un rôle d’observation, au sens le plus plat du terme. Bien entendu, le
Département lui demandait de temps à autre de faire passer des messsages à
l’autorité tanzanienne qui servait de facilitateur. Les messages aux
délégations rwandaises étaient en revanche délivrés par l’ambassadeur au
Rwanda.
M. Bernard Cazeneuve, rappelant que les observateurs assistaient
à l’ensemble des réunions, en tiraient des informations qui pouvaient aboutir
éventuellement à des conclusions et des démarches communes, a demandé
s’ils avaient beaucoup de contact entre eux.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que ses relations avec ses
collègues, allemands et belges en particulier, étaient particulièrement étroites
et que l’échange d’informations était vraiment très loyal. Avec les collègues
africains, la communication passait bien. Avec les Tanzaniens, la
communication passait très bien parce qu’ils jouaient le jeu très loyalement et
très correctement.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si M. Georges Rochiccioli se
souvenait de messages que le Département aurait pu demander de faire
passer au facilitateur par l’intermédiaire de l’ambassadeur au Rwanda ou par
lui-même.
M. Charles Cova a demandé si l’ambassadeur au Rwanda lui
apportait une aide pour la connaissance des dossiers et des hommes.
M. Georges Rochiccioli a précisé que l’ambassadeur au Rwanda
n’était pas chargé de lui apporter une aide. Lorsque la négociation le
justifiait, il faisait le déplacement pour Arusha, et lorsque les sujets abordés
étaient très importants, il venait vraisemblablement avec des instructions du
Département.
M. Charles Cova a demandé si l’ambassadeur au Rwanda lui
demandait d’intervenir auprès des Tanzaniens pour leur communiquer des
messages.
M. Georges Rochiccioli a répondu par la négative.
M. Charles Cova a demandé si M. Rochiccioli avait uniquement un
rôle de messager.
M. Georges Rochiccioli a répondu par l’affirmative et qu’il se
considérait comme un messager informel.
M. Jacques Myard a souhaité savoir ce que voulait dire le terme
« messager informel » et si on pouvait l’assimiler au rôle d’un « petit
télégraphiste ».
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’un consensus existait sur la
nécessité de faire aboutir les accords d’Arusha et que chaque observateur
s’efforçait non pas d’orienter les débats, mais de faire passer certains
messages, de faire apparaître certaines difficultés, de compléter
éventuellement l’information des Tanzaniens sur des points précis.
M. Pierre Brana a demandé si l’ambassadeur de France au Rwanda
avait des contacts directs avec les négociateurs, que ce soit l’équipe du
Président Habyarimana ou le FPR.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que l’ambassadeur au Rwanda
était un observateur plus engagé du fait de sa connaissance beaucoup plus
grande des dossiers.
M. Pierre Brana a demandé si l’ambassadeur au Rwanda avait des
messages du Département à faire passer aux négociateurs.
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’il ignorait la réponse à cette
question.
Le Président Paul Quilès a demandé a partir de quel moment le
représentant de l’ONU à Arusha avait participé aux discussions et quelle
avait été sa contribution à la conclusion de l’accord.
M. Georges Rochiccioli a observé que la présence du représentant
des Nations Unies ne l’avait pas marqué de façon particulière.
Le Président Paul Quilès a noté que si la contribution de ce
représentant avait été très forte, elle aurait marqué M. Georges Rochiccioli.
M. Georges Rochiccioli a estimé que la contribution de ce
représentant n’avait pas été essentielle à la signature des accords.