Fiche du document numéro 30764

Num
30764
Date
Jeudi Juin 2006
Amj
Taille
846495
Titre
Rapport de monitoring et de recherche sur la Gacaca – La récolte d’informations en phase nationale
Mot-clé
Source
PRI
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rapport de monitoring et de recherche sur la Gacaca

La récolte d’informations en phase nationale

Avec le soutien
du Ministère des Affaires Etrangères de Belgique
de la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC)

Juin 2006

Adresses PRI
PRI Londres
Unit 450
The Bon Marche Centre
241-251 Ferndale Road
Brixton
Londres SW9 8BJ
United Kingdom
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Fax: +44 (0) 20 7924 9697
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PRI Rwanda
BP 370
Kigali Rwanda
Tél.: +250 51 86 64
Fax: +250 51 86 41
prirwanda@penalreform.org
Adresse du site Web : www.penalreform.org
Toutes les impressions et réactions sur ce travail sont les bienvenues, n’hésitez pas à nous
contacter aux adresses mentionnées ci-dessus.

Les informations présentées dans ce document ont été
recueillies grâce à toute l’équipe de PRI au Rwanda, un
grand merci à eux tous pour leur travail.

Résumé
Avec l’entrée du processus Gacaca dans sa phase nationale de collecte, les autorités nationales ont
été confrontées à plusieurs défis loin d’être évidents à relever :
ƒ

Le premier d’entre eux est celui de la recherche de la vérité : compte tenu du contexte
rwandais, cet objectif premier du processus judiciaire s’annonçait plus que délicat en
raison non seulement des importants traumatismes subis par la population rwandaise
depuis plus de dix ans et qui rendent souvent les témoignages très difficiles, mais
également compte tenu des caractéristiques propres à chaque partie à ces procès. D’une
part les survivants disposent souvent d’informations dont ils ne sont pas toujours les
témoins directs et d’autre part, ceux-là mêmes qui possèdent l’information, autrement dit
les auteurs, n’ont pas forcément intérêt à la révéler ou le font dans le cadre d’aveux au
caractère parfois parcellaire.

ƒ

Le deuxième est celui de la durée : au regard de ce qu’avaient été la relative lenteur et la
difficulté pour certains juges d’animer les débats en phase pilote, il était des plus légitimes
qu’en lançant la phase nationale le gouvernement ait été guidé par un objectif de célérité.
Une préoccupation qui est devenue d’autant plus essentielle au vu du nombre projeté
d’accusés qui devrait dépasser les 750.000, soit près d’un adulte rwandais sur quatre.

Pour ce faire, les autorités nationales, fidèles à une approche de plus en plus pragmatique dans la
mise en œuvre de ce processus complexe, ont fait le choix pour réaliser cette phase de collecte de
s’appuyer sur la structure administrative des “autorités locales”, ce que ne prévoyait nullement la
toute récente loi Gacaca du 19 juin 2004. Le Service National des Juridictions Gacaca a donc
décidé, à la fin de l’année 2004, de confier non seulement l’organisation mais surtout la réalisation
de la collecte des informations aux nyumbakumi, ainsi qu’aux coordinateurs de cellule et de secteur.
L’essentiel de la collecte s’est donc déroulé, tout au long de cette année 2005, en dehors du cadre
même des juridictions Gacaca qui n’ont réellement retrouvé leurs compétences que pour une
nouvelle phase dite de validation des premières données récoltées par les autorités locales.
Au-delà de l’objectif de célérité qui a été clairement atteint, le recours à ces nouveaux “acteurs”
non judiciaires pour cette collecte a très certainement permis, en créant une nouvelle dynamique,
d’obtenir une réelle augmentation quantitative de la participation de la population et du nombre
d’informations sur les faits de génocide.
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Néanmoins, le déroulement de cette nouvelle collecte d’informations, dans un premier temps
totalement “déjudiciarisée”, n’est pas sans soulever un certain nombre de problèmes de fond
dans un contentieux où la question des témoignages est essentielle, car ils sont l’unique moyen de
révéler les faits, l’unique moyen de preuve pour établir la responsabilité individuelle d’un accusé.
Or, dans le cadre de cette nouvelle modalité de récolte des informations, il nous semble que
plusieurs éléments, au départ mis en place pour faciliter le recueil des accusations, se sont
combinés, pour au final conduire à un recul préjudiciable d’un droit fondamental de se défendre
et d’apporter des témoignages à décharge en phase de collecte du processus Gacaca. Or la prise en
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

-1-

compte de cette situation s’avère plus que nécessaire au moment où le processus doit entrer dans
une nouvelle phase de jugement des accusés.
ƒ

En vue de faciliter le travail de collecte, des fiches furent élaborées reprenant les sept
listes originellement présentes dans la loi, en les complétant par dix-sept autres listes.
Cependant, aucun espace spécifique n’a été prévu dans les fiches utilisées par les autorités
locales pour qu’elles puissent le cas échéant mentionner les témoignages à décharge : la
population ne pouvait donc dire autre chose que la nature des faits eux mêmes et citer les
noms des personnes victimes et de celles qu’elles accusaient.

ƒ

La collecte fut dans un premier temps réalisée par les nyumbakumi en groupe restreint, cela
en vue de permettre de témoigner en toute quiétude et de faciliter ainsi l’aveu et le
témoignage à charge sans crainte d’être menacé. Ce premier travail fut ensuite complété
par des réunions de collecte au niveau des cellules et des secteurs au cours desquelles la
consigne présentait toutes les informations comme les bienvenues, y compris celles dont
les personnes n’étaient pas personnellement les témoins oculaires, mais exclusivement
pour les informations à charge. L’idée qui a sous-tendu cette pratique est que dans un
contexte où la révélation de la vérité était aussi difficile, toute information est bonne à
prendre. Toutefois, dans la mesure où accuser a pu se faire sans contradiction, aucune
vérification n’étant faite, ceci a pu générer chez certains accusateurs un sentiment
d’irresponsabilité totale et surtout créer un climat propice à des pratiques déviantes telles
que les fausses accusations et l’instrumentalisation de cette collecte d’informations par la
population. Cette récupération du processus à des fins personnelles, en l’absence de tout
garde fou et faute de débat contradictoire, a eu un impact direct sur la perception du
processus par une partie de la population. Cela s’est traduit par un manque de confiance
dans le processus, au point de conduire certaines personnes à fuir à l’étranger par peur de
ce qu’il représente.
On pouvait penser que cette facilité donnée à l’accusation dans le cadre de la collecte par
les autorités locales serait contrebalancée par un vrai débat contradictoire au cours des
séances de validation en Assemblées Générales des juridictions Gacaca. Ce ne fut pourtant
pas le cas. Dans la très grande majorité des cas observés, le travail des juges intègres fut
réduit à un simple rôle d’enregistrement, l’absence de discussion sur les accusations
portées ayant prévalue. Une validation/enregistrement qui, tout en renforçant le
sentiment chez certains d’une collecte “sous influence” des autorités locales, a également
eu pour conséquence de déposséder en partie les juges intègres de leur autorité vis-à-vis
de la population.

ƒ

-2-

Par ailleurs, le droit d’apporter des témoignages à décharge et pour l’accusé de se
défendre n’ont pas trouvé de place pour s’exprimer durant cette phase d’instruction, le
débat contradictoire étant reporté au moment des jugements. Ces consignes avaient pour
objectif d’éviter en phase d’instruction une défense des accusés qui risquerait, sinon de
bloquer, du moins de ralentir considérablement la collecte des témoignages à charge.
Toutefois, ceci s’est fait au détriment tant des droits de chaque citoyen, que de la
recherche de la vérité qui ne peut ressortir, dans un débat judiciaire, que du
contradictoire. Ce fait est d’autant plus préjudiciable que c’est sur base de ces seules
informations collectées qu’a lieu la catégorisation, moment clé sur le plan strictement
judiciaire, mais également lourd de conséquences sur le plan social.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

ƒ

Enfin, si ce mode de collecte depuis l’échelon administratif le plus bas, a permis de
récolter, dans un délai relativement bref d’importantes listes d’accusés, la question de la
qualité des informations récoltées mérite d’être posée. Car non seulement la population
fut dans la quasi impossibilité d’apporter des témoignages à décharge, mais sa
participation fut également en partie garantie par le recours à des mesures coercitives
(amendes et attestations de bonne conduite), ainsi qu’une utilisation dévoyée de la
législation sur le refus de témoigner. Des mesures qui amènent à s’interroger sur le
pourquoi de leur nécessité. Et même s’il reste très difficile de répondre à cette question, il
nous semble que les actions de sensibilisation menées en parallèle ont bien souvent laissé
sans réponse un certain nombre de questionnement de la population et ont ainsi favorisé
l’émergence d’un climat de peur, à la fois résultat et vecteur de rumeurs. Autant de
facteurs qui sont de nature à entamer gravement la confiance d’une partie de la
population dans ce processus.
888

Devant le nombre d’accusés potentiels, la prise en compte de la durée de ce contentieux du
génocide plus de dix ans après les faits, est une préoccupation légitime. Mais faire primer
l’objectif de rapidité aux dépends d’une justice équilibrée, parce que basée sur les principes du
contradictoire et de la présomption d’innocence, constitue un risque d’échec important sur le
plan de l’adhésion de la population à ce processus et à plus long terme sur celui de la
réconciliation en elle-même.
Dés lors, compte tenu des observations menées par PRI tout au long de l’année 2005, il nous
semble important de prendre en compte dés aujourd’hui les éléments suivants :
ƒ

Sur le plan strictement judiciaire, si la collecte d’informations devait en rester là, il est à
craindre que les juridictions Gacaca en phase de jugement ne disposent pour juger que
d’accusations. Car il est une constante dans tout système pénal que le temps fait
disparaître les preuves et que dés lors, les témoignages à décharge seront plus difficiles à
produire demain qu’ils ne l’auraient été hier. Notre première recommandation est
donc que les juridictions Gacaca puissent au plus vite favoriser la production des
témoignages à décharge pour disposer d’un maximum d’informations, par
exemple en réintroduisant un débat public et contradictoire dès le stade de la
catégorisation.

ƒ

En vue de rendre le principe de la présomption d’innocence efficient sur le terrain, afin
non seulement de contrecarrer ceux qui instrumentalisent le processus à des fins
personnelles, mais surtout de rassurer la population sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un
système destiné principalement à accuser, notre seconde recommandation est qu’il
conviendrait de donner officiellement la consigne aux autorités locales et aux
juges Gacaca d’abandonner certaines pratiques attentatoires aux libertés
(utilisation dévoyée de l’article 29 en phase de collecte, recours aux amendes pour
non participation et aux attestations de bonne conduite).

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

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-4-

ƒ

Loin de garantir une participation active, les mises en détention provisoire, en particulier
dans des conditions non prévues par la loi et donc discriminatoires, ne font que renforcer
la crainte et par conséquent la défiance de la population vis-à-vis du processus. Aussi,
notre troisième recommandation est d’encadrer légalement beaucoup plus
précisément que ne le fait la loi de juin 2004 les conditions dans lesquelles les
juridictions Gacaca peuvent placer en détention soit un accusé, soit un témoin.

ƒ

Compte tenu du caractère en partie “extrajudiciaire” de l’organisation de la collecte dans
la courant de l’année 2005 (substitution des juges par les autorités locales favorisant les
tentatives d’immixtion de ces dernières, recueil de toutes les informations, y compris des
fausses et dans un premier temps en dehors des juridictions Gacaca), il nous paraît
primordial de rappeler à tous le caractère éminemment judiciaire de ce processus Gacaca
qui conduit au prononcé de sanctions pénales individuelles. Notre quatrième
recommandation est que toutes mesures utiles soient prises afin que la suite du
processus soit totalement et pleinement confiée aux juges intègres et que toute
l’autorité nécessaire leur soit donnée pour contrecarrer, le cas échéant, les
tentatives d’immixtion des autorités administratives. Il pourrait s’agir notamment
de renforcer la formation des présidents de juridiction dans les techniques
d’animation d’un débat contradictoire et d’interrogatoire des témoins et des
accusés. Mais aussi, en parallèle, de valoriser les initiatives déjà existantes de
soutien et de reconnaissance du rôle essentiel confié à ces intègres.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Table des matières
PRECISIONS METHODOLOGIQUES....................................................................................................... I
LA « RECHERCHE-ACTION » COMME APPROCHE METHODOLOGIQUE .....................................................................I
LE MATERIEL D’ENQUETE ...................................................................................................................................................I
L’ORGANISATION PRATIQUE DE LA RECHERCHE ........................................................................................................III
LES LIMITES DE CETTE RECHERCHE .............................................................................................................................IV
INTRODUCTION ......................................................................................................................................... 1

- PARTIE 1 LE RECOURS AUX AUTORITES ADMINISTRATIVES LOCALES
DANS LA PHASE NATIONALE DE COLLECTE D'INFORMATIONS

I. LA RECHERCHE DU FONDEMENT AU RECOURS A L’AUTORITE ADMINISTRATIVE POUR LA COLLECTE
D’INFORMATION .................................................................................................................................................................... 4
A. La question de la compatibilité légale de la fonction de juge Gacaca avec une fonction
administrative ou politique .......................................................................................................................................... 4
B. Le livret “Procédure de collecte d’informations dans les Juridictions Gacaca” de novembre 2004... 5
II. L’APPARITION D’UN NOUVEL ACTEUR : LE NYUMBAKUMI .................................................................................... 6
A. La mise en place des nyumbakumi dans le processus de collecte d’informations ................................. 6
1. La sensibilisation des autorités locales et des nyumbakumi à leur nouveau rôle............................................. 6
2. Description du nouveau rôle des nyumbakumi ................................................................................................... 7
B. Les principales difficultés de fond rencontrées par les nyumbakumi ........................................................ 8
1. Des fiches aux termes trop imprécis ..................................................................................................................... 9
2. Les causes de ces difficultés.................................................................................................................................. 10
C. Le soutien du nyumbakumi par les autres autorités administratives supérieures ................................ 12
1. L’implication des coordinateurs de cellule et de secteur dans la collecte d’informations............................. 13
Déroulement de ces réunions.............................................................................................................................. 13
Objectifs de ces réunions..................................................................................................................................... 16
2. D’une implication administrative à une immixtion contestable sur le fond du processus ........................... 17
De l’appui à l’immixtion....................................................................................................................................... 17
L’ambiguïté du soutien des intègres dans cette nouvelle collecte................................................................... 18
III. LA VALIDATION OU LE RETOUR DU JUGE EN PHASE DE COLLECTE ................................................................ 19
A. Le retour du juge dans la collecte ....................................................................................................................... 19
B. Le déroulement des séances................................................................................................................................. 21
C. L’inscription des informations dans le registre............................................................................................... 22
La catégorisation................................................................................................................................................ 24

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PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

- PARTIE 2 L'INCONTESTABLE DECLIN DU DROIT DE SE DEFENDRE
I. LE RECUL DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE ........................................................................................................ 26
A. La collecte en groupe restreint et la question des “fausses accusations”................................................ 26
1. La collecte en groupe restreint ............................................................................................................................. 26
2. La question des “fausses accusations” ................................................................................................................ 28
B. La non collecte du témoignage à décharge...................................................................................................... 30
1. La non collecte des témoignages à décharge par les autorités locales............................................................. 31
2. La validation comme simple enregistrement des accusations .......................................................................... 33
C. La collecte d’informations et l’obligation de témoigner ?............................................................................ 38
II. LA PARTICIPATION, UN ULTIME REMPART

MIS A MAL ......................................................................................... 41

A. Le recours à la contrainte ...................................................................................................................................... 41
1. L’absence de cadre légal à ces mesures ............................................................................................................... 43
2. La pratique des amendes ....................................................................................................................................... 43
3. La pratique des “attestations de bonne conduite”............................................................................................. 45
B. Une confiance à retrouver ..................................................................................................................................... 49
1. Une sensibilisation adaptée ? ................................................................................................................................ 49
2. La montée de la peur ............................................................................................................................................. 50
3. Les rumeurs............................................................................................................................................................. 51
CONCLUSION............................................................................................................................................. 55

- ANNEXES ANNEXE 1
LISTES DU LIVRET DE PROCEDURE DE COLLECTE D’INFORMATIONS ......................................................... 59
ANNEXE 2
FICHE SUR LES “LES PROMOTEURS DANS LA CELLULE ”.............................................................................. 62
ANNEXE 3
FICHE SUR LES “REUNIONS DE PREPARATION DU GENOCIDE DANS LA CELLULE”...................................... 63
ANNEXE 4
FICHE SUR LES “BARRIERES ERIGEES DANS LA CELLULE” ........................................................................... 65
ANNEXE 5
POSITION PAPER DES ONG DU SECTEUR JUSTICE SUR L’AVANT-PROJET D’AMENDEMENT DE LA LOI
ORGANIQUE N°16/2004 DU 19 JUIN 2004 ....................................................................................................... 67
ANNEXE 6
ECHANTILLONNAGE GEOGRAPHIQUE (NOUVELLES APPELLATIONS) .......................................................... 71

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

ii

Précisions méthodologiques
Le programme de recherche mené par PRI sur les juridictions Gacaca au Rwanda depuis
avril 2001 a pour objectif de fournir aux autorités nationales en charge du processus, aujourd’hui
le Service National des Juridictions Gacaca, des données objectives en vue de soutenir la
conception et la mise en œuvre de ces juridictions.
La « recherche-action » comme approche méthodologique
L’approche retenue par PRI peut être considérée comme relevant de la “recherche-action”, dans
la mesure où elle est pensée comme une recherche sociale délibérément orientée vers l’action,
cette dernière consistant en l’accompagnement du processus. Au-delà d’un strict monitoring du
processus sur la base des lois organiques de 2001 et 2004, qui restent la référence légale, la
recherche menée par PRI se propose de récolter et d’analyser des données sur les perceptions et
comportements des différents protagonistes (rescapés du génocide, témoins, détenus,
associations, agents étatiques, etc.), afin de constituer un outil de compréhension des conditions
dans lesquelles se déroule le processus Gacaca.
Tout le travail mené par PRI s’articule donc autour de trois questions pragmatiques relevant de la
notion de “critique constructive” : Quels sont les problèmes rencontrés dans le processus
Gacaca ? Pourquoi ces problèmes se posent-ils? Quelles solutions peut-on y apporter? C’est
méthodologiquement à partir des opinions, besoins et intérêts exprimés par les différents groupes
sociaux, que cette recherche tente depuis 2002 d’identifier les problèmes clés et de proposer des
solutions sous forme de recommandations. Ces solutions peuvent être issues des personnes
interviewées, des rapports d’observation, de discussions avec les organisations partenaires, ou
encore de la littérature existante sur le génocide et les mécanismes de justice transitionnelle. PRI a
choisi de n’intervenir nullement dans la mise en oeuvre de ces solutions.
Le matériel d’enquête
¾ Les données
Le présent rapport se fonde sur un ensemble de rapports d’observations de réunions de collecte
d’informations et de séances des juridictions Gacaca réalisés depuis mars 2005. L’ensemble de ces
observations a été complété par des entretiens effectués tout au long de l’année 2005, auprès des
différents groupes de la population.
A savoir :
ƒ

85 entretiens, dont :
- 10 auprès de rescapés,
- 18 auprès de nyumbakumi1,
- 19 auprès d’autres autorités locales et de coordinateurs Gacaca,

Terme renvoyant à la fois à l’entité administrative composée de dix maisons et à la personne responsable de cette
dernière.
1

I

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

- 25 auprès de juges intègres (inyangamugayo)2,
- 11 auprès de la population,
- 2 auprès de religieux.
ƒ

Et 73 rapports d’observations de réunions de collecte et de séances de juridictions
Gacaca.

L’ensemble de ces données devrait faire l’objet d’une restitution progressive dans le cadre d’un
programme « documentation sur le processus Gacaca » mené en parallèle par PRI et dont l’objet
est de diffuser, en version électronique, ces données de terrain. Un CD-Rom contenant les
entretiens plus spécifiquement cités dans ce rapport devrait être produit dans le courant de
l’année.
¾ L’échantillonnage géographique
L’échantillonnage géographique des tribunaux Gacaca choisis par PRI répond à la volonté
d’observer certaines juridictions voisines de celles déjà suivies en phase pilote et d’autres
éloignées des premières. Le tableau suivant synthétise les zones plus particulièrement observées
par PRI au cours de l’année 2005, sur base des critères de sélection précisés ci-dessus, en
corrélation avec des critères plus spécifiques propres à chaque secteur et cellule.
Provinces
et districts
Butare
District de Nyamure
Byumba
District de Kisaro
Cyangugu
Ville de Cyangugu
Gisenyi
District Kayove
Kibuye
District Ville de Kibuye
Kibuye
District Budaha
Umutara
District Murambi
Ville de Kigali
District Kacyiru

Secteurs

Enquêteurs
Permanents

Nyamiyaga

1

Kavumu

1

Kamembe

1

Musasa

1

Bwishyura

1

Murundi

1

Murambi

1

Kimihurura

1

Le choix a été fait de présenter un tableau d’échantillonnage géographique, ainsi qu’un
référencement des entretiens et des rapports cités, reprenant les dénominations d’avant la
réforme administrative, cette dernière n’ayant pas affecté les juridictions Gacaca qui continuent à
fonctionner conformément aux anciennes divisions administratives3.

2

Personne intègre ; juges Gacaca

Toutefois, pour plus de lisibilité sur les cartes actuelles, un tableau de correspondance reprenant les nouvelles
appellations est présenté en Annexe 6 du présent rapport.
3

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

II

Il est à noter qu’en raison d’un recrutement par PRI de ses observateurs qui s’est échelonné au
cours de l’année 2005, de l’obtention des autorisations d’observation au mois de juin 2005 et de la
suspension des activités pour diverses raisons dans les deux secteurs de Kigali et Kibuye, nous
n’avons pas été systématiquement présents tout au long de l’année dans ces huit zones.
¾ Les références citées
Les extraits d’entretiens ou de rapports d’observation cités dans le corps du texte ou en notes de
bas de page renvoient aux documents où l’information est ressortie avec particulièrement d’acuité
de la situation relatée par notre observateur ou des propos tenus par la personne interviewée.
Quant à l’expression, “il ressort de nos observations”, elle renvoie au cas où l’élément mentionné est
apparu très clairement dans la très grande majorité des données récoltées.
Il convient toutefois de préciser que les extraits présentés dans ce rapport reflètent les propos
enregistrés auprès des populations entendues par les chercheurs de PRI et ne sauraient
systématiquement être considérés comme représentatifs de l’opinion du groupe pris dans son
ensemble. Ainsi, un rescapé cité dans la recherche ne parle pas au nom de tous les rescapés. En
revanche, son propos est mentionné car il illustre une tendance forte des propos entendus et
recueillis sur le terrain au cours de cette même recherche.
Par ailleurs, l’abréviation de “ROJG” renvoie aux Rapports d’Observation des Juridictions Gacaca
réalisés par nos enquêteurs. Elle est suivie d’indications sur la localisation de l’observation
menée : Province/District/Secteur/Cellule. En revanche, dans la mesure où l’anonymat est
garanti pour nos interviewés, suite à un extrait d’entretien, seule la qualité de la personne est
mentionnée et non sa localisation.
L’organisation pratique de la recherche
L’équipe de recherche est constituée d’enquêteurs de terrain et d’assistants de recherche chargés
de traiter les données primaires obtenues. Elle est supervisée par un chercheur qui analyse et
vérifie les données traitées.
Le choix a été fait de recruter des enquêteurs rwandais issus des zones dans lesquelles ils
enquêtent. Ils peuvent ainsi assister aux séances Gacaca, mais également être les témoins directs
des réactions de la population après la tenue de ces séances, ainsi qu’au quotidien. Au-delà de la
question de la langue (la très grande majorité de la population ne parle que le kinyarwanda), il
semble que cette méthode soit parmi les plus efficaces pour rassembler une information fiable,
dans un contexte où les gens sont dans l’ensemble extrêmement méfiants à l’égard de toute
personne venant les interroger au sujet des juridictions Gacaca et du génocide.
La recherche menée par PRI sur le processus Gacaca se révèle essentiellement qualitative et
participative, reposant avant tout sur l’observation directe du processus et sur la réalisation
d’entretiens. Elle combine deux méthodes de récolte de données complémentaires : en premier
lieu, un monitoring du fonctionnement des juridictions Gacaca observées et en second lieu, des
enquêtes et entretiens menés auprès de la population, dans sa diversité.
Les enquêtes et entretiens s’appuient sur un guide de thématiques identifiées, discutées et arrêtées
par toute l’équipe de recherche de PRI. Les entretiens sont quant à eux dans leur grande majorité
individuels et semi directifs. En effet, le travail sur les perceptions de la population exige une

III

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

profondeur qui ne peut être obtenue qu’au moyen de questions ouvertes sur des thématiques
préalablement choisies. L’objectif visé ici est avant tout de comprendre le sens attaché aux
évènements, et consécutivement les attitudes, comportements et pratiques positives et/ou
négatives que ce sens génère.
Grâce à cette méthodologie, des enquêteurs maîtrisant bien le contexte historique, politique et
social du site choisi conduisent des entretiens et recueillent des données primaires qui sont par la
suite confrontées à des données secondaires (références bibliographiques notamment) dont
l’équipe dispose.
S’agissant du traitement, il repose essentiellement sur l’interprétation et l’analyse de contenu.
Cette méthode qualitative nous semble la plus pertinente pour des questions aussi complexes que
celles qui touchent également aux affects des personnes enquêtées, ceux-ci venant influencer
leurs témoignages.
Une fois les résultats préliminaires disponibles, ils sont revus et corrigés par les chercheurs de
PRI. Puis, le rapport élaboré sur base de ces données fait l’objet d’une relecture par des experts
ou des personnes dont l’expérience est reconnue dans ce domaine et qui sont extérieures à
l’équipe.
Les limites de cette recherche
Toutefois, comme toute recherche, cette recherche-action comporte certaines limites.
Tout d’abord, la dimension “action” de cette recherche implique de prendre en compte
l’existence possible de certains biais, en lien notamment avec les questions de distanciation de
l’observateur par rapport au sujet observé et du traitement toujours délicat des perceptions. A
titre d’exemple, les enquêteurs de PRI, tous rwandais, portent en eux, consciemment et
inconsciemment les stigmates des évènements malheureux qui ont marqué l’histoire du Rwanda.
Leur enracinement dans un contexte caractérisé par une profonde fracture sociale ne peut
manquer d’influencer leur perception et leur compréhension des faits sociaux qui affectent leur
société. En ce sens, ils ont une position d’ “insider”. Mais cette dernière ne les disqualifie
nullement pour réfléchir aux problèmes sociaux du Rwanda ; bien au contraire, elle garantit une
profondeur dans la compréhension notamment du contexte culturel et des enjeux sociaux.
Toutefois, pour éviter les biais liés à cette position d’ “insider”, leur regard est ici croisé avec celui,
distancié, d’un “outsider”, chercheur expatrié.
Par ailleurs, concernant la collecte des données et malgré les précautions prises, les
interviews semi-structurées aux questions ouvertes empêchent une uniformisation ce qui peut
rendre parfois difficile le traitement. Cette méthode qualitative nous semble cependant le seul
moyen d’enrichir et d’approfondir des questions aussi complexes que les perceptions ou les
comportements.
Une autre réserve importante à formuler, est celle de la possibilité de l’existence de biais
résultant de la traduction du kinyarwanda au français. Le maximum de précautions est néanmoins
pris pour limiter ce risque. Ainsi, une première traduction du kinyarwanda au français est
effectuée. Puis, la version française est ensuite vérifiée par un autre traducteur par comparaison
des deux versions et ce en vue de déceler les imperfections linguistiques pouvant altérer notre
compréhension du sujet traité.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

IV

Concernant plus spécifiquement cette période de collecte d’informations, compte tenu
de la diversité quant à la mise en œuvre des consignes et au déroulement concret de cette phase
de collecte, nous avons dégagé et présenté dans ce rapport le schéma général de cette collecte, en
mentionnant les aspects organisationnels prégnants. Quand un fait ou une méthode retenue par
une autorité locale ne revenait qu’une seule fois, nous avons considéré qu’il s’agissait d’une
spécificité et ne l’avons donc mentionné que lorsque ceci nous paraissait révéler un certain état
d’esprit ou poser problème.
Il est par ailleurs important de préciser que compte tenu du climat de peur4 qui a entouré le
premier semestre de la collecte (fuites et rumeurs), certains de nos enquêteurs, faisant parfois
l’objet de suspicions, ont pu rencontrer quelques difficultés pour mener à bien leurs entretiens.
Enfin, cette étude ne se prévaut d’aucune prétention d’exhaustivité ou de
généralisation de ses observations et conclusions principales. Les résultats de cette
recherche appellent bien sûr à être complétés et croisés avec ceux d’autres analyses. En
dépit de cette réserve, il demeure certain que les résultats présentés dans ce rapport
indiquent des tendances fortes et non négligeables observées au sein des différents
groupes sociaux.

