Citation
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 A- SUR LA RESPONSABILITE
 DU CHEF DE L’ÉTAT
 CHAPITRE 6-
 LA RESPONSABILITE PENALE DU CHEF DE L’ÉTAT
 EN FRANCE ET A L’ETRANGER
 A LA LUMIERE DU GENOCIDE RWANDAIS
 Vincent Cattoir-Jonville
 
 Le 13 janvier 2005, un témoin, devant le Tribunal pénal international
 pour le Rwanda (TPIR)401, met en cause, pour la première fois, la responsabilité
 de militaires français dans le génocide rwandais. En mai 2004, la Commission
 d’enquête citoyenne relative au rôle de la France dans le génocide des
 Tutsi au Rwanda en 1994 publie un rapport dans lequel la hiérarchie des responsabilités
 individuelles des dirigeants français est nettement mise en évidence,
 au premier rang desquelles est mentionnée celle « de l’ancien président
 de la République François Mitterrand, chef des armées, [qui] apparaît la plus
 grande »402. Par ailleurs, cette Commission mentionne également le fait que
 cette « responsabilité constitutionnelle n’exclut pas celle d’autres membres
 de l’exécutif et du Parlement »403. On fera ici observer que, dans la pratique,
 et en droit, on constate une certaine « irresponsabilité pénale » des membres
 du Gouvernement404.
 401 GALLIE (M.) et DUMONT (H.), « La poursuite de dirigeants en exercice devant une juridiction
 nationale pour des crimes internationaux : le cas de la France », Revue québécoise de
 droit international, volume 18.2, 2005, p. 40.
 402 France, Commission d’enquête citoyenne, Conclusions provisoires des travaux de la Commission
 sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 (22-26 mars
 2004), en ligne Commission d’enquête citoyenne : http://cec.rwanda.free.fr/documents/Conclusions_
 provisoires_CEC2.htm, consulté le 15 octobre 2020.
 403 Ibidem.
 404 Voir la thèse de Christelle DEVOS-NICQ, « La responsabilité individuelle du ministre sous
 la Vème République », Thèse (dir. O. BEAUD), Université de Lille II, 1996, 518 p. et le récent
 article du Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE, « De l’irresponsabilité ministérielle… »,
 dans Révolution, Constitution, Décentralisation-Mélanges en l’honneur de Michel VERPEAUX,
 Paris, Dalloz, 2020, pp. 507-516.
 
 158
 Début 2005, et à la suite du rapport de la Commission d’enquête citoyenne,
 de premières plaintes seront déposées à Paris, visant à mettre en cause la responsabilité
 d’autorités françaises, soupçonnées d’avoir collaboré au génocide
 rwandais. Plusieurs observateurs cités dans le rapport de la Commission d’enquête
 citoyenne s’accordent à considérer qu’il y aurait là matière à reconnaître
 des actions qui relèveraient de l’incrimination de crimes internationaux. Si on
 se fonde sur le droit français ou sur les engagements internationaux de la
 France, de tels actes pourraient relever de l’engagement de responsabilité de
 leurs auteurs.
 Tout cela pose la question de la répression des crimes de guerre, de crimes
 contre la paix ou de crimes contre l’humanité au plan international.
 La guerre a rarement fait l’objet d’une condamnation de principe ou d’interdiction.
 Une exception existe cependant : le pacte Briand-Kellog ou pacte
 de Paris signé le 27 août 1928 à Paris, par soixante-trois États « qui condamne
 le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y
 renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations
 mutuelles ». Il entrera en vigueur le 24 juillet 1929. Ce texte sera d’une portée
 limitée car il ne prévoyait aucune sanction en cas d’infraction, seule une « réprobation
 internationale » était prévue ! La seule exception prévue à cette
 prohibition était la « légitime défense », anticipant dès lors l’article 51 de la
 charte de l’ONU, aux termes duquel, « aucune disposition de la présente
 Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou
 collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression
 armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires
 pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises
 par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement
 portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en
 rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte,
 d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
 rétablir la paix et la sécurité internationales ».
 La guerre a, cependant, fait l’objet de limitations reposant sur le principe
 qu’il pouvait y avoir de bonnes et de mauvaises façons de la faire et ce, dès le
 Moyen-Âge, avec l’apparition des notions de « guerre juste », de « paix de
 Dieu », ou encore de « trêve de Dieu ».
 C’est à l’issue de la Première Guerre mondiale que l’idée d’une répression
 pénale des crimes de guerre commence à être évoquée. Le traité de Versailles
 va ainsi codifier ce principe dans son article 227 qui stipule que l’empereur
 Guillaume II doit être déféré devant un tribunal spécial pour « offense suprême
 contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ».
 
