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Traduction en français de l’article de Philippe Denis, Journal of Religion in Africa 50 (2020), 109-136
Les Missionnaires d’Afrique et le génocide rwandais
Résumé
Sur la base de sources documentaires, cet article examine la position des Missionnaires d'Afrique, également connus sous le nom de Pères Blancs, sur les questions politiques et ethniques soulevées lors de la préparation du génocide au Rwanda, du génocide lui-même et de la période post-génocide. Certains, en particulier ceux qui sont retournés au Rwanda après 1994, ont reconnu les erreurs commises par l'Église et ont essayé de relancer leur ministère sur de nouvelles bases. Beaucoup cependant, surtout en Belgique, le pays d'où la moitié d'entre eux étaient originaires, ont adopté une attitude plus défensive. Ils ont souscrit, explicitement ou non, à la théorie du double génocide selon laquelle les crimes du Front patriotique rwandais ont égalé, voire dépassé, ceux des autorités rwandaises et des milices pendant le génocide. Dans l'ensemble, le Conseil général de la Société à Rome, a réagi à la situation rwandaise de manière non partisane.
Mots clés
Pères Blancs – catholique – Rwanda – Hutu – Tutsi – génocide
Dans le numéro du 15 juin 1998 de La Nouvelle Relève, publication rwandaise quasi-officielle, trente personnalités, dont des membres du Parlement et des ministres, ont publié une note adressée au Chapitre général des Missionnaires d'Afrique, alors réuni à Rome, dans laquelle ils suggéraient que la congrégation se retire momentanément du pays. Elle pourrait revenir plus tard, ajoutaient-ils, « avec un personnel qui n'aurait jamais été impliqué dans la tragédie rwandaise » (La Nouvelle Relève n° 361, 15 juin 1998, p. 5). Deux semaines plus tard, Privat Rutazibwa, un ancien prêtre catholique qui avait rejoint le Front patriotique rwandais (FPR) en 1992, alors que celui-ci combattait encore le régime d'Habyarimana, et qui dirigeait alors l'Agence rwandaise d'information, a fait la même déclaration dans un article intitulé « Missionnaires de l'évangile ou apôtres de la haine ». L'article prenait la forme d'une lettre ouverte aux représentants des branches masculine et féminine de l'Association des Supérieurs Majeurs du Rwanda (ASUMA), à Jan Lenssen, supérieur régional des Missionnaires d'Afrique, et à Frieda Schaubroeck, sœur Bernardine (Rutazibwa 1998 ; Rutazibwa 2017).
L'incident qui a déclenché la demande d'un moratoire sur la présence des Pères Blancs au Rwanda a été la publication par l'ASUMA, le 7 avril 1998, d'un document intitulé « Situation de notre pays et des communautés », qui exprimait la solidarité pour « les souffrances de tant d'hommes, de femmes et d'enfants victimes, depuis environ huit ans, d'un conflit sur lequel ils n'ont aucun contrôle » (Bizimana 2001, 71). Pour les signataires de l'article de La Nouvelle Relève, il s'agissait d'une véritable provocation. Le 7 avril 1998, le Rwanda célébrait le quatrième anniversaire du début du génocide qui a coûté la vie à près d'un million de personnes, principalement des Tutsi. Parler de huit ans, comme le faisaient les responsables ecclésiastiques dans leur mémorandum, signifiait que tous les problèmes avaient commencé en 1990, lorsque le FPR avait envahi le Rwanda pour résoudre le problème des réfugiés tutsi installés dans des camps à l'extérieur du pays depuis des décennies. Aucune mention n'était faite du génocide qui était commémoré dans tout le pays le même jour. Les dirigeants de l'ASUMA n'auraient pas pu exprimer plus clairement que le génocide était d'une importance mineure à leurs yeux. La question de la réponse des Missionnaires d'Afrique au génocide contre les Tutsi est controversée. L'ont-ils minimisé, comme les dirigeants rwandais cités plus haut les en ont accusés ? Ont-ils reconnu son caractère unique et en ont-ils tiré des leçons ? Leur opposition au FPR – bien attestée pour nombre d'entre eux – leur a-t-elle permis de préserver la mémoire du génocide ?
Ce n'est qu'un aspect de la question plus large du débat sur la mémoire du génocide. Comme l'a
observé l'historien rwandais Paul Rutayisire dans un article récent, le génocide rwandais fait l'objet
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d'un « conflit de mémoires » (Rutayisire 2015). Pour les survivants du génocide et le nouveau gouvernement rwandais, c'est un moment déterminant de l'histoire du Rwanda. Comme les survivants de l'Holocauste et leurs descendants, ils estiment que ce crime atroce ne doit jamais être oublié. À l'opposé, on trouve la position des partisans de l'ancien régime, selon lesquels le génocide contre les Tutsi, aussi horrible qu'il puisse paraître, n'est qu'un événement parmi d'autres dans la région des Grands Lacs, et pas nécessairement le pire. Les détracteurs du gouvernement du FPR mettent l'accent sur les crimes commis par le mouvement avant, pendant et après le génocide au Rwanda et en République démocratique du Congo. Dans une tentative de minimiser l'importance du génocide contre les Tutsi, ils utilisent le terme de « double génocide » pour indiquer qu'autant de Hutu rwandais que de Tutsi ont subi des morts violentes au cours de la dernière décennie du vingtième siècle (Chrétien 2012).
Où se situent les Missionnaires d'Afrique dans ce débat ? Cette question n'a jamais fait l'objet d'une enquête critique. Ce sont plutôt les attaques et les contre-attaques qui ont prévalu dans les articles de journaux, les publications écrites et les blogs Internet, de l'époque du génocide à aujourd'hui. On ne sait pas exactement ce que les Pères Blancs ont dit et fait de manière spécifique. L'objectif de cet article est d'examiner, sur la base de preuves documentaires, leur position dans les affaires politiques et ethniques pendant la préparation du génocide, le génocide lui-même et la période post-génocide. Une attention particulière est accordée aux variations de leur position au fil du temps, et aux différences d'opinion au sein de la congrégation sur le génocide contre les Tutsi et ses conséquences.