4

Cf. page 50 du présent rapport : “Une confiance à retrouver”

V

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Introduction
Avec le début de l’année 2005 et avant même l’achèvement de la phase pilote, le
processus Gacaca est entré dans un nouveau développement avec son extension au niveau
national.
Collecter l’information à cette échelle représentait un défi loin d’être évident à relever. En effet,
ceux qui étaient disposés à parler, à savoir les rescapés, possédaient principalement des
informations portant sur “le début du génocide et ce qui s’est passé avant [qu’ils] n’aillent trouver refuge”5. Et
pour reprendre les propos d’un agent d’Ibuka, “ils ne savent pas mieux que les auteurs du génocide”6. Par
conséquent, la révélation de la vérité reposait pour l’essentiel sur la parole de personnes qui, soit
n’avaient pas intérêt à témoigner réalisant que leurs actes ou ceux de leurs proches allaient être
mis à jour, soit craignaient qu’en dénonçant certaines personnes, ils ne soient à leur tour euxmêmes dénoncés7 et donc emprisonnés8.
Concernant la procédure suivie, on pouvait s’attendre à ce que le processus observé au
cours de cette année 2005 soit la mise en œuvre pure et simple de la toute récente loi de juin
20049. Or ce ne fut pas le cas, puisqu’au cours de la phase juridictionnelle de collecte
d’informations (qui correspond à l’enquête ou à l’instruction dans un procès criminel classique10),
le processus a été marqué par l’apparition d’un nouvel acteur : l’autorité administrative et plus
particulièrement le nyumbakumi11.

5

Entretien PRI avec un rescapé, 2 avril 2005, n°794

6

Entretien PRI avec un agent d’Ibuka, 18 mars 2005, n° 763

“La population ne manifeste pas l’intention de témoigner. […] la population a peur d’être emprisonnée, tout en ne voulant pas dénoncer
leurs confrères qui sont en liberté et avec qui ils partagent tout. […] En effet, certaines personnes ont peur de livrer les témoignages des
actes que leurs voisins ont perpétrés, en se disant que si jamais elles les dénoncent, elles seront dénoncées à leur tour par les autres.”
(Entretien PRI avec un libéré, 9 avril 2005, n°848)
7

“Le problème était que tout le monde croyait qu’il serait emprisonné.” (Entretien PRI avec un président d’une juridiction
Gacaca de cellule, 3 août 2005, n°886)

8

Loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004 portant “Organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions
Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes
contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994”, Journal Officiel de la République du Rwanda,
19 juin 2004, pp 59-86
9

Sur ce point il est intéressant de voir qu’il n’est pas rare d’entendre parler d’“activités préparatrices des Juridictions
Gacaca” pour qualifier les activités de collecte et de validation, y compris par nos propres enquêteurs. Ceci est en soi
très intéressant car illustre assez bien le fait que l’on a quelque peu oublié, à un moment donné, que le travail de
collecte fait normalement partie de la fonction des juridictions Gacaca et qu’il correspond à “l’instruction”, phase
fondamentale du procès pénal.
10

L’organisation administrative du Rwanda est structurée comme suit : la province englobe plusieurs districts,
rassemblant quant à eux un certain nombre de secteurs, eux-mêmes composés de plusieurs cellules, ces dernières
rassemblant à leur tour plusieurs Nyumbakumi. Le Nyumbakumi, composé de dix maisons, est donc l’entité
administrative de base au Rwanda. Le terme de “nyumbakumi” est utilisé pour désigner l’entité en elle-même
[orthographié dans ce rapport avec un “N” majuscule] et son responsable [orthographié avec un “n” minuscule]. Une récente
réforme administrative est venue modifier l’assise géographique de chacun des échelons, en conservant toutefois la
même structure.
11

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

1

Compte tenu de la nature participative du processus Gacaca, la question de l’implication des
autorités administratives dans ce processus est essentielle. D’ailleurs, dès la phase pilote, la
majorité des observateurs, puis les autorités nationales en charge de sa mise en œuvre, ont
progressivement admis que l’implication des autorités administratives de base faisait très souvent
défaut et que cela constituait un frein, sinon un obstacle, au bon déroulement du processus12. PRI
a d’ailleurs souligné à de multiples reprises dans ses précédents rapports qu’il s’agissait d’amener
les autorités locales à s’impliquer d’avantage pour montrer l’exemple et attester que le processus
n’était pas uniquement l’affaire de quelques uns, notamment “du bas peuple”, mais de toute la
communauté rwandaise sans aucune distinction. Car il était clair qu’une participation plus
poussée de ces autorités administratives au processus était nécessaire, d’abord en qualité de
citoyen rwandais (le fait d’être une autorité ne devait pas les exonérer de partager cette charge
avec le reste de leurs concitoyens), mais également en qualité d’autorité pour expliquer et
sensibiliser. L’idée était alors que la présence des autorités administratives viendrait renforcer
l’importance que doit revêtir le processus pour l’ensemble de la population, favorisant par là sa
participation.
Toutefois, ce qui était visé était une participation citoyenne à titre exemplaire. Or, il est
ressorti de nos observations qu’au-delà de la sensibilisation (en vue de convaincre la population à
participer, à dire la vérité, à avouer, etc.), il a été demandé à la fin de l’année 2004 aux autorités de
base, et en particulier aux nyumbakumi, de participer activement à la collecte de l’information qui
légalement, en tant qu’étape juridictionnelle, ne relève que de la seule responsabilité des juges
intègres.
Si, compte tenu de l’ampleur qu’implique l’organisation des Gacaca, on peut tout à fait
comprendre que les autorités aient été sollicitées (par exemple pour la transmission des
assignations, des registres, etc.)13, en revanche leur implication dans la récolte des informations en
elle-même a soulevé un certain nombre de questions : cette implication des autorités dans une
tâche qui n’était à l’origine dévolue qu’à des intègres, allait-elle changer en tout ou en partie la
nature du processus ? Allait-elle lui donner un caractère plus administratif que juridictionnel ?
Allait-elle altérer ou diminuer l’autorité des juges dans ce processus judiciaire ? Autant de
questionnements qui ont conduit PRI à partir de mars 2005 à consacrer l’essentiel de son
observation de terrain au déroulement de cette nouvelle phase de collecte d’informations.
Il ressort des observations menées, qu’au-delà de l’objectif de célérité, il semble bien
que le recours aux autorités administratives ait en partie permis d’atteindre un certain résultat
quantitatif en termes de participation de la population et de recueil des informations. Toutefois,
cette nouvelle “administrativisation”14 et mise en œuvre du processus viennent poser la question
de la qualité des informations recueillies. Il nous a donc semblé important dans le cadre de ce
rapport, et à partir d’une description la plus précise possible, de revenir sur les questions que
soulève cette nouvelle réalité du processus quant à deux éléments clés conditionnant sa réussite :
la présomption d’innocence d’une part et le caractère volontaire de la participation d’autre part.

Cf. notamment sur ce point Penal Reform International, Rapport V. Rapport de Recherche sur la Gacaca, PRI,
Kigali/Paris, septembre 2003, pp. 40-42 et p.66
12

13 Ainsi, dés les débuts du processus Gacaca, les nyumbakumi furent sollicités pour la préparation des élections des
juges intègres. Sur ce point, cf. Penal Reform International, Rapport de recherche sur la Gacaca. Les juridictions Gacaca et leur
préparation. Juillet - Décembre 2001, PRI, Kigali/Paris, janvier 2002, pp.39-40

Dans le sens d’une part croissante de responsabilités accordées à des autorités administratives dans un processus
judiciaire.
14

2

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Partie 1
Le recours aux autorités administratives locales
dans la phase nationale de collecte d’informations
Selon les objectifs affichés par le SNJG, il s’agissait au travers des aménagements opérés
sur la procédure de collecte d’informations de n’oublier aucune information, d’amener un
maximum de gens à participer et de répondre à un objectif de célérité.
« L’ancienne procédure de récolte des informations diffère de celle d’aujourd’hui.
Dans la phase pilote, ce sont les juges Gacaca qui faisaient la récolte des informations.
Pour cette phase nationale, la récolte des informations est faite par les autorités. »15
- Représentant du SNJG/Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

La phase de collecte d’informations observée sur le terrain par les enquêteurs de PRI,
pour l’essentiel à partir de mai 2005, correspond dans ses grandes lignes au nouveau schéma
décidé par le SNJG à la fin de l’année 2004. Même si quelques variations ont pu être observées en
fonction des localités et compte tenu d’une certaine marge de manœuvre qui a pu être laissée aux
autorités dans l’organisation concrète de cette collecte sur le terrain.
Cette nouvelle organisation du processus de collecte peut être résumée en trois étapes qui vont de
la collecte des informations sous l’autorité du nyumbakumi, ainsi que des coordinateurs de cellules
et de secteurs, à la validation par la juridiction Gacaca en formation de Siège et d’Assemblée
Générale, pour se terminer par la catégorisation par le Siège de la juridiction. Il est à noter que
dans ce nouveau schéma, seule la catégorisation reste conforme à ce qui avait été initialement
prévu dans la loi de 2004.
Schéma
Etape 1

Etape 2

Nom:
COLLECTE

Nom:
VALIDATION

Support:
Cahiers par Nyumbakumi
Responsable du remplissage:
Nyumbakumi, sous l’autorité des coordinateurs
de cellule et de secteur

Etape 3
Nom:
CATEGORISATION

Support:
Registres par cellule

8 Réunions de collecte complémentaires dans
les cellules et les secteurs
8 Juges intègres présents comme citoyens

Responsable du remplissage:
Juridiction Gacaca de cellule
(Siège et Assemblée générale)

Support:
Fiches individuelles des accusés
Responsable de la catégorisation:
Juridiction Gacaca de cellule
(Siège)

En cours d’observation

Année 2005

Année 2006

15 Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de M. Denis Rukesha, représentant du SNJG, 19 août 2005, n°913.
[Traduction PRI] Diffusées sur l’ensemble du territoire ces émissions fonctionnent sur le schéma suivant : deux
représentants du SNJG expliquent un ou plusieurs articles de la loi Gacaca de 2004. Au cours de l’émission des
personnes peuvent poser des questions en direct an appelant des numéros gratuits.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

3

I
La recherche du fondement au recours à l’autorité administrative pour la
collecte d’information
Alors que rien dans la loi ne prévoit le recours actif à l’autorité administrative dans une
quelconque des opérations du processus judiciaire, le Service National des Juridictions Gacaca a
expressément affecté à la collecte d’informations les autorités administratives locales, et plus
particulièrement les nyumbakumi16.

A. La question de la compatibilité légale de la fonction de juge Gacaca
avec une fonction administrative ou politique
À aucun moment le législateur rwandais n’a entendu confier l’ensemble des fonctions
juridictionnelles de récolte d’informations à une autorité autre que celle légalement investie pour
cela, à savoir la juridiction Gacaca.
Tant la loi de 200117, que la réforme de juin 200418 confient cette charge aux juridictions Gacaca
composées d’une Assemblée Générale et d’un Siège de juges intègres élus par la population. La
loi du 19 juin 2004, actuellement en vigueur, reste dans cette ligne et ne prévoit nullement que
des autorités autres que judiciaires19 interviennent pour récolter des informations.
D’ailleurs, l’article 49 de la loi ne confie aux “responsables des organes administratifs” que la mise à
disposition des infrastructures et du matériel nécessaires, la motivation de la population à
participer activement aux juridictions Gacaca, ainsi que le “suivi de près” du fonctionnement de ces
dernières.
Quant à l’article 15 de la loi de 2004, il précise que “ne peut être élu membre du siège de la juridiction
Gacaca : 1° la personne exerçant une activité politique ; 2° le responsable dans l’administration de l’Etat […]”.
Il est donc clair qu’il n’est pas possible d’exercer une fonction juridictionnelle en étant agent
administratif ou politique. Il s’agit là d’une incompatibilité légale dont la raison d’être est
de garantir l’indépendance du juge Gacaca.

Il convient de mentionner dès à présent que si les nyumbakumi et les chefs de Zone ne sont pas, au même titre que
les coordinateurs de cellule et de secteur, explicitement recensés dans la loi comme “autorités administratives” ; de
fait, les fonctions qu’ils assument et le lien d’autorité existant entre eux et les coordinateurs de niveaux supérieurs les
insèrent complètement dans ce que l’on appelle la chaîne des “autorités locales”, dont ils constituent le dernier
échelon.
16

17 Loi organique N°40/2000 du 26/01/2001 portant “Création des ‘Juridictions Gacaca’ et organisation des
poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er
octobre 1990 et le 31 décembre 1994”, Journal Officiel de la République du Rwanda, JO n°6 du 15 mars 2001

Loi organique N°16/2004 du 19/06/2004 portant “Organisation, compétence et fonctionnement des juridictions
Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes
contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994”, Journal Officiel de la République du Rwanda,
n° spécial du 19 juin 2004
18

En effet, les “relations entre les Juridictions Gacaca et les autres institutions” sont expressément régies par la loi en son
Chapitre III (Titre 2) et seule une collaboration du Parquet avec les juridictions Gacaca est envisagée, la loi faisant
notamment état des “devoirs d’instruction” de ce dernier (article 46).
19

4

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Pourtant, à la fin de l’année 2004, au moment où il redessinait la collecte d’informations pour la
phase nationale devant débuter en 2005, le SNJG semble avoir renoncé à ce principe de
l’incompatibilité légale.

B. Le livret “Procédure de collecte d’informations dans les Juridictions
Gacaca” de novembre 2004
Selon nos observations et les renseignements qui nous ont été communiqués, c’est à
partir du document établi par le Service National des Juridictions Gacaca en novembre 2004 et
intitulé : Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-Justice-Réconciliation.20, qu’il
est pour la première fois fait référence expresse à la décision d’impliquer les autorités
administratives dans la phase de collecte d’informations, autrement que dans les termes de
l’article 49 de la loi du 19 juin 2004.
Certes dans un premier temps l’avant-propos de ce livret confie aux autorités “en commençant par le
nyumbakumi jusqu’aux autorités supérieures du pays” une fonction de soutien au processus au travers
d’un investissement plus important dans la sensibilisation. Il s’agit de motiver la population à
donner des informations, témoigner et les concernés à avouer. En ce sens, le SNJG a cherché à
répondre avec légitimité à ce qui avait été un très grand obstacle à la participation de la
population en phase pilote.
Cependant, la description plus précise qui est faite dans un second temps par le SNJG
de la procédure d’établissement des listes révèle une implication d’une toute autre nature des
autorités locales dans le processus. Il ne s’agit plus uniquement d’organiser des réunions pour
sensibiliser la population ou lui communiquer le programme des juridictions Gacaca, mais
également de “compléter ces listes en collaboration avec la population de leur ressort”.
La procédure de récolte des données décrite dans le livret confie l’essentiel du travail de collecte
aux nyumbakumi encadrés par les coordinateurs de cellules. Pour certaines listes21, une variante a
été introduite impliquant les autorités de cellule directement dans la collecte. Toutefois, y compris
dans ces cas là, il est mentionné qu’elles se font “aider par les nyumbakumi”. Au final, ces derniers se
sont donc vus confier l’essentiel du remplissage des cahiers, les autorités de cellule et de secteur
étant principalement intervenues via l’organisation et l’animation de réunions de collecte à leur
échelon administratif. Ce document précise plus particulièrement que le nyumbakumi doit faire la
collecte d’informations et transcrire ces dernières dans le cahier approprié qu’il transmettra par la
suite au président de la Juridiction Gacaca de cellule. La procédure ultérieure décrite est la réunion
des membres du Siège de la Juridiction pour la confirmation du contenu des cahiers, puis la
validation des informations avec la réunion de l’Assemblée Générale.
Il était donc très clair à partir de ce document de novembre 2004 que les autorités de base, et
d’abord le nyumbakumi, devraient participer directement à la collecte d’informations, une tâche qui
leur est confiée en premier lieu.

20 Service Nationale des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation, SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI du document intitulé Gahunda yo gukusanya amakuru
akenewe mu nkiko Gacaca]

Il s’agit des listes relatives aux “planificateurs”, “réunions de planification du génocide”, “personnes devant être
tuées dans la cellule”, ainsi que celles portant sur les “distributions d’armes”, “milices” et “barrières”.
21

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

5

Quelle que soit la légitimité de cette décision d’impliquer ainsi les autorités de base, il
est important de souligner que le choix a été fait de ne pas modifier en ce sens la loi qui avait été
adoptée moins de cinq mois auparavant. Cette décision ne revêt donc pas de légitimité légale,
mais s’apparente à une décision administrative. Cependant, il n’a pas non plus été choisi de le
faire sous forme d’arrêté, ou d’instruction, comme le fit parfois le SNJG22.

II
L’apparition d’un nouvel acteur : le nyumbakumi

A. La mise en place des nyumbakumi dans le processus de collecte
d’informations
1. La sensibilisation des autorités locales et des nyumbakumi à leur nouveau rôle
Une fois la décision prise de confier la collecte d’informations dans une première étape
aux autorités locales, les responsables nationaux du processus Gacaca ont été confrontés à la
nécessité d’informer sur leur nouveau rôle tous les coordinateurs Gacaca et les autorités
administratives de base, dont les nyumbakumi23.
Il ressort des témoignages de nyumbakumi recueillis par PRI au cours de l’année 2005, que
plusieurs réunions d’explication, animées par les coordinateurs Gacaca de district, se sont tenues et
ont réuni les coordinateurs de secteurs et de cellules. Au cours de ces réunions les fiches conçues
par le SNJG, en vue de l’établissement des listes tel que la loi le prévoit, furent présentées et
expliquées aux autorités administratives. A cette occasion, l’instruction leur fut donnée de les faire
remplir par les nyumbakumi “et cela sous la responsabilité des chefs de Zones24 coordonnés par le coordinateur
de cellule”25. Il est à signaler que là où il n’y avait pas de Zone, les nyumbakumi travaillèrent
directement sous la responsabilité des coordinateurs de cellule.
Concernant les listes, il convient de préciser que les articles 33 et 34 de la loi du 19 juin 2004
mentionnent sept listes qui doivent être établies par la juridiction Gacaca de cellule siégeant en
Assemblée Générale. Le livret réalisé par le SNJG reprend ces listes, mais en y ajoutant des listes
22 Ce fut en effet le cas concernant la question de la “Démission des Intègres, la dissolution du siège de la Juridiction
Gacaca et le remplacement des Intègres” qui a fait l’objet d’une instruction N°06/2005 du 20 juillet 2005 par la
Secrétaire exécutive du SNJG. [Traduction PRI de l’instruction intitulée Amabwiriza N° 06/2005 yo ku wa 20/7/2005
y’umunyamabanga nshingwabikorwa w’urwego rw’igihugu rushinzwe inkiko gacaca arebana n’ikurwa mu nteko ry’inyangamugayo,
iseswa ry’inteko y’urukiko gacaca n’isimburwa ry’inyangamugayo]

A notre connaissance, aucun chiffre n’est actuellement disponible permettant de dénombrer précisément le
nombre de Nyumbakumi sur l’ensemble du territoire. On peut toutefois avoir un ordre d’idée en sachant que le
Rwanda compte actuellement quelques 9.165 cellules, chacune d’entre elles pouvant regrouper entre une dizaine et
une soixantaine de Nyumbakumi.

23

Lorsque les Nyumbakumi d’une même cellule sont très nombreux, ce qui est notamment le cas en ville, ces derniers
font l’objet d’un sous regroupement en “Zone”. Ce sont ces différentes Zones qui constituent alors la cellule. [Dans ce
rapport, le terme de “Zone” renvoyant spécifiquement à l’entité administrative rwandaise sera orthographié avec une majuscule.]

24

25

6

Témoignage d’un nyumbakumi recueilli par PRI en mars 2005, Ville de Kigali/Gisozi/Gisozi/Ruhango
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

spécifiques correspondant au détail de différents faits criminels tels que: la distribution des armes,
les milices, les barrières, etc.
C’est également au cours de ces réunions que les coordinateurs de cellule se virent remettre le
manuel du SNJG qui contenait les instructions relatives à l’organisation, la discipline et la
procédure à suivre pour la collecte d’informations, ainsi que l’exposé des différentes fiches
d’informations à recueillir et des instructions sur la présentation à suivre26.
Après avoir reçu ces nouvelles informations et instructions, les coordinateurs de cellule
ont dû réunir les chefs de Zone et surtout les nyumbakumi pour leur expliquer comment ils
auraient à procéder pour collecter ces informations27. Ces derniers, ainsi que le cas échéant toute
personne sachant correctement écrire, eurent pour mission de transcrire dans des cahiers les
modèles des fiches à réaliser. Quant aux nyumbakumi, c’est lors de ces réunions qu’ils furent
informés qu’il leur reviendrait de remplir ces cahiers au cours d’opérations de collecte
d’informations. Une fois complétés ces cahiers devraient être remis aux chefs de Zone ou
responsables de cellule, “pour vérifier qu’ils avaient été bien remplis”28.
C’est donc par le biais de ces réunions administratives de différents niveaux que toutes
les autorités administratives locales, depuis le district jusqu’au Nyumbakumi, ont été impliquées
très spécifiquement dans l’opération de collecte d’informations.
« Les autorités de secteur ont reçu ces directives des autorités de la ville [de district], et
c’est ainsi que de leur part ils sont venus nous donner des instructions, en tant que
coordinateurs de cellule afin que nous puissions mettre ces instructions en pratique
dans les Nyumbakumi, en leur demandant de faire la collecte d’informations. […] Vu
également l’échelon des autorités de bas en haut et de haut en bas, je pense donc que
la décision est venue des autorités supérieures et en donnant les directives jusqu’au
niveau inférieur.»29

- Un coordinateur de cellule -

Toutefois, parmi ces autorités, c’est principalement au nyumbakumi qu’a été confiée la réalisation
de cette collecte auprès de la population.

2. Description du nouveau rôle des nyumbakumi30
Dès le lancement, en mars 2005, de la phase nationale de collecte d’informations, tous
les nyumbakumi étaient donc censés avoir été non seulement informés, mais également préparés à
la collecte qu’ils devaient effectuer à leur niveau respectif. Il ressort des témoignages que cette
préparation a consisté pour l’essentiel en la réunion d’information mentionnée supra. Toutefois
“il s’agissait là de réunions […] et non de formations des coordinateurs de cellules ou des nyumbakumi”31.

26

Pour le détail des listes [Traduction PRI], cf. Annexe 1

27 Il est à noter qu’en certains endroits, comme à Kayove, les nyumbakumi furent présents dés la réunion au niveau du
district.
28

Témoignage d’un nyumbakumi recueilli par PRI en mars 2005, Ville de Kigali/Gisozi/Gisozi/Ruhango

29

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851

30

Cf. Etape 1 du schéma présenté en page 3 du présent rapport

31

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

7

Le processus élaboré par le SNJG prévoit que chaque nyumbakumi doit rassembler les
informations sur le génocide en interrogeant la population de ses dix maisons et en remplissant
ainsi un ou plusieurs carnets reprenant les 24 listes décrites sous forme de fiches par le SNJG
dans le manuel de Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation32.
Il a été constaté que pour procéder à la récolte des informations, chaque nyumbakumi pouvait
adopter la méthode qui lui convenait le mieux : si la majorité a procédé par l’organisation de
réunions des personnes composant leur Nyumbakumi, certains ont préféré passer de maison en
maison.
« Voilà comment je procède : muni du cahier dont je t’ai parlé, je fais le tour de mon
Nyumbakumi en m’adressant à toutes les personnes qui habitaient l’endroit avant la
guerre pour me parler de la manière dont les événements se sont déroulés en 1994. Je
le fais en me limitant aux informations qui sont demandées dans le cahier. »33

- Un nyumbakumi -

« Le nyumbakumi a invité deux fois la population de son entité pour la réunion et elle
ne s’est pas présentée. Devant ce manque de gens pour la réunion, au moment où
d’autres nyumbakumi étaient en train d’avancer dans cette activité, il a décidé d’entrer
dans chaque ménage pour prendre des informations. »34

- Un nyumbakumi et juge intègre -

Dans ce dernier cas, les nyumbakumi ont collecté les informations sans que la population ne soit
rassemblée en un même temps et un même lieu pour un débat collectif et surtout contradictoire.

B. Les principales difficultés de fond rencontrées par les nyumbakumi
Très certainement en raison, d’une part du caractère subi de la décision de modifier
ainsi la phase de collecte et d’autre part de l’absence de véritable formation dispensée aux
nyumbakumi, ces derniers n’ont pas manqué d’être très rapidement confrontés à d’importantes
difficultés.
Si certaines d’entre elles, essentiellement matérielles, ont progressivement été palliées
(manque de livrets, de cahiers et de crayons), d’autres nous paraissent révéler des carences
beaucoup plus lourdes compte tenu de l’impact qu’elles auront sur le fond du processus et
notamment quant à la détermination des responsabilités individuelles des personnes accusées. La
plus symptomatique nous semble être la difficulté rencontrée par les nyumbakumi face à
l’imprécision des termes de certaines fiches.

