Author-card of document number 30804

Num
30804
Date
Mercredi 28 septembre 2022
Ymd
Size
32149
Title
Rwanda : le procès de Félicien Kabuga, « l’argentier du génocide », s’ouvre à La Haye
Subtitle
Arrêté en mai 2020 à Asnières-sur-Seine, l’homme d’affaires avait défié la justice internationale pendant un quart de siècle.
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Source
Type
Article de journal
Language
FR
Citation
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)

On l’a surnommé « l’argentier du génocide ». Le procès de Félicien Kabuga doit s’ouvrir jeudi 29 septembre à La Haye, devant les juges du Mécanisme de l’ONU chargé des derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). L’octogénaire est accusé de génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, d’incitation directe et publique au génocide, et de crimes contre l’humanité pour meurtre, extermination, assassinat et persécution commis en 1994.

Arrêté en mai 2020 à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), l’homme avait défié la justice internationale pendant un quart de siècle. Sa traque avait conduit les enquêteurs du TPIR au Kenya, en Belgique, en Suisse, en Allemagne, et finalement en France, où il résidait depuis plusieurs années, chez l’un de ses treize enfants. Le procès fera-t-il toute la lumière sur les complicités dont a bénéficié l’ancien homme d’affaires ? Permettra-t-il, surtout, de comprendre les rouages financiers du génocide des Tutsis, perpétré au Rwanda en 1994 et dont le bilan s’élève à 800 000 morts selon les Nations unies ?

Soutien « matériel, logistique, financier et moral »



Le cœur des accusations porte sur son soutien « matériel, logistique, financier et moral » aux milices Interahamwe chargées d’exécuter le génocide à travers tout le pays. Félicien Kabuga devra aussi répondre de son rôle parmi les fondateurs de la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM), un organe destiné à « propager un discours anti-Tutsis dans le but d’éliminer le groupe ethnique tutsi au Rwanda », selon l’acte d’accusation.

L’ancien commerçant devenu, à l’époque du génocide, la personnalité la plus riche du Rwanda, est accusé d’avoir participé à la création du Fonds de défense national (FDN) à Gisenyi, dans l’ouest du pays. Celui-ci devait servir à l’achat d’armes et d’uniformes pour les milices hutu et l’armée dans tout le pays. Félicien Kabuga était le signataire de plusieurs comptes bancaires au nom du FDN. Selon le procureur, « des armes et des munitions » avaient été apportées à Gisenyi « via l’aéroport de Goma », au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), dans des camions marqués de ses initiales pour acheminer les fournitures.

Rien ne garantit pourtant que le procès permettra de lever le voile sur les réseaux et les méthodes de financement du génocide des Tutsis. L’acte d’accusation évoque la création du FDN, en avril 1994, à l’hôtel Méridien de Gisenyi. C’est « dans ce même hôtel que se réunissaient les officiels rwandais et les intermédiaires chargés de négocier les grands contrats d’achats d’armes, dont les montants et les commissions portaient sur plusieurs millions de dollars, impliquaient les banques privées rwandaises et les sièges des banques actionnaires européennes qui les honoraient », explique l’expert André Guichaoua, qui, au début des années 2000, avait enquêté pour le compte du TPIR sur le volet financier du génocide.

Les enquêteurs avaient, pendant un temps, bénéficié de la coopération de Kigali. Mais « lorsque nous avons voulu accéder aux mouvements de fonds avec l’étranger, un vent de panique a soufflé au sein des banques, notamment en Belgique », se rappelle-t-il. « A la demande des directeurs des banques nationales et de leurs actionnaires étrangers », Kigali avait cessé de collaborer avec les enquêteurs dans ce domaine, invoquant « la réconciliation nationale » et la « reconstruction du pays », selon un rapport du TPIR.

Audiences aménagées



Que ce soit devant le TPIR, les justices européennes, canadienne et américaine, ou au Rwanda même, aucun procès n’aura vraiment permis de lever complètement le voile sur le pillage du Rwanda et les méthodes de détournement de fonds au service des milices. Et le procès de Félicien Kabuga n’offrira qu’une illustration du financement des milices, sans faire la lumière sur les méthodes plus larges de détournement de fonds et les éventuelles complicités.

Avec le procès qui s’ouvre, le procureur entend s’appuyer sur une cinquantaine de témoins pour prouver ses accusations. Mais à La Haye, c’est aussi une course contre la montre qui s’engage. A 87 ans (il affirme avoir 89 ans), Félicien Kabuga devait initialement être jugé à Arusha, en Tanzanie, là où se sont tenus les grands procès du génocide des Tutsis, dans les locaux flambant neufs du Mécanisme de l’ONU qui a succédé au TPIR, fermé fin 2015. Les juges ont estimé qu’il était trop faible pour voyager, et qu’Arusha ne disposait pas des structures médicales en cas d’urgence.

Son avocat, Emmanuel Altit, a demandé aux juges de le déclarer « inapte » à subir son procès. Au terme d’une expertise, les juges ont tranché en juin, assurant qu’il pouvait subir son procès, même s’il souffre « de troubles cognitifs » et qu’il est « dans un état vulnérable et fragile ». Les audiences sont néanmoins aménagées : pas plus de six heures par semaine, étalées sur trois jours. Son avocat devrait prendre la parole vendredi, après la présentation du dossier par le procureur, jeudi matin. Depuis le début de l’affaire, Félicien Kabuga récuse Me Altit et réclame les services d’un autre avocat.

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