Les Missionnaires d'Afrique ont gracieusement ouvert leurs archives pour ce projet à Rome, Bruxelles et Kigali, et certains d'entre eux ont accepté d'être interviewés. Plusieurs personnes proches de l'actuel gouvernement rwandais ont fait de même.
1. Un héritage contesté
L'une des accusations formulées en juin 1998 était que « de connivence avec la puissance coloniale,
[les missionnaires] ont permis le massacre des Tutsi sous le couvert d'une soi-disant révolution sociale
hutu » (cité dans Dialogue, Bruxelles n° 204, mai-juin 1998, 77). Ceci fait référence au rôle qu'André
Perraudin, un Père Blanc suisse qui fut vicaire apostolique et archevêque de Kabgayi de 1956 à 1989,
et l'ensemble de la congrégation des Missionnaires d'Afrique ont joué dans la politique rwandaise à la
veille de l'indépendance du Rwanda.
En l'absence d'une véritable histoire des Missionnaires d'Afrique au Rwanda, nous pouvons nous
appuyer sur plusieurs études académiques sur cette période de l'histoire du pays (Linden 1999 ;
Rutayisire 1987 ; Carney 2012, 2014 ; Saur 2013). Les premiers Pères Blancs sont arrivés au Rwanda
en 1900. Après la Première Guerre mondiale, lorsque la Belgique a remplacé l'Allemagne comme
puissance coloniale, ils ont joué un rôle politique important dans les affaires du pays. Ils étaient, selon
les termes d'Alison Des Forges, « des rois sans couronne » (1969, 176).
Les catégories de Hutu et de Tutsi existaient dans le Rwanda précolonial, comme en témoignent les
relations des premiers voyageurs et missionnaires, mais elles étaient fluides et polyvalentes. Elles ne
désignaient pas une « race », comme l'ont dit les missionnaires et les agents coloniaux, ou un groupe
ethnique dans la terminologie d'aujourd'hui. Ils faisaient référence à une variété de groupes socioéconomiques, tribaux ou de parenté, mal définis. Sans nécessairement comprendre les conséquences à
long terme de leurs actions, les Pères Blancs ont contribué au développement et à la consolidation du
système binaire des identités ethniques qui, poussé à l'extrême, a conduit au génocide. La première
forme d'identité, celle des Hutu, était attachée à des personnes jugées physiquement, socialement et
culturellement inférieures et considérées, à un stade ultérieur de leur histoire, comme des victimes par
excellence. La seconde, celle des Tutsi, était attachée à des personnes présentées comme nées pour
commander. Les Hutu formeraient une majorité naturelle par rapport à la minorité tutsi, qui ne serait
pas véritablement rwandaise et aurait violemment « conquis » la population autochtone. L'un des
promoteurs les plus actifs de la théorie hamitique, aujourd'hui discréditée, selon laquelle les pasteurs
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tutsi seraient arrivés dans la région des Grands Lacs en provenance d'Égypte ou d'Éthiopie bien avant
les cultivateurs hutu, fut le Père Blanc Albert Pagès, auteur en 1933 de l'ouvrage Un royaume hamite
au cœur de l'Afrique.
Jusqu'au milieu des années 1950, l’expression hutu-tutsi était à peine présente dans les commentaires
politiques des Pères Blancs (Carney 2012). Cette situation a changé après l'émergence d'un
mouvement pro-hutu radical lié aux missionnaires à la fin des années 1950. Dans cette affaire,
Perraudin et les jeunes générations de Pères Blancs sont apparus comme des apprentis sorciers (Saur
2013). Par leur soutien inconditionnel à la cause hutu, ils ont involontairement préparé le terrain pour
une série d'épisodes violents dont les Tutsi ont été les principales victimes, provoquant un exode
massif de réfugiés vers l'Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et le Zaïre en 1959 et durant les années
suivantes.
Rien ne prouve que le Manifeste des Bahutu de mars 1957 - qui exprimait les griefs du peuple hutu en
des termes similaires à ceux des propagandistes extrémistes hutu des années 1990 - ait été rédigé par
l'un des missionnaires belges ou par le vicaire apostolique, mais ses promoteurs avaient tous des liens
avec l'establishment missionnaire catholique. Deux d'entre eux ont été rédacteurs de la publication
catholique Kinyamateka, un autre a travaillé comme secrétaire personnel de Perraudin, et trois étaient
d'anciens séminaristes (Carney 2012 ; Saur 2013).
Il ne fait aucun doute que dans sa très controversée lettre pastorale de carême de février 1959, Super
Omnia Caritas, Perraudin a offert une vision racialiste de la division Hutu-Tutsi, les premiers étant
décrits collectivement comme des victimes et les derniers comme des oppresseurs dans le contexte
d'un système « féodal » centenaire (Carney 2012). Pour Perraudin, les divisions sociales du Rwanda
se sont décomposées selon un axe Hutu-Tutsi clair, en raison du fait, comme il l'écrit, qu’ « au [...]
Rwanda les différences et les inégalités sociales sont en grande partie liées aux différences raciales »
(Carney 2012, 97). Son objectif était d'appliquer la doctrine sociale de l'Église, centrée sur l'idée de
justice sociale, à une situation politique en évolution rapide et, de cette manière, préserver l'influence
de l'Église catholique dans le nouveau Rwanda. Comme le gouvernement colonial belge, il était
obsédé par le risque d'une prise de pouvoir communiste dirigée par les Tutsi après l'indépendance
(Saur 2013).