32

Pour un modèle de certaines de ces fiches, cf. Annexe 2, 3 et 4

33

Entretien PRI avec un nyumbakumi, 27 juillet 2005, n°870

34

Entretien PRI avec un nyumbakumi et juge intègre, 7 juillet 2005, n°846

8

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

1. Des fiches aux termes trop imprécis
Il ressort de nos observations que de toute évidence beaucoup de nyumbakumi ont été
confrontés à l’imprécision de certaines notions dont ils avaient beaucoup de mal à définir les
contours. Parmi celles qui nous semblent avoir posé le plus de problèmes on trouve les notions
de “promoteurs” ou “incitateurs” au génocide, ainsi que celle de “participation aux réunions de
préparation du génocide dans la cellule” et celle de “présence à la barrière”.
La qualification de “nyirabayazana”, autrement dit “d’incitateurs” ou “promoteurs”35 du
génocide a selon nos observations souvent été appliquée de façon très extensive, au point que
l’on peut réellement se demander si des personnes, qui de toute évidence n’ont pas joué ce rôle,
n’ont pas été accusées dés ce stade. Il a ainsi été observé dans certaines juridictions Gacaca de
cellule, de la province de Kibuye (secteurs Murundi et Cyamatare), que des nyumbakumi
présentaient en validation sur des listes d’incitateurs au génocide, des personnes dont il avait été
dit en réunion de collecte qu’elles n’avaient que volé, détruit des biens ou encore mangé de la
viande. Dans ces cas, des accusés de faits uniquement de destruction de biens furent considérés
par les nyumbakumi comme des incitateurs et l’on a pu constater que la séance de validation
n’avait rien changé à cela36.
Dans la même lignée, la fiche relative aux “Réunions de préparation du génocide dans la
cellule”37 a renvoyé à des difficultés similaires. Cette fiche distingue en effet très précisément entre
ceux qui ont dirigé ces réunions et les participants. Or, certains nyumbakumi semblent de toute
évidence n’avoir pas différencié entre les simples participants à ces réunions de préparation et les
personnes qui ont dirigé et animé celles-ci, puisqu’ils n’ont remis qu’une liste unique comprenant
les uns et les autres, sans distinction des niveaux de responsabilités. On peut avancer comme
raison à cela le fait que certains nyumbakumi ont à un moment donné manqué de livrets et se sont
donc retrouvés sans modèle précis38.
L’autre fiche ayant suscité un important débat et soulevé bon nombre de problèmes au
moment du remplissage fut celle de “Bariyeri zashyizweho mu kagari”, autrement dit la fiche
concernant les “Barrières érigées dans la cellule”39. La fiche modèle élaborée par le SNJG distingue
entre ceux qui ont donné l’ordre d’ériger la barrière, ceux qui l’ont construite, ceux qui en furent
responsables et ceux qui y sont allés pour “travailler” (gukora). La difficulté est de donner un
contenu à l’expression “travailler”, on notera que la fiche ne distingue pas entre ceux qui ont
véritablement tué sur ces barrières et ceux qui y ont été simplement présents, sans jouer le
moindre rôle actif.
Par ailleurs, on sait qu’au début des années 90, la présence à ces barrières était considérée
comme obligatoire. Avec la guerre de libération de 1990, des instructions venant de la commune

35

Pour un modèle de cette fiche, cf. Annexe 2 [Traduction PRI]

36

ROJG Kibuye/Budaha/Murundi/Murundi, 7 novembre 2005

37

Pour un modèle de cette fiche, cf. Annexe 3 [Traduction PRI]

Ainsi à titre d’exemple, dans la cellule Gakenke, en province d’Umutara, des intègres on du prêter leur propre livret
aux nyumbakumi (Entretien PRI avec trois intègres d’une juridiction Gacaca de cellule, 25 juillet 2005, n°375). Ou
encore en ville de Kigali, un chef de Zone s’est vu contraint à photocopier le livret du SNJG sur ces fonds
personnels afin que tous ses nyumbakumi puisse disposer d’un modèle (Entretien PRI avec un chef de Zone et
intègre, 30 juillet 2005, n°876).
38

39

Pour un modèle de cette fiche, cf. Annexe 4 [Traduction PRI]
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

9

demandaient à chaque homme de dix-huit ans de passer sur la barrière pour assurer la sécurité de
sa cellule. Et “il n’y avait pas à choisir. C’était la loi à laquelle il fallait obéir.” 40
« Dans la cellule de Ryampuga, secteur Murambi, un homme de 45 ans se lève et se
plaint qu’en 1990 il a été emprisonné voire frappé parce qu’il n’avait pas passé la nuit
sur la barrière. “Et maintenant vous dîtes que passer sur la barrière était un pêché. Si
j’ai obéi aux autorités, quel pêché ai-je commis ? demande cet homme. Si j’avais refusé
de passer la nuit sur la barrière volontairement j’aurais été mis à mort.»41

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Dans ces conditions et devant l’imprécision du terme “travailler”, on comprend que les
nyumbakumi n’aient pas tous rempli de la même façon cette fiche et que là aussi certains aient fait
prévaloir une conception extensive du terme “travailler”. Ainsi dans certains secteurs de
l’Umutara42, plusieurs nyumbakumi ont rempli cette fiche en y mentionnant tous les hommes de
plus de dix-huit ans habitant le Nyumbakumi au moment du génocide. Un choix de nature à
soulever bien des craintes :
« Cela veut dire que tout le monde a été sur les barrières. Nous sommes inquiets sur le
fait qu’avoir été sur les barrières soit une infraction. Sur ce, quand on va constituer les
listes des accusés, tout Rwandais sera accusé, puisque tout le monde dans ce pays a été
sur les barrières. »43
- Coordinatrice de cellule -

En revanche, d’autres ont restreint le champ d’application de cette notion en faisant prévaloir
“l’intention génocidaire” qui apparaît alors comme le critère retenu pour déterminer les
personnes à mentionner comme ayant “travaillé”.
« On a seulement pris note des gens qui ont commis des crimes sur ces barrières.
Quant aux autres, qui étaient présents mais n’ont rien fait de mal, on n’a pas noté leurs
noms. »44
- Un nyumbakumi -

Cette position restrictive adoptée par certains nyumbakumi nous semble la plus conforme à la
conception du “génocidaire” comme personne ayant révélé une véritable intention de participer
à la destruction du groupe tutsi. Or, dans le contexte rwandais de l’époque, la simple présence à
une barrière ne saurait, à elle seule et en l’absence d’autres actes, prouver l’existence de cette
intention criminelle.
2. Les causes de ces difficultés
L’une des premières raisons pour lesquelles les nyumbakumi ont parfois rencontré
autant de problèmes pour remplir ces fiches tenait à une difficulté à appréhender précisément et
de façon uniforme certaines notions. Il est très probable que le fait pour eux de ne pas avoir

40

ROJG Umutara/Murambi/Murambi, la réunion s’est tenue à Mataba, 23 mars 2005

41

ROJG Kibuye/Budaha/Murundi/Murundi, 7 novembre 2005

42

Cf. notamment ROJG Umutara/Murambi/Murambi/Ryampunga, 23 mars 2005

43

Entretien avec une coordinatrice de cellule et un président d’une juridiction Gacaca, 27 mars 2005, n°773

44

Entretien avec un nyumbakumi, 26 juillet 2005, n°867

10

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

forcément disposé de la copie de toutes les fiches qu’ils auraient dû utiliser, et cela pour des
raisons matérielles, les a empêché de bien en appréhender tous les termes.
Toutefois cette difficulté de compréhension n’avait pas qu’une cause matérielle. Elle a
été bien entendu renforcée par le faible niveau d’éducation d’un grand nombre de ces autorités
de base. L’illettrisme d’un nombre important de nyumbakumi a ainsi conduit beaucoup d’entre
eux à solliciter le soutien technique d’un autre citoyen plus lettré. Dans un tel cas, le choix de
cette tierce personne s’est fait par accord collectif de l’ensemble des membres du Nyumbakumi.
Dans le contexte très délicat de cette recherche d’informations destinée à accuser tel ou tel
membre du Nyumbakumi, on peut comprendre que ces autorités de base, ainsi affaiblies
techniquement, aient été encore davantage susceptibles d’être soumises à l’influence de certains
membres de la communauté.
En dehors de la question de la capacité en elle-même de transcription des
informations, il est à noter que pour les problèmes relevant plus de la compréhension du travail
à accomplir et de la nature des informations à récolter, les autorités nationales leur ont
clairement transmis le message de se faire aider par des personnes lettrées45 de leur Nyumbakumi,
mais aussi par les autorités supérieures ou des juges intègres46 de leur cellule.
« Nous leur avons dit […] lorsque les difficultés surgissent de recourir au chef de
Zone ou à un autre intègre le plus proche pour des éclaircissements. »47
- Un chef de Zone et juge intègre -

Parallèlement, à l’occasion de diverses réunions, les autorités de secteur et de cellule, ainsi que les
juges intègres, ont été vivement appelés à ne pas ménager leurs forces pour apporter aux
nyumbakumi l’aide dont ils avaient besoin :
« Les autorités de district nous ont réuni dans une réunion et nous ont dit que nous
devions savoir que les chefs des dix ménages vont mener une activité de collecte
d’informations et que nous sommes tenus de les approcher et de les aider, surtout que
nous avons reçu une formation plus consistante […]. »48

- Un juge intègre -

Toutefois lorsqu’un juge intègre a apporté une telle aide, c’était à titre individuel, en qualité de
citoyen rwandais et sur base du volontariat. Certains, certes très peu nombreux, ont d’ailleurs
refusé :
« Dans le remplissage des registres [cahiers] que l’on nous a donnés, c’était notre chef
de Zone qui dirigeait les activités et aucun intègre n’a voulu s’immiscer dans cette
activité. »49
- Un nyumbakumi -

45 Entretien PRI avec un président d’une juridiction Gacaca de cellule, 15 mars 2005, n°777 ; Entretien PRI avec un
coordinateur de secteur Sanza, 18 août 2005, n°910
46

En ce sens, cf. notamment Entretien PRI avec nyumbakumi et un habitant, 26 juillet 2005, n°867

47

Entretien PRI avec un chef de Zone et juge intègre, 30 juillet 2005, n°876

48

Entretien PRI avec un président de juridiction Gacaca de cellule, 20 juillet 2005, n°853

49

Entretien avec un nyumbakumi, 18 juillet 2005, n°850
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

11

Par ailleurs, il est frappant de constater qu’en complément des réunions d’explication
et de préparation50 à cette phase de collecte, aucune formation51 n’a été dispensée aux
nyumbakumi sur l’ensemble des différents aspects de la collecte d’informations qui leur était
confiée. Il s’agit là d’une différence très importante avec ce qui a été mis en place pour les juges
intègres52. Et alors même que ces nyumbakumi en ont souvent exprimé le besoin : “Si l’on nous
demandait de faire encore la collecte d’informations, ce serait mieux si l’on nous donnait une formation comme celle
que l’on a faite pour les intègres.”53
Il semble que dans ce nouveau schéma, la collecte d’information ait été présentée et
expliquée avant tout comme une opération “mécanique” et finalement assez simple à remplir. Si
l’accent a bien été mis sur les questions purement organisationnelles (tenue et fréquence des
réunions, préparation des cahiers, description de la remise des cahiers aux autorités supérieures,
etc.), en revanche il semble que les nyumbakumi aient été insuffisamment préparés à ce que
représente véritablement un travail de recherche d’informations dans un processus judiciaire
destiné à établir des responsabilités pénales individuelles.

C. Le soutien du nyumbakumi par les autres autorités administratives
supérieures
Au-delà de la tâche spécifique de remplissage des cahiers confiée aux nyumbakumi, et
celle de sensibilisation/mobilisation confiée plus largement à l’ensemble des autorités locales, les
coordinateurs de cellules et de secteurs ont été également, et plus particulièrement, sollicités dans
le cadre de la collecte, en se voyant confier l’organisation et l’animation de réunions de collecte
d’informations à leur échelon administratif.
On peut considérer ce recours aux autorités administratives supérieures en vue
d’appuyer le travail des nyumbakumi comme le résultat d’une approche du SNJG qui se veut sans
cesse plus pragmatique dans le cadre de la mise en œuvre de ce processus Gacaca. Cherchant à
encadrer un processus complexe et à appuyer au plus près cette phase de collecte, les autorités
nationales ont fait le choix de s’appuyer sur une structure administrative qui en termes de
transmission de l’information et d’efficience a déjà fait ses preuves. Toutefois, cette
“administrativisation” de la phase de collecte, en accroissant le rôle et donc la présence des
autorités locales en phase d’instruction, a pu conduire certaines autorités à s’immiscer dans un
processus avant tout judiciaire.

50 Qui plus est, parfois, ce n’est qu’un seul nyumbakumi par cellule qui s’est rendu à ces réunions, comme nous avons
pu l’observer dans le secteur Gakenke en province d’Umutara (Entretien PRI avec un nyumbakumi, 5 août 2005,
n°897)
51 Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 20 juillet 2005, n°853 ; Entretien PRI avec un nyumbakumi et un
coordinateur de cellule, 27 juillet 2005, n°869

D’août à septembre 2004, l’ensemble des inyangamugayo de cellule ont fait l’objet d’une formation où parmi des
thèmes tels que “La loi organique Gacaca”, “La sécurité lors des réunions des juridictions” ou encore “La justice réconciliatrice”,
fut abordé le thème de “La collecte d’informations” et plus spécifiquement du remplissage des fiches. Les formateurs
(choisis parmi les “intellectuels de la localité”, notamment les enseignants) ont recouru à un certain nombre de cas
pratiques en demandant aux juges de remplir des fiches test. En général sur quatre jours de formation, une journée
environ fut consacrée à la question de la collecte. (RO, Kibuye/Rusenyi/Gihombo, 6 août 2004 ; RO
Kibuye/Budaha, 13 août 2004)
52

53

Entretien PRI avec un nyumbakumi et un habitant, 26 juillet 2005, n°867

12

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

1. L’implication des coordinateurs de cellule et de secteur dans la collecte d’informations
En effet, dans les cellules où l’histoire du génocide était particulière54 et dans celles dont
une grande part de la population avait migré, l’opération de récolte des informations s’est révélée
parfois trop compliquée à mettre en œuvre par le nyumbakumi seul et donc lacunaire55. Dès lors,
appuyer ce nyumbakumi s’avérait nécessaire. Et dans la nouvelle logique adoptée par le SNJG en
novembre 2004, cela devait être fait par une autorité administrative supérieure.
Déroulement de ces réunions56
Des réunions de collecte d’informations se sont donc déroulées d’abord à l’échelle des
Zones, pour les cellules rassemblant un grand nombre de Nyumbakumi, puis au niveau des
cellules et des secteurs.
« […] la collecte d’informations traînait, nous avons décidé de nous grouper ensemble
dans les Zones pour pouvoir échanger les idées. »57

- Réunion de collecte de Zone -

« Après avoir collecté les informations au niveau des Nyumbakumi, il y a eu une
réunion qui regroupait tous les nyumbakumi de la cellule. Dans cette réunion on lisait
les informations collectées dans chaque Nyumbakumi et ainsi chaque nyumbakumi
pouvait compléter les informations qu’il détenait. »58

- Réunion de collecte de cellule –

« […] on a ordonné que la collecte soit faite au niveau du secteur, de sorte que chaque
semaine toutes les cellules du secteur se rencontrent au bureau du secteur pour
compléter les informations […]. »59

- Réunion de collecte de secteur -

Débutant en milieu de matinée pour finir en milieu d’après-midi et animées en
fonction de l’échelon, par le chef de Zone, le coordinateur de cellule ou de secteur, elles étaient
pour l’essentiel structurées de la façon suivante :

54 Comme dans le cas de la province de Kibuye, cf. notamment sur ce point Penal Reform International, Rapport de
Recherche sur le Gacaca. Kibuye, PRI, Kigali/Paris, novembre 2003, pp.6-10
55 Ainsi par exemple en Ville de Kibuye, en raison des difficultés très importantes rencontrées dans la collecte par les
nyumbakumi dès le mois de mars 2005, des réunions de collecte ont été organisées par les autorités de secteur et de
district.

En vue de faciliter la compréhension de l’organisation et du contenu de ces réunions de collecte au niveau des
cellules et des secteurs, nous avons divisé la présentation de ces réunions en différentes périodes : “Temps”.

56

57

Entretien PRI avec un nyumbakumi et premier vice-président de juridiction Gacaca de cellule, 19 juillet 2005, n°852

58

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 20 juillet 2005, n°853

59

Entretien PRI avec un chef de Zone et juge intègre, 30 juillet 2005, n°876
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

13

Temps 1
Face à la population réunie en assemblée générale de cellule ou de secteur, le coordinateur
commençait par un temps de sensibilisation. En général, la sensibilisation s’ouvrait sur une
explication de l’article 29 de la loi Gacaca en vue d’inciter la population à participer et lui rappeler
que sa participation est obligatoire. C’était souvent à cette occasion qu’était mentionnée
l’insuffisance des informations récoltées, pointant par là la “preuve” que certaines personnes se
taisaient. Puis le coordinateur revenait sur l’importance du processus Gacaca du point de vue de la
réconciliation, rappelant que son objectif est de réconcilier toutes les composantes de la société
rwandaise détruite par le génocide. S’ensuivait généralement un rappel du calendrier fixé pour la
récolte et un encouragement des auteurs des crimes de génocide à plaider coupable, en insistant
notamment sur l’intérêt de l’aveu quant à la réduction de la peine et le bénéfice du Travail
d’Intérêt Général (TIG)60.
Dans le cas où une autorité supérieure était en visite le jour de la réunion de collecte, c’est elle
qui alors se chargeait de cette sensibilisation, suivant l’idée que plus l’autorité est importante ou
charismatique, plus l’on pense que le message aura du poids auprès de la population. Ainsi par
exemple, en ville de Kibuye, compte tenu notamment des difficultés rencontrées par les
nyumbakumi dans la collecte, les réunions de secteur étaient souvent animées par le Maire de
district lui-même61.
« Après être arrivés, le maire et le coordinateur de secteur se présentent pour saluer et
rappeler à la population les objectifs de Gacaca en peu de mots. Et après on demande à
la population de se grouper cellule par cellule afin de commencer à faire la collecte
d’informations. »62 - Coordinateur de cellule -

Temps 2
Puis le chef de Zone ou le coordinateur passait aux directives de remplissage des cahiers. Suite à
cet énoncé, chaque nyumbakumi allait s’asseoir avec la population de son ressort pour procéder à
la collecte. Lorsque la cellule comprenait des Zones, les personnes s’asseyaient Nyumbakumi par
Nyumbakumi, le tout selon une répartition spatiale Zone par Zone. Pour les réunions de collecte
au niveau des secteurs, les personnes se rassemblaient cellule par cellule, puis Nyumbakumi par
Nyumbakumi.
Il était alors demandé aux nyumbakumi de reprendre instamment le travail de collecte afin d’y
ajouter les informations manquantes. C’est également à cette occasion que des personnes
extérieures à la cellule ou au secteur, mais y ayant habité au moment du génocide, étaient appelées
à donner leur témoignage, chaque nyumbakumi notant alors les informations le concernant.
« Les nyumbakumi collaboraient avec la population dans ce travail et après cela nous

étions obligés de rassembler tous ces nyumbakumi pour voir si la collecte a été faite de
manière satisfaisante ou non. Les autorités de secteurs, de district, voire même de la
province, viennent nous rendre visite pour voir comment cette activité est menée dans
chaque Nyumbakumi. Au moment où la réunion Gacaca allait commencer, on nous
regroupait au stade pendant au moins 30 ou 25 minutes afin de nous donner les

60 Cf. notamment : Entretien PRI avec une présidente d’une juridiction Gacaca de cellule, 13 octobre 2005, n°1012 ;
Entretien PRI avec un ex-président d’une juridiction Gacaca de cellule, 27 août 2005, n°928
61

ROJG Kibuye/Ville de Kibuye/Bwishyura, 2 juin 2005

62

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851

14

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

directives à suivre dans ces activités. Et après chaque cellule devait se mettre à côté
pour continuer les activités. »63
- Un coordinateur de cellule. Réunion de collecte en Ville de Kibuye -

Schéma de l’organisation spatiale des réunions
Réunions de cellule (Figure A)
N= Nyumbakumi

Réunions de secteur

Secteur

Cellule
Zone
N

Zone

N
N

N

N

Zone

N
N

N

Cellule

Cellule

(Figure A)

(Figure A)

N

Cellule
N

(Figure A)

N

Temps 3
Après qu’un certain temps se soit écoulé, il était alors demandé à certains nyumbakumi d’énoncer
les informations supplémentaires qu’ils venaient d’ajouter dans leurs cahiers. Le travail de ces
derniers étaient alors valorisé par l’animateur de la réunion. Il n’était d’ailleurs pas rare qu’à cette
occasion, certains nyumbakumi estimés par les autorités comme n’effectuant pas activement la
collecte, soient publiquement réprimandés. Lorsque la réunion touchait à sa fin, il leur était
rappelé qu’ils devaient s’acquitter de cette tâche, l’animateur confiant alors au responsable de
cellule la tâche d’aller vérifier que le travail aura bien été fait.
Dans certaines de ces réunions, un temps était également aménagé pour que la population puisse
poser les questions la préoccupant sur Gacaca. Pour finir, ces réunions se clôturaient généralement
par un certain nombre de communiqués annexes sur l’umuganda64, les mutuelles de santé, etc.
Il est à noter que bien que ces réunions n’aient pas été prévues par la loi, la présence de
la population à ces dernières était obligatoire puisque c’est à l’occasion de ces réunions que sont
apparues les premières amendes pour non présence65.

63
64
65

Idem
Travaux communautaires effectués dans tout le pays et organisés au niveau de chaque cellule.
Cf. page 45 du présent rapport
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

15

Objectifs de ces réunions
Ces réunions de cellule et de secteur semblent avoir été organisées pour répondre à
deux objectifs. Le premier, dans un souci compréhensible de rationalisation de la collecte, était de
réunir les informations de personnes ne résidant plus dans la cellule ou le secteur de collecte et
dont le témoignage était pourtant nécessaire pour plusieurs nyumbakumi en même temps. Elles ne
venaient ainsi qu’une seule fois et donnaient à tous, l’ensemble des informations dont elles
disposaient.
Le second objectif de ces réunions de collecte était de créer une dynamique favorable à
la révélation des faits de participation au génocide, notamment dans les localités où les autorités
estimaient que le silence prévalait. Il leur apparaissait que rassembler ainsi au même moment et en
un même lieu tous les habitants de la cellule et du secteur les amènerait à s’exprimer davantage
pour révéler soit des faits restés cachés, soit accuser de nouvelles personnes. Il semble bien que la
présence des autorités politiques et administratives ait pesé de tout son poids, non seulement
parce qu’elles sensibilisaient la population à parler, mais surtout parce qu’elles organisaient ces
réunions et animaient les débats. Il ressort d’ailleurs des entretiens menés auprès des autorités
locales, qu’en vue d’inciter la population à parler, un rôle moteur leur avait été confié. En effet, il
leur avait été demandé de révéler ce qu’elles savaient, afin d’inciter les participants à la révélation,
transmettant par là le message que nul ne pouvait s’estimer au-dessus de cette phase d’instruction
et de ce devoir civique.
« […] quand la population se tait, nous demandons au nyumbakumi d’être exemplaire
en donnant la vérité sur ce qui s’est passé. […] et le nyumbakumi, le coordinateur,
l’intègre de la juridiction Gacaca ou tout autre responsable de la population intervient
pour dire quelque chose sur ce qui s’est passé dans la cellule. »66

- Un coordinateur de cellule -

« Ainsi donc j’ai jugé bon d’avouer et de plaider coupable devant le public. Et
d’ailleurs ça leur a servi d’exemple pour passer aux aveux. Bref j’ai été exemplaire visà-vis d’eux parce qu’ils ont constaté que je ne leur étais pas supérieur. Sur ce, dans le
public, certains ont pris la décision d’avouer et de plaider coupable. »67

- Un ex-président de juridiction Gacaca de cellule -

« Lorsqu’on [chef de Zone et nyumbakumi] dénonçait ceux qui ont participé dans les
tueries et dans les pillages, la population a commencé à donner des informations. »68
- Un chef de Zone -

Du point de vue de ces deux objectifs, l’implication des autorités administratives s’est
révélée globalement positive, le nombre de faits révélés ayant augmenté dans des proportions très
importantes et cela dans une période de temps très courte. Cependant, cette nouvelle
organisation était-elle véritablement en mesure de garantir l’impartialité de ces nouveaux acteurs
et finalement la justesse des informations récoltées?

66

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851

67

Entretien PRI avec un ex-président de juridiction Gacaca de cellule, 27 août 2005, n°928

68

Entretien PRI avec un chef de Zone et intègre, 30 juillet 2005, n°876

16

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

2. D’une implication administrative à une immixtion contestable sur le fond du processus
De l’appui à l’immixtion
Si les autorités locales ont toujours été sollicitées, y compris en phase pilote, pour
notamment appuyer les coordinateurs locaux envoyés par le SNJG, on a franchi un pas avec le
rôle qui leur a été confié en phase de collecte 2005. D’ailleurs, l’exigence qui a été posée en
certains endroits à l’égard de ces autorités et qui est allée jusqu’à leur imputer le cas échéant la
mauvaise marche de la Gacaca, nous semble symptomatique de cette évolution.
« Au début de cette phase [phase de collecte], toutes les cinq cellules du secteur Musasa
étaient inactives. Les autorités du secteur de Kayove ont donc intensifié les réunions
en avisant les autorités des divers échelons qu’elles seront responsables de la mauvaise
marche de Gacaca. Depuis lors, les autorités des échelons de base de Musasa ont
sensibilisé leurs membres en vue de s’atteler aux travaux des juridictions Gacaca et la
décision a été prise de siéger un jour par semaine. »69

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Il est à noter que le suivi du travail effectué par ces autorités est notamment passé par l’obligation
pour chaque autorité de remettre un rapport sur sa propre activité de suivi du processus et sur
celle de la juridiction dont elle avait la charge :
« Chaque lundi, il y a Gacaca dans chaque cellule, les autorités au niveau du district
descendent dans chaque cellule pour le suivi. Après, ils amènent les rapports chez le
coordinateur Gacaca au niveau du district pour faire la synthèse. Ceux qui amènent les
rapports reçoivent également des instructions pour la bonne marche de Gacaca. » 70

- Rapport d’entretien avec un membre d’un conseil de district -

Cependant, il est incontestable que cette très forte implication des autorités dans le
processus a, davantage qu’au cours de la phase pilote, permis à certaines d’entre elles d’abuser de
leur position pour tenter d’influer sur le fond de ce processus. Cette immixtion illégitime a été
constatée en phase de jugement71, mais elle a également été très forte au cours de la phase de
collecte d’informations. Si cette immixtion a pu revêtir des formes différentes, elle a
essentiellement consisté à empêcher certains témoignages pour protéger tel ou tel de leurs
administrés, quand ce n’était pas elles-mêmes. Les autorités nationales, prenant elles-mêmes la
mesure de cette immixtion, l’ont parfois dénoncée :
« Ce que je veux ajouter c’est que ces autorités qui donnent souvent cet engagement
de dire qu’on ne va pas recevoir les informations qui viendront après la date qu’on
s’est fixée ont souvent un intérêt en disant ceci. Elles ne le disent pas parce qu’elles ne
le savent pas, mais elles le disent parce qu’elles savent qu’on n’aura pas dénoncé leurs
beaux-frères, leurs pères ou leurs frères. Quand nous arrivons sur le terrain, la

69

ROJG Gisenyi/Kayove/Musasa, 11 mars 2005

70 Rapport d’entretien avec un agent de FNUAP et membre du conseil de district, 6 avril 2005 (RA
Umutara/Murambi, 13 avril 2004). Cf. également en ce sens RA Kibuye/Budaha, décembre 2005

Cf. notamment ROJG Kibuye/Budaha/Nyange, 25 novembre 2005. Dans ce cas, les autorités locales ont fait
libérer des personnes que la juridiction Gacaca avait faites emprisonner. Le rapport de force qui s’en est suivi entre les
autorités locales et le Siège a conduit à la démission des intègres.
71

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

17

population dit que c’est telle autorité qui leur a dit que les informations ne seront plus
reçues. »72
- Représentant du SNJG/Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Les observateurs de PRI ont quant à eux, à plusieurs reprises, été informés de toute une série de
blocages générés par ces autorités locales pour véritablement empêcher la révélation de la vérité,
et cela en usant de tout leur poids social pour contraindre la population à ne pas la dire :
« Nous essayons de dire à notre chef de Nyumbakumi toute la vérité sur ce qui s’est
passé. Mais comme lui il veut toujours cacher ce qu’il connaît à ce propos […] Il
empêche la population de parler. Parce que quand quelqu’un commence à donner une
information, il lui coupe la parole en l’accusant d’empêcher l’avancement de la
réunion. Alors dans ce cas, les informations sont bloquées, parce qu’il ne les prend
même pas.»73
- Une rescapée -

« Ce qui est étonnant c’est que la réunion était composée des autorités qui dirigeaient
même pendant le génocide, mais qui font la sourde oreille, alors que certains sont
même sur la liste des accusés. […]Les gens se cachent derrière ces autorités et se
croient protégés par elles. »74 - Enquêteur PRI / Rapport d’observation « Coordinatrice de cellule : “On trouve que c’est bien lui [un responsable de cellule actuel
qui aurait été impliqué dans le génocide] qui a été en quelque sorte le blocage au sein de la
population dans le domaine de dire la vérité.” […] Président de la JG : “Quand il ne
dit pas quelque chose pour dénoncer d’autres personnes, celles-ci également le
couvrent et ainsi la vérité n’est pas connue.” »75

L’ambiguïté du soutien des intègres dans cette nouvelle collecte
Il est important de souligner qu’à ce stade de la collecte d’informations, les
inyangamugayo n’ont endossé aucune responsabilité particulière en qualité de juge intègre.
Lorsqu’ils participèrent aux réunions de collecte ce fut en qualité de simples citoyens rwandais.
Toutefois, comme nous le soulignions auparavant, on fit maintes fois recours à eux en vue
d’appuyer les autorités locales dans ce premier travail de collecte, que ce soit pour la récolte
d’informations en elle-même ou pour la sensibilisation. Mais ces interventions ont souvent été
marquées par l’ambiguïté, les inyangamugayo apportant alors un appui en qualité de simple citoyen,
mais avec tout le poids que leur conférait leur autorité d’intègres élus.
Dans certains cas, cette aide a pu prendre une forme plus officielle, via notamment la
convocation de personnes appelées à témoigner dans les réunions de collecte76. Ou encore,
Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de M. Patrick Rwinkoko, représentant du SNJG, 9 septembre 2005,
N°944 [Traduction PRI]

72

Entretien avec une rescapée, 13 mai 2005, n°814. Sur le même plan, pour un refus de noter des informations ou la
disparition de certaines pages de cahiers cf. également RO de réunion Kibuye/Nyabinombe, 22 juin 2005
73

74

ROJG Gisenyi/Kayove/Musasa, 15 mars 2005, voir également ROJG Gisenyi/Kayove/Musasa, 11 mars 2005

75

Entretien PRI avec une coordinatrice de cellule et un président de juridiction Gacaca, 27 mars 2005, n°773

Concernant la convocation des personnes n’habitant plus la cellule, elle a été faite aussi bien par les autorités
locales (Entretien PRI avec un nyumbakumi et premier vice-président d’une juridiction Gacaca de cellule, 19 juillet
76

18

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

comme dans le district de Murambi, en province d’Umutara, où les intègres de la cellule de
Kagenge, après une première récolte des données en réunion d’assemblée générale de cellule, se
sont réunis entre eux afin “d’analyser ces informations en tant qu’intègres”77, avant d’y apposer leur
signature et de les envoyer au secteur pour les réunions de collecte en assemblée générale. Nous
n’avons cependant retrouvé cette procédure dans aucun autre de nos lieux d’observation. À
l’inverse, en cellule de Kinombe (Gisenyi/Kayove/Gihinga) les juges intègres vérifiaient, au fur
et à mesure, les fiches remplies par les nyumbakumi, mais ils le faisaient sans avoir “encore de tenue”
et “pour prévenir les erreurs”78, autrement dit pas en qualité officielle de juges intègres.
Cette absence de clarté sur le rôle qui était le leur a pu dans une certaine mesure
donner l’impression d’une trop grande proximité entre les autorités locales et les juges intègres,
posant du même coup la question de leur indépendance vis-à-vis de ces dernières. Car si le juge,
bien qu’il soit “le voisin”, peut être indépendant compte tenu de la distance qu’implique sa
fonction, en revanche, l’autorité locale est celle qui par excellence est toute entière plongée dans
les conflits particuliers locaux, a fortiori s’il s’agit du nyumbakumi. Or, cette grande promiscuité
entre les juges et les autorités locales dans ce premier temps de la collecte a pu, en dépossédant
les juges d’une partie de leur autorité, également donner l’impression d’une récolte
d’informations “sous influence”79. Une impression que le déroulement effectif de la validation,
qui sonnait le retour du juge en phase de collecte, n’est venu que très faiblement contrebalancer.
III
La validation ou le retour du juge en phase de collecte
Cette “administrativisation” du processus Gacaca semble bien signifier que les autorités
nationales avaient pris conscience lors de la phase pilote d’une défaillance des juges intègres (tant
quant à la rapidité de la collecte, que sur la quantité et la précision des informations collectées)
pour les remplacer dans cette fonction par des autorités administratives. Il semble bien que le
choix n’a pas été fait de renforcer la capacité des inyangamugayo pour la collecte d’informations, en
continuant à la leur confier dans son intégralité, mais, au contraire, de les déposséder en partie de
cette tâche pour la confier à d’autres. Toutefois cette dépossession ne correspond qu’à un
premier temps de la collecte, puisque dans ce nouveau schéma, le juge intègre a continué à jouer
un certain rôle à l’occasion d’une nouvelle étape, dite de “validation”.

