Fiche du document numéro 30287

Num
30287
Date
Vendredi 17 juin 2022
Amj
Auteur
Taille
179326
Titre
RDC-Rwanda : « Kigali sert de bouc émissaire », selon Vincent Biruta
Nom cité
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Lieu cité
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RDC
Mot-clé
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M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le ministre rwandais Vincent Biruta à la rédaction de Jeune Afrique, le 28 septembre 2020. © Cyril Ndegeya pour JA

Félix Tshisekedi durcit encore le ton. Dans la foulée du Conseil de défense du 14 juin, le président congolais a demandé le retrait des troupes rwandaises, accusées depuis plusieurs semaines de soutenir le M23, rébellion active dans l’Est. Il a aussi exigé la suspension des accords qui lient son pays à celui de Paul Kagame.

Ces déclarations font suite à la prise de Bunagana, carrefour commercial stratégique à la frontière avec l’Ouganda, le 13 juin. Mais, campé sur ses positions, le Rwanda rejette ces allégations et accuse en retour la RDC de s’appuyer sur les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Jusqu’où ira cette crise entre deux voisins qui s’étaient pourtant rapprochés depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, début 2019 ? Vincent Biruta, ministre rwandais des Affaires étrangères, répond aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : La RDC a multiplié les accusations visant le Rwanda et promet de défendre « chaque centimètre de son territoire » face à ce qu’elle qualifie « d’invasion ». Le Rwanda se considère-t-il en guerre contre la RDC ?

Vincent Biruta : Le Rwanda n’a pas attaqué la RDC, donc nous ne pouvons pas être en guerre avec ce pays. En revanche, notre territoire a été bombardé à trois reprises par l’armée congolaise et nous n’avons pas répondu à ces attaques, alors que nous étions en droit de répliquer. Nous l’avons fait savoir aux mécanismes régionaux et nous l’avons dit à plusieurs reprises aux dirigeants de la RDC.

« LE CONFLIT ACTUEL EST INTRA-CONGOLAIS »

Le M23 est un groupe composé de Congolais et le conflit actuel est intra-congolais. Cette rébellion a été défaite militairement en 2013 et certains de ses combattants se sont réfugiés sur notre territoire. Ils ont été désarmés, cantonnés, leurs armes ont été rendues à la RDC. Eux sont toujours là [au Rwanda], chacun est libre de venir le vérifier. Un accord a été conclu en 2019 pour encadrer leur rapatriement, mais il n’a jamais été mis en œuvre.

Le 15 juin, le gouvernement congolais a annoncé la suspension des accords signés avec le Rwanda et a demandé le retrait des troupes rwandaises de son territoire. Comptez-vous réagir à ces demandes ?

Pour le moment, nous laissons l’initiative au gouvernement congolais. Nous ne savons même pas, à ce stade, quels sont les accords concernés. S’agit-il de ceux qui ont été signés en juin 2021 ou de l’ensemble des accords qui ont pu être passés il y a des années et qui portent aussi bien sur la défense que sur l’énergie ?

« JE NE SAIS PAS SI LE M23 FAIT PREUVE D’UNE FORCE DE FRAPPE EXTRAORDINAIRE OU SI C’EST L’AUTRE CAMP QUI MANIFESTE UNE FAIBLESSE EXTRAORDINAIRE »

Nous attendons que l’on nous fournisse des précisions dans les jours à venir. Mais j’imagine que si l’on s’intéresse à la totalité des accords conclus, la partie qui dénonce sera parfois la première à souffrir d’une suspension.

Comment expliquer qu’une rébellion battue en 2013, que le Rwanda a déjà été accusé de parrainer, puisse avoir une telle puissance de frappe sans bénéficier d’un soutien étranger ?
Je ne sais pas si le M23 fait preuve d’une force de frappe extraordinaire ou si c’est l’autre camp qui manifeste une faiblesse extraordinaire. Je ne suis pas en mesure d’évaluer la capacité des forces en présence, ce peut être l’un ou l’autre. Et même s’il s’avère que le M23 est très fort, pourquoi serait-ce la faute du Rwanda ?

