Né de parents fermiers dans cette localité située à environ 100 kilomètres au nord-ouest de la capitale Kigali, Félicien Kabuga, 87 ans, a commencé en tant que petit commerçant ambulant avant de devenir un riche homme d'affaires, propriétaire de nombreuses plantations de thé dans le village et aux alentours.
Sa fortune était telle qu'il était considéré comme l'homme le plus riche du Rwanda, multipliant les investissements dans les plantations de café et l'immobilier.
"
J'étais encore enfant à l'époque, mais je me souviens que tout le monde disait que Kabuga aidait la communauté en créant des emplois", se remémore Alphonsine Musengimana, 35 ans. Mme Musengimana a travaillé lorsqu'elle était enfant, avec d'autres membres de sa famille, dans les plantations de Félicien Kabuga. "
Il nous payait bien", soutient-elle.
Félicien Kabuga organisait de grandes fêtes dans sa résidence qui surplombe Nyange. "
Il avait certains des meilleurs alcools... c'était un très bon hôte", assure Jean-Baptiste Munyaneza, cousin de Kabuga.
Aujourd'hui, la résidence, en ruines, a perdu de sa splendeur, avec des trous au plafond, de la peinture qui s'écaille et des inscriptions griffonnées sur les murs.
Les plantations de thé -- dont la taille avoisinait 40 terrains de football -- ont été vendues aux enchères en 2013 pour 153 millions de francs rwandais (147.000 euros), somme que le gouvernement a assuré qu'elle servirait à aider les survivants du génocide.
Après des années de cavale, Félicien Kabuga a été arrêté près de Paris en 2020 et attend depuis en prison son procès à la Haye qui doit débuter jeudi.
"
Même sa condamnation ne devrait pas changer l'opinion" des soutiens de Félicien Kabuga, soutient Anastase Kamizinkunze, responsable de district de la principale association de survivants du génocide au Rwanda, Ibuka.
"
Nous attendons avec impatience ce procès, qui a mis du temps à arriver".
"Indécents"
Malgré les accusations de la justice internationale, qui poursuit Félicien Kabuga notamment pour "
génocide" et "
crimes contre l'humanité", l'ancien homme d'affaires continue d'être soutenu.
"
Ils disent qu'il a acheté des machettes qui ont été utilisées pour tuer des gens, mais c'était un commerçant. Il achetait des machettes, des houes et toutes sortes de choses pour les revendre", affirme son cousin Jean-Baptiste Munyaneza.
"
C'était un homme bon. Je ne crois pas aux choses qui sont dites sur lui", poursuit-il.
Certains villageois ont refusé de parler ouvertement à l'AFP en faveur de Félicien Kabuga, disant craindre le gouvernement autoritaire du président Paul Kagame, qui a mis fin, à la tête d'une rébellion, au génocide.
D'autres assurent que Kabuga avait été injustement accusé pour le massacre entre avril et juillet 1994 de 800.000 Tutsis et modérés Hutus.
"
Quand Kabuga était ici, il n'a jamais prêché la haine contre les Tutsis", soutient Martin Katabarwa.
"
C'est l'ancien gouvernement qui a tué les Tutsis, et non Kabuga", poursuit-il.
Mais l'ancien homme d'affaires avait de nombreux liens avec les anciennes autorités.
Son entrée dans le sérail est définitivement scellée lorsqu'en 1993, une de ses filles épousa le fils aîné du président Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat en avril 1994 a déclenché le génocide.
Il était également le beau-père de celui qui au moment du génocide était ministre au Plan, Augustin Ngirabatware, dont la condamnation à 30 ans de réclusion fut confirmée en 2019.
"
Kabuga a trahi Nyange et ce pays", soutient de son côté Jean Nzabandora, un fermier de 54 ans. "
Ceux qui le soutiennent sont indécents, ils devraient penser aux familles de ceux qui ont péri" poursuit-il.