Jugé depuis lundi pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, des accusations qu’il conteste, Laurent Bucyibaruta souffre à 78 ans de pathologies multiples.
Pour son premier interrogatoire par la cour d’assises, axé uniquement sur son parcours de vie, l’accusé reste assis sur le fauteuil molletonné mis à sa disposition, la canne avec laquelle il se déplace posée près de lui.
L’ancien fonctionnaire, qui comparaît libre, s’exprime lentement, avec peu de mots, toujours d’un ton courtois.
Lors du génocide qui a fait au moins 800.000 morts entre avril et juillet 1994 dans son pays, Laurent Bucyibaruta est depuis deux ans le préfet de Gikongoro, une région du sud particulièrement touchée par les massacres.
Il lui est reproché d’avoir encouragé et ordonné des exécutions de Tutsi, notamment lors de réunions «
de sécurité » dans la préfecture où il était le plus haut représentant de l’exécutif.
Dès ses premiers mots à l’audience, comme il l’a fait au cours de la procédure initiée en 2000, l’ex-préfet cherche à minimiser ce rôle de donneur d’ordre, son importance dans la chaîne hiérarchique.
Les différents postes qu’il a occupés dans l’administration publique auraient été difficiles à refuser dans un «
régime militaire », avait déclaré lors de l’enquête Laurent Bucyibaruta, réfugié en France depuis 1997 après avoir fui le Rwanda trois ans plus tôt.
C’étaient «
plus des missions » qu’un réel «
engagement politique » de sa part, avait-il dit à une enquêtrice de personnalité, entendue comme témoin. «
Il dit qu’il a saisi les opportunités qui lui étaient proposées ».
« Mot à dire »
Fils d’un éleveur hutu, Laurent Bucyibaruta est entré dans la fonction publique en 1964. Il travaille dans un parc animalier, puis comme conservateur d’un musée.
En 1973, il est «
désigné » bourgmestre (maire) de Musange, la commune dont il est originaire.
«
Quand on vous entend parler, on a l’impression qu’on vous a dit "vous allez être bourgmestre". Vous n’avez pas eu votre mot à dire ? C’est quelque chose qu’on vous a imposé ? », s’interroge le président de la cour, Jean-Marc Lavergne.
L’accusé semble opiner. «
Ensuite, je suis nommé sous-préfet », en 1974, poursuit-il.
La cour n’ira pas plus loin dans le
curriculum vitae de Laurent Bucyibaruta et sa carrière à l’exceptionnelle longévité – il a exercé sous les deux régimes installés depuis l’indépendance du Rwanda en 1962.
Compte tenu de l’état de santé de l’accusé, les audiences sont limitées à sept heures par jour et son interrogatoire a dû être écourté en fin de journée.
L’expert psychologue qui l’avait examiné en 2000, quand Laurent Bucyibaruta était alors placé en détention provisoire, a relevé son côté «
organisé, méticuleux ». «
Il s’adapte à toutes les situations », souligne l’expert à la barre.
Pouvait-il «
faire un état critique des directives qu’on pouvait lui donner ? », cherche à savoir l’une des représentantes de l’accusation.
«
Il n’y a pas d’angle mort chez lui. Il intègre parfaitement », répond l’expert.
Ce dernier se souvient également que Laurent Bucyibaruta n’avait «
aucune émotion » et une tendance à «
se victimiser », dénonçant des «
accusations mensongères » ou encore «
un coup monté ».
Toujours droit dans son fauteuil, flottant dans son pull beige et son pantalon noir, l’ancien préfet rétorque en citant un proverbe rwandais : «
Les larmes d’un homme coulent vers l’intérieur ».
«
On peut avoir des émotions, mais ne pas les exprimer tout le temps, comme si c’était une plainte permanente », affirme Laurent Bucyibaruta.
Les prochaines journées d’audience seront consacrées au contexte historique et politique du « pays des mille collines ».
La cour entendra ensuite, pendant plusieurs semaines, des rescapés de six scènes principales de massacres pour lesquelles la responsabilité de l’ex-préfet est questionnée.
Le procès est prévu pour durer jusqu’au 12 juillet.