Fiche du document numéro 3066

Num
3066
Date
Mardi 15 janvier 2013
Amj
Auteur
Taille
107702
Sur titre
Génocide Rwanda avril 1994
Titre
Ces agents d'écoute français qui en avaient entendu trop
Sous titre
Les révélations du juge Trévidic sur l'assassinat, peu après l'attentat contre l'ex-président Habyarimana, de deux gendarmes français spécialistes des écoutes, remettent en lumière une bien mauvaise raison d'État.
Nom cité
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Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'enquête menée par le juge Trévidic sur l'attentat perpétré le
6 avril 1994 contre l'avion du président rwandais Juvénal
Habyarimana, attentat qui donna aussitôt le coup d'envoi du génocide
des Tutsis (un million de martyrs en une centaine de jours), n'en
finit pas de contredire celle conduite par son prédécesseur, le juge
Bruguière. Là où ce dernier incriminait systématiquement les
dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR), les accusant d'avoir
délibérément provoqué les massacres « ethniques » afin de
relancer la guerre civile, le juge Trévidic qui, lui, s'est rendu sur
place à Kigali en compagnie d'experts afin de reprendre l'instruction
à zéro, découvre ce que, par euphémisme, nous appellerons les
approximations multipliées par un magistrat futur candidat UMP aux
élections, donnant l'impression que, chez celui-ci, la conclusion
précédait l'investigation. S'agissait-il alors de transformer le FPR
en organisation criminelle afin de mieux laver la France des
accusations convergentes à l'encontre de ce qui était alors le
gouvernement de cohabitation Mitterrand-Balladur pour son rôle et ses
responsabilités dans l'épouvante qui s'abattit sur le peuple
rwandais ? Rôle amorcé, sur le plan militaire, dès la fin 1990
avec le lancement de l'opération « Noroît » et conclu en
juin 1994 avec celui de l'opération « Turquoise ».


En d'autres termes, il s'agissait de faire par avance contre-feu à
toute démarche visant à éclairer la réalité de ce que le titre donné
par Jacques Morel à son monumental ouvrage de référence désigne par
cette formule : La France au coeur du génocide des Tutsis (1). Livre
dont la une est en elle-même accablante : la photo d'un groupe de
miliciens génocidaires interahamwe à l'entraînement, escorté par un
militaire français, son fusil Famas à la main.

La dernière découverte du juge Trévidic pourrait paraître anecdotique
pour qui ignore tout des dossiers distillés par son prédécesseur. Elle
concerne la mort de trois Français – deux gendarmes et l'épouse de
l'un d'eux – à Kigali, peu de temps après l'attentat. Mais elle
révèle que le certificat de décès (par « origine
accidentelle ») d'au moins l'un d'eux est un faux, le médecin
militaire censé l'avoir signé et qui était basé à Bangui assurant
désormais que sa signature avait été usurpée. Tandis que des proches
des victimes font état de pressions exercées sur eux afin de les
dissuader de porter plainte (2). Comme ce fut par ailleurs le cas pour
les familles des trois membres d'équipage français de l'appareil
présidentiel abattu le 6 avril 1994 au soir. Pilote ou gendarme,
Paris ne souhaite pas que l'on s'intéresse de trop près aux conditions
dans lesquelles ont péri ses chargés de mission sur place.


Il s'agissait des adjudants-chefs Alain Didot et René Maïer et de
l'épouse du premier, Gilda Lana. Deux spécialistes du téléphone –
comprenez : des écoutes – résidant à proximité de l'immeuble
du CND (Conseil national du développement, siège du Parlement
rwandais) où, en vertu des accords d'Arusha ratifiés en
août 1993, était cantonnée une petite troupe du FPR. Tout laisse
donc penser qu'ils étaient chargés d'espionner cette dernière, mais
sans doute n'écoutaient-ils pas qu'elle... Hypothèse déjà avancée par
un salarié rwandais du Centre culturel français de Kigali et disposant
à ce titre d'un poste d'observation privilégié :
« Pourquoi la France a-t-elle essayé de rejeter sur le FPR
l'assassinat de ses spécialistes des écoutes et des communications,
après avoir prétendu que les adjudants-chefs Didot et Maïer étaient
décédés de mort naturelle, le 6 avril 1994, et après que la
directrice du Centre culturel français, l'un des principaux défenseurs
de l'intervention française et incontournable conseiller de
l'ambassade de France au Rwanda en matière de sécurité, m'eut annoncé,
le 8 avril, leur assassinat par la garde présidentielle ?
Assassinat confirmé par une rescapée, employée des services de
l'ambassade de France, qui s'était réfugiée chez les Didot, d'où elle
parvint à s'échapper au moment où le couple se faisait abattre. Ces
barbouzes de l'information, agents chargés de collecter et
d'interpréter les messages hertziens au bénéfice des armées rwandaise
et française, auraient-ils réussi à capter quelque chose de
compromettant pour la France ou la garde
présidentielle ? » (3)


Un livre plus récent confirme l'omniprésence des services français
durant le génocide mais aussi les années précédentes (4). Il relate la
confession de Richard Mugenzi, spécialiste en écoutes auprès de
l'armée génocidaire après formation par des techniciens français,
eux-mêmes spécialistes de la « guerre psychologique »
héritée des vieux conflits coloniaux d'Indochine et d'Algérie. Le juge
Bruguière brandissait quatre messages « interceptés » par
Mugenzi comme preuves du rôle de l'état-major FPR dans le tir de
missiles contre l'avion de Habyarimana. Problème :
« l'intercepteur » dément leur authenticité et assure que
ces grossiers trucages lui avaient été dictés par le colonel Anatole
Nsengiyumva, bras droit du colonel Bagosora, le « cerveau du
génocide » et premier officier rwandais à avoir fait ses classes
à l'École de guerre française...





(1) La France au cœur du génocide des Tutsis, de Jacques Morel, l'Esprit frappeur et Izuba, 2010.


(2) Cf. « Rwanda : trois fantômes et un mystère », de Maria Malagardis, Libération du 10 janvier 2013.

(3) France-Rwanda: les coulisses du génocide, de Vénuste Kayimahe, l'Esprit frappeur et Dagorno, 2002.

(4) Cf. L'agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, de Jean-François Dupaquier, Karthala, 2010.

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