2. Le kaléidoscope des Missionnaires d’Afrique
Tout comme l'Église catholique du Rwanda à laquelle ils ont tant contribué, les Pères Blancs
représentaient, pour reprendre l'expression de Saur, un « kaléidoscope » (2013, 1348). À la fin des
années 1950, beaucoup d'entre eux, les plus jeunes en particulier, ont favorisé le mouvement radical
hutu Parmehutu et ont soutenu Grégoire Kayibanda lorsqu'il est devenu le premier président de la
République rwandaise en 1962. Cependant, certains résistèrent à la pression de s'identifier à la cause
hutu et restèrent idéologiquement indépendants. Lorsque les Tutsi ont été victimes de pogroms en
1959, 1963-64 et 1973, ils n'ont pas hésité à leur venir en aide. Ils ont refusé de cautionner les
politiques discriminatoires des régimes de Kayibanda et d'Habyarimana (Carney 2012 ; Kabanda
2007).
Aujourd'hui encore, les noms de Stanislas de Jamblinne, Robert Defalque, Henri Bazot et Clément
Forestier suscitent la gratitude de la communauté des survivants du génocide et des sympathisants du
FPR. D'autres sont moins connus, par exemple Hans Gyr, un Père Blanc suisse qui a travaillé au
Rwanda jusqu'au génocide. En novembre 1994, il a présenté dans le Petit Écho, une publication
interne des Missionnaires d'Afrique, une description peu flatteuse de l'Église qu'il a trouvée à son
arrivée au Rwanda en 1957. « L'Église était puissante, écrit-il, presque un État dans l'État, elle était
riche de constructions, d’œuvres... Comparé à celui des gens, notre style de vie était trop riche, même
si nous vivions très modestement. Je n’étais pas à l'aise mais je l’ai accepté pour ne pas me
singulariser... Après les événements de ‘63 [au cours desquels entre 10.000 et 15.000 Tutsi ont été
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massacrés], j'étais tellement dégoûté des médisances, des mensonges que, après mon congé (1966), je
ne voulais plus retourner au Rwanda » (Petit Écho n° 859, 1995/3. 139-140).
3. Solidarité avec les opprimés
Les Pères Blancs qui ont défendu les Tutsi lorsqu'ils étaient victimes de violence et de discrimination
étaient plutôt isolés. Dans la période qui a suivi l'indépendance, la plupart des Pères Blancs, en
particulier les Belges d'origine flamande, ont épousé la cause de la « majorité » hutu et exprimé une
loyauté sans réserve au gouvernement rwandais.
« Quand je suis arrivé au Rwanda, on m'a dit que nous étions du côté des Hutu », a admis
candidement dans une interview un Père Blanc flamand arrivé en 1963. A des degrés divers, ils ont
endossé le stéréotype du Tutsi arrogant et sournois et du Hutu toujours en danger de retourner à son
statut d'« esclave ». Cela ne les a pas empêchés de nouer des amitiés avec des Tutsi sur une base
personnelle, étant entendu que ces hommes et ces femmes étaient l'exception à la règle.
De plus en plus rejetée dans les milieux universitaires, la théorie hamite reste populaire parmi certains
missionnaires. En 2008 encore, l'un d'entre eux déclarait dans une interview que les Tutsi « ne sont pas
un peuple [volk] comme les autres Noirs. Ils viennent d'Éthiopie... Ils donnent toujours une bonne
impression. Ils peuvent manipuler les Blancs... Je suis arrivé au Rwanda en 1958, dans la brousse, dix
mois avant le début de la révolution. Et c'était une grande époque, mais pas pour moi ». Lorsque les
Tutsi sont arrivés au Rwanda avec leur bétail « il y a cinq siècles », poursuit-il, ils ont dit aux Hutu que
s'ils voulaient du lait et du bétail, ils devaient travailler pour eux. « C’est ainsi qu’ils les ont colonisés. »
Pendant la révolution sociale, ajoute-t-il, les Tutsi ont été chassés du Rwanda, mais ils reviendront, pas
avec du bétail cette fois, mais avec des « belles filles » (Brille 2008, 90).
4. Les Missionnaires d’Afrique et l’invasion du Rwanda par le FPR
La période 1990-1994 est cruciale pour comprendre l'attitude des Missionnaires d'Afrique pendant et
après le génocide. Les analyses politiques qu'ils ont développées au cours de ces années ont façonné
leur conception de la situation créée par la victoire du FPR en juillet 1994.
Le 1er octobre 1990, quatre cents combattants du FPR entraînés en Ouganda ont envahi le Rwanda
par le nord pour permettre le retour des centaines de réfugiés tutsi dispersés dans les pays voisins.
L'armée rwandaise repoussa rapidement les envahisseurs avec l'aide de conseillers militaires français
ainsi que de troupes belges et zaïroises. Quatre années de guérilla s'ensuivirent, avec des
déplacements massifs de population dans le nord, des pertes de guerre parmi les civils et, en
représailles, des massacres de Tutsi par des soldats et des groupes armés proches du gouvernement
Habyarimana.
À l'époque, les Missionnaires d'Afrique du Rwanda étaient environ 90, contre près de 200 trente ans
auparavant (AMA, Assemblée précapitulaire, 22-26 octobre 1991, Rapport du régional). En
vieillissant, ils ont progressivement cédé leurs paroisses au clergé rwandais, sauf dans les diocèses de
Ruhengeri et Byumba, au nord du pays, qui connaissaient une pénurie de prêtres.