A. Le retour du juge dans la collecte
En effet, dans le nouveau schéma procédural conçu à la fin de l’année 2004 par le
SNJG, après le temps de la collecte par les nyumbakumi vient celui de la validation, “ kwemeza
amakuru”. C’est à ce moment là que la juridiction Gacaca est censée retrouver sa compétence pour
terminer l’étape préparatoire à la catégorisation. Le terme de “validation” est apparu dans le
2005, n°852 ; Entretien PRI avec une intègre et nyumbakumi, 17 juillet 2005, n°850 ), que par des juridictions Gacaca
de cellule et de secteur (Entretien PRI avec un chef de Zone et juge intègre, 30 juillet 2005, n°876) en fonction de la
localisation des réunions de collecte.
77

Entretien PRI avec trois intègres d’une juridiction Gacaca de cellule, 26 juillet 2005, n°375

78

Entretien PRI avec un coordinateur de secteur, 3 août 2005, n°888

Les rumeurs et les fuites qui ont accompagné les premiers temps de cette collecte en 2005 viennent en partie
témoigner d’une peur liée à la perception d’un système de récolte ne garantissant pas suffisamment l’indépendance de
l’instruction judiciaire menée. Cf. pages 50 et suivantes du présent rapport
79

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

19

Manuel de Procédure de collecte d’informations du SNJG qui décrit ainsi la nouvelle fonction attribuée
aux juges intègres : “Lorsque les intègres viennent d’examiner et de confirmer ces informations [celles
récoltées par les nyumbakumi], le président de la juridiction Gacaca convoque la réunion de l’Assemblée
Générale pour la validation.”80. Par conséquent, la collecte d’informations que la juridiction Gacaca
aurait dû conduire intégralement en vertu de la loi, comme lors de la phase pilote, lui a échappé
dans ce premier temps de la phase nationale, pour lui être d’une certaine manière à nouveau
confiée dans un second temps. Un observateur des juridictions Gacaca dans le district de Budaha
résume ainsi la situation :
« Il [le représentant du SNJG] a donné la définition de la “validation” comme le fait de
vérifier, voir si ce qui a été dit a été écrit, ou compléter les informations recueillies
dans les Nyumbakumi et les comparer avec celles collectées dans les prisons. Il a
ajouté que la validation est dirigée par les intègres (siège) en présence de l’Assemblée
Générale de cellule. Que l’endroit où se fait la validation devient la juridiction ! Il est
différent de celui où se faisait la collecte d’informations qui était dirigée par les
nyumbakumi et les coordinateurs (responsables) de cellule.”81
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Après sept mois de fonctionnement de la phase de collecte, l’ensemble des cellules que nous
observions en phase nationale avait quasiment toutes terminé la phase de validation des
informations récoltées par les nyumbakumi. L’instruction avait été donnée par le SNJG que tous
les registres contenant les informations validées soient remis au coordinateur Gacaca au niveau du
district au plus tard fin novembre 2005, afin que les jugements de la phase nationale puissent
débuter en janvier 200682. Toutes les cellules se sont donc activement attelées à cette tâche. Ainsi,
dans la district de Kayove, certains juges intègres sont même allés jusqu’à travailler tous les aprèsmidi, pendant plusieurs jours d’affilée83.
Il est à noter qu’une phase intermédiaire de “confirmation” entre la collecte et la
validation est prévue dans le Manuel de Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca :
“Lorsque le président de la juridiction Gacaca de cellule vient de recevoir tous les cahiers des nuymbakumi de toute
la cellule, il convoque la réunion de tous les intègres, des membres du siège de la juridiction Gacaca et leurs
suppléants en vue de confirmer le contenu de ces cahiers”84. Dans la mesure où cette étape a eu lieu à huis
clos, il nous a été assez difficile de recueillir des informations précises sur cette dernière. Il
apparaît néanmoins que cette tâche des juges intègres consistait pour l’essentiel à confronter leurs
propres connaissances sur le génocide avec celles récoltées au sein des Nyumbakumi, ainsi qu’à
identifier les informations floues en vue d’obtenir plus de précisions auprès de la population lors
des séances de validation.

Service Nationale des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation, SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI]
80

81

RO d’une réunion de sensibilisation sur la validation des informations, Kibuye/Budaha/Nyange, 26 août 2005

Date initialement annoncée par le Service Nationale des Juridictions Gacaca ; A ce jour, les seuls jugements qui ont
repris à la mi-mai 2006 sont ceux des juridictions Gacaca de la phase pilote, les jugements de la phase nationale
demeurant toujours en attente.
82

83 Alors même que ces juges intègres assument les activités Gacaca sans aucune rémunération. Cf. RO
Gisenyi/Kayove/Musasa/Muhororo et Kanyamende, 14 novembre 2005

Service Nationale des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation, SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI]
84

20

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

B. Le déroulement des séances
Une fois donc que tous les nyumbakumi en ont eu terminé avec la collecte
d’informations, les séances de validation par les juridictions Gacaca de cellule ont pu commencer.
Ces séances, placées sous l’autorité du Siège des juges intègres, avaient pour objectif la validation
par l’Assemblée Générale de la cellule des informations recueillies au niveau des Nyumbakumi.
Suite à un certain nombre d’entretiens recueillis par PRI dans le courant de l’été 2005, il
nous a semblé que dans un premier temps des instructions avaient été données, notamment par
des autorités de district, comme à Kayove (Gisenyi)85, pour que “soient seulement notées les
informations fiables”86 et que “les erreurs soient corrigées”87. Pourtant, il est finalement ressorti de nos
observations que dans la grande majorité des cas les séances se déroulaient de la façon suivante :
les cahiers des Nyumbakumi étaient d’abord lus dans leur intégralité et sans interruption, en
général par les nyumbakumi eux-mêmes. Dans les cas où ces derniers ne savaient pas lire, un juge
intègre ou une personne membre du Nyumbakumi s’en chargeait. Puis le siège demandait à la
population si elle avait quelque chose à rajouter pour compléter ces cahiers.
Il est essentiel de joindre à cette observation, celle du refus des juges de laisser la population
contester le cas échéant ce qui avait été écrit dans les cahiers qui lui étaient lus, notamment pour
décharger une personne dont le nom était mentionné sur une liste. Il lui était alors répondu que
ce n’était pas le moment de le faire, que ce moment viendrait avec les jugements.
« Un participant :
Vous parlez de la validation d’informations. On lit et on passe sans discussion. Est-ce
que ce que vous signez est correct ?
Le président JG:
Nous ne discutons pas sur les informations qui ont été dites et notées. Nous n’avons
pas le droit de dire si les informations données sont vraies ou fausses. Cela va venir
lors des jugements. Dans la collecte, il y a ceux qui disent ce qu’ils ont entendu sans
que ces informations soient vraies.
[…]
Un participant :
On nous a dit [au moment du remplissage avec les nyumbakumi] que lors de la
validation on devait corriger ce qui n’est pas vrai.
Le président :
On a dit qu’il fallait ajouter ce qui a été dit sans rien changer.
[…]
Le président :
On n’est pas en jugement. »88
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Lorsque la lecture avait donné lieu à des ajouts, ces derniers étaient mentionnés par les
secrétaires du Siège de la juridiction Gacaca dans une couleur différente. Après cela, le cahier était
considéré comme validé.

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 20 juillet 2005, n°853. Va également dans le même sens un entretien
mené auprès du coordinateur Gacaca de ce district en date du 12 août 2005, n°901.
85

86

Entretien PRI avec une juge intègre d’une juridiction Gacaca de cellule, 3 août 2005, n° 884

87

Entretien PRI avec un coordinateur de secteur, 3 août 2005, n°888

88

ROJG Kibuye/Budaha/Murundi/Murundi, 7 novembre 2005
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

21

Il se dégage donc de nos observations que cette validation correspond bien à la
définition qui en avait été donnée par un représentant du SNJG lors d’une réunion à Budaha,
“voir si ce qui a été dit, a été écrit”89 et non de voir si ce qui a été dit est conforme à la vérité. Il semble
que la plupart des juges intègres aient limité leur contrôle à cela. Sur l’ensemble des observations
que nous avons menées, un seul entretien, concernant la cellule Kamutwa, en ville de Kigali, nous
a fait état d’un tri des informations par les intègres au moment de la validation.
« Chaque nyumbakumi se présente dans la réunion et lit toutes les informations qu’il a
collectées. Celles qui sont confirmées sont maintenues, celles qui ne le sont pas restent
dans les dossiers des nyumbakumi. »90

- Une nyumbakumi -

C. L’inscription des informations dans le registre
Une fois les cahiers approuvés, la synthèse des listes était faite pour chaque personne
mentionnée. Puis ces listes furent transcrites dans un autre document, le registre. Le contenu du
registre est généralement équivalent à celui des cahiers de Nyumbakumi, à cela près que les listes
sont faites à l’échelle de la cellule et non plus des Nyumbakumi et que s’y ajoutent les nouveaux
témoignages des personnes extérieures à la cellule apportés lors des réunions de collecte de cellule
ou de secteur, ou lors des séances de validation.
Concrètement ce travail de remplissage des registres revenait au secrétaire de la juridiction Gacaca.
Toutefois, dans beaucoup d’endroits, certains secrétaires ne sachant pas bien écrire, ou en raison
parfois de leur manque de disponibilité, ou encore pour éviter de mobiliser sans motif la
population pendant plusieurs heures comme dans une cellule du secteur Gakenke91, les
juridictions ont recouru à des personnes extérieures à la juridiction Gacaca. Il était même prévu
que ces dernières soient rémunérées.
« Pour faciliter la tâche de saisie, nous avons sollicité les juges à trouver des personnes
qui ont une bonne écriture pour remplir ces registres. »92
- Représentant du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Mais le recours à ces tierces personnes a parfois généré d’autres difficultés, comme en atteste
l’observation suivante faite dans le district de Nyamure, à Butare :
« Les informations validées doivent être transcrites dans les cahiers d’activités ou
registres. Tous les secteurs du district de Nyamure ont reçu l’ordre de la part du
coordinateur Gacaca de district d’engager une personne par cellule, ayant achevé au
moins les études secondaires pour s’occuper de cette tâche. Sur ce point, étant donné

89 Cf. Extrait supra, RO d’une réunion de sensibilisation sur la validation des informations, Kibuye/Budaha/Nyange,
26 août 2005
90

Entretien PRI avec une nyumbakumi, 27 juillet 2005, n°870

91 « Le siège des intègres passe plus de cinq heures en complétant les registres et l’assemblée générale reste accroupie
là, sans rien dire. » (Entretien PRI avec un coordinateur Gacaca de district ad interim, 27 juillet 2005, n°872) Toutefois,
sur l’ensemble de nos observations, ce cas fait exception.

Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de M. Denis Rukesha, représentant du SNJG, 19 août 2005, n°913
[Traduction PRI]

92

22

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

que les individus travaillent sur promesse de recevoir une prime, plusieurs individus
affirment qu’ils travaillent lentement pour prolonger le délai de l’emploi.»93
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Il a d’ailleurs été fait grief par la population elle-même, que le recrutement de ces personnes
tierces à la juridiction, ne s’est pas fait dans une totale transparence, ce qui fut de nature à jeter le
doute sur la qualité et l’intégrité du travail effectué.
« En plus de cela, quelques intègres de secteur Nyamiyaga affirment que ces scribes
n’ont pas été engagés d’une façon transparente. En effet, l’engagement de ces
individus a été fait par le secrétaire exécutif de secteur et le coordinateur de secteur. Le
secrétaire exécutif de secteur de Nyamiyaga fait même partie de ces individus.»94

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Ce qu’il nous semble important de souligner à ce stade est que ce travail de remplissage
des registres, qui est en fait un travail de synthèse des différents cahiers, n’est pas réalisé lors des
séances Gacaca et donc en présence de la population, mais en dehors de celles-ci. Le secrétaire du
siège ou la personne extérieure recrutée à cette fin effectue ce travail en essayant de reproduire
fidèlement le contenu des cahiers. Cependant il est bien évident que devant l’ampleur de cette
charge, le risque est important que certains éléments aient été oubliés. Chacun peut mesurer la
difficulté que ce secrétaire de juridiction peut rencontrer dans une cellule composée de trois
Zones, elles-mêmes représentant dix Nyumbakumi : le secrétaire devra lire et synthétiser parfois
plus de 90 cahiers de Nyumbakumi en moyenne pour pouvoir remplir le registre.
Pour finir sur l’observation de cette phase de validation, on peut mentionner quelques
problèmes rencontrés et communs à plusieurs lieux d’observation, et qui sont pour la plupart de
même nature que ceux rencontrés en phase pilote :
-

Les assemblées générales se tenaient souvent dans des lieux non couverts, par conséquent
le déroulement des séances a tantôt lieu sous un soleil accablant, tantôt sous la pluie.

-

En de nombreux endroits les séances commençaient avec pas moins de deux heures de
retard surtout pendant la saison culturale.

-

Alors que partout un jour précis de la semaine avait été défini comme journée des
activités des Juridictions Gacaca, il arrivait que des autorités administratives programment
d’autres réunions où la présence de la population était également requise.

-

Certaines réunions furent reportées en l’absence du quorum exigé par la loi95.

Si certains problèmes relèvaient de l’imprévu et étaient donc difficiles à résoudre avec des moyens
matériels et financiers faibles (conditions météorologiques), d’autres auraient certainement pu être
évités car relevant davantage d’un manque de coordination (tenue de réunions administratives ou
politiques au même moment que l’audience Gacaca).

93

RO Butare/Nyamure, 30 novembre 2005

94

Idem

La loi organique Gacaca n°16/2004 du 19 juin 2004 dispose en son article 18 que “L’Assemblée Générale de la
Juridiction Gacaca de la Cellule ne siège valablement que si au moins cent (100) de ses membres sont présents”.
95

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

23

La catégorisation
Cette étape fondamentale pour les personnes accusées, mais également pour les
victimes et toute la suite du processus, relève d’après la loi des seuls Sièges des juridictions Gacaca.
Elle a été suspendue sur l’ensemble du territoire en fin d’année 2005 dans l’attente que toutes les
juridictions de cellule aient terminé la phase de validation96. On peut aussi penser que l’adoption
d’une nouvelle réforme légale annoncée officiellement par le SNJG à l’automne 2005 et qui
pourrait modifier les anciennes dispositions97 relatives notamment à la première catégorie justifie
ce report.
Il est évident que parmi tous les défis auquel le processus doit faire face, celui de la
durée du contentieux est l’un des premiers. Afin d’y répondre, le recours à l’autorité locale est
apparu au SNJG comme la meilleure solution. En confiant aux nyumbakumi le soin de collecter les
informations et en organisant ensuite la synthèse de celles-ci par la validation en Assemblée
Générale Gacaca, on a espéré une accélération importante du processus. Cet objectif semble bien
avoir été atteint.
Cependant, cette nouvelle organisation de la collecte d’informations qui fut totalement et dans un
premier temps, “déjudiciarisée”, a de fait transformé le visage du processus Gacaca en favorisant
sa perception par une partie de la population comme un système principalement destiné à
accuser, notamment en raison de l’impossibilité d’apporter des témoignages à décharge, comme si
la recherche de la vérité impliquait ici nécessairement de renoncer à l’équilibre fondamental, dans
toute procédure pénale, entre l’accusation et la défense.

96 Rapport d’entretien PRI avec le chargé de la documentation du Service National des Juridictions Gacaca, 11
janvier 2006
97

Cf. la loi du 19 juin 2004, cité supra

24

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Partie 2
L’incontestable déclin du droit de se défendre
Toute procédure pénale tend à l’équilibre entre d’une part, la recherche de la vérité sur
le crime et son auteur, qui implique souvent le recours a des moyens coercitifs et attentatoires aux
libertés et d’autre part, la nécessaire préservation des garanties individuelles.
Dans le cadre très spécifique du contentieux du génocide rwandais de 1994, le choix a
été fait en 2001 de le confier à des juridictions populaires dites Gacaca composées d’un Siège de
juges intègres issus de la population et élus par elle, et d’une Assemblée Générale composée de
cette même population. L’idée sous-tendant ce système judiciaire est que l’équilibre entre les
intérêts de la société et ceux de chaque citoyen peut être, en principe, préservé grâce à une
participation volontaire et importante de la population au processus. En effet, l’essentiel des
informations sur le génocide et ses responsabilités ne peut provenir, outre les aveux, que des seuls
témoignages d’une population qui informe le juge, en accusant ou déchargeant. En l’absence de
ces témoignages qui devraient être complets et conformes à la vérité, il n’est pas possible à la
juridiction Gacaca de cellule ou de secteur de connaître l’histoire du génocide dans son ressort, et
surtout de déterminer ensuite, sans erreur, les responsabilités des véritables auteurs. Par
conséquent, tout repose sur la participation active et volontaire de la population, qui elle seule
permet cela.
En outre, dans le cadre d’un processus judiciaire chargé du traitement d’accusations aussi graves
que celles de crimes de génocide, il est également nécessaire que chaque citoyen rwandais, s’il est
innocent, soit préservé d’accusations infondées, ou s’il a commis un des crimes de génocide,
puisse s’expliquer librement et complètement sur les raisons qui l’y ont poussé.
Qui plus est, la possibilité d’apporter des témoignages à décharge et le droit de se défendre, qui
ne doit pas être uniquement vu comme un droit individuel, sont également des conditions
nécessaires afin que le juge puisse, dans son travail de recherche de la vérité, se rapprocher de
celle-ci : ce n’est qu’en confrontant sereinement tous les éléments à charge et à décharge que le
juge pourra dégager sa conviction sur ce qu’ont été les faits et les responsabilités de l’accusé qu’il
doit juger.
C’est là tout l’enjeu difficile d’une défense qui doit pouvoir s’organiser, même si le
processus ne prévoit aucunement le recours à l’assistance d’un défenseur. Nous pensons que dans
le cadre de ce processus participatif, il n’est ni nécessaire98, ni souhaitable, que la défense soit
confiée à un spécialiste, notamment à un avocat. En effet, dans ce cadre là, le droit de se défendre
est garanti par la participation active et volontaire de la population et repose ici sur deux piliers
fondamentaux qui sont d’une part, le principe du contradictoire dans un débat public et d’autre
part, la possibilité à tout moment de la procédure Gacaca d’apporter des témoignages à décharge.

Ceci dans la mesure où aucun des prévenus relevant de la compétence des juridictions Gacaca, c'est-à-dire des
deuxième et troisième catégories, n’encoure la peine de mort.
98

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

25

Dans le contexte rwandais, où l’instruction des cas s’avère plus que délicate en raison
non seulement des importants traumatismes que la population rwandaise a subis au cours de la
période récente et qui rendent les témoignages difficiles, mais également du fait que les survivants
disposent souvent d’informations dont ils ne sont pas les témoins oculaires99 et que ceux-là
mêmes qui possèdent l’information, autrement dit les auteurs, n’ont pas forcément intérêt à la
révéler ou le font dans le cadre d’aveux au caractère parfois parcellaire100, il nous semble que ces
deux piliers énoncés précédemment devraient être renforcés, depuis la première accusation
jusqu’au jugement final. Or, l’observation faite au cours de cette année 2005 a établi que dans la
première phase du procès Gacaca qu’est la collecte d’informations, le droit de se défendre n’a
trouvé que peu d’espace pour s’exprimer. Et au lieu d’être renforcé, il a subi un incontestable
déclin au détriment à la fois des droits de chaque citoyen, mais également de la recherche de la
vérité. Un constat d’autant plus préjudiciable que c’est sur base de ces informations collectées que
va avoir lieu la catégorisation, moment clé du processus.

I
Le recul du principe du contradictoire
Dans le cadre de la nouvelle procédure retenue pour la collecte d’informations, il nous
semble que trois éléments, au départ mis en place pour faciliter le recueil des accusations, se sont
combinés, pour au final conduire à un recul préjudiciable d’une possibilité d’apporter des
témoignages à décharge et donc du principe du contradictoire en phase d’instruction du
processus Gacaca. En effet, à la collecte en groupe restreint réalisée par les nyumbakumi et qui dans
un premier temps n’a pas assuré une publicité de l’accusation, se sont ajoutées une non collecte
du témoignage à décharge dans cette phase d’instruction et une utilisation dévoyée de la
législation sur le refus de témoigner.

A. La collecte en groupe restreint et la question des “fausses accusations”
1. La collecte en groupe restreint
Le processus Gacaca, et sa procédure pénale élaborée par les législateurs de 2001 et de
2004, consacrent véritablement le principe du débat contradictoire et public puisque toutes les
phases sont censées se dérouler en présence de la population réunie en Assemblée Générale. En
effet, la loi du 19 juin 2004 prévoit qu’il est des attributions de l’Assemblée Générale de la
juridiction Gacaca de cellule “d’assister le siège de la juridiction Gacaca à la confection de la liste [sept listes
sont énumérées] ” et de “présenter les moyens de preuves et les témoignages à charge ou à décharge pour les
auteurs présumés de crime de génocide ou de crimes contre l’humanité” (art.33).

99 “J’y ai donné les informations que j’avais entendues lorsque je suis rentré d’exil. […] Je donnais les informations que j’avais retirées
des autres.” (Entretien PRI avec un rescapé, 11 août 2005, n°899)

Cf. Penal Reform International, Rapport IV. Rapport de Recherche Gacaca : La procédure d’aveu, pierre angulaire de la justice
rwandaise, PRI, Kigali/Paris, janvier 2003
100

26

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

C’est ainsi que la collecte d’informations s’est organisée au cours des trois années de phase
pilote101 jusqu’à l’étape de la catégorisation qui, quant à elle n’est pas publique, mais n’est possible
que parce que la juridiction a disposé auparavant de toutes les informations, à charge et à
décharge. En effet, tout le processus de collecte d’informations repose sur cette idée que la
catégorisation peut refléter au plus près la vérité des faits si le juge a pu entendre à la fois ceux qui
accusent et ceux qui défendent, ainsi que la parole libre de l’accusé.
On a pu à ce titre regretter au cours de cette phase pilote qu’il n’ait malheureusement pas
toujours été possible d’entendre tous les accusés, en particulier parce que beaucoup étaient
prisonniers et que les autorités rencontraient d’importantes et réelles difficultés matérielles
d’extraction et de transport. Mais alors, il aurait été souhaitable au lancement de la phase
nationale de se doter de moyens supplémentaires pour rendre davantage effectif le droit de tout
accusé d’être entendu par la juridiction Gacaca avant d’être catégorisé.
Or, avec ce nouveau processus qui confie aux nyumbakumi la collecte d’informations, la
question du droit de l’accusé, qu’il soit détenu ou libre, à connaître l’accusation portée contre lui
et à la discuter est encore davantage remis en question. Il ne s’agit donc plus d’une simple
difficulté matérielle pour extraire un détenu éloigné, mais d’un choix que l’on pourrait qualifier de
politique pénale et qui concerne tout le monde.
Cette nouvelle orientation est particulièrement visible avec la nouvelle modalité de recueil des
informations qui fait que l’on est passé d’un recueil de témoignages en Assemblée Générale de
cellule à un recueil en groupe restreint, dans le seul Nyumbakumi. C’est en effet ainsi que la
majorité des nyumbakumi a procédé, certains étant même allés plus loin en interrogeant leurs
concitoyens sans les réunir, mais en passant de foyer en foyer102.
Demander au nyumbakumi de collecter l’information dans son groupe de dix maisons devait
répondre à un double objectif fixé par le SNJG et qui en soi apparaît comme légitime :
1. permettre d’accélérer la récolte des données, le petit comité étant davantage propice à
favoriser la parole, contrairement au grand groupe que constituait l’Assemblée Générale
et où des pressions (menaces verbales, rires stigmatisants, regards menaçants, etc.)
pouvaient empêcher cette parole ;
2. protéger les personnes, et notamment les victimes qui témoignent, l’origine de
l’information n’étant pas, en tout cas de façon immédiate, connue.
Même si dans un second temps, il a été organisé des réunions de collecte en assemblée générale
au niveau des cellules et des secteurs, ces réunions avaient avant tout pour objectif de compléter
les premières accusations recueillies103 et non de permettre aux accusés ou aux témoins à décharge
d’apporter des éléments à l’instruction.
Par ailleurs lors des réunions de sensibilisation, dans un souci de libérer la parole en vue de
récolter un maximum d’informations, le message a été donné que toute information était la
bienvenue, y compris celle dont les personnes n’était pas personnellement les témoins oculaires.
101 Cf. Penal Reform International, Rapport de synthèse de monitoring et de recherche sur la Gacaca. Phase pilote Janvier 2002 Décembre 2004, PRI, Kigali/Paris, décembre 2005
102

Cf. page 8 du présent rapport

103

Cf. dans le présent rapport, le point sur “Le soutien des nyumbakumi par les autres autorités administratives”, page 13
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

27

« Le représentant du SNJG a donné la différence qui est entre les témoignages et les
informations. Il a dit que : 1. Les informations, c’est dire ce qu’on a entendu ou ce
qu’on a vu et 2. Le témoignage, c’est dire ce qu’on a vu. Donc que lors du témoignage
on prête serment. Si quelqu’un a donné un faux témoignage, on applique l’article vingt
neuf de la loi organique. Alors que celui qui a donné de fausses informations n’est pas
poursuivi (car on peut mal s’informer sans intention de donner les fausses
informations). »104

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Il nous semble d’ailleurs que le vocable utilisé de “ collecte d’informations” est en soi révélateur
de l’esprit qui a animé toute cette récolte 2005, comme si l’on avait quelque peu perdu de vue que
l’on était dans le cadre d’une phase d’instruction d’un processus judiciaire, et que ces
“informations” récoltées allaient servir de base à l’établissement de responsabilités pénales
individuelles et donc graves de consequences.
On peut penser que ’idée qui sous-tend cette pratique est que toute information est bonne à
prendre, surtout dans un contexte où la révélation de la vérité est aussi difficile. Plus le juge aura
d’informations, plus il aura les moyens de découvrir la vérité. Peut-être conviendrait-il d’être plus
nuancé sur ce point, et de ne pas confondre le quantitatif et le qualitatif. Ce n’est pas parce que
l’on a beaucoup d’informations que l’on a la vérité. Cette stratégie pourrait même s’avérer à plus
long terme contre-productive, en venant compliquer la tâche des juges qui devront trier entre un
grand nombre d’informations et qui ne seront pas forcément toujours vraies, comme le précise ce
nyumbakumi qui souligne que “des informations se donnent, mais il y en a qui sont fausses”105.
2. La question des “fausses accusations”
Il est indiscutable qu’en pratique ce mode de récolte des informations a donné les
résultats escomptés (célérité et quantité) et que l’idée au départ pouvait être louable de permettre
que “les gens plaident coupables dans la quiétude puisqu’il se regroupent dans leur groupe de dix maisons où ils
n’ont peur de rien”106, facilitant ainsi l’aveu ou le témoignage à charge sans crainte d’être menacés.
Toutefois, l’absence dans un premier temps de véritable publicité à l’accusation, en pouvant
donner aux accusateurs un sentiment d’irresponsabilité totale107, a pu créer un climat propice à
des pratiques déviantes et notamment aux fausses accusations.
Il convient à ce stade de préciser que sous le vocable de “fausses accusations”, nous renvoyons
aux cas où, alors que des personnes faisaient l’objet d’accusations dans le cadre de la collecte
d’informations, il ressortait de nos observations et entretiens qu’elles étaient considérées comme
innocentes par la grande majorité de la population. Mais bien entendu, les observateurs de PRI ne
pouvaient, quant à eux, juger du bien fondé d’une information ou d’une accusation et donc la
qualifier de véridique ou de fallacieuse. Par ailleurs, tant que les jugements n’ont pas eu lieu, et
que par conséquent la réalité judiciaire de leurs responsabilités n’a pas été établie, il reste difficile
de quantifier ces cas et de se prononcer précisément sur l’importance de ce phénomène.