 159
 À l’issue de la Seconde Guerre mondiale seront créés les tribunaux militaires405de
 Nuremberg et de Tokyo destinés à juger les criminels de guerre
 nazis et nippons.
 Mais on fera observer que, malgré cette volonté internationale, qui démontrait
 cette disposition des États de juger les chefs d’État coupables de crimes
 atroces et en plus, pour l’empereur d’Allemagne Guillaume II, répudié par son
 peuple, ces tribunaux militaires ne jugeront pas les chefs d’État auteur de
 crimes internationaux durant la Première Guerre mondiale – les Pays-Bas où
 Guillaume II s’était réfugié refusant son extradition –, et durant la Seconde
 Guerre mondiale : en effet, Benito Mussolini avait été assassiné, Adolf Hitler
 s’était suicidé et l’empereur du Japon Hiro-Hito ne fut pas traduit devant le
 tribunal militaire de Tokyo sur décision du général américain MacArthur qui
 s’y opposa406. Les statuts de ces deux derniers tribunaux définissent ainsi trois
 catégories d’infractions internationales : les crimes contre la paix ; les crimes
 de guerre ; et les crimes contre l’humanité.
 Les crimes contre la paix sont définis par l’article 6 a du statut du tribunal
 de Nuremberg en vertu duquel « la direction, la préparation, le déclenchement
 ou la poursuite d’une guerre d’agression ou d’une guerre en violation
 des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un
 plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque
 des actes qui précèdent ».
 Les crimes de guerre sont visés par l’article 6 b du statut et sont définis
 comme « les violations des lois et coutumes de la guerre ». Sans que le statut
 ne procède à une liste exhaustive, le statut mentionne particulièrement « l’assassinat,
 les mauvais traitements ou la déportation pour travaux forcés ou
 pour tout autre but des populations dans les territoires occupés, l’assassinat
 ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer,
 l’exécution des otages, le pillage de biens publics ou privés, la destruction
 sans motif des villes et villages, les dévastations que ne justifient pas les exigences
 militaires ».
 Enfin, les crimes contre l’humanité sont, eux, définis à l’article 6 c du statut
 comme « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation
 et tout autre acte inhumain commis contre toutes les populations civiles
 405 GARAPON (A.), « De Nuremberg au TPI : naissance d’une justice universelle ? », dans
 Critique internationale, 1999, volume 5, Mémoire, justice et réconciliation, pp. 167-180.
 406 V. DECAUX (E.), « Les gouvernants », dans ASCENCIO (H.), DECAUX (E.) et PELLET
 (A.) (dir), Droit international pénal, CEDIN, Paris X, Paris, Pedone, 2000, p. 183 sqq., spéc. p.
 189-190. V. également ATTAR (Fr.), Le droit international. Entre ordre et chaos, Paris, Hachette,
 1994, p. 513.
 
 160
 avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour motifs politiques et
 religieux ».
 Après les procès de Nuremberg et de Tokyo, la réflexion – sur l’opportunité
 de créer une juridiction pénale internationale permanente – sera reprise
 au sein de l’ONU et d’organismes internationaux tels la Commission pour le
 développement progressif du droit international et sa codification ; l’International
 Association of Penal Law (…).
 Les évènements de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda vont réanimer l’idée
 consistant à recréer des tribunaux pénaux internationaux à compétence limitée
 : le TPIY pour les crimes commis en ex-Yougoslavie ; et le TPIR pour les
 crimes commis pour cause de génocide sur le territoire du Rwanda, ou encore,
 ultérieurement le Tribunal Spécial des Nations Unies pour le Liban (TSL) créé
 en 2009 pour rechercher et juger les auteurs de l’assassinat du Premier ministre
 libanais Rafiq Hariri.
 Ces nécessités vont, aussi, faire renaître l’idée de la création d’un Tribunal
 Pénal International (TPI) permanent et vont aboutir au statut de Rome de 1998
 sur le TPI.
 Force est, cependant, de constater qu’il est de tradition que la mise en cause
 de la responsabilité des États pour crimes internationaux, pour crimes de
 guerre, ou pour crimes contre l’humanité soit rarement poursuivie devant les
 juridictions nationales, d’où, l’idée d’une certaine impunité qui couvrirait les
 agissements des dirigeants des pays mis en cause.
 Certes, la création407 de la Cour Pénale Internationale permanente par le
 Traité de Rome du 17 juillet 1998 et depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet
 2002, du Statut de Rome408 qui la régit, peuvent être attrait devant elle les
 autorités politiques d’un État, même et y compris les chefs d’État. En effet, la
 qualité de chef d’État n’empêche nullement la Cour Pénale Internationale permanente
 de juger pour crimes internationaux un chef d’État. Mais, pour que
 cela puisse être effectif, encore faut-il que les juridictions nationales de l’État
 407 Sur les divergences de points de vue sur la CPI entre la France et les États-Unis : V. FERLET
 (Ph.) et SARTRE (P.), La Cour Pénale Internationale à la lumière des positions américaines et
 françaises, Études, n° 2007/2, t. 406, p. 165-174.
 408 FERNANDEZ (J.), PACREAU (X.) et UBEDA-SAILLARD (M.) (dir.), Commentaire article
 par article du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2019, 2e éd.,
 2 t., 2980 p. et spécialement le commentaire de l’article 27 par Xavier AUREY, « Article 27.
 Défaut de pertinence de la qualité officielle », p. 1071-1094 ; V également pour un bilan, HERAN
 (Th.) (dir.), Les 20 ans du statut de Rome, Paris, Pedone, 2020, 406 p. et spécialement
 l’intervention de Muriel UBEDA SAILLARD, « L’efficacité des poursuites et la coopération
 avec les États : les immunités des hauts représentants de l'État en exercice », p. 281-294.
 
 161
 aient la possibilité de poursuivre et rechercher la responsabilité du chef de
 l’État en exercice, car la Cour Pénale Internationale n’a qu’une compétence
 complémentaire aux juridictions nationales.
 Suite à ces éléments, nous devrons étudier, tout d’abord, comment le droit
 français envisage l’évolution de la responsabilité pénale du Président de la
 République, en France, depuis la signature du traité instituant la Cour Pénale
 Internationale permanente (I) ; et comment cette situation est envisagée dans
 d’autres pays, spécialement africains (II).
 I. LA RESPONSABILITE PÉNALE
 DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN FRANCE
 Un des éléments importants du statut de la Cour réside dans la formulation
 de l’article 27 du statut (relatif au caractère de défaut de pertinence de
 la qualité officielle de l’auteur du crime) selon lequel :
 - « 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune
 distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle
 de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un
 parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas
 de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne
 constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ».
 - « 2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher
 à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du
 droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à
 l'égard de cette personne ».
 Or, la Constitution française du 4 octobre 1958 encadre la responsabilité
 pénale du Président de la République dans ses articles 67 et 68, aux termes
 desquels :
 - Article 67 : « Le Président de la République n'est pas responsable des
 actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-
 2 et 68.
 Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative
 française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet
 d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai
 de prescription ou de forclusion est suspendu.
 Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent
 être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant
 la cessation des fonctions ».
 