La première réaction des missionnaires, surtout ceux qui dirigeaient les paroisses du nord, fut la colère
contre le FPR qui, selon eux, avait apporté des difficultés inutiles à une population vivant en paix. Le
22 octobre 1990, le quotidien belge francophone Le Soir publia un document sur la situation au
Rwanda signé par 101 expatriés, dont onze Pères Blancs, ceux qui se trouvaient à Kigali à l'époque,
six prêtres d'autres congrégations, sept religieux et six religieuses (« Rwanda : 101 expatriés
témoignent », Le Soir 22 octobre ; Vleugels 2005). Les signataires apportaient un soutien sans réserve
au gouvernement Habyarimana, injustement accusé selon eux par les médias européens de refuser
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d'accueillir les réfugiés tutsi, de ne pas lutter suffisamment contre la corruption et de mal gérer la
question ethnique. Dans la crise, affirmaient-ils, une distinction a été faite entre ceux qui soutenaient
le pays et ceux qui voulaient le démolir de l'extérieur avec quelques complices infiltrés et quelques
alliés occidentaux. Ils notaient que, jusqu'à ce moment, aucun pogrom contre les Tutsi n'avait eu lieu.
Cette déclaration contredisait un fax envoyé par Jef Vleugels, le supérieur régional, au provincial
belge le 19 octobre 1990, selon lequel des groupes de Hutu avaient brûlé des maisons, tué au moins
dix personnes et en avaient blessé beaucoup d'autres à Kibilira dans la préfecture de Gisenyi (Vleugels
2005). L'initiative d'envoyer une lettre collective a n'a pas émané, comme cela a été rapporté, des
missionnaires (Vleugels 2005) mais le mois suivant, ils ont continué à faire campagne en faveur du
gouvernement rwandais.
C'est à cette époque que le supérieur régional, Jef Vleugels, commença à envoyer des fax à la Maison
généralice de Rome et aux provinces belge et française pour décrire la situation sociale, politique et
militaire du pays, le premier étant daté du 16 octobre 1990. Loin de reprocher aux « assaillants » du
FPR de réveiller les divisions ethniques (Vleugels 2005, 43), les premiers fax conservaient dans
l'ensemble un ton factuel. En décembre 1990, Vleugels partagea des informations sur les prêtres tutsi
jetés en prison après l'attaque du FPR et se fit l'écho d'un article publié dans La Nouvelle Relève qui
déplorait la décision du journal extrémiste hutu Kangura de publier son « Appel à la conscience
hutu » (Vleugels 2005).
5. Droits humains et médiation de paix
Il ne faut pas en conclure que les dirigeants des Missionnaires d'Afrique au Rwanda n'ont pas pris
position sur le conflit. Certains d'entre eux ont alerté l'opinion publique sur les meurtres de Tutsi dans
la période précédant le génocide. Mais leurs principales préoccupations, surtout pour ceux qui
travaillaient dans le Nord, étaient les populations hutu vivant dans des camps et les crimes présumés
du RPI' à leur encontre.
En septembre 1991, un groupe de personnes convaincues, dont trois ecclésiastiques, André Sibomana,
un prêtre diocésain, Guy Theunis, un Père Blanc, et Tharcisse Gatwa, un presbytérien, ont créé une
organisation de défense des droits de l'homme appelée Association Rwandaise pour la Défense des
Droits de la Personne et des Libertés Publiques (ADL) (Longman 2011). Elle a publié deux rapports
volumineux en décembre 1992 et décembre 1993 respectivement, qui contenaient les conclusions des
travailleurs de terrain de l'ADL et d'autres organisations de défense des droits de l'homme sur l'état
des droits de l'homme au Rwanda. Theunis était responsable de la publication [en français] de
l'organisation. D'après les propos qu'il a tenus le 28 avril 1998 devant la Commission parlementaire
française sur le Rwanda, il était également le principal rédacteur des deux rapports
(http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/audition.asp#THEUNIS).
Le premier rapport, qui couvrait la période de septembre 1991 à septembre 1992, donnait un compte
rendu détaillé des massacres et autres formes de discrimination subis par les Tutsi dans tout le
Rwanda, souvent avec la complicité d'agents de l'État. Au début l’ADL disposait de peu
d'informations sur les crimes qui auraient été commis par le FPR dans les zones qu'il occupait dans le
nord du pays. C'est là que Vleugels, probablement en consultation avec Theunis, est intervenu. Le 14
septembre 1991, dans une lettre adressée aux communautés de missionnaires, il déplore la
« désinformation » des médias concernant le Rwanda. Le FPR et ses alliés en Europe font circuler
diverses listes de victimes tutsi, souligne-t-il, certaines comportant des centaines de noms, mais ce
n'est qu'un aspect de la réalité. « Le FPR qui – c'est le moins que l'on puisse dire – a provoqué cette
tragédie en sort indemne, les mains propres. Il est donc urgent d'équilibrer ces informations et de
montrer un aspect dont les mass media, étrangers surtout, ne parlent jamais : les victimes civiles de
ces attaques et infiltrations » (ADL 1992, 67-68).
Afin de lutter contre cette « désinformation », Vleugels a demandé aux missionnaires travaillant dans
les diocèses de Ruhengeri et de Byumba de dresser la liste des victimes civiles des attaques du FPR.
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Le rapport de l'ADL de décembre 1992 comprenait 790 noms recueillis de cette manière (ADL 1992).
Les critères et la méthodologie utilisés pour la compilation des listes n'ont pas été précisés. Dans la
section introductive du rapport, Vleugels admet que « la liste ne différencie pas toujours les noms des
personnes tuées par le FPR et l'armée rwandaise » (ADL 1992, 68). Nous pourrions ajouter que les
auteurs de l'enquête ont mis dans le même sac les civils enrôlés et armés par l'armée rwandaise, les
victimes collatérales des combats et les civils exécutés sommairement par le FPR parce qu'ils étaient
soupçonnés de représenter une menace. Plus important encore pour une discussion sur l'attitude des
Missionnaires d'Afrique face à la violence de masse dans les années 1990, nous avons ici un exemple
précoce de ce qui caractérisera leur discours après le génocide : le désir d'« équilibrer » les crimes du
gouvernement hutu et de ses alliés, et ceux du FPR.