104

RO d’une réunion de sensibilisation sur la validation des informations, Kibuye/Budaha/Nyange, 26 août 2005

105

Entretien PRI avec un nyumbakumi, 26 juin 2005, n°836

106

RO Gisenyi/Kayove/Musasa, 11 mars 2005

Cf. l’extrait infra (RO d’une réunion de sensibilisation
Kibuye/Budaha/Nyange, 26 août 2005, note de bas de page 131)
107

28

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

sur

la

validation

des

informations,

Il a ainsi été fait état au cours de nos entretiens, tant avec la population qu’avec les
autorités locales, d’une tendance à “l’instrumentalisation” de la collecte d’informations par la
population elle-même. Dans la mesure où accuser peut se faire sans contradiction et que le faux
témoignage n’est ni contredit, ni a fortiori poursuivi, certains ont pu en profiter pour accuser
faussement leurs voisins afin de régler des conflits personnels, notamment fonciers108.
« On constate que certaines personnes sont accusées injustement. […] Les
règlements de compte ne peuvent pas manquer dans ces situations parce qu’il s’agit
d’une opportunité accordée à la population […] »109

- Un habitant -

« Il y a des fois où les gens qui ont des problèmes entre eux, soit des querelles dans
les cabarets ou dans d’autres circonstances, au lieu de régler le problème, ces gens
préfèrent se venger lors de la Gacaca en y apportant des problèmes qui n’ont rien à
voir avec elle. »110

- Un ex-président de juridiction Gacaca de cellule -

« Seulement, il y a des personnes qui livrent de fausses informations à propos de leurs
voisins, à cause des conflits qu’ils ont entre eux. »111
- Un coordinateur de cellule -

« Interviewé : […] je voudrais parler en déplorant le fait qu’il y a des personnes qui ont
une mauvaise habitude de faire des dénonciations mensongères envers les autres.[…]
Ils peuvent même le faire en allant se présenter devant la juridiction Gacaca et
s’entendre sur la personne à accuser faussement. […]
Enquêteur PRI : Quelle elle est la proposition que tu peux préconiser dans cet état de
chose ?
Interviewé : La solution est très difficile à trouver parce que quand dix personnes à
peu près ont comploté contre une autre et que la population ne peut pas donner la
vraie version, il est difficile que la vérité soit connue. […] Si nous avons été au courant
de ce phénomène, c’est parce que certaines personnes se sont lamentées, montrant
que telle ou telle personne est innocente de ce que l’on est en train de la charger. »112
- Un coordinateur de secteur -

Il est à noter que de telles pratiques avaient déjà été observées dans les mois qui suivirent le génocide et
expliquèrent en partie le nombre important d’innocents qui furent immédiatement arrêtés et incarcérés. Cf.
notamment Des Forges, Alison, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Human Rights
Watch/Karthala, 1999

108

109

Entretien PRI avec un habitant, 25 novembre 2005, n°1087

110

Entretien PRI avec un ex-président de juridiction Gacaca de cellule, 27 août 2005, n°928

111

Entretien PRI avec coordinateur de cellule, 2 novembre 2005, n°1053

112

Entretien PRI avec un coordinateur de secteur, 3 août 2005, n°888

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

29

« Seul Dieu connaît la vérité, mais ce que je peux te dire c’est qu’il y a des gens qui
mentent beaucoup dans nos juridictions. »113
- Une nyumbakumi -

Cette récupération du processus à des fins personnelles parce que le contradictoire a fait défaut,
et ne peut donc l’empêcher, a bien entendu eu un impact direct sur une partie de la population
qui en a pris conscience et qui fut effrayée par le processus au point parfois de le fuir ou, en tout
état de cause, de ne plus avoir confiance dans cette justice.
On aurait pu alors penser que cette facilité donnée à l’accusation dans le cadre de la
collecte par les nyumbakumi, serait contrebalancée par un vrai débat contradictoire au cours des
réunions de collecte ou lors de la validation. Ce ne fut pourtant pas le cas, ou très rarement.

B. La non collecte du témoignage à décharge
Directement lié à la question du contradictoire est le droit de toute personne accusée de
contester l’accusation et de tenter d’apporter au juge compétent les éléments de nature à la
décharger éventuellement114. Là encore, l’Assemblée Générale de la juridiction Gacaca, qui d’après
la loi constitue le lieu où s’organise la collecte d’informations devrait constituer le cadre normal,
non seulement de l’accusation, mais aussi de la défense. C’est là que l’accusé devrait pouvoir
s’expliquer et apporter ses propres preuves qui, compte tenu de la nature de ces procès du
génocide, sont pour l’essentiel là aussi des témoignages.
Il convient de rappeler sur ce point, que partout et de tout temps, le principe de la présomption
d’innocence a toujours été un principe extrêmement difficile à mettre en œuvre et la tendance
s’avère généralement de fonctionner sur son contraire. Une des conséquences majeures du non
respect de cette présomption d’innocence est que socialement ceci crée un système pénal à l’égard
duquel la population n’a que peu de confiance. Or, si ceci est grave dans tout système, ça l’est
plus encore dans celui qui par essence requiert la participation de toute la population et qui va
juger le quart de cette même population.
Affirmer la suprématie de ce principe est certes fondamental115, mais il convient également de
mettre en œuvre des moyens, des garde-fous, afin de limiter ce réflexe naturel qui veut qu’il soit
plus facile d’accuser que de défendre. Au-delà d’un rappel de la constitution116, garantir ce
principe passe essentiellement par le fait de donner aux acteurs chargés de sa mise en œuvre
légale, les moyens d’en assurer l’effectivité dans la pratique.

113

Entretien PRI avec une nyumbakumi, 27 juillet 2005, n°870

114 L’alinéa 3 de l’article 18 de la Constitution de la République du Rwanda dispose d’ailleurs que “être informé de la
nature et des motifs de l’accusation, le droit de la défense sont les droits absolus à tous les états et degrés de la procédure devant toutes les
instances administratives et judiciaires et devant toutes les autres instances de prise de décision”. (Journal Officiel de la République du
Rwanda, 42ème année, n°spécial, 4 juin 2003)

Cf. également le communiqué de l’Agence de Presse Hirondelle, “Le parti au pouvoir prône la présomption
d’innocence”, Kigali, 11 janvier 2005
115

116 L’article 19 de la Constitution de la République du Rwanda mentionne que “toute personne accusée d’une infraction est
présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement et définitivement établie à l’issue d’un procès public et équitable au cours
duquel toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été accordées”. (Journal Officiel de la République du Rwanda, 42ème
année, n°spécial, 4 juin 2003)

30

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Or, il ressort de nos observations de la phase de collecte, que l’effectivité de ce principe
dans la pratique est très loin d’être garantie, en raison principalement de l’absence voulue du
témoignage à décharge.

1. La non collecte des témoignages à décharge par les autorités locales
L’observation de cette première phase de collecte d’informations au cours de
l’année 2005 a fait ressortir qu’il a été quasiment impossible pour une personne accusée auprès du
nyumbakumi, ou par la suite lors des réunions de collecte de cellule et de secteur, d’apporter le
moindre élément à décharge.
Les fiches élaborées par le SNJG pour être utilisées par les nyumbakumi ne
comportent aucun emplacement spécifique permettant l’enregistrement des témoignages à
décharge. La façon dont ces dernières sont conçues et qui vise à “récolter les informations sur le
déroulement des événements du génocide”117, n’offre pas d’espace pour que les gens puissent dire autre
chose que des faits et des noms d’auteurs. En effet, toutes les fiches visent à établir la nature des
faits criminels (distribution des armes, participation à des milices ou aux barrières, etc.) et
l’identité de leurs auteurs, donc des personnes accusées, ainsi bien sûr que celle des victimes ou
rescapés118. En cela, cette méthode de collecte diffère considérablement de ce qui s’était pratiqué
en phase pilote, où le secrétaire de la juridiction prenait en note l’intégralité des débats et donc
aussi bien les témoignages à charge qu’à décharge.
En ce qui concerne les personnes accusées, il est uniquement mentionné leur état
civil, leur profession et la date de leur libération, pour ceux qui ont déjà été en prison. Il est
important de rappeler à ce stade, que dans la très grande majorité des cas, il ne leur a pas été
permis de se défendre au cours des réunions de collecte :
« […] le coordinateur de la cellule a demandé à la population de laisser tout le monde
parler librement, quand bien même une personne fait de faux témoignages contre une
autre personne, que celle-ci garde le silence et attende le procès pour se défendre. »119
- Un intègre d’une juridiction Gacaca de cellule -

« […] nous leur expliquons que nous sommes dans la phase de collecte d’informations
et que le moment de se justifier pourra avoir lieu. Plus encore nous précisons que
même si tout le cahier est rempli d’informations sur une personne innocente, cela ne
veut pas nécessairement dire qu’elle est d’office coupable. »120

- Un nyumbakumi et vice-président d’une juridiction Gacaca de cellule -

117

Entretien PRI avec un rescapé, 11 août 2005, n°899

118 Exception faite toutefois de la fiche concernant les “personnes qui ont porté secours à ceux qui étaient pourchassés dans la
cellule”. Même si cette fiche n’a pas de conséquence judiciaire pour ces “héros” et donc n’est pas d’une utilité
immédiate pour le processus Gacaca en tant que processus judiciaire, son existence est une nouvelle reconnaissance
officielle du rôle positif que ces personnes ont joué pendant le génocide. On peut penser et souhaiter que cette
initiative sera prolongée par d’autres dans une logique de réconciliation de tous les Rwandais. (cf. sur ce point Penal
Reform International, Rapport de monitoring et de recherche sur la Gacaca. Les Justes entre oubli et réconciliation ? L’exemple de la
Province de Kibuye, PRI, Kigali/Paris, novembre 2004)
119

Entretien PRI avec une intègre d’une juridiction Gacaca de cellule, 3 août 2005, n°884

Entretien PRI avec un nyumbakumi et premier vice-président d’une juridiction Gacaca de cellule, 19 juillet 2005,
n°852

120

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

31

Au cours de l’ensemble de nos observations et entretiens sur l’année 2005, nous n’avons relevé
que deux cas où les personnes ont été autorisées à réagir aux accusations portées contre elles121.
« Il n’y a pas eu de problème […] lorsqu’on se mettait d’accord sur une personne qui
figurait sur la liste des accusés, il ne devait pas y avoir de discussion, parce que nous
leur expliquions qu’il s’agit des informations que l’on doit donner telles qu’on les
possède et non des jugements. Toutefois, la personne à qui on donnait l’occasion de
s’expliquer, on notait ses explications aisément, d’où le fait qu’il n’y pas eu de
discussions pour les deux côtés. »122

P.Ville de Kigali, D.Nyamirambo, S.Nyakabanda, C.Munanira

« Heureusement quand la population a été rassemblée [en assemblée générale de
cellule], les informations qui étaient fausses ont été démenties et les véritables versions
offertes par la population. Ces nouvelles informations ont été notées dans les
registres. »123

P.Gisenyi, D.Kayove, S.Gaseke, C. Kimironko I

Par conséquent, lorsque les cahiers remplis par les nyumbakumi et complétés en réunion de
collecte, ont été transmis aux présidents des juridictions Gacaca pour la confirmation et la
validation en Assemblée Générale, ils ne comportaient donc aucune information sur une
éventuelle dénégation de la personne accusée ou sur l’existence de témoins à décharge. Ces
cahiers étaient donc exclusivement composés de listes de personnes soit accusées, soit victimes
ou rescapées.
Cette prise en compte exclusive et complète de la parole accusatrice est confirmée par
des déclarations faites par des autorités du SNJG, au cours de réunions locales. En effet, il a été à
plusieurs reprises indiqué aux autorités locales et à la population qu’elles ne devaient pas “trier”
entre les accusations qui leur étaient fournies. C’est à juste titre selon nous, qu’en ce qui concerne
les accusations, le SNJG a rappelé que “dans la collecte d’informations, il faut tout écrire, même que ce soit
des fausses accusations”124. Cela ne doit pas bien sûr être entendu comme une promotion des fausses
accusations, mais comme le rappel aux autorités administratives locales, qu’il ne leur appartient
pas d’apprécier le bien fondé ou non d’une accusation. Ce rôle appartient aux seules juridictions
Gacaca.
En revanche, on peut regretter qu’aucune consigne du même ordre n’ait été donnée à ces mêmes
autorités locales de ne pas rejeter les explications ou éléments à décharge que la population
voulait leur communiquer.
« Lors de la collecte d’informations, la population a toujours manifesté le souci de
s’expliquer sur les accusations portées à leur charge ou les témoins de donner des

121 Ce fut également le cas pour certaines hautes personnalités, dont les réactions ont pu faire l’objet d’une
radiodiffusion ou d’une retransmission à la télévision.
122

Entretien PRI avec un chef de Zone et intègre, 30 juillet 2005, n°876

123

Entretien avec une nyumbakumi, 20 juillet 2005, n°853

124

RO Réunion de sensibilisation sur la collecte d’informations, Kibuye/Budaha/Nyange, 26 août 2005

32

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

témoignages à décharge, mais elle n’est pas autorisée par les autorités qui disent que ce
n’est pas le moment des jugements. »125
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

On comprend mal pourquoi toutes les accusations, même celles qui peuvent sembler infondées,
doivent être retenues dès le stade de la collecte d’informations, et que la production des
témoignages à décharge soit reportée “au moment des jugements”.
Une telle position introduit un déséquilibre évident dans la recherche de la vérité et surtout ne
peut que générer une profonde inquiétude chez ceux qui sont accusés, qui estiment que c’est à
tort, qui voudraient s’en expliquer et qui en sont finalement déboutés. Cette inquiétude est
alimentée par le fait que cette population ignore exactement quand est-ce que les jugements vont
avoir lieu et n’a donc aucune garantie sur le fait qu’elle pourra alors produire ces témoignages à
décharge. En effet, reporter à la seule phase de jugement le droit pour une personne accusée de
se défendre de manière efficiente constitue un risque très important. Car pendant ce délai,
peuvent avoir lieu des pressions ou intimidations sur les éventuels témoins à décharge, ou tout
simplement la disparition de ces témoignages à décharge.
On aurait pu penser, comme ce représentant de libérés condamnés au TIG, que “comme les
autorités ne savent pas la vérité, elles acceptent les informations données par la population”126 et que “peut être il
y aura un changement dans la phase de validation”. Malheureusement, cette position de non prise en
compte des témoignages à décharge et d’absence de possibilité offerte aux personnes accusées
de se défendre, a été maintenue lors de la validation des informations par les Assemblées
générales des juridictions Gacaca de cellule.

2. La validation comme simple enregistrement des accusations
La phase de validation fait partie des nouvelles étapes du processus tel que dessiné en
novembre 2004 par le SNJG. C’est à partir de cette étape que commence véritablement le
processus Gacaca, si on le comprend comme étant un processus judiciaire confié à des juges
investis par la loi. Le document établi par le SNJG, Programme de la collecte d’informations dans les
juridictions Gacaca, indique que “toutes les informations et témoignages collectés sont validés par l’Assemblée
Générale de la juridiction Gacaca de la cellule”127. La procédure est similaire à celle prévue dans les lois
de 2001 et 2004 pour la tenue de ces mêmes Assemblées générales des juridictions Gacaca.
Il est prévu par ce document du SNJG qu’après réception du cahier, le président de la juridiction
réunit les intègres de la cellule, ceux qui siègent effectivement et leurs remplaçants, pour “confirmer
les informations y contenues”. Ces séances ayant eu lieu à huis clos, nous n’avons pu mener sur ce
point aucune observation. Il semble néanmoins qu’elles aient eu principalement pour objectif de
prendre note des informations manquant de clarté, en vue de les faire compléter par l’Assemblée
Générale.
Une fois les informations confirmées, la juridiction Gacaca de cellule se réunit en Assemblée
Générale pour une audience qui n’est plus celle de la collecte d’informations prévue par la loi de

125

ROJG Kibuye/Muhororo, 10 juin 2005

126

Entretien PRI avec un représentant des libérés condamnés au TIG, 3 août 2005, n° 886

Service Nationale des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation, SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI du document intitulé Gahunda yo gukusanya amakuru
akenewe mu nkiko Gacaca]

127

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

33

2004, mais uniquement la validation des informations collectées dans un premier temps par les
autorités locales.
Il ressort de nos observations que ces audiences de validation n’ont pas davantage
permis au principe du contradictoire d’exister. Cela n’a été que très exceptionnellement le cas,
puisque le plus souvent les accusés se sont vus également opposer le fait qu’il n’était pas encore
temps de se défendre et qu’ils pourraient produire leurs témoignages à décharge lors de l’audience
du jugement.
« Quand cette [personne] commençait à s’expliquer en disant que ce que l’on venait de
dire à propos d’elle n’était pas vrai, le président [de la juridiction Gacaca] arrêtait les
discussions en disant que ce n’était pas encore le temps de s’expliquer sur les
accusations. »128

- Un nyumbakumi -

Ce report du droit de se défendre à la seule étape du jugement a ainsi été confirmé par un
représentant du SNJG lors d’une émission sur Gacaca :
« Concernant la question de Habimana, je lui réponds que la personne qui est accusée
faussement devant la Juridiction Gacaca n’a pas à aller s’expliquer parce que le temps
de s’expliquer viendra où les personnes accusées se défendront devant l’Assemblée
Générale [lors du procès]. »129
- Représentant du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Il est à noter que cette prohibition du droit de se défendre au stade de la validation s’impose
réellement à toute personne accusée, au point que dans certains cas, même les autorités locales
n’ont pas pu jouer de leur qualité pour renverser ce principe. L’exemple qui suit, observé dans le
secteur Murambi en province de l’Umutara, décrit la situation d’un coordinateur de cellule accusé
et qui se voit écarté de l’Assemblée Générale alors qu’il cherche à se défendre :
« Dans cette cellule, il y avait des lamentations de la part des juges intègres sur le fait
que le coordinateur de la cellule se trouvait au-dessus de la loi et des instructions
relatives à Gacaca. […] Ces intègres ont demandé aux autorités de supervision (le
président du tribunal d’appel, le secrétaire exécutif de secteur Murambi, un
représentant du district Niyonzima) ce qu’ils pouvaient faire. […] Après l’ouverture de
la séance, le premier secrétaire a fait la lecture du procès verbal de la précédente
réunion. […] Le problème qui avait surgi dans cette réunion était que X et Y […]
étaient venus charger le coordinateur de la cellule, son frère, ses cousins. […] Après
ces informations, il y a eu des disputes de la part du coordinateur qui se débattait pour
se tirer de ce crime. Il parlait sans l’autorisation des juges et ce fut un grand désordre
dans Gacaca. Pour cela, les intègres ont été obligés de mettre le coordinateur à l’écart
de l’assemblée pour signifier qu’il était sanctionné. »130
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

128

Entretien PRI avec un nyumbakumi, 23 août 2005, n°914

129 Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de Mr. Janvier Karinda, représentant du SNJG, 22 juillet 2005,
N°860 [Traduction PRI]
130

34

ROJG Umutara/Murambi/Murambi/Ryampunga, 21 novembre 2005
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Par ailleurs, tout comme cela fut observé lors de la collecte d’informations faite par les
nyumbakumi et les autres autorités locales, il est apparu que la consigne avait été donnée aux
juridictions Gacaca de ne pas “trier” entre les informations qui leur étaient soumises en séances de
validation.
« Le représentant du SNJG a donné la définition de la collecte d’informations comme
un mélange de grains et de paille. Qu’elle est différente des jugements où on doit
séparer les grains de la paille! »131
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

« Après certaines informations et suite aux sentiments et relations de parenté entre les
habitants, ces derniers ont commencé à pousser des cris en disant que telle ou telle
autre personne est innocente ! Pourtant, selon les directives que nous avons, nous
devons recueillir toutes les informations qui nous parviennent. Bien que nous ayons
enregistré de tels cas tout au début de cette phase, nous avons dit aux Intègres de
noter toutes les informations qui leur parviennent et que quand le moment du
jugement sera arrivé toute personne aura le temps suffisant de s’expliquer sur ce qui
est dit sur sa personne. C’est ainsi que les témoins au procès vont prouver que telle
personne est innocente. […] C’est pour cette raison que je dirais que nous n’avons pas
enregistré les débats entre les gens qui voulaient remettre en question certaines
informations et ceux qui les confirmaient. »132

- Un secrétaire exécutif de secteur -

Dans la mesure où le droit de se défendre n’est pas accordé au stade de la validation, on
peut alors légitimement s’interroger sur ce que signifie réellement “valider une information” et se
demander si lors de cette étape de validation, l’Assemblée Générale de la juridiction Gacaca de
cellule ne s’apparente pas plus à une “chambre d’enregistrement”.
En effet, donner au juge la charge de valider une information devrait impliquer qu’il ait la capacité
le cas échéant de l’invalider. Une capacité d’invalidation du témoignage à charge qui est d’autant
plus fondamentale que le recueil du témoignage à décharge a été écarté de la collecte
d’informations réalisée par les autorités locales. Or, il ne ressort pas de nos observations que les
juridictions Gacaca aient réellement eu cette capacité.
On sait qu’il est difficile dans le contexte sociopolitique rwandais pour de simples citoyens de
contester ce qui est dit par une autorité, quelle qu’elle soit133. Dés lors, que penser de la capacité
des inyangamugayo à remettre en cause des listes réalisées sous les auspices d’autorités locales allant
jusqu’au coordinateur de secteur ? Bien sûr l’inyangamugayo n’est pas un simple citoyen, mais a-t-il
aujourd’hui toute la légitimité et donc le poids social, pour pouvoir le cas échéant remettre en
question une information récoltée par une autorité locale ?

131

RO Réunion de sensibilisation sur la collecte d’informations, Kibuye/Budaha/Nyange, 26 août 2005

132

Entretien PRI avec un secrétaire exécutif de secteur, 6 juillet 2005, n°843

Sur cette question de la soumission à l’autorité cf. notamment Penal Reform International, Rapport de monitoring et
de recherche sur la Gacaca. Les Justes entre oubli et réconciliation ? L’exemple de la Province de Kibuye, PRI, Kigali/Paris,
novembre 2004, pp. 36-37
133

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

35

Si l’on pose comme postulat que la légitimité du juge intègre lui vient pour l’essentiel de la loi
ajoutée au fait qu’il est censé avoir été élu pour son intégrité, alors on peut se poser la question de
savoir dans quelle mesure la décision de confier aux autorités locales la collecte d’informations n’a
pas, de fait, techniquement et socialement, dépossédé les juges Gacaca d’une part importante de
leur autorité. Il apparaît donc que dans ce nouveau schéma, le juge intègre aura très certainement
du mal à s’imposer. Un constat partagé par tous, dont le SNJG :
“Sur ce je dirais que les Intègres qui reçoivent ces informations ne doivent pas faire
preuve de peur suite à ce qu’ils sont devant une autorité, en plus qui vient de la Ville
de Kigali, d’ailleurs je pense que c’est là où réside le problème. […] Un autre
intervenant du SNJG : Comme ajout je dirais que cette soi-disant peur résulte du
sentiment d’infériorité dont ces Intègres témoignent.”134
- Représentants du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Et qui s’avère conforme à nos observations sur le terrain :
« Dans les campagnes, ne pas le voir serait de pure ignorance en sociologie, il y a des
gens influents. Ce sont des riches, des intellectuels, ceux qui étaient des autorités,
surtout celles de ces temps [du génocide] et celles en place [aujourd’hui]. »135

- Un prêtre chargé de la Commission Justice et Paix -

« La Gacaca normalement est une justice, mais l’on voit bien et au moment même où
j’étais dans le Siège, on constate bien que le siège de la Gacaca de cellule est composé
par des membres qui n’ont pas assez de puissance. Ceci parce qu’il y a des fois où un
dirigeant peut commander à un membre du Siège de faire ceci ou cela et ce dernier
peut le faire sans attirer l’attention […]. »136

- Un ex-président de juridiction Gacaca de cellule -

Le fait de limiter le juge à un rôle d’enregistrement est d’autant plus surprenant que l’on aurait pu
penser que l’objectif recherché en confiant la collecte dans un premier temps aux nyumbakumi,
était de faire en sorte que les juges disposent d’un maximum d’informations, justement pour être
en mesure d’animer un véritable débat contradictoire.
Mais au-delà de l’atteinte portée à la fonction initiale du juge, cette situation a également généré
une réduction du rôle de l’Assemblée Générale avec pour conséquence d’avoir largement
démotivé une partie de la population qui ne voyait pas en quoi sa participation pouvait être utile,
sauf pour ajouter aux accusations.
« Même si cela se parle à l’écart des autorités, dernièrement, dans ces deux secteurs
[Murundi et Cyamatara] la population refuse de se présenter aux réunions prévues et
ajoute qu’elle a été appelée à écouter les informations collectées (validation) et a été

Emission Gacaca, Radio Rwanda, interventions respectives de Mme Thérèse Uwizeye et de Mr. Albert Ndayisaba,
représentants du SNJG, 8 août 2005, N°894 [Traduction PRI]
134

135

Entretien avec un prêtre, chargé de la commission “Justice et Paix”, 4 mai 2005, n°810

136

Entretien PRI avec un ex-président de juridiction Gacaca de cellule, 27 août 2005, n°928

36

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

empêchée de les corriger. Qu’on l’appelle encore à venir entendre ce qui a été écrit
dans les registres et que pour elle ce n’est qu’une perte de temps. »137
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Si dans une certaine mesure cette consigne de reporter la production des témoignages à
décharge à la phase de jugement peut s’expliquer par la volonté “d’aller plus vite” et d’accélérer
ainsi la phase de collecte d’informations, il est incontestable que cela déséquilibre
considérablement la recherche de la vérité au profit de la seule accusation, dont rien ne dit qu’elle
correspond à la vérité, ou à toute la vérité. Cette démarche donne en effet implicitement à toute
accusation un poids extraordinaire. Un constat qui a de quoi inquiéter lorsque qu’on le met en
parallèle avec les faiblesses des juges relevées lors de la phase pilote de jugement138 et l’objectif de
célérité clairement affiché par le SNJG quant au processus Gacaca. En effet, cette consigne de
célérité a déjà été donnée par le SNJG lors de la phase de collecte et l’écho qu’elle a reçu, tant
auprès des autorités que des juridictions Gacaca, et qui l’a faite primer sur tout autre considération,
a de quoi laisser interrogateur sur ce que pourra être la phase de jugement et la gestion par les
juges intègres d’une pression importante en vue de répondre à un objectif de célérité.
« Dans les cellules de Gihama et de Mugali la population se groupe selon les
Nyumbakumi d’appartenance où on procède à la lecture pure et simple des
informations collectées. Ils ont opté pour ce choix afin de pouvoir aller plus vite,
parce que ces cellules se trouvent en retard par rapport à d’autres. »139

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation –

« L’accélération du processus de validation dans le district de Nyamure a fait que les
Intègres des cellules travaillent d’arrache-pied et sous pression. Ce qui fait que dans la
seconde quinzaine de novembre dans le secteur Nyamiyaga, le débat contradictoire a
été remplacé par une simple lecture des informations faite par les nyumbakumi. »140

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Il est donc aujourd’hui des plus légitimes de s’interroger sur la valeur probante de toutes
les informations dont disposent les juridictions Gacaca pour, dans un premier temps, catégoriser
et, dans un second temps, juger. Soutenir aux accusés qu’ils auront la possibilité d’apporter des
témoignages à décharge et donc de réellement se défendre lors de la phase de jugement revient à
leur signifier, ainsi qu’à toute la population, que la catégorisation n’a qu’une importance formelle,
à savoir déterminer la juridiction qui aura à juger. Or cela n’est qu’en partie vrai, car les
conséquences juridiques et bien sûr individuelles de la catégorisation sont fondamentales : de par
la loi elle constitue la première analyse faite par les juges intègres des responsabilités individuelles
et donc, dans une certaine mesure, une prédétermination des sanctions encourues. Or en l’état,
cette catégorisation ne se fera, pour l’essentiel, que sur la base d’éléments à charge.
137

RO Kibuye/Budaha, décembre 2005

138 Cf. notamment sur ce point : Avocats Sans Frontières, Monitoring des Juridictions Gacaca. Phase de jugement. Rapport
Analytique. Mars-Septembre 2005, ASF, décembre 2005. Lors de la journée de restitution du rapport, du 2 février 2005,
parallèlement à l’accent mis sur l’exceptionnel travail réalisé par ces juges non professionnels, furent également
soulignées des faiblesses comme : la difficulté des juges à organiser un véritable débat contradictoire, à remettre en
cause le témoignage d’une autorité, mais également leur tendance à simplement reconnaître ou invalider des aveux,
ou encore les difficultés des témoins à témoigner dans le cadre des procès.
139

ROJG Butare/Nyamure/Nyamiyaga, 24 novembre 2005

140

RO Butare/Nyamure, 30 novembre 2005
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

37

Considérer que la juridiction de jugement sera à même de corriger cela à temps, en distinguant les
bonnes et mauvaises accusations et en prenant en compte les éléments à décharge, constitue un
très important risque d’erreur judiciaire et de ralentissement du processus.