 162
 - Article 68 : « Le Président de la République ne peut être destitué qu'en
 cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice
 de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en
 Haute Cour.
 La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées
 du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les
 quinze jours.
 La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle
 statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision
 est d'effet immédiat.
 Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité
 des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute
 Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables
 à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une
 loi organique fixe les conditions d'application du présent article ».
 On ajoutera que la référence, faite dans l’article 67, à l’article 53-2 de la
 Constitution vise un ajout consécutif à la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8
 juillet 1999, portant révision de la Constitution rendue nécessaire par la volonté
 de ratifier le Statut de Rome de 1998 et qui dispose « La République peut
 reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions
 prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ».
 Le Conseil constitutionnel fut donc saisi, le 24 décembre 1998, par le Président
 de la République et le Premier ministre, conformément à l'article 54 de
 la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits
 par la France, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour
 pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 devait être précédée
 d'une révision de la Constitution.
 Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999409, le Conseil a ainsi
 rappelé que l'autorisation de ratifier un traité doit être précédée d'une révision
 409 JORF, 24 janvier 1999, p. 1317 ; Rec., p. 29. Cette décision a fait couler beaucoup d’encre
 et a été particulièrement commentée. On citera ici plus particulièrement : CARCASSONE (G.),
 « Le Président de la République française et le juge pénal : article 68 de la constitution, décision
 C.C 22 janvier 1999 », Droit et politique à la croisée des cultures. LGDJ, 1999, p. 275-288 ;
 SCHOETTL (J.-E.), « Cour pénale internationale », AJDA, 1999, p. 230-235 ; MATHIEU (M.)
 et VERPEAUX (M.), « L'immunité n'est pas l'impunité ! », D., 1999, n° s. n., p. 1-1 ;
 CHAGNOLLAUD de SABOURET (D.), « La responsabilité pénale du Président français
 », Pouvoirs, janvier 2000, n° 92, p. 66-70 ; MONJAL (P.-Y.) et GAUTRON (J.), « La décision
 98-408 du Conseil constitutionnel relative au statut de la Cour pénale internationale : un
 soutien aux réticences nationales ? », Revue de la recherche juridique, droit prospectif, 1999,
 p. 1207-1235 ; LIGNEUL (N.), « Le statut des personnes titulaires de qualités officielles en
 
 163
 de la Constitution lorsque ce traité contient une clause contraire à la Constitution,
 met en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou porte
 atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale et
 il a déclaré le traité de Rome partiellement non conforme à la Constitution
 ouvrant ainsi la voie à une révision de la Constitution dès lors que les pouvoirs
 publics souhaitent ratifier ce traité.
 Sur quelle motivation se base-t-il ?
 Le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 27 du statut de Rome contraire
 à la Constitution en ce qu’il proscrit toute immunité statutaire pour les agents
 de l’État responsables de crimes internationaux car cette disposition méconnaît
 les régimes spéciaux de responsabilité prévus par les articles 26, 68 et 68-
 1 de la Constitution (considérant n° 17 : « Considérant qu'il suit de là que
 l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité
 institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution »). Le Conseil a, par
 ailleurs, estimé que le fait que la CPI puisse demander à la France d’arrêter et
 de remettre des personnes dont les actes pourraient être couverts par la prescription
 ou l’amnistie portait atteinte aux conditions mêmes d’exercice de la
 souveraineté (considérant n° 34 : « Considérant, en revanche, qu'il résulte du
 statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du
 seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière
 de prescription ; qu'en pareil cas, la France, en dehors de tout manque de
 volonté ou d'indisponibilité de l'État, pourrait être conduite à arrêter et à remettre
 à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française,
 par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte
 aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale »).
 Enfin, le Conseil a formulé une appréciation similaire en ce qui concerne les
 stipulations du traité instituant la CPI permettant à son procureur de procéder
 à certains actes d’enquête hors la présence des autorités judiciaires françaises
 (considérant n° 38 : « Considérant, en revanche, qu'en application du 4 de
 l'article 99 du statut, le procureur peut, en dehors même du cas où l'appareil
 droit constitutionnel français et l'article 27 de la Convention de Rome portant statut de la Cour
 pénale internationale », RI droit pénal, juillet-décembre 1999, n° 70-3/4, p. 1003-1016 ; ARDANT
 (Ph.), « La responsabilité pénale du Président français », Pouvoirs, janvier 2000, n° 92,
 p. 61-64 ; SCHOETTL (J.-E.), « La responsabilité pénale du Chef de l'État », RDP, 1999,
 p.1037-1046 ; ROBBE (Fr.), « L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité
 du Président de la République (à propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 98-408
 DC du 22 janvier 1999) », La Gazette du Palais, 1999, n° s.n., p. 4-11 ; MATHIEU (M.) et
 VERPEAUX (M.), « [Note sous décision n° 99-408 DC] », JCP, G., 2000, n° s.n. ; DEZEUZE
 (E.), « Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République. Sur la décision
 n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel », Revue de science criminelle et
 de droit pénal comparé, 1999, n° s.n., p. 497-517.
 