La documentation relative à la période 1990-1994 fait apparaître deux tendances au sein de la
congrégation. La première consiste à dénoncer urbi et orbi les exactions supposées du FPR. Le 10
février 1992, par exemple, seize prêtres du doyenné du Mutara, dans le diocèse de Byumba, dont
treize Pères Blancs, ont écrit dans une lettre ouverte : « Ce ne sont plus des batailles entre deux
armées, mais du terrorisme à l’encontre des populations paisibles » (Vleugels 2005, 71). Un des fax
de Vleugels parlait du « terrorisme ougandais » (fax du 28 février 1992, in Vleugels 2005, 76). Pour
les Missionnaires d'Afrique et les dirigeants de l'Eglise catholique en général, le FPR était l'ennemi et
le gouvernement rwandais méritait la loyauté.
La deuxième tendance, plus perceptible lorsque les discours extrémistes ont commencé à se multiplier
dans une atmosphère de chaos et de violence, consistait à aider la société rwandaise à trouver une voie
médiane entre les deux extrêmes, à savoir le Hutu Power et le FPR. A l'instigation du supérieur
régional, l'assemblée tenue à Kigali après le Chapitre général des Missionnaires d'Afrique en 1992 a
recommandé que toutes les communautés soient « sensibilisées à la non-violence active » (AMA,
Rapport de l'Assemblée post-capitulaire, 16-22 novembre 1992, 6). Les Missionnaires d'Afrique n'ont
pas formellement pris part au Comité de contacts, un comité interconfessionnel de médiation composé
de chefs d'église, créé en janvier 1992 pour amener les deux parties belligérantes à la même table
(Ngomanzungu 2003 ; Gatwa 2005), mais ils ont soutenu son action. En juin 1993, ils ont activement
contribué à la création d'un groupe Pax Christi visant à promouvoir les initiatives de paix à la base
(Vleugels 2005), et ont participé à plusieurs « marches de la paix » dans les mois qui ont suivi.
6. Les Missionnaires d’Afrique pendant le génocide
A la veille du génocide, les Missionnaires d'Afrique au Rwanda étaient au nombre de 81, sans
compter un stagiaire et quelques étudiants hors du pays. Tous sauf deux étaient européens ou nordaméricains. La moitié (40) était belges et dans la plupart des cas flamands. Les Français constituaient
le deuxième groupe le plus important (16). Les autres étaient canadiens (7), italiens (6), allemands (4),
néerlandais (3), espagnols (2), suisses (2), congolais (1) et tanzaniens (1) (Vleugels 2005).
Comme le gros des forces de maintien de la paix des Nations Unies et la quasi-totalité des expatriés,
la majorité des Missionnaires d'Afrique ont quitté le Rwanda peu après l'abattage de l'avion du
président Habyarimana le 6 avril 1994. Le lendemain matin, des personnalités réputées modérées
comme Agathe Uwilingiyimana, le Premier ministre, et dix soldats belges ont été assassinés à Kigali.
Presque immédiatement, des groupes de Tutsi ont été massacrés dans divers quartiers de la capitale, à
Nyundo, Rutsiro, Cyangugu, Kibungo et ailleurs. Sous la pression des autorités de leurs pays
respectifs qui craignaient pour leur sécurité, la plupart des Pères Blancs ont rapidement quitté le
Rwanda par la route, via Butare et la frontière burundaise, à bord d'avions affrétés par les
gouvernements français, belge ou italien, alors que l'aéroport de Kigali était encore ouvert. Certains
sont cependant restés sur place. Selon le journaliste belge François Janne d'Othée (1994), fin avril, les
Missionnaires d'Afrique étaient encore 21. En juin, il y avait encore une dizaine de Pères Blancs au
Rwanda.
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Deux Pères Blancs ont perdu la vie au début de la période du génocide. Le 7 avril 1994, André
Caloone, un ressortissant français, a été tué accidentellement par un soldat drogué qui recherchait des
Tutsi à Ruhuha dans le Bugesera (Vleugels 2005). Le corps de Joachim Vallmajo, un Espagnol, n'a
jamais été retrouvé. Selon certaines allégations, il aurait été assassiné, avec quelques prêtres hutu, par
des soldats du FPR près de Byurnba vers le 20 avril 1994.
A en juger par les huit fax envoyés par Vleugels et Theunis depuis Kigali entre le 7 et le 10 avril 1994
(Vleugels 1995) et par le procès-verbal du Conseil général des Missionnaires d'Afrique à Rome
(AMA, Conseil général, avril-juin 1994), la principale préoccupation des dirigeants de la congrégation
était la sécurité des membres. En plus des nouvelles concernant les confrères, les fax offraient une
description factuelle de la situation sur le terrain. Theunis, le principal auteur des fax, dépendait de
sources ecclésiastiques pour ses informations. Ni lui ni ses sources n'ont tenté d'analyser la nature de
la tragédie qui se déroulait sous leurs yeux. Un seul fax, envoyé le 8 avril à midi, mentionne que les
victimes des soldats rwandais à Nyamirambo et Masaka près de Kigali étaient des Tutsi (Vleugels
2005). Dans un fax envoyé le soir même, Theunis constate que « les massacres (se sont) propagés
dans tout le pays et dans la ville de Kigali ».
Aucune indication n'est donnée sur le fait qu'une opération de grande ampleur contre le groupe des
Tutsi, qui sera bientôt reconnue comme un génocide, a commencé. Le ton factuel des fax a frappé
l'historien français Gérard Prunier, auteur de la première étude académique du génocide en 1995. « les
voir uniquement préoccupés du bien-être de leurs proches, écrit-il, on croirait presque lire une liste
établie par une corporation ou par le corps diplomatique. Les violences « ont lieu, mais jamais leurs
auteurs ne sont nommés. On a l'impression surréaliste que les meurtres sont commis par des armées
de fantômes aux visages à jamais flous » (traduction française in Prunier 1997, 400).