C. La collecte d’informations et l’obligation de témoigner ?
La question de la recherche des témoignages est bien entendu essentielle dans ce type
de contentieux où la révélation des faits criminels et l’unique preuve de la culpabilité des auteurs
ne peuvent ressortir, dans la quasi-totalité des cas, que des témoignages. C’est donc au nom de
cette recherche et de l’obtention des témoignages qu’a été mis en place le recueil des données par
les autorités locales et que le choix a été fait de ne pas laisser d’espace en phase d’instruction pour
la défense des accusés, cette dernière risquant sinon de bloquer, du moins de ralentir
considérablement la collecte des témoignages à charge. Mais c’est certainement avec le recours à
l’article 29 en phase de collecte que l’on est allé le plus loin dans cette sorte de “recueil à tout prix
de l’accusation”.
Les dispositions de l’article 29 autorisent la poursuite de ceux qui omettent ou refusent de
témoigner, ainsi que de ceux qui font des dénonciations mensongères141. A la lecture de l’article,
on voit que cette disposition ne poursuit pas uniquement le faux témoin, mais consacre
également l’obligation de révéler tout ce que l’on “a vu” ou ce dont on “a connaissance”. Il apparaît
par conséquent illégal de refuser de témoigner.
La question de l’utilisation de cette disposition est essentielle, et il ressort de
nombreuses observations que cet article n’a pas toujours été correctement appliqué142 à cause de
ce qui nous semble être une incompréhension de sa raison d’être. L’article 29 de la loi du 19 juin
2004 est destiné à réprimer les faux témoins et ceux qui ne veulent pas témoigner. Mais ce n’est
pas parce que cette disposition, comme toutes les dispositions pénales, a une fonction dissuasive
que cela signifie qu’elle peut être utilisée pour faire pression sur les témoins interrogés au cours
de la phase de collecte d’informations.
Or, en pratique, nous avons observé qu’il était fait recours à cette disposition pour arrêter et
placer en détention des personnes qui étaient considérées comme de faux témoins ou refusant de
témoigner. D’après ses statistiques, au 31 décembre 2005 et pour la seule collecte d’informations,
le SNJG faisait état de “808 personnes emprisonnées sur base des articles 29 et 30 de la loi organique
Gacaca”143.
141

L’article 29 de la loi organique n° 16/2004 du 19/6/2004 stipule aux alinéas 2 et 3 que :
« Toute personne qui omet ou refuse de témoigner sur ce qu’elle a vu ou sur ce dont elle a connaissance, de même que celle qui fait
dénonciation mensongère, est poursuivie par la Juridiction Gacaca qui en fait le constat. Elle encourt une peine d’emprisonnement allant
de trois (3) à six (6) mois. En cas de récidive le prévenu encourt une peine d’emprisonnement allant de six (6) mois à un (1) an. »
« Est considéré comme personne ayant omis de témoigner sur ce qu’elle a vu ou sur ce dont elle a connaissance, toute personne dont on a
constaté qu’elle disposait des informations sur une affaire quelconque révélée par les autres, étant présente et ayant préféré de ne rien dire à
ce propos. »

142

Cf. notamment, “Gacaca de sérieux handicaps”, Amani, n°65, août 2005, pp.6-7

Service National des Juridictions Gacaca, “Tableau Récapitulatif sur la collecte des informations”, Rapports
semestriels des activités : janvier - juin 2005 et juillet - décembre 2005, Kigali, janvier 2006, Annexe. Des chiffres qui
correspondent à ceux avancés par Human Rights Watch qui dans son Rapport Mondial mentionnait l’existence de
“centaines de personnes [placées] en détention préventive ou emprisonnées sur base de témoignages faux ou incomplets”. Il est à noter
que ce chiffre renvoyant au fonctionnement des “juridictions” pendant l’année 2005, il semble englober tant la
collecte d’informations (phase nationale) que les jugements (phase pilote). (Human Rights Watch, “Rwanda”, Rapport
Mondial, 18 janvier 2006)
143

38

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Or comment est-il possible de savoir, avant même la phase de jugement qui synthétise
tous les éléments à charge et à décharge qui ont été collectés, qu’un témoin ment ou donne un
témoignage incomplet ? La conviction qu’un témoignage est mensonger ou incomplet ne peut
être acquise que lorsque l’affaire est jugée sur le fond. C’est la raison pour laquelle l’article 29 doit
être considéré comme ne pouvant s’appliquer qu’en phase de jugement et non en phase de
collecte. Seule“la juridiction Gacaca qui en fait le constat”144 peut juger le faux témoin à l’occasion d’un
procès dans lequel il sera alors accusé et devrait pouvoir également se défendre. En tout état de
cause, l’article 29 n’autorise qu’à la seule juridiction Gacaca de poursuivre le faux témoin et elle ne
peut pas le faire alors que l’enquête sur le fond, c'est-à-dire la collecte d’informations, est toujours
en cours.
Par conséquent, toute poursuite engagée sur cette base et qui ne remplit pas ces conditions, est à
considérer comme légalement abusive. Elle est surtout perçue comme une pression exercée sur la
population dont on attend les témoignages.
« Dans la plupart des cas, les gens viennent se plaindre en disant qu’ils ont subi
l’injustice comme quoi, on les a emprisonné en disant qu’ils ont fait peur aux témoins
ou bien qu’ils ont menti et lorsque l’on mène des enquêtes là-dessus, les Intègres
répondent qu’ils les ont emprisonnés suivant les articles vingt-neuf et trente. »145

- Représentant du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

« Par ailleurs, l’on trouve que dans la plupart des localités, ils remplissent vite la fiche
d’arrestation sans toutefois s’inscrire dans ces procédures : c’est pour cela que je crois
que de telles émissions s’inscrivent dans le cadre d’améliorer les manières de faire afin
que les Intègres observent désormais ces procédures ! »146
- Représentants du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Au-delà de l’illégalité, se pose la question de l’impact préjudiciable de cette pratique sur
les perceptions de la population quant au processus : ne risque-t-il pas d’être perçu comme un
système de justice partial ? En effet, cette pratique malheureuse laisse entendre que la vérité
serait connue et que la culpabilité de certains serait établie, avant même que tous les témoins
aient pu s’exprimer et que la juridiction Gacaca ait catégorisé et jugé le fond de l’affaire. En
l’absence d’enquêtes venant établir la réalité des faits, recourir à cette pratique et dire par ailleurs
qu’après “une vérification on se rend compte qu’il y a des informations qui n’ont pas été données”147 est un
positionnement de nature à renforcer l’idée qu’il existerait une présomption de culpabilité. Les
propos de ce juge intègre d’une juridiction d’appel qui expliquait que “[…] les actes du génocide sont
en général attribués aux personnes mortes ou incarcérées alors qu’il y en a d’autres en liberté qui sont pourtant

144

Cf. supra article 29 de la loi organique n° 16/2004 du 19/6/2004

Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de Mme Thérèse Uwizeye, représentante du SNJG, 8 août 2005,
N°894 [Traduction PRI]

145

146

Idem

Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de Mme Thérèse Uwizeye, représentante du SNJG, 22 juillet 2005,
N°860[Traduction PRI]

147

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

39

présumés coupables”148 reflètent cette perception. En tout état de cause, le recours à cette pratique
constitue une pression telle (tout témoin interrogé risque d’être emprisonné), qu’elle ne peut
s’inscrire dans une recherche sereine de la vérité.

Rapport d’entretien PRI avec un juge intègre d’une juridiction d’appel, 22 avril 2005 (RO Umtara/Murambi, avril
2005)
148

40

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

II
La participation, un ultime rempart mis à mal
Le fonctionnement du processus Gacaca repose sur une participation active et
volontaire de la population, qui est en même temps le gage essentiel de sa réussite. En effet, une
participation importante de l’ensemble de la population est le seul moyen de connaître au plus
près la vérité sur le génocide, mais aussi de donner tout son sens à un processus dont l’objectif
final est de conduire à la réconciliation des Rwandais.
Tout comme lors de la phase pilote, la question de cette participation de toute la population s’est
à nouveau posée au cours de cette année 2005, nonobstant l’implication directe des autorités
locales dans les opérations de collecte d’informations.
“Je me suis rendu au bureau administratif du secteur Gakenke et là j’y ai trouvé le
coordinateur de secteur […] et son secrétaire exécutif […]. Ils m’ont dit que les
problèmes les plus rencontrés sont le retard et l’absentéisme des participants aux
réunions. […]”149
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Ramener cette étape de collecte à l’échelon administratif le plus bas a permis aux autorités de
base, dans un délai relativement bref, de récolter d’importantes listes d’accusés150. Cependant la
question de la qualité de cette récolte d’informations mérite d’être posée non seulement, comme
on l’a vu, compte tenu de la quasi impossibilité d’apporter des témoignages à décharge, mais
également au regard de la mise en place de mesures coercitives (amendes et attestations de bonne
conduite) en matière de participation. Des mesures qui, si elles viennent expliquer l’accroissement
progressif du taux de participation de la population151, amènent toutefois à s’interroger sur
l’impact qu’elles ont pu avoir quant au sens donné au processus par des participants pas toujours
volontaires. L’utilisation de la coercition pour garantir une participation est-elle compatible avec
la necessaire confiance que la population doit avoir a l’égard du processus dans une perspective
de réconciliation?

A. Le recours à la contrainte
Malgré le recours aux nyumbakumi qui a ainsi déplacé la collecte d’informations à
l’extérieur de l’Assemblée Générale des juridictions Gacaca, on a pu constater que la participation
directe de la population n’était pas toujours au rendez-vous.

149

RO Umutara/Murambi, 23 mars 2005

Au cours d’une réunion de présentation du bilan des activités Gacaca qui s’est tenue au Service National des
Juridictions Gacaca en date du 15 septembre 2005, Madame la Secrétaire Exécutive a confirmé que le nombre de
761.446 personnes accusées projeté après la phase pilote, avait été “largement dépassé”. En revanche, il n’y eut à cette
occasion aucune information officielle sur le nombre de victimes et de rescapés collectées au cours de cette même
phase.

150

La Commission Nationale des Droits de la Personne mentionne un “taux de participation qui s’est progressivement
accru”, Rapport de restitution annuelle des résultats du monitoring des juridictions Gacaca, CNDP, Kigali, décembre 2005, p. 5
151

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

41

« Quand ces réunions se tenaient au niveau de la cellule, toute la population était
présente, alors qu’au niveau des entités de dix ménages, ce n’était pas le cas. […] La
population n’y participait pas activement. »152

- Un président de juridiction Gacaca de secteur -

Une des raisons probables à cela est que ce nouveau processus en phase de collecte, et
donc tout au long de l’année 2005, a généré une augmentation importante du nombre de
réunions, d’abord en comités restreints au niveau des Nyumbakumi, puis en grande Assemblées
générales au niveau des cellules et des secteurs. Ce qui n’a pas dispensé la population de devoir
par la suite se rendre aux Assemblées générales des juridictions Gacaca pour la validation. Au
final, cette nouvelle organisation de la phase de collecte des informations a donc exigé une plus
grande disponibilité de la population. D’autant qu’en certains endroits, pour s’éviter la “honte”153
d’apparaître comme la localité qui ne pouvait pas tenir les délais fixés par le SNJG, les autorités
locales ont multiplié les réunions, parfois à raison de plusieurs par semaine, comme en province
de Kibuye, dans le district de Budaha où “toutes les cellules du district se réunissent une fois, chaque
vendredi de la semaine, à l’exception des cellules du secteur Nyabiranga qui en ce moment se réunissent quatre fois
la semaine, car elles sont considérées comme étant les dernières dans la collecte d’informations.”154.
Ceci n’a pas manqué de générer dans certains cas un désengagement de la population, lasse de
devoir sacrifier son temps personnel pour les activités communautaires, comme dans le district
de Budaha, dans la même province, où notre enquêteur énonce que “le constat qui commence a être
visible à Murundi et Cyamatara est que la population se plaint de ne rien faire de ses activités quotidiennes à
cause des réunions Gacaca répétées.”155. Cette lassitude s’est principalement manifestée par des arrivées
tardives et une participation peu active lors des réunions de collecte, puis lors des séances de
validation des juridictions.
Ceci a été constaté alors même que d’intenses campagnes de sensibilisation, conformément à ce
qui était prévu dans le Livret du SNJG156, ont été menées par toutes les autorités sur l’ensemble
du territoire tout au long de l’année 2005. Impliquant toutes les autorités “et même les militaires et
policiers sont intervenus, de façon qu’il n’y a aucun organe qui a été épargné dans cette contribution.”157, cette
intense campagne de mobilisation de la population à participer aux réunions Gacaca, ne se limitait
pas aux introductions des réunions de collecte, mais prenait également place à l’occasion de toute
autre réunion communautaire, comme l’umuganda par exemple.

Entretien PRI avec un président de juridiction Gacaca de secteur, 18 août 2005, n°910. On a vu d’ailleurs, que c’est
suite au constat de ce manque de participation que certains nyumbakumi ont décidé de rencontrer les gens
individuellement dans leurs foyers. (cf. page 8 du présent rapport, Entretien PRI avec un nyumbakumi et juge intègre,
7 juillet 2005, n°846)

152

Extrait d’un entretien PRI avec un président de juridiction Gacaca, 15 septembre 2005, n°966 : “ […] ce retard en
tant qu’habitants de la cellule de la Ville de Cyangugu, nous causait de la honte.”
153

154

ROJG Kibuye/Budaha/Cyamatare/Muhororo, 10 juin 2005

155

RO Kibuye/Budaha, décembre 2005

Cf. notamment l’avant-propos du livret, où Madame la Secrétaire Exécutive du SNJG énonce que : “Pour que les
informations soient révélées, cela suppose également que toutes les autorités, en commençant par le nyumbakumi jusqu’à des autorités
supérieures du pays, s’y investissent davantage en sensibilisant la population pour donner les informations et témoignages.” in Service
National des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-Justice-Réconciliation,
SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI]
156

157

42

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

« Quand le coordinateur de secteur ou de cellule organise une réunion de la
population, il ne peut pas se passer d’encourager la population à participer activement
aux séances des juridictions Gacaca. De même, il y a des réunions qui sont organisées
après les travaux d’umuganda au cours de laquelle on parle du processus Gacaca. Cette
réunion est très importante parce qu’elle réunit beaucoup de gens. Mais nous aussi,
partout où nous allons nous sommes autorisés à prendre la parole en tant qu’intègre
pour donner un message relatif à Gacaca. »158

- Une présidente d’une juridiction Gacaca de cellule -

Néanmoins, même si cette sensibilisation a conduit des personnes à “réaliser que les juridictions
Gacaca ont une mission réconciliatrice et [les a] résolu à livrer ces informations”159, face au désengagement
persistant de certains, les autorités nationales ont alors suscité et valorisé le recours à des moyens
coercitifs.
1. L’absence de cadre légal à ces mesures
Il est important de rappeler que la participation aux juridictions Gacaca est un devoir
civique, inscrit comme tel dans la loi. L’article 29 alinéa 1 de la loi du 19 juin 2004 dispose en
effet que “Participer aux activités des Juridictions Gacaca est une obligation pour tout Rwandais”. On notera
cependant que si cette loi prévoit expressément de sanctionner des comportements comme le
refus de témoigner ou la commission d’actes d’intimidation, rien n’est prévu pour sanctionner les
absences en elles-mêmes aux séances Gacaca.
Il découle de cette situation une absence de garantie pour les citoyens rwandais assujettis à ces
mesures. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces pratiques en dehors de tout cadre légal a généré une
application disparate, ainsi qu’une gestion au cas par cas des problèmes rencontrés, avec toutes
les limites que cette approche implique en termes d’absence d’égalité de traitement des personnes.
Deux types de mesures coercitives ont été relevées au cours de cette année 2005 : celle des
amendes, déjà existante lors de la phase pilote, et celle, récente, de la delivrance d’attestions de
bonne conduite.
2. La pratique des amendes
Il avait déjà été remarqué au cours de la phase pilote et afin de répondre à une
participation de la population déjà déficiente que certaines autorités locales avaient pris l’initiative
d’imposer des amendes à leurs concitoyens qui ne se rendaient pas aux audiences Gacaca160. Il
semble bien que cette pratique, critiquée par beaucoup en raison de son caractère illégal, ait été
aujourd’hui véritablement institutionnalisée comme une “bonne pratique” pour garantir une
participation importante161. Un point de vue conforté par l’intervention d’une représentante du
SNJG qui, au cours d’une émission Gacaca diffusée le 8 août 2005, s’est exprimée en ces mots :
158

Entretien PRI avec une présidente d’une juridiction Gacaca de cellule, 13 octobre 2005, n°1012

159

Entretien PRI avec un président d’une juridiction Gacaca d’appel, 16 novembre 2005, n°1079

160 Cf. Penal Reform International, Rapport de synthèse de monitoring et de recherche sur la Gacaca. Phase pilote Janvier 2002 Décembre 2004, PRI, Kigali/Paris, décembre 2005, p. 41

Cf. notamment l’intervention du secrétaire exécutif du CLADHO, à l’occasion de la réunion de restitution du
monitoring de la Commission nationale des Droits de la Personne, en date du 16 décembre 2005, qui a présenté le

161

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

43

« Il est compréhensible que la participation aux réunions des juridictions Gacaca est
obligatoire pour tout rwandais comme nous l’avons susmentionné. Néanmoins
certains se disent que puisqu’il n’y a pas de peine prévue là-dessous, ils peuvent ne pas
y participer. Je pense que vous savez que sur ce point les instances de base disposent
de mesures pour punir les personnes qui ne participent pas à ces réunions. […]
D’ailleurs dans la plupart des localités, on leur inflige des amendes en argent selon les
catégories de ces derniers. On inflige des amendes de cinq cents pour les simples
habitants et mille francs pour les dirigeants : voilà les manières de les poursuivre afin
qu’on leur montre que la participation soit aux réunions ordinaires, soit à celles des
juridictions Gacaca est obligatoire ! »162
- Représentante du SNJG / Emission Gacaca sur Radio Rwanda -

Selon nos observations, la pratique des amendes pour non participation ne fut pas le
fait des nyumbakumi au stade de la collecte d’informations en groupe restreint, mais beaucoup plus
des autorités locales supérieures lors des réunions de collecte de cellule ou de secteur, ou encore
lors des séances de validation. On a également remarqué parfois, l’intervention d’autorités
militaires, comme lors de cette réunion du secteur Nyamiyaga, dans la province de Butare :
“A 15 h, toutes les cellules du secteur Nyamiyaga ont été réunies et il y a eu une
réunion avec le commandant du détachement militaire de Nyamure, le Lieutenant
James Maliyamungu qui a rappelé à la population présente que la participation aux
séances des Juridictions Gacaca, dans le district de Nyamure en général et à Nyamiyaga
en particulier, est très faible. Il les a prévenu qu’une amende de deux mille francs sera
imposée à quiconque s’absentera des séances sans motifs.”163
- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Non seulement “les nyumbakumi doivent présenter leurs membres”164, mais “au cas où le nyumbakumi
s’absenterait c’est un problème pour lui, car il y a un moment prévu pour procéder à l’appel afin de commencer la
réunion. Quand le nyumbakumi n’est pas là, ça devient grave, car il se voit exposé aux peines.”165 Il est
important de noter que le recensement des personnes absentes se fait en dehors de toute
procédure écrite : “On ne signe nulle part, mais le nyumbakumi est informé des personnes qui ne se sont pas
présentées dans la réunion. Le nyumbakumi doit également en informer le chef de Zone, qui doit de son côté
informer le coordinateur. C’est ce dernier qui doit faire le rapport au bureau du secteur de ces personnes qui ne se
sont pas présentées dans la réunion Gacaca.”166.

recours à ces amendes comme un point positif relevé à l’occasion de leur propre monitoring de l’année 2005. (PRI,
Compte-rendu de la journée de restitution de la CNDP, 16 décembre 2005)
Emission Gacaca, Radio Rwanda, intervention de Mme Thérèse Uwizeye, représentante du SNJG, 8 août 2005,
N°894 [Traduction PRI]

162

163

ROJG Butare/Nyamure/Nyamiyaga, 24 novembre 2005

164

Entretien PRI avec un intègre d’une juridiction Gacaca de cellule, 17 mars 2005, n°762

Entretien PRI avec un nyumbakumi et premier vice-présient d’une juridiction Gacaca de cellule, 19 juillet 2005,
n°852. Cf. également en ce sens un entretien PRI avec un coordinateur de cellule qui mentionne que “les nyumbakumi
et les coordinateurs des cellules sont là. Dans le cas contraire, il y a des peines prévues pour ces autorités.” (19 juillet 2005, n°851)

165

166

44

Entretien PRI avec un coordinateur de cellule, 19 juillet 2005, n°851
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Quant à la taxation, elle se déroule en général de la façon suivante : l’autorité (souvent les
coordinateurs de cellule ou de secteur) charge le nyumbakumi présent de prévenir la personne dont
l’absence a été constatée qu’elle est “taxée d’amende” et qu’elle doit la verser au niveau du secteur
ou parfois de la cellule. Le montant des amendes diffère selon les localités, et dans chacune d’elle
selon le niveau social des absents sanctionnés, avec un montant plus élevé pour “les fonctionnaires
de l’Etat, les employés des ONG et les commerçants”167. En moyenne, il semble que les montants
oscillent entre 200 Frw et 1000 Frw, mais parfois davantage. Ainsi dans l’Umutara,
l’ORINFOR168 avait informé les autorités qu’elles devaient s’occuper du suivi des juridictions
Gacaca et que ceux qui ne viendraient pas aux réunions ou aux séances seraient taxés de 2.000 à
10.000 Frw, selon qu’il s’agirait de simples paysans, d’autorités de base ou de fonctionnaires. Il est
à noter que beaucoup de paysans gagnant en moyenne 200 Frw par jour, le montant de l’amende
équivaut ici à 10 jours de travail. D’autres montants moyens ont été relevés dans d’autres régions
(Rwamagana : 100 Frw ; Budaha : 500 Frw ; Byumba : 200 Frw). Il semble, d’après la population
rencontrée, qu’aucun reçu ne soit remis à la personne taxée, mais qu’on lui demande simplement
d’émarger sur une liste.
Il ressort de nos enquêtes de terrain que beaucoup dans la population se plaignent de ne pas
réellement savoir où va cet argent, même si certaines autorités indiquent qu’il est versé au “trésor
du district”169, et surtout que cette pratique soit appliquée de façon arbitraire : tous les absents
sont loin d’être tenus à l’amende. Au final on peut craindre que la pratique des amendes soit
davantage susceptible de générer une augmentation des tensions et des jalousies entre les
membres de la cellule que de motiver cette même population à s’impliquer davantage et de façon
active au processus de collecte d’informations.
Enfin, si l’on peut noter une certaine efficacité de cette mesure en termes de présence physique,
puisqu’il semble bien qu’une fois que les gens “ont appris qu’il y avait des sanctions réservées aux absents,
ils ont commencé à se présenter”170, essentiellement parce que “ les gens ont peur de payer des amendes étant
donné [qu’ils vivent] des moments de difficile pauvreté”171, on peut se poser la question de son impact réel
sur le plan de la participation active de la population aux débats. Qui plus est le caractère coercitif
de ces mesures a pu conduire certaines personnes à des “raccourcis” préjudiciables : “Elle [la
population] participe pour étudier les drames qui se sont passés. Si elle ne participe pas, elle peut être taxée de
révisionnisme, à cause du non respect des directives de l’administration.”172
3. La pratique des “attestations de bonne conduite”
Selon nos observations, le recours aux attestations, “ icyemezo ”, est une pratique apparue
dans le cadre des Gacaca uniquement au cours de cette année 2005 et qui s’inscrit dans une même
optique de mobilisation de la population via des instruments de contrainte.

