Sous titre
On connaissait la diplomatie des petits pas, et aussi celle de la langue de bois. A Kinshasa, dernière étape de sa tournée africaine (Gabon, Angola, Brazzaville) Emmanuel Macron a choisi la diplomatie des pieds dans le plat. Une rencontre durant laquelle les deux chefs d’Etat se sont renvoyé la balle. - AFP.
Citation
A Kinshasa, Macron met les pieds dans le plat
On connaissait la diplomatie des petits pas, et aussi celle de la langue de bois. A Kinshasa, dernière étape de sa tournée africaine (Gabon, Angola, Brazzaville) Emmanuel Macron a choisi la diplomatie des pieds dans le plat
Journaliste au service Monde
Par Colette Braeckman
Publié le 5/03/2023 à 15:03 Temps de lecture: 4 min
Dans la salle du Palais de la Nation, celle-là même où, le 20 juin 1960 Patrice Lumumba avait prononcé le discours de l’indépendance, le président français s’est exprimé aux côtés du président Tshisekedi à l’occasion d’une conférence de presse. Il a admonesté ses hôtes : « depuis 1994 vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté de votre pays, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative. C’est une réalité, et il ne faut pas chercher de coupable à l’extérieur. » Dans sa réponse, le chef de l’Etat a retrouvé les accents de son père Etienne Tshisekedi, l’éternel opposant. Sans rappeler les conséquences de l’opération française Turquoise qui, en 1994 avait conduit deux millions de Hutus vers le Zaïre de l’époque, il a rétorqué : « la façon de voir les choses lorsqu’elles se passent en Afrique doit changer, dans nos rapports avec la France en particulier et avec l’Occident en général. Je crois qu’il doit y avoir du respect dans les considérations que nous avons les uns vis-à-vis des autres ».
A vrai dire, au-delà des leçons de gouvernance, Kinshasa attendait de son hôte une condamnation claire du soutien que le Rwanda apporte au M23 et qui est attestée par de nombreux témoignages, y compris les rapports des experts de l’ONU : « une agression injuste et barbare » selon les mots de Tshisekedi.
Sur ce point, les Congolais ont été déçus : leur hôte, poussé dans ses retranchements par la presse locale, s’est limité à dire que chacun devait prendre ses responsabilités, y compris le Rwanda, et que « le pillage à ciel ouvert de la RDC devait cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre. » Pour la mise en pratique de ces bonnes intentions, Macron a préféré se reposer sur l’Union africaine, défendant le plan de paix régional et comptant sur l’initiative de l’Angola.
De tels propos, dans leur prudence, ne risquent pas d’affecter les bonnes relations que la France entretient désormais avec le Rwanda qui sécurise les investissements de Total en Ouganda, envoie des troupes en Centrafrique et est devenu l’un des meilleurs contributeurs aux opérations de paix de l’ONU. Alors que le président français évoquait la nouvelle date fixée pour un cessez-le-feu, prévu le 8 mars, le président Tshisekedi s’est montré circonspect : « Tout cela n’est que de la théorie, j’attends de voir la pratique ».
Rencontre avec Mukwege
Le chef de l’Etat a aussi exprimé sa perplexité à propos du calendrier électoral. Alors que la guerre a provoqué le déplacement d’un demi-million de personnes, « à ce stade, je ne sais pas comment nous allons nous y prendre. Faut-il stopper l’enrôlement des électeurs en attendant que la paix revienne, avec le risque que cela impacte le respect du calendrier ? Ou continuer le processus sans tenir compte des déplacés de guerre car l’enrôlement ne peut se faire dans les camps ». Tshisekedi a conclu : « Si demain nous allons aux élections dans des conditions difficiles, vous allez parler de “compromis à l’africaine”, alors que les mêmes Africains attirent votre attention sur cette ignoble et injuste agression dont nous sommes victimes. »
Dans sa réponse, Emmanuel Macron, volontairement ou non, a enfoncé le clou : il a rappelé que l’expression « compromis à l’africaine » avait été utilisée en 2018 par le ministre des Affaires étrangères de l’époque Yves Le Drian, qui visait l’accord postélectoral conclu avec le président sortant Joseph Kabila et qui avait porté Tshisekedi au pouvoir, sans qu’il soit tenu compte du décompte des voix…
La délégation française a également fait savoir que le président Macron avait reçu le Docteur Mukwege, dont la candidature à la présidence est de plus en plus souvent évoquée, mais qui ne s’est toujours pas prononcé. Il n’est pas sûr qu’aux yeux de ses éventuels électeurs, cette rencontre avec l’ami de Kagame ait rendu service au Prix Nobel de la paix.
La France contribuera cependant, à hauteur de 34 millions d’euros, à un pont aérien humanitaire en direction de Goma.