L'un des membres du Conseil général, l'Espagnol Pedro Sala, se trouvait à ce moment en visite à
Kigali lorsque l'avion du président a été abattu. Il est resté dans la capitale avec le supérieur régional
jusqu'au 14 avril. De retour à Rome, il est devenu la principale source d'information sur le Rwanda, où
il avait exercé son ministère pendant quelques années avant d'être nommé au Conseil général. Il
présenta un rapport sur la situation rwandaise à ses collègues conseillers le 17 avril. La discussion
tourna essentiellement autour du rapatriement des confrères. « Dans un premier temps », lit-on dans le
procès-verbal, « le Conseil général décide de contacter les provinciaux qui ont des confrères rapatriés
du Rwanda pour leur demander d’être bien attentifs à leurs besoins psychologiques et humains et
d'essayer de sentir un peu ce qui pourrait les aider à se ‘désintoxiquer’ de tout ce climat de violence et
de haine dont ils ont été témoins ces derniers temps » (AMA, Conseil général, 17 avril 1994). Lors
d'une réunion ultérieure, le 30 mai 1994, Jean-Claude Ceillier, un conseiller français, a rendu compte
d'une réunion d'une quarantaine de missionnaires belges, français, néerlandais, allemands et espagnols
rapatriés du Rwanda qui s'était tenue à Anvers deux semaines auparavant (AMA, Conseil général, 30
mai 1994 ; Vleugels 2005).
Le premier signe d'une plus grande ouverture à la réalité du génocide de la part du Conseil général
apparaît dans le procès-verbal de la réunion du 1er juin 1994 : « Le Conseil général demande au père
Sala d'attirer l'attention du régional [Jef Vleugels] sur le fait que certaines de leurs communiqués
manquent un peu d'objectivité et qu'ils doivent faire attention à ne pas prendre parti » (AMA, Conseil
général, 1er juin 1994). De ce compte-rendu succinct, nous pouvons déduire que le Conseil général
était préoccupé par la position partisane de certains Pères Blancs belges, qui soutenaient le
gouvernement provisoire et s'opposaient au FPR.
7. Premières réponses au génocide
En entendant parler de massacres de masse au Rwanda, certains Pères Blancs sont arrivés à la
conclusion que quelque chose n'allait pas dans l'évangélisation du pays. Clément Forestier, un
missionnaire français qui avait signé la lettre ouverte des expatriés se plaignant de la désinformation
en octobre 1990 mais qui était également connu pour s'être opposé à la discrimination contre les Tutsi
dans le régime Habyarimana (Bizimana 2012), a exprimé sa désillusion après son retour en France en
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avril 1994. « Ma plus grande déception, a-t-il déclaré à un journaliste belge, est de réaliser que cette
religion était superficielle. « On faisait de la peinture extérieure mais pas de travail en profondeur.
Tant que les églises étaient pleines, nous étions heureux. Maintenant, elles sont pleines de cadavres »
(Janne d'Othée 1994, 107). Otto Mayer, témoin oculaire du génocide, s'est également rendu compte
que l'Eglise devait faire une autocritique. « Je ne crois pas à la théorie de la colère populaire », a-t-il
déclaré dans une interview accordée au journal catholique français La Croix. « Trop de gens ont menti
: le gouvernement, l'opposition et même l'Église... Elle était cul et chemise avec l'État » (La Croix, 6
juillet 1994, cité dans Pontzeele 2004, 202).
On ne sait pas combien de Pères Blancs partageaient ces vues. Ils représentaient probablement une
minorité. Tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du Rwanda, il y a eu une grande résistance, notamment
dans les milieux ecclésiastiques, à la reconnaissance de la réalité du génocide. Le fait que de
nombreux Pères Blancs aient refusé d'utiliser le terme jusqu'à la mi-1995 est une indication claire de
cette attitude. Il était beaucoup plus facile de parler de « violence ethnique » et de « massacres
généralisés » que d'une tentative délibérée d'exterminer un groupe de population entier. Pour
expliquer le génocide, de nombreux missionnaires, surtout ceux de l'ancienne génération, se sont
rabattus sur l'explication familière fondée sur l'ethnie. Pour eux, l'ampleur des massacres ne changeait
rien au fait que, même après trente ans de domination hutu, les Tutsi étaient les oppresseurs et les
Hutu les victimes. En envahissant le Rwanda en octobre 1990, l'armée tutsi avait semé le chaos dans
le pays. En fin de compte, ce sont eux, et personne d'autre, qui étaient responsables du génocide.
Le numéro du 1er mai 1994 du Bulletin d'Information Africaine (ANB-BIA), un bulletin d'information
compilé par les Missionnaires d'Afrique à Bruxelles, a publié comme « point de vue qui peut aider à
mieux comprendre ce qui se passe au Rwanda » un article non signé daté du 25 avril 1994 et intitulé
« Le chaudron de l'Afrique Centrale ». L'auteur s'en prend avec vitriol aux médias européens qui,
selon lui, se passionnent « pour la défense des minorités mais passe[nt] l’éponge sur l'extermination
de la majorité ». Une désinformation massive est diffusée : des prêtres tutsi ont réussi à s'assurer une
influence sur Radio Vatican, et « de jolies filles tutsies rwandaises ont infiltré des organisations
humanitaires et conquis le terrain par leurs charmes inégalables.» Étonnant, si l'on considère qu'à cette
époque des dizaines de prêtres tutsi avaient été tués dans le diocèse de Nyundo et dans d'autres
régions du Rwanda, cet article paranoïaque a apparemment bénéficié du soutien des Pères Blancs. Le
rédacteur en chef d'ANB-BIA a soutenu l'argument en se référant, entre parenthèses, à un article
antérieur qui reprochait à une Commission internationale des droits de l'homme d'attribuer 95 % des
violations des droits de l'homme commises en 1993 au Rwanda au gouvernement, et 5 % au FPR
(ANB-BIA n° 254, 1er mai 1994, 3-5).