 164
 judiciaire national est indisponible, procéder à certains actes d'enquête hors
 la présence des autorités de l'État requis et sur le territoire de ce dernier ;
 qu'il peut notamment recueillir des dépositions de témoins et « inspecter un
 site public ou un autre lieu public » ; qu'en l'absence de circonstances particulières,
 et alors même que ces mesures sont exclusives de toute contrainte,
 le pouvoir reconnu au procureur de réaliser ces actes hors la présence des
 autorités judiciaires françaises compétentes est de nature à porter atteinte aux
 conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale »).
 Enfin, le Conseil profite de cette saisine qui ne concernait que la conformité
 du statut de Rome instituant la CPI, pour interpréter la portée de l’article
 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 en droit interne (considérant n° 16 :
 « Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président
 de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et
 hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant
 la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en
 cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le
 même article ; qu'en vertu de l'article 68-1 de la Constitution, les membres
 du Gouvernement ne peuvent être jugés pour les crimes et délits commis dans
 l'exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République ;
 qu'enfin, les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l'article 26
 de la Constitution, bénéficient d'une immunité à raison des opinions ou votes
 émis dans l'exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième alinéa
 du même article, ne peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle,
 hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation
 ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation
 du bureau de l'assemblée dont ils font partie »).
 La question qui se pose dès lors, est celle de la portée et de la valeur juridique
 de cette dernière disposition. En d’autres termes, s’agit-il ou non d’un
 « obiter dictum » ?
 Un « obiter dictum » est une disposition d’un jugement qui n’est pas nécessaire
 à la résolution du litige qui lui est soumis410 et qui, dès lors, n’a pas
 de valeur juridique impérative. Elle se traduit littéralement par « soit dit en
 passant »411. N’étant pas nécessaire à la résolution du litige, cette disposition
 410 ESPLUGAS (P.), « Conseil constitutionnel et responsabilité pénale du chef de l’état en
 France (à propos de la décision du 22 janvier 1999 relative à la cour pénale internationale) »,
 RBDC, 2000, p. 163 et sqq.
 411 ROLAND (H.) et BOYER (L.), « Locutions latines de droit français », Paris, Litec, 4e éd.,
 1999, p. 293.
 
 165
 jurisprudentielle est-elle revêtue de la même autorité juridique412 que les
 autres dispositifs d’une décision du Conseil constitutionnel ?
 La Cour de cassation va avoir l’occasion de répondre à cette question dans
 un arrêt d’Assemblée plénière du 10 octobre 2001 (C. Cass., Assemblée plénière,
 10 octobre 2001, req. n° 01-84.922)413.
 Dans cette affaire il était question de poursuites engagées à l’encontre
 d’autorités publiques de la Ville de Paris à propos d’une affaire portant sur
 une information ouverte contre personne non dénommée pour favoritisme, détournement
 de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale
 d'intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularités dans les marchés
 publics passés par la Société d'économie mixte parisienne de prestations,
 dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et
 d'autres sociétés d'économie mixte étaient les actionnaires et dont les juges
 d’instruction avaient été saisis le 21 novembre 2000 d'une requête motivée en
 vue de l'audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Chirac, à l'époque des
 faits maire de Paris.
 La Cour de cassation va considérer, suivant en cela son Premier avocat
 général414 que la décision du Conseil constitutionnel n° 98-408 DC du 22 janvier
 1999, n’est pas applicable en ce qui concerne le droit interne. En effet,
 pour la Cour de cassation, « ALORS QUE, DE PREMIÈRE PART, il résulte
 de l'article 62 de la Constitution, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel
 lui-même dans sa décision du 20 juillet 1988, que l'autorité de chose jugée
 qui s'attache aux décisions du Haut Conseil « est limitée à la déclaration
 d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions » de la loi déférée et
 qu'elle « ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue,
 d'ailleurs, en termes différents » ; qu'il s'en déduit qu'en tout état de
 cause, la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 susvisée qui
 412 Mathieu DISANT, « L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel », thèse
 droit public Université de Lille 2 (dir. V. CATTOIR-JONVILLE), 2008, Paris, LGDJ, Bibliothèque
 constitutionnelle et science politique, n° 135, 2010, 868 p., spéc. p. 171-173.
 413 Publié au Bulletin, 2001, A. P. n° 11 p. 25. V. également FAVOREU (L.), « La Cour de
 cassation, le Conseil constitutionnel et la responsabilité pénale du Président de la République
 », Recueil Dalloz, 2001, n° 42, p. 3366-3369 ; WACHSMANN (P.) et JOUANJAN (O.),
 « La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et le statut pénal du chef de l'État », RFDA,
 2001, p. 1169-1187 ; PRÉTOT (X.), « Quand la Cour de cassation donne une leçon de droit au
 Conseil constitutionnel », RDP, 2001, p. 1625-1643 ; GOUTTES (R. de), « Conclusions sur
 l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 », RFDC, 2002, p.
 51-78 ; CAMBY (J.-P.), « La responsabilité pénale du Chef de l'État : épilogue ou nouveau
 départ ? », RDP, 2003, p. 57-59 ; BLANQUER (J.-M.), « Statut pénal du Chef de l'État », RDP,
 2003, n° 1, p. 61-65.
 414 GOUTTES (R. de), « Conclusions sur l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation
 du 10 octobre 2001 », RFDC, 2002, p. 51-78, op. cit..
 