167

Idem

168

Office Rwandais de l’INFORmation

Cf. sur ce point l’allocution d’une responsable de cellule au cours d’une réunion qui explique que l’amende sera
versée dans “le trésor du district.” (RO Umutara/Murambi/Murambi/Mataba, 25 juillet 2005)

169

170

Entretien PRI avec une intègre d’une juridiction Gacaca de cellule, 3 août 2005, n°884

171

Entretien PRI avec un libéré, 9 avril 2005, n°848

172

Entretien PRI avec un nyumbakumi, 17 mars 2005, n°766
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

45

S’agissant d’une pratique sui generis, émanant d’autorités locales et à notre connaissance sans
fondement légal, il nous a été difficile de comprendre précisément la nature et la procédure de
délivrance de ce document. Cette icyemezo fut parfois exigée à l’occasion de réunions de collecte
d’informations, auprès de certains habitants ne résidant plus aujourd’hui dans la cellule qu’ils
occupaient lors du génocide.
Le terme générique d’icyemezo est utilisé en kinyarwanda pour diverses procédures administratives,
et c’est en général le contenu de l’attestation qui vient détailler les fins de cette dernière. Les
attestations Gacaca prennent donc pour modèle l’attestation habituellement demandée à la
personne qui déménage par sa nouvelle cellule de résidence et qui “atteste que rien ne lui est
reproché”173 dans son ancienne cellule.
L’expression française utilisée par nos interlocuteurs pour désigner ces attestations Gacaca était
celle d’“attestation de bonne conduite”. Ceci car le contenu de ces attestations renvoyait à la fois à une
preuve de “leur conduite au moment du génocide”174, et donc au fait que les intéressés ne faisaient
l’objet d’aucune suspicion dans leur cellule d’origine, et/ou de “leur bonne conduite dans leurs
juridictions Gacaca”175, autrement dit qu’ils collaboraient bien à la collecte d’informations, en ayant
apporté un témoignage complet.
En tout état de cause, il semble bien que ces attestations aient été mises en place en vue
d’augmenter la participation de la population aux réunions Gacaca, en obligeant les personnes
ayant déménagé depuis le génocide à reprendre contact avec leur ancienne cellule de résidence. Il
s’agissait ainsi de s’assurer que ces personnes participeraient bien au processus Gacaca de la cellule
où elles résidaient, et donc du lieu où elles pouvaient soit être accusées, soit être amenées à
témoigner.
Pour l’essentiel, deux types de procédures ont été utilisés selon les localites pour la
délivrance de ces attestations, l’une passant par les autorités locales, l’autre par les juges intègres.
Procédure 1
Cette procédure d’obtention nous a été clairement explicitée par un Maire de district176, venant
corroborer certaines de nos observations177. Elle est identique à celle suivie pour l’obtention de
tout autre pièce officielle individuelle (passeport ou encore pièce d’identité). Le requérant
s’adresse au nyumbakumi du lieu où il résidait au moment du génocide afin qu’il lui rédige et signe
une lettre de demande de cette attestation. Cette lettre de demande doit par la suite recueillir la
signature des 12 personnes du comité de cellule, ainsi que des 12 membres du comité de secteur.
Puis le président du siège de la juridiction Gacaca doit apposer sa signature sur ce document, avant
qu’il ne soit envoyé au Maire du district, qui moyennant la somme de 2.000 Frw, établit alors
l’attestation.

173

Entretien PRI avec un coordinateur de secteur, 3 août 2005, n°888

174

Entretien PRI avec un rescapé et nyumbakumi, 18 août 2005, n°912

175

Entretien PRI avec trois intègres d’une juridiction Gacaca de cellule, 26 juillet 2005, n°375

176

Rapport d’entretien PRI avec un Maire de district, 3 août 2005

Pour la mention d’une procédure similaire en zone de Kibuye, cf. notamment Entretien PRI avec un rescapé et
nyumbakumi, 18 août 2005, n°912
177

46

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Dans un tel cas, l’attestation est rédigée en ces termes178 :
ATTESTATION
Moi ……………………, le Maire du district de……………….., atteste par la présente
que le/la nommé…………………est un habitant de notre district,
secteur…………………….., cellule………………….., et que rien n’est connu sur lui.
Le Maire du district de………….……
Signature

Procédure 2
Pour cette procédure, il nous a été beaucoup plus difficile de définir précisément qui était
responsable de l’établissement et de la signature de l’attestation, ceci variant en fonction des cas
du Siège dans son entier à quelques juges seulement :
« Pour ces personnes qui ne viennent que pour demander la pièce de bonne conduite,
on nous a dit que les membres du Siège se réunissent, qu’ils décident et que le
président de la Juridiction, le vice-président et le secrétaire ou son suppléant y
apposent leurs signatures et on met le cachet. »179

- Une deuxième secrétaire d’une juridiction Gacaca de cellule –

« Tout le siège et le président de la juridiction Gacaca signent le papier certifiant
qu’elle [la personne] a donné des informations et le scelle avec le sceau du siège. Puis
la personne part avec.»180

- Un nyumbakumi et un coordinateur de secteur -

Dans le cas, où l’attestation a été délivrée par une juridiction Gacaca, elle est généralement rédigée
en ces termes181 :
ATTESTATION
Nous, membres du siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule de…., attestons que
……., fils/fille de……. et de…., né(e) dans la Cellule de….., en …., habitait dans cette
cellule depuis………jusqu’en……et que jusqu’aujourd’hui, il n’est poursuivi d’aucune
infraction par la Juridiction Gacaca de cette cellule.
Les membres de la Juridiction Gacaca
(Noms et signatures)

178

Modèle fourni par le district de Kayove, en province de Gisenyi, août 2005 [Traduction PRI]

179

Entretien PRI avec une deuxième secrétaire d’une juridiction Gacaca de cellule, 23 août 2005, n°914

Entretien PRI avec un nyumbakumi et un coordinateur de secteur, 27 juillet 2005, n°869. D’autres entretiens font
état de la même procédure tel que celui mené avec trois intègres d’une juridiction Gacaca de cellule du secteur
Rwimiteri, province de l’Umutara, le 26 juillet 2005, n°868

180

181

Modèle fourni par les intègres d’une juridiction de cellule du secteur Nyamiyaga, dans le district de Nyamure.
PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

47

Il est toutefois à préciser que les modèles présentés peuvent connaître des variations, dans la
mesure où la mise en œuvre de ces attestations a été laissée à la discrétion totale des autorités
locales et des juges, chacun fixant ses propres conditions d’obtention et modèles d’attestation.
Il ressort de nos observations que ces attestations ont surtout commencé à être
réclamées avec le début des réunions de collecte d’informations au niveau des cellules et des
secteurs. Bien que lors de ces réunions les juges intègres ne siégeaient pas, il a été remarqué que la
demande de ces attestations émanait en général d’un président de juridiction Gacaca présent,
souvent à la requête de l’autorité locale animant la réunion.
Cela n’a pas été clairement explicité par les autorités locales ou les juges, mais dans la mesure où
ces attestations n’étaient pas systématiquement réclamées à l’ensemble des nouveaux occupants
de la cellule, l’interprétation qui nous a semblé prévaloir au sein de la population fut que ces
pièces n’étaient demandées qu’à l’égard de ceux contre lesquels pesaient des soupçons. Avec
toute la subjectivité que cela implique, la question se pose de savoir sur la base de quels
indicateurs ou informations, les autorités d’une cellule peuvent-elles considérer qu’un habitant
doit ainsi justifier de sa “bonne conduite”?
L’absence de cadre formel, légal ou administratif, a posé à l’origine d’importants problèmes lors
de la mise en place de cet instrument de contrôle. Si par la suite, une uniformisation a été
constatée dans la procédure à suivre, la pratique laisse pendant un certain nombre de questions
problématiques : à quel citoyen doit-on exiger la production de ces attestations ? Pour quelles
raisons objectives ? Qu’en est-il si l’intéressé ne peut pas payer la somme de 2.000 Frw exigée par
le district ? Et surtout quelles sont les conséquences immédiates et futures d’un refus de
délivrance par le maire de district ?
Dans ces conditions, le risque d’arbitraire est bien réel. En effet, il est loin d’être inenvisageable
que l’habitant d’une cellule rencontre, pour des raisons purement personnelles, des difficultés à
obtenir le nombre de signatures requises dans sa demande d’attestation. Il nous semble que le
recours à ces attestations peut constituer un important risque d’atteinte aux droits individuels.
Aux yeux de certains, cette “tracasserie administrative” fut telle, qu’elle a pu renforcer un
sentiment déjà existant de stigmatisation. En revanche, rien ne démontre que bien que
représentant un instrument de contrôle supplémentaire, ces attestations aient permis d’atteindre
l’objectif pour lequel elles ont été imaginées, c'est-à-dire le renforcement de la participation active
d’une partie de la population.
Le constat du recours à ces nouvelles formes de contraintes pour garantir un certain
niveau de participation de la population, conduit à la question du pourquoi. Pourquoi la
population n’a-t-elle pas participé spontanément à ce processus de collecte d’informations ? Audelà du fait que certaines personnes n’ont aucun intérêt à ce que la vérité soit établie afin de ne
pas être accusées, et pour aussi difficile qu’il soit de répondre à cette question, il nous semble
exister un lien très fort entre le recours à ces pratiques et le climat social très tendu du début de
lancement de cette phase nationale, dont la multiplication des rumeurs et la vague de fuites au
début de l’année 2005 nous paraissent témoigner.

48

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

B. Une confiance à retrouver
On peut émettre l’hypothèse que les actions de sensibilisation menées auprès de la
population n’ont pas, malheureusement, permis de lever tous les doutes et de répondre à toutes
les interrogations et ont donc ainsi favorisé l’émergence d’un climat de peur, à la fois résultat et
vecteur des rumeurs les plus folles sur le processus. Autant d’éléments qui, au moment où le
processus entrait dans sa phase nationale, ont été de nature à entamer gravement la confiance
d’une partie de la population envers ce dernier, ceci risquant à terme d’hypothéquer ses chances
de réussite sur le plan de la justice, et surtout de la réconciliation.
1. Une sensibilisation adaptée ?
Avec d’une part le recours aux autorités locales en charge de la collecte d’informations
et d’autre part l’institutionnalisation de la coercition182, le problème de la présence physique de la
population au processus Gacaca a sans doute été en grande partie résolu. Toutefois, la question de
la participation active aux débats demeure posée.
« Je conclurais, qu’en général, l’on remarque que la population garde le silence au
cours de cette phase. […] je dirais que cela ne constitue pas une particularité de telle
cellule ! »183

- Un secrétaire exécutif de secteur -

Les nouvelles réponses apportées par les autorités ont en effet éludé le vrai problème : comment
amener la population à une véritable adhésion et participation au processus Gacaca ? Sachant que
la révélation de la vérité sur le génocide dépend en grande partie de celle-ci.
Sur ce point, il nous semble que la place accordée à la coercition est d’une certaine
manière la reconnaissance implicite que la sensibilisation menée tout au long de l’année 2005184
n’a pas donné tous les résultats escomptés.
Malgré l’intensification des campagnes de sensibilisation organisées tant par les autorités
nationales du SNJG, régulièrement en visite dans les provinces, que par les autorités locales185,
des difficultés de participation, globalement similaires à celles observées en phase pilote,
demeurent186. L’observation de ces réunions de sensibilisation a démontré que bien souvent leur
contenu portait presque exclusivement sur une explication des dispositions de la loi Gacaca
(vulgarisation) et sur un rappel de l’obligation civique pour tout Rwandais de participer au
processus. Mais ce ne fut que très rarement que les incompréhensions et craintes réelles,
182 Allant parfois même jusqu’à un recours affiché à la force : “Bien sûr, ils utilisaient la force pour les [membres de la
population] faire venir dans ces réunions, eu égard qu’auparavant ces derniers avaient refusé de participer dans ces réunions ! Après que
nous y ayons injecté la force, par le biais des membres des unités des Local Defense, maintenant ils ont éprouvé de la peur et ils ont
commencé à participer à ces réunions.” (Entretien PRI avec un président d’une juridiction Gacaca de secteur, 18 août 2005,
n°910)
183

Entretien PRI avec un secrétaire exécutif de secteur, 6 juillet 2005, n°843

Cf. notamment sur ce point ROJG synthèse Cyangugu/Ville de Cyangugu/Muhari, 18 août au 1er septembre
2005
184

185 Puisque au-delà de l’appui qu’elles ont apporté à la collecte d’informations, ces autorités ont également été très
largement mises à contribution pour sensibiliser leur population à la Gacaca.

Cf. notamment Penal Reform International, Rapport de synthèse de monitoring et de recherche sur la Gacaca. Phase pilote
Janvier 2002 - Décembre 2004, PRI, Kigali/Paris, décembre 2005, pp. 40-45

186

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

49

exprimées quant au déroulement même du processus et de son issue, furent abordées et
trouvèrent une réponse de nature à les rassurer. On doit souligner à ce titre que les émissions
hebdomadaires Gacaca diffusées sur Radio Rwanda ont très certainement constitué l’un des rares
espaces, non seulement d’explication de la loi et de sensibilisation, mais aussi de réponses à
quelques questionnements des auditeurs.
Mais il est dommage que d’autres vecteurs, tel que certaines associations de la société civile ou les
mouvements religieux, n’aient pas été utilisés de façon plus poussée, afin d’aborder, par le biais
d’une sensibilisation très ciblée, les craintes spécifiques de chaque groupe de la population.
Certes, quelques acteurs de la société civile se sont impliqués dans ce travail de sensibilisation et
le SNJG au début de l’année 2005 a exprimé une volonté en ce sens187, mais il est tout de même
apparu qu’une certaine coordination et des réponses réellement adaptées avaient fait défaut.
Quelle qu’ait été la bonne volonté de leurs animateurs, il semble que ces interventions de
sensibilisation n’aient pas répondu à l’essentiel de ce qui bloquait, au moment où la Gacaca
devenait avec la phase nationale une réalité pour tous : la peur. Une peur qui fut bien souvent
alimentée par des rumeurs.
2. La montée de la peur
En effet, avec le développement en phase nationale de la collecte d’informations, la
Gacaca est devenue une réalité pour presque tous les Rwandais, alors qu’au moment de la phase
pilote elle demeurait encore pour la majorité d’entre eux quelque chose de lointain, ne concernant
que leurs concitoyens du district voisin et les quelques 100.000 détenus. Dés lors, à partir du
début de l’année 2005, pour tous ceux (hormis les rescapés et les rapatriés d’après guerre188) qui
étaient restés libres et non accusés jusqu’alors, la Gacaca est devenue une menace réelle.
Il était donc normal et prévisible que la crainte d’être accusé commence à s’installer
chez ceux qui avaient réellement participé au génocide et qui allaient maintenant devoir en
répondre. Cependant, ce même phénomène de peur a également été ressenti au-delà de ce seul
groupe des participants au génocide. En effet, suite notamment aux “fausses accusations”, à
l’interprétation problématique de certaines fiches (comme celle relative à la participation aux
barrière) et à l’absence de recueil des témoignages à décharge, certains membres adultes de la
communauté hutue, présents sur le territoire rwandais en 1994 et avançant n’avoir pas participé
au génocide, ont pensé qu’ils pouvaient malgré tout être mis en cause dans le cadre de cette
collecte d’informations189.
Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’importance des fausses accusations portées lors de la collecte
d’informations, il convient d’être conscient du fait que le nombre de cas où des personnes
connaissant des conflits fonciers ou d’ordre personnel ont utilisé la Gacaca pour “régler leurs
comptes”, est loin d’être négligeable190. Cette instrumentalisation du processus par certains à des
187

Une réunion de coordination des acteurs de la sensibilisation fut organisée par le SNJG au début de l’année 2005.

188

Personnes qui avaient fui le pays depuis 1959 et s’étaient exilées.

189 Cf. également sur ce point Human Rights Watch, “Rwanda”, Rapport Mondial, 18 janvier 2006 : “Au moment où les
juridictions ont entamé des enquêtes préalables aux procès sur tout le territoire, quelques 10.000 Rwandais ont trouvé refuge dans les pays
limitrophes faisant valoir qu’ils redoutaient les fausses accusations et les procès inéquitables”.

190

Cf. notamment Communiqué Hirondelle, Une année difficile en vue pour les tribunaux Gacaca, 23 février 2006 : “Selon
une certaine opinion, certains individus ou groupes d’intérêts en font un instrument pour incriminer injustement des innocents ou exagérer
les crimes de certaines personnes.”
50

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

fins personnelles a également été un facteur important dans l’installation de ce climat de peur au
cours du premier semestre 2005.
Par ailleurs, toute cette prise de conscience s’est inscrite dans une période où les
premiers jugements sur le fond étaient prononcés par les juridictions Gacaca de secteur et avec
eux le retour en prison de certains accusés. Ces incarcérations, dont la légitimité n’est pas
contestée et qui sont souverainement prononcées par les juridictions, sont venues concrétiser le
risque encouru par toutes ces personnes.
On notera enfin qu’à la demande du SNJG, la collecte a dû reprendre, dans la plupart
des cellules où la population pensait l’avoir terminée, y compris dans certains secteurs pilotes191,
au motif que les informations données n’étaient pas complètes192. Or, cette reprise de la collecte
n’a pas toujours été bien comprise, venant même confirmer chez certains l’idée que l’on
recherchait moins la vérité que l’accusation du plus grand nombre.
Dés lors, il nous paraît essentiel de prendre en compte et de ne pas minimiser tous ces éléments
(début de la phase nationale, fausses accusations, début des procès pilotes et incarcérations
consécutives et enfin reprise de la collecte, y compris dans des Zones pilotes) qui ont joué un rôle
cumulatif dans la montée d’un climat de peur vis-à-vis du processus Gacaca, au moment même
où, comme nous l’avons vu, le droit de se défendre connaissait un net recul.
3. Les rumeurs
C’est dans ce climat lourd de peurs et de méfiances, que les premières rumeurs sont
apparues, pour être en partie à l’origine des fuites de centaines de famille à l’extérieur du pays193.
S’il reste très difficile, même aujourd’hui, alors que ces mouvements ont repris à la fin de l’année
2005, de déterminer exhaustivement qu’elles sont les causes de ces départs, le manque de
confiance et les rumeurs à l’égard du processus Gacaca en font très certainement partie.
Ces rumeurs ont d’ailleurs été constatées par tous et en premier lieu par les représentants du
SNJG : “Une autre entrave qui nous a posé problème ces jours passés […] nous discutions avec la population et
c’est là qu’elles nous sont apparues, même si certaines étaient déjà connues, ce sont les rumeurs. Elles sont trop
nombreuses dans cette phase de collecte des informations ”194.
191

“Normalement cette phase était terminée dans notre cellule, elle était parmi les cellules pilotes, peut être que l’on nous a demandé de
revenir à cette phase pour voir s’il y a des informations qui ont été omises.” - Kigali-ville/Kacyiru/Kacyiru/Kibaza - (Entretien
PRI avec un nyumbakumi, 24 mars 2005, n°768). Nos observations font également état de cette reprise dans certaines
secteurs pilotes des districts de Budaha (Kibuye), Kayove (Gisenyi), Mutete (Byumba) et Murambi (Umutara).

192 Cf. en ce sens les propos tenus par la représentante du SNJG, Madame Thérèse Uwizeye, à l’occasion d’une
émission Gacaca, sur la Radio Rwanda et en date du 8 août 2005 : “[…] il arrive que l’on dise que la phase de collecte
d’informations est terminée mais quand on fait un contrôle et une vérification on se rend compte qu’il y a des informations qui n’ont pas
été données.” (N°894, Traduction PRI)
193 Le nombre de personnes ayant fui à l’occasion de la première vague a été évalué à environ 10.000 par les
organisations humanitaires. [Communiqué Hirondelle, Le HCR dénonce le regroupement des réfugiés rwandais dans un seul
site, Arusha, 1er juin 2005; Communiqué Hirondelle, Alison Des Forges s’inquiète pour les réfugiés rwandais au Burundi,
Arusha, 2 juin 2005]. Sur cette question des fuites, cf. notamment les deux rapports d’enquête réalisés par la LDGL
et qui évoquent l’importance de Gacaca comme raison de la fuite d’un certain nombre de personnes : LDGL, Un
mouvement des réfugiés rwandais et burundais, Kigali, 28 avril 2005 ; LDGL, Rapport sur le rapatriement des réfugiés rwandais,
Kigali, juin 2005 ; LDGL, Rapport d’enquête sur les Rwandais demandeurs d’asile dans la province de Ngozi au Burundi, Kigali,
26 octobre 2005
194 Propos tenus par le représentante du SNJG, lors d’une émission Gacaca, sur la Radio Rwanda, en date du 22 juin
2005, N°833 [Traduction PRI]

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

51

La construction d’une rumeur est toujours relativement difficile à appréhender195. On
peut toutefois tenter de la définir196 comme un message qui a la propriété de se propager
rapidement au sein d’un groupe social donné et dont la source est impossible à déterminer. La
rumeur est le plus souvent une production sociale spontanée, dont la source peut n’être que la
projection pure et simple d’un scénario type, puisé dans l’imaginaire collectif et faisant appel aux
peurs et fantasmes de chaque individu. Par conséquent, ce qu’il est surtout important de tenter
d’expliquer, c’est pourquoi une rumeur en vient à recevoir une telle adhésion et réussit à
mobiliser un groupe social donné, au point dans le cas de celles qui se sont développées au début
de l’année 2005, de générer des fuites à l’étranger.
Éclaircir ces points implique de tenir compte à la fois du contenu et du contexte psychosocial et
historique de la rumeur. Si l’on avance que le contenu de la rumeur témoigne “de l’exercice d’une
pensée sociale, la rumeur devient une sorte d’écran projectif où se déchiffre une dynamique socioaffective”197. Dés
lors, on comprend assez bien, compte tenu de l’histoire du Rwanda et notamment du poids des
“listes” dans l’imaginaire collectif198, que le mythe199 de destruction d’un groupe ait joué comme
un puissant catalyseur des peurs individuelles:
« Dans son discours sur le point concernant la Gacaca, le Préfet de la province de
Kibuye est revenu sur les rumeurs qui provoquent la fuite de la population sans que
les autorités de base le sachent. Il a donné un exemple de la population de certains
districts de Butare qui a pris la fuite pour le Burundi suite aux rumeurs comme quoi
les Hutus allaient être tués, qu’on allait les moudre pour faire de leur chair des boîtes
de conserve pour militaires, a-t-il dit. »200

- Enquêteur PRI / Rapport d’observation -

Concernant le contexte, une rumeur va avoir tendance à se développer lorsqu’une
actualité importante intervient, en l’espèce le début du processus Gacaca à l’échelle nationale, et
qu’est présente une privation ou un manque d’information201. Or, il fut observé que ceux qui
étaient les plus réceptifs à ces rumeurs commençaient d’abord par se poser une série de questions
auxquelles aucune véritable réponse n’était apportée, la sensibilisation restant pour l’essentiel
centrée sur une vulgarisation de la loi. On peut donc avancer que c’est la combinaison de ces
questions et de ces non réponses qui a en partie donné sens aux rumeurs et/ou les a alimentées.
Des questions, telles que : Pourquoi reprendre la collecte, y compris dans les cellules pilotes, alors
195 Néanmoins, dans le cadre d’une lecture sociologique du climat social ayant entouré les juridictions Gacaca tout au
long de cette année 2005, il nous semble fondamental de faire état de ces “rumeurs” dans la mesure où elles
constituent des faits sociaux de nature à influencer grandement les attitudes et comportements des membres des
différents groupes sociaux.

Concernant la rumeur, il est à préciser qu’il n’existe pas de véritable consensus conceptuel permettant d’avancer
une définition qui remporterait l’adhésion de l’ensemble des spécialistes.

196

Adeline Michel, A.C. Sordet et E. Moraillon, Les rumeurs en tant que phénomène d’influence sociale. Dossier de Psychologie
sociale, Ecole des Psychologues Praticiens de Lyon, mai 2004, p. 8.

197

Comme énoncé précédemment, l’ensemble de la collecte d’informations s’est fait à partir de la constitution de
listes.

198

Entendu comme “construction de l'esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité” in Le Petit Larousse Larousse/HER,
1999
199

200

RO Réunion Kibuye/Budaha/Nyakinombe, 22 juin 2005

Cf. notamment M.L Rouquette, Les Rumeurs, Presses Universitaires de France, 1975. Cf. également sur ce point,
un développement sur la rumeur dans un article de l’Encyclopedia Britannica sur le “Comportement collectif”
[http://www.britannica.com:80/eb/article?eu=109126]

201

52

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

qu’elle était terminée ? Pourquoi dans le même temps refuser les témoignages à décharge ?
Pourquoi mentionner tous les participants à des barrières alors que l’on sait que certains n’ont
rien fait que d’y être ? Toutes ces questions ont induit chez une partie de la population la
perception qu’une culpabilité collective était peut-être recherchée, sans que l’on puisse en
comprendre la raison. Quel sens donner à ce processus qui doit conduire à des centaines de
milliers de condamnations à des peines d’emprisonnement, quand on voit dans le même temps
que les prisons actuelles sont trop peu nombreuses et que l’on n’en construit pas d’autres ?
Par ailleurs, une des caractéristiques de la rumeur qui a participé à entretenir un climat de
peur est qu’en reposant sur l’angoisse, elle a tendance à se nourrir de tout nouvel élément. Nous
avons particulièrement relevé cela dans une de nos zones d’observation, en province de Kibuye,
où les rumeurs ont eu tendance à se multiplier en s’appuyant sur la peur que le processus Gacaca
avait généré chez une partie de la population. Ce phénomène a très certainement été renforcé dans
cette province par le climat particulièrement tendu qui y régnait au moment de la collecte,
notamment en raison de l’histoire du génocide dans cette zone202.
Les exemples203 qui suivent illustrent comment un événement ou une déclaration, à
caractère judiciaire ou sociale, a pu conduire dans ce contexte à des interprétations sans aucun lien
avec la réalité et orientées vers la rumeur qu’il existerait une volonté de destruction d’un groupe :
Sur l’emprisonnement : “Que le sexe masculin est mis en prison pour être détenu longtemps et fin des fins
mourir en prison. Le sexe féminin (hutue) sera marié aux Tutsis et on ne parlera plus de la race hutue dans les
prochains jours.”
Suite à l’évocation par le Préfet de la province de Kibuye, lors d’une réunion du 22 juin 2005, de
l’augmentation considérable du nombre des naissances et de la nécessité de contrôler ces
dernières : “Pour cette augmentation des naissances, toujours selon la rumeur, c’est une course de vitesse, la
population pense qu’elle peut avoir des naissances de sexe masculin qui pourront remplacer leurs pères en voie de
disparition [car emprisonnés]. Ces enfants, qui sont plus petits pourront survivre car seront considérés comme
innocents.”
Suite à la remarque faite à un moment donné par les autorités Gacaca sur l’absence de mention des
intellectuels sur les listes et la nécessité de reprendre ces dernières sur ce point : “Pour la population
intellectuelle, vouloir que chaque intellectuel figure sur la liste des accusés, l’objectif est de ne plus trouver un Hutu
dans toutes les instances politiques car tous seront considérés comme ayant des tâches (imiziro). Que le monopole du
pouvoir sera atteint et l’on reviendra à l’époque précoloniale.”
Ces illustrations donnent la mesure de la gravité de ce phénomène de rumeurs qui a
interpellé tous les observateurs du processus Gacaca et en premier lieu toutes les autorités
nationales. Même si les peurs et rumeurs reposent en partie sur une certaine irrationalité, il
convient de ne pas les minimiser ou les sous-estimer.
S’agissant d’un phénomène social complexe et extrêmement difficile à circonscrire, il s’avère peu
évident d’y apporter une réponse simple. Il n’en reste pas moins que ces rumeurs ont trouvé un
terreau favorable dans des peurs ressenties par une partie de la population. C’est très
202 Sur ce point cf. Penal Reform International, Rapport de recherche sur la Gacaca. Kibuye, PRI, Kigali/Paris, novembre
2003, pp. 6-10

Les exemples de rumeurs cités ont été rapportés par notre enquêteur présent dans cette zone dés lors que les
propos tenus rencontraient un véritable écho au sein de la population. (RO Kibuye/Budaha/Cyamatare/Mubuga, 24
juin 2005)
203

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

53

certainement au niveau de ces peurs qu’il conviendrait de pouvoir travailler davantage pour, avec
des explications plus claires et des réponses plus précises, donner plus de sens au processus
Gacaca. Il semble, devant ce qui a été observé en 2005, qu’une partie des Rwandais ne voit plus
ce processus que comme “une machine à accuser” : “Ils ont comme idée que ces juridictions sont mises
en place pour les charger, pour aller à l’encontre de leur intérêt”204, “Beaucoup de Rwandais prennent la Gacaca
pour une occasion de se venger, pour une justice partiale au détriment des Hutus.”205. Dans un tel contexte,
comment penser que la Gacaca puisse encore pleinement contribuer à retisser le lien social ?
Avec la fin de la phase de collecte et le début des jugements au niveau national, il est urgent de
saisir que ces peurs doivent être prises en compte. Redonner au droit de se défendre, qui implique
la possibilité d’apporter des témoignages à décharge, une place essentielle et répondre aux
interrogations concernant la sanction permettra de restaurer une nouvelle confiance à cette
population, et donc par là même de faire très largement disparaître ces peurs et taire ces rumeurs.

