Citation
Témoignage de MUGENZI Richard donné le 29 décembre
2008 au Comité d'experts indépendants chargé de
l'enquête sur le crash de l'avion Falcon 50 immatriculé
9XR-NN survenu le 06 avril 1994
Mon nom est MUGENZI Richard je suis né le 15 décembre 1960 en République
démocratique du Congo. Mes parents s'y étaient rendus en 1950 et travaillaient dans les mines de la Société belge : SOMINKI. Mon père est originaire de la préfecture de Byumba, commune Mukarange. Quant à ma mère, elle est originaire de Kigali. En 1985, après mes études secondaires, je suis revenu au Rwanda. Dans un premier temps, j'ai suivi une courte
formation en agronomie et j'ai travaillé dans un projet de développement rural et intégré de
Byumba en tant que superviseur d'enquête agricole. Après une année, j'ai intégré le ministère
de la fonction publique, dans la direction générale de l'emploi et de la sécurité sociale. Là
aussi j'ai travaillé pendant une année et j'ai bénéficié pendant ce temps d'un stage de
formation en administration du travail au Centre Régional Africain d'Administration du
Travail (CRADAT) se trouvant à Yaoundé au Cameroun. Pendant cette période que j'ai passé
au Cameroun, j'en ai profité pour me former sur les technologies de communication.
Après mon retour au Rwanda, en 1989, j'ai été directement affecté à l'inspection du travail de
Gisenyi. A ce moment là, certaines autorités sur place à Gisenyi qui me connaissaient très
bien ont commencé à me solliciter pour donner un coup de main au Centre de Transmission
Radio qui se trouvait dans chaque préfecture, puisque les opérateurs qui étaient dans le CTR
n'étaient pas de bons techniciens. Ils étaient formés sur le tas et n'avaient pas beaucoup
d'expérience dans le système de transmission. On m'a alors demandé de temps en temps de
leur donner un coup de main et de les former. A un moment donné, nous étions deux agents à
l'inspection du travail et le préfet m'a demandé d'abandonner les activités habituelles de
l'inspection du travail et de m'occuper du Centre de Transmission Radio et de travailler
ensemble avec les opérateurs habituels. Nous avons travaillé ensemble, mais je ne me
souviens pas de la durée de cette collaboration.
Suite à la guerre qui a éclaté au Rwanda le 1 octobre 1990, j'ai été suspecté de complicité
avec le FPR parce que j'avais fait mes études au Zaïre. J'ai été arrêté le 03 octobre et conduit
au stade de Gisenyi avec plusieurs centaines de personnes. Le 04 'octobre, j'ai été transféré à
la prison de Gisenyi et détenu jusqu'au 10 octobre de la même ànnée. Grâce à l'intervention
du commandant militaire de Gisenyi de l'époque, le colonel BARUFITE Juvénal et du
Commandant de gendarmerie de Gisenyi, le major BIZIMANA André, j'ai été libéré.
BAHUFITE et BIZIMANA étaient originaires comme moi de la Préfecture de Byumba et me
connaissaient. J'ai appris par la suite, que ces deux Officiers m'avaient fait libérer parce que
j'avais des compétences en télécommunication et qu'ils avaient décidé de mettre en place une
station d'écoute radio au niveau national. Ils voulaient me confier la direction du Centre
d'écoute Radio qui fut installé dans la préfecture de Gisenyi.
Une fois cette mission acceptée, j'ai commencé à exploiter l'émetteur-récepteur du
F ER (Ministère de l'Intérieur) qui était installé dans l'enceinte de la Préfecture de
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Gisenyi. J'y ai travaillé jusqu'au 1" novembre 1990. C'est à partir de cette date que j'ai
commencé réellement à mettre en place les installations du Centre d'Interception Radio. Elles
étaient réparties entre le camp militaire de Butotori, non loin de la brasserie de Gisenyi, et la
maison de passage du président de la République, sise près de la douane-corniche.
Au camp Butotori, J'ai installé un récepteur de marque japonaise YAESU. Quant au récepteur
de la maison de passage du Président, il était de marque THOMSON et y était déjà installé.
Après les essais techniques, j'ai commencé la mission qui me fut assignée par le commandant
OPS Gisenyi, consistant en l'interception des émissions radio ennemies et de toutes émissions
susceptibles de fournir des informations utiles sur le FPR et ses alliés, notamment l'Ouganda.
BAHUFITE m'avait fourni des fréquences que je devais capter. Puis, je faisais moi-même une
recherche personnelle de fréquences des stations situées à l'extérieur du Rwanda sur
lesquelles communiquaient des cibles dignes d'intérêt pour l'état-major de l'armée rwandaise,
et puis je communiquais des messages transmis à partir de ces stations. Le Cdt OPS
m'amenait d'autres fréquences dont il disait qu'elles avaient été livrées par des prisonniers de
guerre du FPR. A la fm, il y avait d'autres fréquences qui venaient directement de l'étatmajor, du service G2.