 166
 statuait sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de la
 Cour pénale internationale ne dispose d'aucune autorité de chose jugée à
 l'égard du juge pénal statuant sur la base des dispositions du Code de procédure
 pénale pertinentes qui n'ont fait l'objet d'aucune décision portant
 sur la question de l'immunité du chef de l'État et rendue par le Conseil constitutionnel
 ; qu'en estimant pourtant que la décision du Conseil constitutionnel
 du 22 janvier 1999 s'imposait avec autorité absolue de chose jugée à
 toutes les juridictions pénales de droit commun, la Cour a violé l'article 62 de
 la Constitution ».
 Elle va, alors lui substituer sa propre interprétation : « ALORS QUE, DE
 SECONDE PART, toute juridiction doit assurer le respect du principe constitutionnel,
 et à portée générale, de l'égalité des citoyens devant la loi, et spécialement
 devant la loi pénale ; que le statut pénal du chef de l'État constitue,
 par certains de ses aspects, une dérogation au principe constitutionnel précité
 qui doit, dès lors, faire l'objet d'une interprétation stricte ; que l'article 68 de
 la Constitution dispose que " le Président de la République n'est responsable
 des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison.
 Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant
 par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres
 les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice " ; qu'on doit en
 déduire qu'en premier lieu, l'immunité ainsi instituée au profit du Président
 de la République ne s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice
 de ses fonctions, que, pour le surplus, il est placé dans la même situation
 que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun ;
 qu'en deuxième lieu, l'irresponsabilité du Président de la République pour
 les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions vaut pour tous les contentieux
 civil, pénal et administratif comme au plan politique, et que spécialement
 dans le domaine pénal le Président de la République ne peut dans
 l'exercice de ses fonctions se voir incriminé pour avoir commis un crime ou
 un délit ; qu'en dernier lieu une exception est apportée à ces règles qui concerne
 le crime de " haute trahison ", cette notion de haute trahison étant
 une notion qui n'est pas limitée à la définition de crimes et délits donnés par
 le Code pénal pour ce qui concerne les diverses atteintes à la sûreté ou à la
 sécurité de l'État, mais une notion autonome, dont le contenu est laissé à
 l'appréciation tant des parlementaires des deux assemblées qui auront
 choisi, dans les conditions de procédure fixées par l'article 68, d'accuser le
 Président de la République, que de la Haute Cour de justice statuant sur
 cette accusation ; qu'il s'en déduit que le Président de la République peut être
 mis en cause au plan pénal pour des faits commis avant son élection à la magistrature
 suprême ; que ces faits sont par nature détachables de l'exercice de
 ses fonctions durant son mandat présidentiel, et que, de plus fort, avant qu'il
 ne fût élu Président, le chef de l'État était un citoyen ordinaire soumis au statut
 
 167
 pénal commun reposant sur le principe d'égalité garanti par l'ordre juridique
 républicain ; que, de surcroît, cette interprétation résulte de la lettre même de
 l'article 68 de la Constitution qui ne met en cause le Président de la République
 pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
 haute trahison, et qui partant, renvoie au droit commun pour les actes détachables
 de ses fonctions, spécialement ratione temporis, comme ceux commis
 avant son élection ; qu'ainsi, force est de constater que la Cour a bien violé
 le principe, les textes constitutionnels et les textes pénaux susvisés régissant
 la compétence et les pouvoirs dévolus aux juges d'instruction ».
 II. LA RESPONSABILITE PENALE DU CHEF DE L’ÉTAT
 DANS LES REGIMES AFRICAINS
 Comme on y a déjà fait allusion, en droit international, le Chef de l’État
 a toujours joui d’une certaine immunité415 voire d’un statut spécial considéré
 par la coutume et justifié, à l’époque monarchique, par le caractère sacré de la
 fonction qu’il occupe dans l’ordre institutionnel. Comme certains auteurs l’ont
 bien montré416, « à l’origine de ce système immunitaire, se trouve la nécessité
 de protéger une souveraineté personnelle renforcée par son caractère sacré.
 Mais depuis l’époque contemporaine, l’État est le fondement même du système
 immunitaire absolu du Chef de l’État devant des juridictions étrangères.
 C’est la théorie dite de « l’immunité d’organe » développée par Hans Kelsen
 »417.
 Durant de nombreuses années, les précédents de 1919 et de 1945 ont pu
 être considérés comme des exceptions à la règle de l’immunité des Chefs
 415 V. notamment : DECAUX (E.), Le statut du Chef d’État déchu, AFDI, t. XXVI, 1980, p.
 101 sq. ; BORGHI (A.), L’immunité des dirigeants politiques en droit international,
 Bruxelles/Paris, Bruylant/LGDJ, 2003, 652 p. ; PANCRACIO (J.-P.), L’évolution historique
 du statut international du Chef de l’État, dans SFDI, colloque de Clermont-Ferrand, Le Chef de
 l’État en droit international, Paris, Pedone, 2002, p. 10 sqq. ; COSNARD (M.), Les immunités
 du Chef de l’État, dans SFDI, colloque de Clermont-Ferrand, ibidem, pp. 189 sqq.
 416 ONDO (T.), La responsabilité introuvable du Chef de l’État africain : analyse comparée de
 la contestation du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone (Les exemples camerounais,
 gabonais, tchadiens et togolais), Thèse droit, Université de Reims (dir. P. TROUDECHASTENET),
 2005, pp. 481-482.
 417 KELSEN (H.), Collective and Individual Responsabilitity for Acts of State in International
 Law, The Jewish Yearbook of International Law, 1948-49, pp. 226-239 et Collective and Individual
 Responsibility in International Law with Particular Regard to the Punishment of War
 Criminal, California Law Review, 1943, pp. 530- 571.
 