204

Entretien PRI avec un secrétaire exécutif de secteur, 6 avril 2005, n°785

205

Entretien PRI vec une nyumbakumi, 26 juin 2005, n°836

54

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Conclusion
Alors que la phase de collecte d’informations telle que nous l’avons décrite et analysée
est quasiment terminée, il nous semble essentiel de prendre toute la mesure des atteintes
importantes portées aux principes du contradictoire, du débat public et du droit de se défendre,
pour tenter d’y remédier au plus vite.
Le processus qui s’est déroulé au cours de cette année 2005, s’est articulé autour de
l’idée qu’il était impératif de trouver les moyens d’accélérer ce dernier, la phase pilote de collecte
d’informations ayant duré trois pleines années. Il n’était donc pas envisageable de conserver le
même rythme pour la phase nationale, alors que le nombre d’accusés potentiels pouvait être plus
de six à sept fois supérieur. La prise en compte de la durée de ce contentieux du génocide, plus de
dix années après les faits, est une préoccupation légitime. La raison essentielle tient en ce que ce
processus implique la participation de toute la population et non de quelques juges et auxiliaires
de justice professionnels. Et que par conséquent, elle s’avère coûteuse en termes d’investissement
personnel et collectif. Prendre en compte le coût social de ce processus implique donc de ne pas
minorer l’impact de sa durée.
Malgré tout, faire primer cet objectif de rapidité aux dépens du principe d’une justice équilibrée,
parce que basée sur les principes du contradictoire et de la présomption d’innocence, constitue
un risque d’échec très important sur le plan de l’adhésion de la population à ce processus et à plus
long terme sur celui de la réconciliation en elle-même. L’implication directe des autorités locales
dans l’étape fondamentale de collecte d’informations était elle aussi motivée par ce souci
d’accélération du processus, mais il est plus que probable qu’elle ait malheureusement généré,
compte tenu de la réalité de sa mise en œuvre, d’importantes frustrations et mécontentements,
sinon des craintes.
Alors que la catégorisation est en cours, et va être rapidement suivie par la phase de
jugement au niveau national, l’une des préoccupations essentielles doit être de permettre à la
population de retrouver confiance envers ce processus Gacaca. Or, il nous semble que cette
confiance pourrait être très largement retrouvée si le débat judiciaire redevenait contradictoire et
si les inyangamugayo retrouvaient toute l’autorité qui garantira l’équité de leurs jugements.
À l’observation de la collecte d’informations effectuée sous le contrôle des autorités locales tout
au long de cette année 2005, il apparaît très clairement que si cette étape s’est déroulée
relativement vite, elle n’en a pas moins été réalisée qu’à moitié : aucune place n’a été laissée au
témoignage (seul élément de preuve) à décharge.
Si la collecte d’informations devait en rester là, il est à craindre que les juridictions Gacaca en
phase de jugement ne disposent pour juger que d’accusations, la très grande majorité
correspondant très certainement à la vérité du génocide, mais certaines parmi ces accusations
étant des erreurs et/ou des mensonges. Or si l’on applique à la phase de jugement nationale le
taux d’acquittements observé tout au long de la phase de jugements 2005, plus de 98.000
personnes206 aujourd’hui accusées pourraient être innocentées a condition que les juridictions
disposent de tous les éléments de preuve disponibles, à charge, comme à decharge.
206 Selon les dernières statistiques du SNJG, au 31 octobre 2005, sur 3846 jugements prononcés, 496 personnes
auraient été acquittées, ce qui représente un taux de 12,89% d’acquittement [(496/3846)x100]. Si l’on applique ce
pourcentage à la projection officielle du SNJG concernant le nombre de personnes pouvant faire l’objet de
poursuites pour crime de génocide qui s’élève à 761.446, alors on arrive au chiffre de 98.150 personnes [(761.446 x
12, 89) /100] pouvant potentiellement faire l’objet d’un acquittement.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

55

Il est extrêmement risqué de penser qu’il sera temps de rassembler les témoignages à
décharge uniquement en phase de jugement, et d’en apprécier alors la valeur probatoire en les
confrontant aux éléments à charge. En effet, rien ne garantit que les juges Gacaca ne seront pas
soumis lors du jugement à une pression identique, pour accélérer leur travail, à celle que
beaucoup de juridictions ont subi pour la validation. Par ailleurs, il est une constante dans tout
processus de justice pénale que le temps qui passe fait disparaître les preuves et que dès lors, en
l’occurrence, les témoignages à décharge seront plus difficiles à produire demain qu’ils ne
l’auraient été hier. D’autant qu’aucune information n’ayant été recueillie sur ces témoins, se pose
alors la question de la faisabilité de leur convocation, l’annonce publique du jugement ne nous
paraissant pas offrir suffisamment de garanties. Aussi, la première recommandation que nous
puissions faire est que dès maintenant les juridictions Gacaca puissent favoriser la
production des témoignages à décharge pour disposer du maximum d’informations.
Si la loi de 2004 prévoyait que la catégorisation se déroulait à huis clos et donc sans l’accusé ni a
fortiori les témoins ou les victimes, c’est parce qu’elle était conçue comme le premier délibéré du
procès Gacaca sur la base du maximum d’informations récoltées auparavant. Or on sait
aujourd’hui que la grande majorité des juridictions Gacaca de cellule ne disposeront que
d’éléments à charge pour catégoriser. Sauf à admettre qu’aucune conséquence ni en terme de
vérité, ni en termes de droits, n’est produite par la catégorisation, il conviendrait de
réintroduire un premier débat public et contradictoire dès ce stade de la catégorisation,
afin d’éviter également un ralentissement du processus par la suite dû à des erreurs de
catégorisation.
888
Par ailleurs, la non prise en compte des témoignages à décharge lors de la phase de
collecte d’informations, ainsi que la déjudiciarisation de cette étape confiée à des autorités
administratives, a certes accéléré le processus, mais également induit des comportements et des
pratiques qui constituent d’indiscutables atteintes à la présomption d’innocence. Il nous semble
clair que se trouve ici l’une des autres clés au problème du déclin de la confiance d’une partie de
la population à l’égard du processus Gacaca. Cette présomption d’innocence doit pouvoir revêtir
davantage de réalité pour l’ensemble de la population. Non seulement pour contrecarrer ceux qui
instrumentalisent le processus à des fins personnelles, en accusant faussement leurs voisins parce
qu’ils se doutent que cette seule accusation leur occasionnera un préjudice immédiat, mais surtout
pour rééquilibrer totalement l’ensemble du travail accompli par les autorités locales au cours de
cette année, et ainsi donner au juge toutes les informations nécessaires à une justice équitable. Il
s’agit donc surtout de rendre ce principe de la présomption d’innocence efficient sur le terrain
pour rassurer la population.
Sur cette question, notre seconde recommandation est qu’il conviendrait de donner très
officiellement la consigne aux autorités locales et aux juges Gacaca d’abandonner
certaines pratiques attentatoires aux libertés. Il s’agit essentiellement des recours aux
amendes pour non participation et aux attestations de bonne conduite. Ces deux pratiques sont
non seulement illégales, mais leur usage est réellement discriminatoire.
Quant à la question des conditions dans lesquelles la détention est parfois utilisée par les autorités
administratives ou les juges Gacaca, elle reste très problématique. Même s’il est probable qu’en
valeur absolue les cas de placements en détention provisoire ou de condamnations sur la base de
l’article 29 de la loi du 19 juin 2004 sont peu nombreux au regard de l’importance des participants
au processus, leur impact sur la population est contre-productif. Loin de garantir une
participation active, ces mises en détention, là aussi la plupart du temps dans des conditions non

56

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

prévues par la loi et donc discriminatoires, ne font que renforcer la crainte et par conséquent la
défiance vis-à-vis du processus. Notre troisième recommandation serait donc d’encadrer
légalement beaucoup plus précisément que ne le fait la loi de juin 2004 les conditions
dans lesquelles les juridictions Gacaca peuvent placer en détention soit un accusé, soit
un témoin207.
888
Dans la mesure où toute cette phase de collecte d’informations 2005 s’est caractérisée
par une “administrativisation” du processus de par le rôle confié aux nyumbakumi et autres
autorités locales, il nous semble essentiel, compte tenu des dérives constatées, de renforcer le rôle
et l’autorité du juge intègre dans le processus. Tout processus de justice implique une
distanciation entre la population et ses juges qui est seule à même de donner à l’institution le
poids symbolique nécessaire à sa légitimation. Cette mise à distance (le juge doit être craint, mais
également respecté pour que son jugement soit accepté208) provient en partie de la solennité qui
est donnée au procès et qui le ritualise. Il est clair qu’en confiant la collecte d’informations à des
autorités administratives, toute cette solennité et ce rituel ont très largement disparu. Il est donc
primordial que la suite du processus soit totalement et pleinement confiée aux juges
intègres et que toute l’autorité nécessaire leur soit donnée pour contrecarrer, le cas
échéant, les tentatives d’immixtion des autorités administratives.
Cette autorité des juges intègres sera d’autant plus grande que leur compétence dans cette
fonction de juger sera renforcée. Beaucoup a déjà été fait pour former les intègres à la pratique
judiciaire, c'est-à-dire d’abord à la compréhension de la loi Gacaca et de sa procédure. Mais chacun
sait que l’art de juger est un des plus difficiles qui soit et qu’il se renforce par sa propre pratique.
Toutefois, cette acquisition de compétences par la pratique gagne toujours à être renforcée par
des formations supplémentaires. S’il est peu réaliste de disposer rapidement de tous les moyens
financiers et logistiques pour compléter la formation de tous les inyangamugoyo, qui sont plus de
170.000209, il nous semble prioritaire de cibler les présidents des juridictions Gacaca de secteur (et
d’appel) puisqu’ils sont en charge du jugement du plus grand nombre et que les risques encourus
par les accusés placés en catégorie 2 sont particulièrement lourds. Compte tenu des carences
observées sur la question du contradictoire au cours de la phase de collecte d’informations 2005,
notre quatrième recommandation est de renforcer la formation de ces présidents de
juridiction dans les techniques d’animation d’un débat contradictoire et d’interrogatoire
des témoins et des accusés.
Enfin, on ne soulignera jamais assez l’importance de la charge qui a été confiée à l’ensemble de
ces juges intègres, tous volontaires pour porter la responsabilité de ce contentieux du génocide et
en assumer les conséquences en terme d’investissement personnel, y compris au détriment de
leurs occupations professionnelles ou familiales. L’initiative prise par le SNJG avec le soutien de
la Coopération Technique Belge va dans le sens de mesurer le coût individuel et social qui pèse

Quatre ONG internationales (Avocats Sans Frontières/ le Centre Danois des Droits de L’Homme/ Penal
Reform International et RCN - Justice et Démocratie, ont notamment fait part de leur inquiétude sur ce point, à
l’occasion d’une réflexion préparatoire à une réforme de la loi Gacaca adressée le 17 octobre 2005 au Service National
des Juridictions Gacaca, cf. Annexe 5
207

208

Cf. notamment sur ce point, Antoine Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 1997.

Avec 9.080 juridictions de cellule, 1.545 de secteurs et 1.545 d’appel et à raison de 14 juges par juridiction
(suppléants compris), on arrive à un total de 170.380 juges inyangamugayo [(9.080+1.545+1.545)x14]

209

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

57

sur ces intègres en vue de les appuyer davantage dans leur fonction210. Renforcer ces initiatives
nous semble également être une priorité.
On ignore aujourd’hui quelle sera encore la durée de ce processus Gacaca, mais il est peu
probable qu’il puisse totalement s’achever dans les deux années qui viennent. La qualité du travail
judiciaire qui sera accompli au cours des prochains mois passe bien sûr tout d’abord par la
reconnaissance que c’est au prix d’immenses efforts quotidiens que cette justice est rendue par
des hommes et des femmes tous issus d’une population marquée par le génocide, mais aussi par
un plus grand respect des principes judiciaires fondamentaux et la recherche d’un équilibre entre
l’accusation et la défense. C’est à cette seule condition que la vérité sur le génocide et les droits
des Rwandais nous semble pouvoir s’y retrouver.

Cf. Service Nationale des Juridictions Gacaca et Coopération Technique Belge, Rapport d’enquête sur l’amélioration des
conditions de vie des Inyangamugayo, Kigali, novembre 2005
210

58

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Annexe 1
Listes du Livret de Procédure
de collecte d’informations
Un livret a été produit en novembre 2004 par le SNJG recensant l’ensemble des
listes/tableaux devant être remplis dans le cadre de “la procédure de collecte d’informations dans
les juridictions Gacaca”211, ainsi qu’un certain nombre de modèles pour les documents utilisés par
les juridictions dans leurs activités quotidiennes : le dossier de l’accusé, la fiche de communication
des informations, la signification, l’assignation, le mandat d’arrêt, l’ordonnance de libération
provisoire, etc.
Les listes à remplir (sous forme de tableaux sont les suivantes) :
1. Liste des personnes habitant la cellule en septembre 1990212
2. Liste des personnes habitant la cellule en mars 1994
3. Liste des personnes arrêtées comme complices du FPR
4. Liste des promoteurs du génocide dans la cellule
5. Liste des réunions de préparation du génocide dans la cellule
- Ceux qui les ont préparées et dirigées
- Ceux qui ont participé à ces réunions
6. Listes des personnes qui devaient être tuées
- Personnes figurant sur les listes
- Ceux qui ont dressé ces listes
7. Distribution des armes dans la cellule
- Ceux qui ont distribué les armes
- Ceux qui ont reçu les armes, avec la date de la réception et la description des armes
reçues

Service Nationale des Juridictions Gacaca, Procédure de collecte d’informations dans les juridictions Gacaca. Vérité-JusticeRéconciliation, SNJG, Kigali, Novembre 2004 [Traduction PRI du document intitulé Gahunda yo gukusanya amakuru
akenewe mu nkiko Gacaca]
211

Quelle que soit la liste, la mention du nom d’une personne est systématiquement suivie d’une identification. On
entend par identification le remplissage pour chaque personne des colonnes suivantes :
• Noms (nom de famille, prénom et surnom)
• Sexe
• Les noms du père et de la mère
Et en fonction des listes s’ajoutent également :
• La profession
• Le lieu actuel de résidence
212

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

59

8. Liste des milices armées présentes dans la cellule
- Ceux qui ont créé ces milices
- Ceux qui ont adhéré par la suite
9. Listes des barrières érigées dans la cellule
- Lieu et date de leur création
- Ceux qui ont donné l’ordre de les ériger
- Ceux qui ont dirigé ces barrières
- Ceux qui furent présents sur ces barrières pour y “travailler”
- Ceux qui furent tués sur ces barrières
10. Liste des victimes du génocide originaires de la cellule et tuées dans cette même cellule213
11. Liste des victimes du génocide tuées dans la cellule, mais originaires d’une autre cellule
12. Liste des victimes du génocide originaires de la cellule, mais tuées dans une autre cellule
(avec mention du lieu où elles ont trouvé la mort)
13. Liste des personnes originaires d’une autre cellule, mais tuées dans la cellule, pour refus
de participation au génocide
14. Liste des personnes de la cellule tuées dans la cellule pour refus de participation au
génocide
15. Lieux où les dépouilles ont été jetés
- Lieu
- Personnes dont les corps ont été jetés
- Ceux ayant choisi le lieu
16. Liste des biens endommagés ou pillés dans chaque ménage
17. Listes des familles ayant fait l’objet d’attaques dans la cellule
18. Lieux de la cellule où les gens pourchassés ont trouvé refuge
19. Liste des rescapés du génocide
20. Liste des personnes ayant secouru des victimes pourchassées
- Celui qui a aidé
- Mention d’une accusation ou non à son encontre de participation au génocide
- Personnes sauvées avec localisation du lieu de sauvetage
21. Liste des attaques menées dans la cellule
- Ceux qui ont organisé ces attaques
- Ceux qui ont participé à ces attaques
- Victimes de ces attaques avec mention des crimes commis à leur encontre

Pour toutes les listes de victimes, le lieu de localisation de la dépouille doit également être mentionné, en plus de
l’identification

213

60

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

22. Liste des attaques menées par des habitants de la cellule, en dehors de la cellule
Cf. liste précédente
23. Listes des tueurs de renom dans la cellule, avec mention des actes qui leurs sont
reprochés
24. Pour chaque victime du génocide
- Identification et condition de sa mort
- Actes inhumains ou torture commis sur son cadavre
- Auteurs de sa mort

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

61

Annexe 2
Fiche sur les “Les Promoteurs dans la cellule ”
Source : Livret du SNJG, fiche 104
PROVINCE/VILLE DE KIGALI

Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

1.

2.

5.

7.

62

DISTRICT/VILLE

Sexe

Date de
naissance

SECTEUR

Noms du père

CELLULE

Noms de la mère

Noms et signatures des membres du siège
3.
4.
8.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

9.

NYUMBAKUMI

L’acte commis sur
base duquel on le
considère comme
promoteur

Il est en vie
(oui ou non)

5.
Le…../……/…..
Cachet

Lieu de
résidence
actuelle

Annexe 3
Fiche sur les “Réunions de préparation du génocide dans la cellule”
Source : Livret du SNJG, fiche 105
PROVINCE/VILLE DE KIGALI

DISTRICT/VILLE

SECTEUR

CELLULE

NYUMBAKUMI

N° …………….. les conclusions : ……………………………… Date et lieu de la réunion : ……………………………………………
A. Ceux qui les ont dirigées
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Noms de la mère

Sa profession

Date de libération

63

B. Les Participants
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

1.

2.

5.

7.

64

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

Noms de la mère

Noms et signatures des membres du siège
3.
4.
8.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

9.

Sa profession

Date de libération

5.
Le…../……/…..
Cachet

Annexe 4
Fiche sur les “Barrières érigées dans la cellule”
Source : Livret du SNJG, fiche 109
PROVINCE/VILLE DE KIGALI

DISTRICT/VILLE

SECTEUR

1. Lieu où a été érigée la barrière : ………………………………………

CELLULE

NYUMBAKUMI

2. Date d’édification :…………………………………..

3. Ceux qui ont ordonné d’ériger une barrière
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

Noms de la mère

Résidence actuelle

Sa profession

4. Ceux qui l’ont érigée
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

Noms de la mère

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Sa résidence
actuelle

Sa profession

65

5. Les responsables de cette barrière
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

Noms de la mère

Résidence actuelle

Sa profession

6. Ceux qui y sont allés pour « travailler »
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et le
surnom

Sexe

Date de
naissance

Noms du père

Date de
naissance

Noms du père

Noms de la mère

Sa résidence actuelle

Sa profession

7. Ceux qui y ont été tués
Tous les noms
On commence par le nom de famille, le prénom et
le surnom

1.

2.

5.

7.

66

Sexe

Noms de la
mère

Noms et signatures des membres du siège
3.
4.
8.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

9.

Commune
de résidence

Sa
profession

Armes
utilisées

5.
Le…../……/…..
Cachet

Lieu
d’enterrement

Annexe 5
Position Paper des ONG du secteur Justice
sur l’Avant-projet d’amendement de la loi organique
n°16/2004 du 19 juin 2004

THE DANISH CENTRE FOR HUMAN RIGHTS
CENTRE DANOIS DES DROITS DE L’HOMME

De :

-Avocats Sans Frontières (ASF)
-Centre Danois des Droits de l’Homme
-Penal Reform International (PRI)
-RCN Justice & Démocratie

A:

Madame la Secrétaire exécutive
Service National des Juridictions Gacaca (SNJG),

Objet : Avant-projet d’amendement de la loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004
Madame la Secrétaire exécutive,
Nous avons pris connaissance, lors de la réunion d’information que vous avez organisée le 15/09/2005,
du contenu de l’avant-projet d’amendement de la loi organique n°16/2004. Nous avons apprécié la
volonté que vous avez manifestée d’ouvrir le débat sur les éléments de cet avant-projet, afin de
recueillir les avis et considérations des uns et des autres.
Ayant suivi et accompagné tout le processus de règlement du contentieux de génocide depuis le début,
nous souhaitons partager avec vous les difficultés liées à la modification de la loi, particulièrement (i) la
fixation d’une date butoir aux travaux des juridictions Gacaca, (ii) la création d’une juridiction Gacaca
nationale chargée de juger les accusés de la première catégorie (iii) la loi portant indemnisation des

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

67

victimes du génocide, (iv) la mise en détention avant jugement des accusés de génocide et (v) la peine
de mort pour les accusés de la nouvelle première catégorie.
1. Juin 2007, date butoir annoncée pour la fin des travaux des juridictions Gacaca
Nos organisations sont conscientes du poids et des sacrifices que représente le processus Gacaca tant
pour les Inyangamugayo que pour la population. Nous comprenons également la volonté d’apurer le
plus rapidement possible le contentieux du génocide et de consacrer les efforts à d’autres
préoccupations du pays.
Toutefois, Il nous semble essentiel, afin de ne pas affaiblir le processus, que les juridictions Gacaca
puissent conduire leurs activités en toute indépendance sans la pression particulière d’une échéance
imposée à l’avance, et selon leur propre temps, celui de la mémoire, de la lutte contre l’impunité et de la
réconciliation.
Nous pensons que la poursuite de l’objectif de célérité dans le traitement du contentieux du génocide
ne devrait pas se faire au détriment de l’équité du processus et de son caractère participatif (au sens du
respect du principe du contradictoire).
2. L’organisation des poursuites relatives aux prévenus relevant de la première catégorie
Vous nous avez informés de la volonté du Service National des juridictions Gacaca de redéfinir la
première catégorie en la limitant aux seuls planificateurs et organisateurs au niveau national ainsi
qu’aux auteurs de viol et tortures sexuelles.
L’une des conséquences serait une réduction importante du nombre des accusés qui, selon vos
estimations, n’excéderaient pas 10 000 personnes. Ces accusés seront jugés, seront les termes de la
réunion, par une juridiction Gacaca nationale.
Les procès des personnes qui encourent des peines aussi lourdes que la peine de mort et la perpétuité
doivent bénéficier de toutes les garanties d’un procès équitable conformément aux textes nationaux et
internationaux.
L’expérience des chambres spécialisées qui, entre 1997 et 2003, ont rendu jusqu’à 1000 jugements par
an, montre que les juridictions classiques peuvent parfaitement juger les accusés de la première
catégorie dont le nombre serait ramené à moins de 10 000 personnes et ce, dans un délai raisonnable.
En conséquence, nous préconisons le maintien de la compétence matérielle du jugement des
infractions relevant de la première catégorie, aux juridictions classiques. Nous estimons en effet, qu’une
juridiction Gacaca fonctionnant avec la collaboration du parquet chargé d’instruire les dossiers relevant
de la première catégorie entraînerait une rupture d’égalité.
3. La loi portant indemnisation des victimes
Le droit à réparation des victimes est un élément essentiel du procès équitable et de la lutte contre
l’impunité.

68

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Nous avons noté avec intérêt votre annonce selon laquelle une loi portant indemnisation serait en voie
de finalisation. Il serait en effet souhaitable que sa publication intervienne avant la généralisation de la
phase de jugement. Nul doute que ce serait une marque de reconnaissance pour les victimes et
rescapés du génocide qui se sentiraient encouragés à participer aux procès.

4. Le pouvoir de mise en détention avant jugement reconnu à la juridiction Gacaca de
cellule
D’après les observations faites par certaines des organisations signataires, la réalité du terrain montre
de plus en plus d’abus commis en cette matière. Nous saisissons donc cette occasion pour exprimer le
caractère inquiétant de l’absence de contrôle des pouvoirs que la loi met à la disposition du juge
Gacaca en matière de mesures privatives de liberté.
Des mandats d’arrêt sont délivrés à l’encontre de personnes qui ne figurent pas encore sur la liste des
accusés et de nombreuses condamnations pour refus de témoigner ou faux témoignage sont
prononcées en phase de recueil des informations. Bien souvent, ces deux mesures se confondent,
sans que l’on puisse identifier le fondement juridique de la mesure de privation de liberté.
En ce qui concerne les condamnations pour faux témoignage ou refus de témoigner, elles sont très
généralement prononcées sans que la personne concernée se soit vu notifier cette accusation, sans
débat contradictoire et sans véritable procès, en violation de l’article 32 de la loi organique n°16/2004.
Parfois, une telle procédure est également appliquée à des personnes dont on instruit le dossier
d’accusation, pour refus de témoigner contre soi-même.
Dans la plupart des cas, les recours prévus par la loi sont inopérants. Hormis les juridictions de secteur
de la phase pilote, les autres juridictions de secteur habilitées à connaître de ces recours ne siègent
pas encore et l’appel formulé par la personne mise en détention par la juridiction Gacaca de cellule
reste souvent lettre morte.
La situation est telle que l’on remarque de plus en plus de peur et de sentiment de vulnérabilité au sein
de la population.
Nous proposons donc : (i) que soient encadrées de manière restrictive les conditions d’application de
l’article 39, 8), de la loi organique n°16/2004, en particulier en prohibant toute arrestation en phase de
collecte d’information ; (ii) que soient encadrées également de manière restrictive les conditions
d’application des articles 29 et 30 de la loi organique n°16/2004 ; (iii) qu’il soit rappelé aux juges
Gacaca qu’il ne peut y avoir de condamnation sur pied des articles 29 et 30 de la loi organique
n°16/2004 sans qu’un jugement en bonne et due forme ne soit prononcé, dans le respect des
conditions édictées à l’article 32 de la même loi ; (iv) qu’un délai maximum soit fixé à la juridiction
d’appel pour l’examen des appels formulés contre la mise en détention préventive, ou contre la décision
portant condamnation pour faux témoignage, refus de témoigner ou pression sur les témoins ou les
juges, faute de quoi la personne détenue devrait être impérativement libérée (v) qu’il soit rappelé
fermement qu’une personne ne peut être condamnée pour faux témoignage ou refus de témoigner en
raison du fait qu’elle refuserait de témoigner contre elle-même (vi) que soit organisé un contrôle régulier
de la détention préventive.

PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

69

5. La peine de mort des accusés de première catégorie
Dans les éléments de la réforme de la loi que vous nous avez communiqués, il apparaît que la peine de
mort serait maintenue pour les accusés de la « nouvelle » première catégorie qui n’auraient pas avoué.
Nos organisations s’alignent sur les termes du préambule du deuxième protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort,
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1989 qui énonce :
« l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se réfère à l’abolition de la peine
de mort en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que cette abolition est souhaitable. (…) toutes les
mesures touchant à l’abolition de la peine de mort doivent être considérées comme un progrès quant à
la jouissance du droit à la vie ».
Dans la mesure où l’Etat rwandais renoncerait à appliquer la peine de mort aux prévenus transférés par
le TPIR, nous faisons la suggestion qu’il en soit de même pour la catégorie 1.
Nous réaffirmons notre disponibilité à participer aux séances de travail que vous organiserez afin de
partager nos réflexions et de contribuer à la résolution équitable du contentieux du génocide.
Veuillez agréer, Madame la Secrétaire Exécutive, nos sentiments de considération distinguée.
Fait à Kigali, le 17 octobre 2005

-Avocats Sans Frontières (ASF)
-Centre Danois des Droits de l’Homme
-Penal Reform International (PRI)
-RCN Justice & Démocratie

Copies pour information :
- Ministère de la Justice
- Cour Suprême
- Parquet Général de la République
- Représentations diplomatiques
- Organisations du système des Nations Unies
- ONG internationales
- ONG locales oeuvrant dans le domaine du droit et de la justice
-Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)

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PRI - Rapport Gacaca - Juin 2006

Annexe 6
Echantillonnage géographique
(nouvelles appellations)
Les nouvelles appellations apparaissent dans les zones grisées.

Provinces
et districts
Butare
Sud
District de Nyanza
District de Nyamure
Byumba
Nord
District de Gicumbi
District de Kisaro
Cyangugu
Ouest
District de Rusizi
Ville de Cyangugu
Gisenyi
Ouest
District de Rutsiro
District Kayove
Kibuye
Ouest
District Ville de Kibuye District de Karongi
Kibuye
Ouest
District Budaha
District de Ngororero
Umutara
Est
District de Gatsibo
District Murambi
Ville de Kigali
Ville de Kigali
District de Gasabo
District Kacyiru

Secteurs

Enquêteurs
Permanents

Nyamiyaga

Muyira

1

Kavumu

Kavumu

1

Kamembe

Kamembe

1

Musasa

Musasa

1

Bwishyura

Bwishyura

1

Murundi

Murundi

1

Murambi

Murambi

1

Kimihurura

Kimihurura

1

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