Depuis novembre 1990, je donnais mes rapports au Cdt OPS, le major BAHUFITE. En
l'absence du commandant OPS, après l'arrivée du Lt. BIZUMUREMYI en 1992, je devais
remettre mes rapports à ce dernier. Le commandant OPS avait décidé qu'en l'absence du
lieutenant BIZUMUREMYI, je pouvais à tout moment me rendre au camp de l'armée
rwandaise sous escorte, pour les transmettre par téléphone à l'état-major de l'armée
rwandaise, à Kigali, plus précisément le secrétariat du chef d'état-major des FAR et le
secrétariat du G2. Dans les cas d'extrême urgence et en l'absence des deux responsables cités
plus haut, je devais contacter directement le colonel BAGOSORA au camp Kanombe, et en
son absence, je devais m'adresser au major NTABAKUZE Aloys, Cdt du bataillon Paracommando. En l'absence de ce dernier, je devais contacter au camp GP, le colonel
NKUNDIYE, qui fut remplacé par la suite par un autre officier du nom de MPIRANYA.
Avant les événements du 06 avril 1994, je pense avoir transmis un message urgent au colonel
BAGOSORA, pendant qu'il était encore Cdt du camp Kanombe. Je ne me rappelle plus
exactement de la date, ni du contenu du message. En dehors du contact cité plus haut, le
colonel BAGOSORA qui manifestait beaucoup d'intérêt pour le Centre, me téléphonait de
temps en autre pour s'enquérir de la bonne marche de mon travail. Je me souviens aussi avoir
transmis deux fois de suite, en l'absence du Cdt Ops, des messages au major NTABAKUZE.
Il se trouvait à cette époque en repos au camp Butotori, avec son unité.
Au fil du temps, le pouvoir manifestait toujours plus d'intérêt pour le Centre. La présidence
de la République est devenue destinatrice des rapports du Centre. C'est à cette période que le
colonel BAHUFITE me communiqua une liste de personnes avec lesquelles je pouvais causer,
des personnes dont je ne devais pas me méfier. Il m'avait expliqué que des contacts avec
d'autres personnes pouvaient constituer un danger pour la sécurité du Centre et celle de nos
informations et il m'était interdit de parler avec qui que ce soit en dehors de la liste qu'il
m'avait donnée. La liste des personnes dont je ne devais pas me méfier m'était donnée par
écrit, et était à l'occasion modifiée par mes supérieurs selon la situation. Cette liste
comprenait le colonel SAGATWA Elie, chef du bureau du secrétariat particulier, le major
BAGARAGAZA, chef du protocole et l'ambassadeur UBARIJORO, conseiller à la
Présidence. Lorsque le président HABYARIMANA était en même temps le ministre de la
défense et qu'il se rendait en visite à Gisenyi, il arrivait qu'il me fasse appeler pour me poser
des questions sur la vie et le fonctionnement du Centre. Je pouvais aussi parler avec son
secrétaire particulier.
Quand HABYARIMANA céda sa place de ministre de la défense, je fus averti par le
lieutenant BIZUMUREMYI que je ne devais par parler avec le nouveau ministre James
GASANA et que mes contacts devaient se limiter à son secrétaire particulier qui était un
officier subalterne différent du secrétaire particulier du président Habyarimana, le colonel
SAGATWA. J'ai oublié le nom de cet officier. BIZUMUREMYI n'avait pas fait de
commentaire, mais j'ai pensé que s'était parce que Gasana appartenait à l'opposition. A la
fuite de GASANA James en 1993, je fus autorisé par BIZUMUREMYI à parler directement
avec le nouveau ministre BIZIMANA Augustin qui était issu du MRND et avec le secrétaire
particulier qui était resté après le départ de GASANA.
Au début, on m'a donné un secrétaire avec qui j'ai travaillé pendant une semaine. C'était un
civil opérateur de la préfecture qui s'appelait KAMA.NZI. Après quelques jours, l'Etat Major
a changé d'opinion. On m'a dit que c'était imprudent de dactylographier les messages et de
travailler à deux au sein de cette radio en évoquant le risque de fuite d'informations. Cet
opérateur est retourné travailler à la préfecture. A un certain moment, vers 1992, il y a eu une
mission de six militaires français qui sont venus au Centre et le commandant OPS m'a dit
qu'ils venaient pour me former. J'ai travaillé avec eux pendant quelques jours. Ils m'ont
appris certaines choses que je ne connaissais pas, notamment le système d'espionnage à la
radio consistant à afficher les fréquences et à les tourner au hasard. Après la formation, ils
sont partis et je ne les ai plus revus. En mai 1993, BAHUFITE a été muté à Byumba et a été
remplacé à Gisenyi par le Colonel NSENGIYUMVA_ A son arrivée, NSENGIYUMVA m'a
donné des nouvelles fréquences sur lesquelles je devais intercepter les messages. Ce sont ces
fréquences-là que j'exploitais. NSENGIYUMVA se chargeait alors de leur amplification dans
l'Armée. Ce n'était plus moi qui les transmettais à Kigali aux destinataires qui m'avaient été
désignés à l'époque du major BAHUFITE.