 168
 d’État dans la sphère internationale, due, notamment, à la spécificité des circonstances,
 – comme une exception à la règle confirmant ainsi la règle. Mais
 la création des tribunaux ad hoc (Yougoslavie, Rwanda…), la signature de
 conventions internationales humanitaires, la création, enfin, de la Cour Pénale
 Internationale permanente ont remis en lumière la question de la responsabilité
 pénale internationale du Chef de l’État. Cette dernière « apparaît, à plus
 d’un titre, comme un substitut à l’irresponsabilité politique des dirigeants
 »418.
 On peut ainsi affirmer que cette responsabilité pénale est prévue, désormais,
 tant par le droit international humanitaire que par le droit international
 pénal. Il s’agit d’une responsabilité personnelle qui s’exerce soit dans le cadre
 de l’exercice de ses pouvoirs, soit après sa sortie de fonctions. Ce qui fait que
 ses actions ne sont pas couvertes par l’immunité étatique résulte de ce que les
 crimes (crimes de guerre, crime contre l’humanité, crime de génocide, crime
 d’agression) ainsi commis relèvent de son action personnelle et non de la responsabilité
 collective de l’État. Peut-on valablement soutenir que la Shoah
 n’est pas le fait personnel d’Adolf Hitler, mais celui du peuple allemand ?
 Comme le fait justement observer le Tribunal Militaire International de Nuremberg
 dans sa décision du 1er octobre 1945, « (…) ce sont des hommes et
 non des entités abstraites qui commettent les crimes dont la répression s’impose,
 comme sanction du droit international, qui dans certaines circonstances
 protègent les représentants d’un État, ne peut s’appliquer aux actes condamnés
 comme criminels par le droit international (…) ».
 Ce principe étant, désormais, consacré, il est évident qu’il devait être repris
 par l’article 27 du Statut de la Cour Pénale Internationale419. C’est donc le
 caractère odieux du crime international qui « innocente » l’organe étatique de
 toute responsabilité pour la transférer personnellement sur la tête du Chef de
 l’État, tant devant les juridictions nationales que devant les juridictions internationales.
 Il faut noter que les juridictions nationales détiennent ici une compétence
 universelle alors que la Cour Pénale Internationale dispose, quant à elle, d’une
 compétence subsidiaire ou résiduelle.
 On peut, avec Anne-Marie La Rosa, définir la compétence universelle
 comme étant « un système donnant aux tribunaux de tout État sur le territoire
 418 ONDO (T.), La responsabilité introuvable du Chef de l’État africain : analyse comparée de
 la contestation du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone (Les exemples camerounais,
 gabonais, tchadiens et togolais), op. cit., p. 483.
 419 V. supra pour le texte de cette disposition conventionnelle.
 
 169
 duquel se trouve l’auteur de l’infraction pour connaître de cette dernière et
 ce, que ce soit le lieu de perpétration de l’infraction et la nationalité de l’auteur
 ou de la victime »420.
 Quant à la possibilité de mettre en cause la responsabilité pénale internationale
 des dirigeants, la Belgique a été l’une des premières à avoir adopté une
 telle législation par le biais de la loi du 16 juin 1993421.
 Il est important de noter que cette loi a été adoptée en dehors de toute obligation
 internationale (il ne s’agissait pas d’une loi de ratification d’un traité
 international…). Cette loi a été modifiée par la loi du 19 février 1999422 aux
 termes de laquelle elle « constitue la colonne vertébrale de la mise en oeuvre
 de la répression sur le plan interne des violations graves du droit humanitaire
 et [qui] consacrent la compétence universelle des juridictions belges sans exigence
 de lien de rattachement »423. Mais cette loi a été modifiée sous la pression
 américaine par la loi du 5 août 2003. En vertu de ce dernier texte, les
 juridictions belges peuvent engager des poursuites, uniquement lorsque des
 victimes de crimes commis à l’étranger sont de nationalité belge. Ainsi, la
 compétence universelle des tribunaux belges s’en trouve limitée d’autant.
 En Afrique, il ne semble pas qu’un pays ait adopté le principe de la compétence
 universelle. Néanmoins, la responsabilité pénale internationale a commencé
 à trouver une certaine consistance comme le montrent, en Europe, la
 poursuite du général Pinochet en Grande-Bretagne en 1998 et l’arrestation de
 l’ancien Président yougoslave Slobodan Milosevic et son transfert devant le
 Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye en
 2001.
 420 LA ROSA (A.-M.), Dictionnaire de droit international pénal, termes choisis, préface A.
 CASSESSE, Paris, PUF, 1998, p. 10.
 421 BAILLEURS (A.), L’histoire de la loi belge de compétence universelle. Une valse à trois
 temps : ouverture, étroitesse, modestie, Droit et société, n° 59, 2005, pp. 107-133.
 422 ARGENT (P. d’), La loi du 19 février 1999 relative à la répression des violations graves du
 droit international humanitaire, dans Journal des Tribunaux (JT), 1999, pp. 550 sq.
 423 VANDERMEERSCH (D.), Quel avenir pour la compétence universelle des juridictions
 belges en matière de crimes de droit international humanitaire ? - Droit belge, dans CASSESSE
 (A.) et DELMAS-MARTY (M.) (dir.), Juridictions internationales et crimes internationaux,
 Paris, PUF, 2002, p. 69 sq..
 
