«C’est une déception. Complicité de génocide ? Certes mais il n’est pas condamné comme auteur direct des crimes commis. Et il est acquitté pour le massacre à la paroisse de Kibeho», a déclaré Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), l’une des principales parties civiles au procès de l’ex-préfet Laurent Bucyibaruta. Lequel comparaissait depuis le 9 mai devant la cour d’assises de Paris. Il y avait foule au palais de justice pour entendre le verdict de ce procès inédit, le quatrième lié au génocide des Tutsis du Rwanda à se dérouler à Paris, mais le premier visant un haut fonctionnaire en poste pendant les trois mois qu’a duré cette solution finale africaine qui fera prés d’un million de morts en 1994. Aux côtés de son époux, Dafroza Gauthier qui avait livré un témoignage émouvant sur ses proches assassinés pendant le génocide à Kibeho affichait une mine sombre en évoquant les rescapés de la paroisse, où le 14 avril 1994 s’était déroulé le premier des grands massacres qui ont ensanglanté cette préfecture au sud-ouest du Rwanda.
«Pour la paroisse de Kibeho comme pour le massacre des détenus tutsis à la prison de Gikongoro, nous ne disposions pas d’éléments suffisants», a indiqué le président du tribunal, à l’issue de dix heures de délibérations, pour justifier l’acquittement de l’accusé sur ces faits précis. En revanche Laurent Bucyibaruta, âgé de 50 ans au moment de la tragédie, a été condamné en tant que complice de génocide et de crimes contre l’humanité pour les massacres commis sur le site de l’école technique de Murambi, à la paroisse de Cyanika et celle de Kaduha, trois gigantesques tueries qui se sont soldées par près de 100 000 morts en une seule journée le 21 avril 1994. Il a également été déclaré complice de génocide et crime contre l’humanité pour le meurtre des élèves du groupe scolaire Marie-Merci le 7 mai à Kibeho, comme pour les exactions commises sur les barrières érigées dès début avril 1994 et lors des rondes qui visaient à débusquer
«l’ennemi», à savoir les Tutsis pourchassés et cachés.
«Peut-être ai-je manqué de courage?»
«Complice» mais par auteur principal des crimes concernés, alors même que le parquet avait requis la perpétuité en estimant que Bucyibaruta loin d’être le
«malheureux préfet dépassé» par les évènements que dépeindra son avocat maître Jean-Marie Biju-Duval, avait joué un rôle actif de
«bon fonctionnaire zélé» dans l’organisation et le déclenchement de ces massacres, parmi les plus importants qui se sont déroulés au Rwanda en 1994.
L’accusé
«n’a peut-être tué personne de ses mains mais il porte sur lui le sang de toutes les victimes de Gikongoro», avait estimé Sophie Havard, l’une des deux avocates générales. Malgré les récits poignants des rescapés entendus tout au long du procès, celui-ci a cependant souligné la difficulté de trancher sur l’étendue de la culpabilité d’un dirigeant qui, à l’exception de discours ou communiqués extrêmement ambigus, a laissé peu de preuves tangibles de son implication directe dans la tragédie.
«Peut-être ai-je manqué de courage ?» s’était-il lui-même interrogé, mardi matin lors de sa dernière prise de parole avant la délibération du jury. On restera donc officiellement sur cette énigme, sur cette part d’ombre dont l’étendue potentielle ne sera pas révélée.
Reste qu’arrivé libre au tribunal, Laurent Bucyibaruta, ce vieil homme désormais maigre et affaibli, repartira ce mardi soir dans le fourgon qui le conduit en prison. Au moment où il quitte la salle un sanglot étouffé s’échappe du rang de ses proches. Ce qui ne consolera pas les victimes de la paroisse Kibeho.