Il y a un amalgame dans toute cette histoire. Le M23 est essentiellement composé de Congolais rwandophones et c’est pour cela que le Rwanda est, un peu trop facilement, accusé. Nous, nous pensons que cette question est liée à des problèmes internes à la RDC, qui a pris l’initiative de ce conflit, et que la diabolisation d’un groupe particulier à l’intérieur du pays a aussi à voir avec l’histoire des années 1990 dans notre région, avec le repli de forces génocidaires dans l’Est et la création de mouvements armés comme les FDLR.

Il y a aujourd’hui plus de 130 groupes armés, mais ils ne reçoivent pas tous la même attention. Nous nous attendions à ce qu’après la défaite du M23 en 2013, l’intérêt se porte sur d’autres groupes, tels les FDLR. Mais cela n’a pas été le cas. Nous sommes donc d’autant plus surpris aujourd’hui de voir que le monde entier est focalisé sur un mouvement en particulier.

Les discours que l’on entend actuellement, qui sont relayés sur les réseaux sociaux, nous rappellent l’atmosphère qui prévalait avant 1994 au Rwanda. C’est ce qui devrait attirer l’attention de la communauté internationale. Pour nous il s’agit d’un agenda politique intérieur et le Rwanda sert de bouc émissaire.

Pour certains, la résurgence du M23 a surtout coïncidé avec le rapprochement entre l’Ouganda et la RDC, et avec le lancement d’une opération conjointe qui a, semble-t-il, déplu au Rwanda…

Nous avons dit ce que nous pensions de l’intervention ougandaise contre les ADF [Forces démocratiques alliées]. Nous n’avons pas été dérangés, mais nous aurions préféré une approche régionale pour résoudre les problèmes qui se posent dans l’Est. Il s’avère d’ailleurs que c’est finalement cette option qui a été retenue lors de la réunion des chefs d’État à Nairobi, en avril. Le Rwanda, comme l’Ouganda et le Burundi, ont intérêt à neutraliser les groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC dans l’objectif de nous déstabiliser.

Le Parlement congolais s’est également inquiété d’une éventuelle collaboration entre le Rwanda et l’Ouganda dans cette crise…

Le rapprochement entre l’Ouganda et le Rwanda dérange peut-être la RDC parce que cela ne faisait pas partie du plan. Mais le président Museveni figure parmi ceux qui ont pris des engagements à Nairobi et nous considérons qu’il a un rôle à jouer dans la résolution de la crise.

« NOUS SOMMES PRÊTS À APPORTER NOTRE CONTRIBUTION »

Le président kényan Uhuru Kenyatta a appelé, le 14 juin, à la mise en place d’une force régionale conjointe. Le Rwanda, qui n’a pas participé à la dernière réunion des forces armées de la Communauté de l’Afrique de l’Est [EAC], a-t-il l’intention d’en faire partie ?

Nous étions présents aux réunions où il a été décidé de créer cette force régionale. Nous n’avons pas participé à la rencontre de Goma pour des raisons évidentes, mais d’autres événements sont prévus à Nairobi. Nous disposons déjà d’une délégation d’experts sur place et les responsables de notre armée vont également s’y rendre. Nous sommes donc prêts à apporter notre contribution.

En réponse aux accusations de la RDC, le Rwanda affirme que les forces armées congolaises (FARDC) collaborent avec les FDLR. De quel type de preuves disposez-vous ?

Pour notre propre sécurité, nous suivons ce qui se passe dans l’est de la RDC et notamment les activités des FDLR. Récemment, certains de leurs membres ont fui dans un camp tenu par la Monusco, qui n’a rien fait. Ils ont finalement été remis aux FARDC et ont pu retourner sur le champ de bataille. Ces preuves, nous les avons envoyées aux mécanismes concernés.