 170
 Pour revenir à notre thématique, en Afrique, l’idée d’une pratique de la
 mise en jeu de la responsabilité pénale des gouvernants a connu un début d’application424
 avec l’arrestation et la condamnation à une peine de prison à perpétuité
 pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité de l’ex-Premier
 ministre rwandais Jean Kambanda le 4 septembre 1998425.
 Comme le fait observer Télesphore Ondo, « la responsabilité pénale internationale
 du Chef de l’État africain, n’a véritablement été mise en jeu qu’avec
 l’engagement, en France, des poursuites contre un Chef de l’État en exercice,
 le Président libyen Mouammar Kadhafi et la mise en cause de l’ex-Président
 tchadien Hissène Habré au Sénégal »426.
 En ce qui concerne l’affaire Kadhafi (en 1989), les faits sont très bien connus
 tellement ils ont été médiatisés. Il s’agit de l’affaire de l’attentat contre
 l’avion DC10 de la compagnie aérienne UTA attaqué en vol qui explosa tuant
 170 passagers. Il résulte de l’instruction que l’attentat met en cause les services
 secrets libyens. Le 10 mars 1999, les six auteurs de l’attentat, tous de
 nationalité libyenne, sont jugés par la Cour d’assises de Paris et condamnés
 par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité, mais ils ne seront pas
 poursuivis dans leur pays.
 L’instruction avait laissé penser à l’implication directe du Chef de l’État
 libyen puisqu’il était prouvé que l’attentat avait été préparé par le chef des
 services secrets, par ailleurs propre beau-frère du Chef de l’État.
 Dès lors, l’association SOS Attentats va déposer le 15 juin 1999 une plainte
 avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du
 TGI de Paris.
 L’instruction avait été sollicitée contre le Chef de l’État libyen au motif de
 « s’être sciemment rendu complice par instruction donnée, des homicides volontaires
 commis sur 170 personnes avec la circonstance que ladite destruction
 et dégradation d’objets mobiles et de biens immobiliers par l’effet d’une
 substance explosive ayant entraîné la mort de personnes a été commise en
 relation avec une entreprise collective ayant pour objet de troubler l’ordre
 424 Même s’il faut faire observer qu’il y a eu un précédent : le cas de l’ex-Président de la Guinée
 Équatoriale Francisco Macias Ngema, jugé pour crime de génocide, arrêté et condamné à mort
 le 29 septembre 1979 et exécuté le jour même par la garde royale marocaine, faute de volontaires
 parmi les soldats équatoguinéens. V. sur cette question, TERNON (Y.), L’État criminel.
 Les génocides au XXe siècle, Paris, Seuil, 1995, p. 339.
 425 LAUCI (C.), La responsabilité pénale des détenteurs de l’autorité : étude de la jurisprudence
 récente des tribunaux pénaux internationaux, dans L’observateur des Nations Unies, n° 6, 1999,
 p. 143.
 426 Op. cit., p. 503.
 
 171
 public par l’intimidation et la terreur ». Ce motif vise en réalité des faits prévus
 et réprimés par le Code pénal et le Code de procédure pénale en France.
 Le Procureur de la République a, par ses réquisitoires, refusé d’informer en se
 basant sur la coutume internationale selon laquelle les Chefs d’État ou de gouvernement
 bénéficient d’une totale immunité, du fait du principe de la souveraineté
 des États.
 Le premier vice-président du TGI de Paris, le juge Jean-Louis Bruguière,
 a, par ordonnance du 6 octobre 1999, rejeté le refus d’informer en se fondant
 sur l’article 113-7 du Code pénal, en vertu duquel, « la loi pénale française
 est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis
 par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République
 lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction ».
 Le Procureur de la République va interjeter appel et saisir la chambre d’accusation
 de la Cour d’appel de Paris qui dans un arrêt du 20 octobre 2000 a
 donné raison aux parties civiles en faisant observer qu’« aucune immunité ne
 saurait couvrir les faits de complicité d’homicides volontaires et de destruction
 par substances explosives ayant entraîné la mort avec une entreprise terroriste
 consistant pour un Chef d’État à avoir ordonné l’explosion » et « que
 ces faits, à les supposer établis, entreraient dans la catégorie des crimes internationaux,
 et ne pourraient, en tout état de cause, être considérés comme
 ressortant des fonctions d’un Chef d’État »427.
 À l’issue de cet arrêt la Cour de cassation fut saisie d’un pourvoi qui déboucha
 sur un arrêt de la chambre criminelle rendu le 13 mars 2001 par lequel,
 elle cassa l’ordonnance de la Cour d’appel, au motif que « le crime dénoncé,
 quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité
 de juridiction des Chefs d’État étrangers en exercice »428.
 On notera que la formule de la Cour de cassation signifie, a contrario, que
 la Haute Juridiction reconnaît expressis verbis qu’il peut exister des exceptions
 au principe coutumier des immunités des Chefs d’État.
 Mais la Cour affirme, par ailleurs, que « la coutume internationale s’oppose
 à ce que les Chefs d’État en exercice puissent, en l’absence de disposi-
 427 CA, Paris, Ch. Acc, 2e section, 20 octobre 2000, arrêt n°A 1999/0591. V. également POIRAT
 (Fl.), Jurisprudence française en matière de droit international public. Immunité de juridiction
 pénale du Chef d’État étranger et règles coutumières devant le juge judiciaire, dans
 RGDIP, n° 2/2001, pp. 473 et ss.
 428 C. Cass., Ch. Crim., 13 mars 2001, arrêt n° 1414, RGDIP, n° 2/2001, p. 473 sq., note Fl.
 POIRAT.
 