En Suisse, André Perraudin, archevêque émérite de Kabgayi, a donné des interviews à tous les grands
journaux suisses francophones pendant la période du génocide. Le 18 avril 1994, par exemple, il a
repris dans Le Journal de Genève une opinion que le Père Blanc belge Walter Alvoet avait exprimée
deux jours auparavant dans le journal flamand De Morgen. « Je condamne [les auteurs des tueries] »,
disait Perraudin, « mais j'essaie de comprendre. Ils agissent par colère et par peur. Par colère contre le
meurtre de leur président Juvénal Habyarimana le 6 avril dernier. Et par peur de retomber dans
l’esclavage. Car, si la presse dit aujourd'hui que ce sont les Hutus qui massacrent les Tutsi, pillent et
créent le désordre, il faut se souvenir que, depuis des siècles, les Tutsis estimait avoir le droit naturel
de commander et de dominer. C'était l'institution du servage, une institution d'orgueil et de
domination d'une race sur l’autre » (Roger de Diesbach, « L'ancien archevêque suisse du Rwanda crie
son angoisse », Journal de Genève, 18 avril 1994, cité dans Chrétien 2012, 165).
Le témoignage de Jean-Damascène Bizimana, séminariste tutsi des Missionnaires d'Afrique, en
vacances en Suisse pendant le génocide, donne un aperçu – limité bien sûr -- du discours que tenaient
ses confrères à cette époque dans les communautés européennes. Bizimana a perdu de nombreux
membres de sa famille pendant le génocide. Dans un texte intitulé « Grande est ma souffrance, infinie
mon espérance » que le Petit Écho a publié en février 1995, il s'indigne d'entendre des personnes
consacrées justifier la guerre et les massacres (Petit Écho, n° 858, 1995/2). L'un d'entre eux,
rapportait-t-il dans un livre quelques années plus tard, un frère suisse du nom de Léon Seuret qui avait
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travaillé au Rwanda de 1950 à 1981, lui dit un jour : « Jean Damascène, je condamne cette barbarie.
C'est diabolique. Mais je comprends la colère des Hutu. Vous vous croyez toujours supérieurs à eux.
Il fallait s’attendre un jour à l’éclatement d’une révolte » (Bizimana 2001, 38). Bizimana a vécu la
même expérience à Toulouse où il s'est rendu la même année pour poursuivre ses études. Il ne
supportait plus « d'entendre à longueur de journée des prêtres nier le génocide, le minimiser ou, plus
déchirant encore, le justifier » (Bizimana 2001, 74).
8. Emergence de la théorie du « double génocide »
En mai 1994, après que les premiers actes de vengeance des soldats du FPR aient été connus et que
les allégations d'atrocités commises par le FPR, que Human Rights Watch ne jugeait pas crédibles à
l'époque (Human Rights Watch, 6/4, mai 1994), aient commencé à filtrer des camps de réfugiés hutu
en Tanzanie, l'expression « double génocide » est entrée dans le vocabulaire politique. Le 16 mai
1994, par exemple, le journal français Le Figaro titrait : « Le Rwanda : double génocide » (Chrétien
2012, 95).
Aux côtés de chefs militaires français comme le générai Christian Quesnot, certains Missionnaires
d'Afrique accréditèrent l'idée que, bien que moins visibles, les crimes du FPR égalaient en nombre et
en cruauté ceux des milices hutu. Comme nous le verrons, le premier Missionnaire d'Afrique à avoir
utilisé l'expression « double génocide » est Philippe de Dorlodot en juillet 1994, mais certains de ses
confrères avaient commencé à diffuser la même idée avant cette date, à une époque où le génocide
contre les Tutsi battait encore son plein.
En mai 1994, Jan de Bekker, un Père Blanc néerlandais qui avait travaillé dans le diocèse de Byumba
jusqu'au génocide et était rentré aux Pays-Bas peu après, a effectué un voyage de six jours dans les
préfectures de Byumba et de Kibungo, alors sous le contrôle du FPR, à la demande de la Caritas
néerlandaise. Dans un article publié dans le numéro d'août 1994 du Petit Echo, il affirma avoir vu un
pays vide. Il reconnaissait que le FPR avait rassemblé la population dans des camps en raison de la
présence de milices hutu dans la région et il savait certainement que plus de 300.000 personnes
avaient fui vers la Tanzanie à la fin du mois d'avril. Cependant, pour lui, ce n'était pas une explication
satisfaisante. « En réalité, écrivait-il, le FPR est en train d’éliminer tous ses ennemis, d'une manière
plus discrète que les milices des extrémistes hutu ; ils enquêtent sur le passé politique des gens qui
sont là et tous ceux (en particulier les élites) qui ont été en faveur du M.R.N.D. sont éliminés sans
pitié » (Petit Echo n° 854, 1994/8, 371).
De Bekker faisait référence au meurtre de trois prêtres hutu à Byumba, une information qui
correspond aux rapports des crimes commis par le FPR dans cette région en avril 1994 (Des Forges
1999 ; Guichaoua 2010). On peut toutefois se demander comment il a pu évaluer la gravité et
l'ampleur des crimes du FPR dans l'ensemble du pays après un voyage de six jours seulement. Nous
ne savons pas combien de Missionnaires d'Afrique ont lu son article. Il est possible qu'il ait contribué
à leur attitude négative envers le FPR après le génocide.