Par ailleurs, avant même le bombardement de notre territoire, les FDLR avaient fait une incursion au Rwanda, fin 2019. Ceux qui avaient échappé aux RDF [Forces rwandaises de défense] s’étaient repliés en RDC. Cette facilité à traverser les lignes des FARDC est bien connue.

Des conditions préalables ont-elles été posées avant l’organisation d’une rencontre entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi ?

Je n’ai pas connaissance de quelconques conditions préalables à une rencontre. Je salue les efforts du président Lourenço. Le gouvernement rwandais a accepté le principe d’une réunion entre les trois chefs d’État à Luanda ainsi qu’une première proposition de date. Nous attendons que la RDC confirme. C’est une question de semaines.

Les États-Unis ont dénoncé la « présence signalée de troupes rwandaises » et l’ONU parle de « l’utilisation de groupes armés agissant par procuration ». Craignez-vous un isolement diplomatique ?

Nous ne craignons pas l’isolement. Nous avons lu la déclaration du Sénat américain, qui est allé très vite pour désigner des coupables sans vérification préalable et tout en précisant qu’il aurait besoin de faire des enquêtes. De son côté, la Monusco dit bien qu’il n’y a aucune preuve de la présence de troupes rwandaises dans l’Est !

Les uns et les autres peuvent avoir une présomption de culpabilité, mais ce n’est pas une approche constructive. Tous devraient se sentir autant concernés par l’activité du M23 que par celle des FDLR et par la propagation de discours de haine ou d’appels à la violence. La souveraineté de la RDC doit constituer un sujet de préoccupation, mais celle du Rwanda aussi.

« IL Y A DES GENS QUI ESSAYENT DE PASSER LA FRONTIÈRE, IL Y A DES ATTAQUES AU FACIÈS… LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE N’A PAS LE DROIT DE SE TAIRE »

Le 14 juin, à l’occasion d’une manifestation à Goma, des débordements ont été signalés à la frontière avec le Rwanda. Quelles sont les mesures envisagées ?

Demain ou après-demain, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas qu’une communauté était stigmatisée. Il y a des gens qui essayent de passer la frontière, comme cela a été le cas à Goma, il y a des attaques au faciès… Ce sont des éléments potentiellement explosifs. La communauté internationale n’a pas le droit de se taire. Il faut établir des responsabilités et le gouvernement congolais devrait faire plus que des déclarations ponctuelles.

Le Rwanda exclut-il d’intervenir militairement sur le territoire congolais ?

Tout cela dépendra de l’autre partie. Nous avons le droit, le devoir et les moyens de protéger nos citoyens et l’intégrité territoriale de notre pays. Il appartient à la RDC de décider si elle veut continuer ses provocations ou si elle préfère s’engager sur le chemin d’une résolution pacifique à travers les mécanismes appropriés.

Envisagez-vous une rupture des relations diplomatiques et le rappel de votre ambassadeur à Kinshasa ?

Non. Là encore, nous laissons l’initiative à la RDC.

La crise du M23 et le report du premier vol transportant des migrants du Royaume-Uni vers le Rwanda ne viennent-ils pas ternir le sommet du Commonwealth, qui s’ouvre le 20 juin ?

Personne n’a annulé sa participation. Et pour ce qui est de l’accord entre le Rwanda et le Royaume-Uni, nous sommes prêts à faire notre part, à recevoir ces migrants quand les conditions seront réunies côté britannique. Nous ne devrions être jugés que lorsqu’ils seront là, pas pour ce qui se passe actuellement devant les tribunaux britanniques. Il n’y a pas de raison pour que ces questions perturbent le bon déroulement du sommet du Commonwealth.

Pas même les récents propos du prince Charles, qui aurait également dénoncé cet accord ?

Selon la presse britannique ! Le prince Charles lui-même ne les a pas confirmés. Nous sommes prêts à le recevoir et à discuter avec lui et avec les autres chefs d’État sur les questions liées au Commonwealth. Laissons les sujets de politique intérieure en Grande-Bretagne.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024