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Le procès de Laurent Bucyibaruta s’est ouvert lundi 9 mai, devant la cour d’assises de Paris. Il est accusé d’avoir favorisé le massacre de plusieurs milliers de Tutsis dans le cadre du génocide
perpétré par des extrémistes hutus. À l’ouverture des débats, son avocat a dénoncé le caractère tardif et « inéquitable » du procès.
Citation
C’est en fauteuil roulant qu’il est
arrivé dans la salle d’audience. Un
homme de 78 ans, grand, mince,
vêtu d’un costume beige qui s’est
assis devant ses avocats. « Compte
tenu de vos problèmes de santé, souhaitez-
vous vous exprimer debout
ou en restant assis ? », demande le
président. « Rester assis », répond
Laurent Bucyibaruta dont la voix,
malgré le micro, reste difficilement
audible. C’est donc dans ce grand
siège bleu que, pendant deux
mois, cet ancien préfet rwandais
va s’expliquer sur son implication
dans les massacres survenus dans
sa région à l’été 2014 lors du génocide
perpétré en 1994 au Rwanda,
à l’instigation du régime extrémiste
hutu.
Laurent Bucyibaruta comparaît
devant cette cour pour « génocide
», « complicité de génocide » et
« complicité de crimes contre l’humanité
». Des accusations graves
liées au rôle que l’accusation prête
à celui qui, en 1994, était à la tête
de la Gikongoro, une région au
sud de la capitale Kigali. Dans les
semaines ayant suivi le début du
génocide, Laurent Bucyibaruta a
incité la population tutsie à venir
se réfugier dans plusieurs paroisses
ou une ancienne école. Des
refuges qui, en fait, se sont révélés
être des pièges, des sortes de
nasses où hommes, femmes et enfants
ont été attaqués par des miliciens
hutus. Et victimes de tueries
à grande échelle. « Sur le site de
l’école technique de Murambi, entre
3 heures et 8 heures du matin, près
de 40 000 personnes ont été exécutées
», expliquait, quelques heures
avant le début de l’audience, Alain
Gauthier, président du Collectif
des parties civiles pour le Rwanda
(CPCR). Pour les rescapés et les
familles des victimes, le haut responsable
a incité ces Tutsis à trouver
refuge dans ces paroisses ou
cette école en toute connaissance
de cause, sachant le sort qui leur
serait réservé. Une affirmation
que conteste l’accusé, qui clame
son innocence depuis sa mise en
examen.
Mais ce lundi 9 mai, c’est un
autre argument que met en avant
la défense : le « délai déraisonnable
» mis par la justice pour
faire comparaître l’ancien préfet,
mis en examen il y a vingt-deux
ans. « L’institution judiciaire
a été défaillante », affirme
Me Jean-Marie Biju-Duval, en dénonçant
un « procès inéquitable
et injuste », ne permettant pas à
son client, à la santé très fragile,
de se défendre pleinement. L’avocat
ajoute que plusieurs témoins
« clés » des faits ne pourront pas
venir déposer à l’audience car ils
sont aujourd’hui décédés. Ce qui
justifie, pour la défense, l’annulation
des poursuites. Un scénario
impossible à imaginer pour Me
Simon Foreman, avocat du CPCR.
« Si Laurent Bucyibaruta n’avait
pas fui son pays pour la France, il
aurait été jugé depuis longtemps
au Rwanda », lance-t-il, en ajoutant
que l’accusé a aussi refusé
en 2007 de comparaître devant
le Tribunal pénal international
pour le Rwanda.
Si la cour d’assises écarte cette
demande d’annulation, le procès
pourra démarrer dès ce mardi.
Avec, d’ici à une dizaine de jours,
les témoignages de parties civiles.
Certaines seront entendues
par visioconférence depuis
le Rwanda. « Mais beaucoup viendront
à Paris pour déposer à l’audience,
explique Alain Gauthier.
C’est bien sûr une épreuve pour ces
parties civiles, car ce n’est pas facile
de témoigner aux assises. Certaines
le feront un peu à reculons,
désireuses malgré tout que justice
soit faite. D’autres sont très déterminées.
Une partie civile qui devait
s’exprimer en visio nous a dit qu’elle
voulait absolument être là. À la
barre de la cour d’assises. »
Pierre Bienvault
Laurent Bucyibaruta est accusé d’avoir favorisé le massacre de milliers de Tutsis. Est Eclair/MaxPPP