Dès la fin de l'année 1993, le Colonel NSENGIYUMVA a instauré un autre système, celui de
montage des messages. Pour des motifs qu'il ne m'a pas expliqués, NSENGIYUMVA a
commencé à m'amener des textes écrits par lui-même et me demandait de les recopier à la
main sur les formulaires appropriés des télégrammes. Quand je terminais de les recopier, je
les lui remettais pour l'amplification. Cette pratique s'est répétée plusieurs fois, surtout
lorsqu'il y avait des situations de défaite des FAR au front. Pendant des périodes de crise dans
l'armée, NSENGIYUMVA m'amenait toujours des messages qu'il avait écrits et me
demandait de les recopier sur des formulaires de télégrammes. Puis, il les diffusait dans le
système militaire de transmission, probablement pour l'encouragement des militaires.
Cette dernière forme de messages que je viens de vous expliquer qui consistait à des
montages, à des mises en scène pour des motifs différents, a été utilisée pour le message du 07
avril 1994 le matin. Ce message très précis m'a été amené personnellement par le Colonel
NSENGIYUMVA. Il l'avait écrit lui-même et m'a demandé de le recopier textuellement.
Pendant toute cette période qui va du 07 avril le matin jusque vers la fm du mois d'avril, Il y a
eu toujours des messages que NSENGIYUMVA m'a amené et que j'ai recopié sur le
formulaire des télégrammes. De même, entre le 04 et le 06 avril, il m'a amené des messages
que j'ai écrits de cette manière-là. Je me souviens que le 05 avril le Colonel
NSENGIYUMVA m'a amené un message que j'ai recopié qui disait que quelque chose allait
se passer demain, c'est-à-dire le 06 avril, sans dire exactement de quoi il s'agissait. Après que
j'avais fini de rédiger le message, NSENGIYUMVA a appelé d'autres militaires et leur a
montré ce message. Le 06 avril dans l'avant-midi, avant le crash de l'avion, il y a eu d'autres
télégrammes dont je ne me souviens plus le contenu qu'on avait constitué dans ce sens.
Très souvent, lorsqu'il y avait des messages dans le cadre normal d'interception, ils étaient
soit en Swahili soit en Gikiga et je les transcrivais en français. Lorsque je terminais leur
transcription, j'annexais la copie originale. Généralement, pour ce type de messages, je
commettais des fautes car ma façon d'écrire le français contient des fautes d'orthographe ou
de grammaire. Mais pour les documents qui m'étaient présentés, j'évitais ces fautes. C'est le
cas du message du 07 avril 1994 à 08h45 que le Lt Col. NSENGIYUMVA m'a apporté et que
je n'ai fait que transcrire. Sur ce document, je ne pouvais pas y mettre des fautes parce que
c'est un message que je copiais. C'est la différence avec les autres télégrammes.
Je voudrais préciser que lors de mon audition par le juge BRUGUIERE, il ne m'a pas été
permis de donner des explications relatives aux conditions dans lesquelles les messages du 06
et du 07 avril 1994 sur lesquels il m'a interrogés ont été rédigés. Je me suis aperçu que le juge
BRUGUIERE et ses collaborateurs voulaient seulement savoir si les documents qu'ils avaient
dans leurs mains avaient été écrits par moi-même. Ils ne se sont pas intéressés de savoir le
contenu ou les versions ou les circonstances dans lesquelles je les composais ou les écrivais.
Ils voulaient simplement savoir si l'écriture était la mienne, si le document avait été écrit par
moi. C'est tout ce qu'ils voulaient savoir. Le reste, ils avaient déjà leur réponse.
Une autre information dont j'ai eu connaissance concerne le dispositif anti-aérien des FAR.
Dans les derniers mois de l'année 1993, je ne me souviens pas exactement du mois précis, le
sous-lieutenant BIZUM JREMYI chargé de renseignements militaires à Gisenyi, avec qui je
travaillais souvent dans ma fonction d'opérateur, m'a dit que les FAR possédaient des
missiles sol-air qui venaient de leur être livrés par la France pendant ces jours-là. Le souslieutenant BIZUMUREMYI a évoqué ce fait lorsque nous discutions sur les soutiens dont
bénéficiaient le Rwanda en cette période de guerre. Il a alors loué l'amitié franco-rwandaise et
a insisté sur son importance en me révélant que la France avait manifestée sa solidarité à
l'égard de l'armée rwandaise en livrant des missiles sol-air au Rwanda. BIZUMUREMYT m'a
précisé que ces missiles provenaient des armes que les militaires français avaient récupérées
lors de la guerre en Irak et a ajouté que les Français avaient donné aux FAR certains missiles
issus de cette acquisition. Parlant de ces missiles, BIZUMUREMYI m'a signalé que nous
n'avions pas à nous inquiéter puisque les Forces Armées Rwandaises étaient dotées d'un
équipement technique et militaire très puissant, y compris les moyens anti-aériens permettant
aux FAR de mener les combats qui impliquaient la destruction des avions.
La présente déclaration contient quatre pages dactylographiées.
Fait à Kigali, le 29 décembre 2008
MUGENZI Richard