 172
 tions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet
 de poursuite devant les juridictions pénales internes ». Par-là, elle montre
 son attitude d’extrême réserve à l’égard de la coutume internationale dans
 l’ordre juridique interne français.
 Cela remet donc bien en cause la portée de la mise en jeu de la responsabilité
 pénale des Chefs d’État en exercice en droit français. C’est ce que va
 confirmer l’affaire Hissène Habré, qui elle ouvre de nouvelles perspectives.
 Hissène Habré est un chef de guerre tchadien qui prend le pouvoir le 7 juin
 1982 en renversant le Président Goukouni Oueddei et devient Président de la
 République du Tchad. Il est, à son tour, renversé le 1er décembre 1990 par un
 coup d’État mené par Idriss Déby. Il se réfugie alors au Sénégal.
 Durant sa présidence, il est soupçonné d’être responsable de la mort de près
 de 40 000 personnes. Une fois renversé, plusieurs fosses communes, contenant
 plus de 150 squelettes, seront mises à jour aux alentours de la capitale
 N’Djamena.
 La Belgique, compte tenu de sa loi de compétence universelle que nous
 avons déjà évoquée (certaines des victimes étaient de nationalité belge), va
 alors engager des poursuites à l’encontre de l’ex-Président du Tchad. La Belgique
 délivre alors à son encontre un mandat d’arrêt international le 19 septembre
 2005 qui est transmis aux autorités sénégalaises. Hissène Habré est
 alors arrêté et placé en garde à vue. Il sera libéré quelques jours plus tard, car
 les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes et l’affaire est
 renvoyée devant l’Union africaine.
 L’Union africaine va alors décider de mandater le Sénégal pour juger Hissène
 Habré de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, et actes de torture
 en juillet 2006. Le Sénégal va alors engager des réformes constitutionnelles et
 législatives afin de se doter des instruments juridiques lui permettant de juger
 le dictateur tchadien.
 Sur ces entrefaites, un tribunal de N’Djamena le condamne à mort par contumace,
 pour crimes contre l’humanité.
 Le 30 juin 2012, il est de nouveau placé en garde à vue et son procès débute
 le 20 juillet 2015 à Dakar par une juridiction spéciale créée à cette fin par le
 Sénégal et l’Union africaine : les Chambres africaines extraordinaires429. On
 429 OUIGOU SAVADOGO (R.), « Les Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux
 sénégalais : Quoi de si extraordinaire ? », Études internationales, vol. 45, n° 1, 21 mai
 2014, p. 105–127.
 
 173
 peut ici reconnaître l’action décisive de la Belgique qui, face à la mauvaise
 volonté du Sénégal à juger Hissène Habré, est allée jusqu’à saisir la Cour Internationale
 de Justice laquelle, par un arrêt du 20 juillet 2012 – rendu à l’unanimité
 des 17 juges qui la composaient – a donné raison à la Belgique430 et
 déclaré que le Sénégal avait l’obligation de poursuivre Hissène Habré ou à
 tout le moins de l’extrader vers tout État qui veut le poursuivre pénalement.
 Le 30 mai 2016, le tribunal spécial de Dakar condamne Hissène Habré à la
 réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage
 et enlèvements. Il fait alors appel et un nouveau procès débute le 9 janvier
 2017. La chambre d’appel confirme le jugement de première instance en
 précisant que la peine devra être purgée soit au Sénégal, soit dans tout autre
 pays de l’Union africaine.
 Le 7 avril 2020, Hissène Habré sera autorisé à quitter sa prison de Dakar
 pour raisons sanitaires dues à la Covid-19 et placé en résidence surveillée pendant
 60 jours. Il sera replacé en prison à compter du 7 juin 2020.
 La coutume internationale, malgré la création de la Cour Pénale Internationale
 qui est, en partie, une résultante de la crise rwandaise, a révélé que les
 juridictions françaises comme étrangères demeurent extrêmement réticentes à
 reconnaître la responsabilité pénale internationale des Chefs d’Etat431. Mais
 430 CIJ, arrêt du 20 juillet 2012, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
 (Belgique c./ Sénégal), arrêt, CIJ Rec. 2012, p. 422. Dans cet arrêt, la Cour dit pour droit
 (n°122) :
 « La Cour, 1) A l’unanimité, Dit qu’elle a compétence pour connaître du différend entre les
 Parties concernant l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7,
 paragraphe 1, de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements
 cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, dont le Royaume de Belgique a
 saisi la Cour par requête déposée au Greffe le 19 février 2009 ; (…) 3) Par quatorze voix contre
 deux, Dit que les demandes du Royaume de Belgique fondées sur l’article 6, paragraphe 2, et
 l’article 7, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines
 ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 sont recevables ; 4) Par
 quatorze voix contre deux, Dit que la République du Sénégal, en ne procédant pas immédiatement
 à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits relatifs aux crimes qui auraient été
 commis par M. Hissène Habré, a manqué à l’obligation que lui impose l’article 6, paragraphe
 2, de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
 inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ; 5) Par quatorze voix contre deux, Dit que la
 République du Sénégal, en ne soumettant pas l’affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice
 de l’action pénale contre M. Hissène Habré, a manqué à l’obligation que lui impose l’article
 7, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements
 cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ; 6) À l’unanimité, Dit que la
 République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses autorités
 compétentes pour l’exercice de l’action pénale, si elle ne l’extrade pas ».
 431 V. en ce sens, sur la distinction entre immunité personnelle et immunité matérielle du Chef
 de l’État, le tout récent article d’H. ASCENCIO, L’immunité du Chef d’État devant les juridictions
 internationales, dans AFDI, 2019, p. 395-413.
 
 174
 l’affaire Hissène Habré a montré que des évolutions étaient possibles dans le
 sens d’une réelle mise en jeu de cette responsabilité pénale, au moins lorsqu’il
 s’agit d’ex-Chefs d’État.