9. « Rejoindre les Rwandais là où ils se trouvent »
La question du retour au Rwanda des Missionnaires d'Afrique qui avaient quitté le pays en avril 1994
s'est posée dès que le FPR a pris possession du pays à la mi-juillet, forçant l'ancien gouvernement
rwandais à se réfugier au Zaïre et mettant fin, malgré des poches de résistance des lnterahamwe, aux
massacres de Tutsi. Début août, un deuxième Père Blanc néerlandais, Kees Maas, a visité les diocèses
de Byumba et de Kibungo et les camps de réfugiés en Tanzanie à la demande de la Caritas
néerlandaise. Quelques jours plus tard, Antonio Martinez, un confrère espagnol, s'est rendu à Butare,
Kabgayi, Kigali et Nyagahanga. Le 24 août, Pedro Sala, membre du Conseil général à Rome, et Jan
Lenssen, le nouveau supérieur régional du Rwanda, sont partis en mission au Rwanda à la demande
du Conseil général (Vleugels 2005).
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Le 12 septembre, Sala rapporta au Conseil général que l'Église accueillerait favorablement un retour
des Missionnaires d'Afrique, et que le nouveau gouvernement avait « exprimé le besoin de
missionnaires pour reconstruire le pays ». Cependant, « de notre côté », notait le secrétaire, « il ne
sera pas possible de reprendre tous les engagements que nous avions auparavant ». Le même jour,
rapportait Sala, le Conseil régional du Rwanda se réunissait à Bruxelles. Ils décidèrent de renforcer
leur présence à Nyagahanga, dans le diocèse de Byumba, où trois Pères Blancs avaient séjourné
pendant le génocide, à Kigali, et dans des endroits comme Ruhengeri et Gikongoro qui étaient
dépourvus de prêtres. L'un des critères pour renvoyer des missionnaires au Rwanda, a décidé le
Conseil général, est d’« intervenir là où il y a de l’espoir de réconciliation ».
Il y aurait toujours le risque, ajoutent-ils, « d'être accusés des deux côtés, c'est-à-dire d'être pro-FPR
au Rwanda et pro-Hutu dans les camps de réfugiés à Goma et Bukavu ». Sur un ton très différent de
celui de nombreux Pères Blancs, notamment en Belgique, le Conseil général eut une discussion sur la
dimension idéologique du conflit rwandais. « La question Tutsi-Hutu est à clarifier », soulignait-t-il,
« Pour certains, c'est un faux problème ; pour d'autres, il y a un problème, semble-t-il. Il y a aussi un
problème ethnique parmi les membres du clergé [diocésain] et à l’intérieur des congrégations
religieuses. Dans les circonstances actuelles, nous devons réaliser que nous ne pouvons pas retourner
pour faire exactement ce que nous faisions avant » (AMA, Conseil général, 12 septembre 1994).
Le 30 septembre, Jan Lenssen, le supérieur régional, se rendit à Rome pour une réunion avec le
Conseil général. Il exprima l'opinion que les Missionnaires d'Afrique devaient « s'engager auprès du
peuple rwandais et de l'Église du Rwanda là où ils se trouvent, dans les camps de réfugiés et à
l'intérieur du pays ». Il signala que trois Pères Blancs, Léopold Greindl, Jef Vleugels, l'ancien
supérieur régional, et Guy Theunis avaient été déclarés indésirables par le gouvernement rwandais et
devaient être affectés à d'autres tâches.
Un passage du procès-verbal de cette réunion montre que le Conseil général a peut-être hésité à mettre
sur le même plan le génocide et les actes de violence attribués au FPR, comme certains Pères Blancs
étaient enclins à le faire. Lors d'une conférence internationale sur les droits des réfugiés et la
réconciliation au Rwanda, les 16 et 17 septembre à La Haye, Theunis avait mis sur un pied d'égalité
les deux « camps » – le gouvernement intérimaire et le FPR – impliqués dans le « génocide et les
massacres ». « Si le Rwanda veut sortir de la logique de guerre dans laquelle il se trouve depuis
1990 », avait-il déclaré, il devrait y avoir « un dialogue direct entre les deux belligérants et un procès
des responsables du génocide et des massacres des deux côtés » (Rutazibwa 2008, 16). Lenssen
demanda au Conseil général l'autorisation de reproduire le texte du père Theunis dans le Petit Echo. Il
est intéressant de noter que le Conseil général refusa de le publier, et cela « en raison de l'utilisation
de certaines phrases et parce qu'il présente des points de vue sur la politique de la Société par le père
Theunis qui n'est même pas un supérieur régional ». Au lieu de cela, ils modifièrent le texte, avec
l'accord de Lenssen, et le publièrent sous la forme d'une « Lettre du Conseil Général dans le numéro
de septembre 1994 du Petit Echo. Dans le document révisé, le paragraphe consacré à la situation
politique au Rwanda se lisait comme suit : « Maintenant, les armes se sont tues, mais il faut dire
qu'une certaine ‘logique de guerre’ demeure : des milliers de réfugiés sont encore à l'extérieur du pays
et tout est encore à faire pour que commence un véritable dialogue entre les forces en présence »
(Petit Echo n° 855, 1994/9, 418-419).
Pendant ce temps, les volontaires rentrent au Rwanda. En septembre, il ne restait plus que seize Pères
Blancs dans la région des Grands Lacs : trois à Kigali, trois à Nyagahanga, et le reste dans les camps
de réfugiés de Tanzanie, du Burundi et du Zaïre (Petit Echo 1994/9, 418). Le premier à revenir au
Rwanda de façon permanente, le 3 septembre, fut Henri Blanchard qui avait quitté Kigali en juin
(Blanchard 1994). Otto Mayer et Marc François arrivèrent le 1er octobre. D'autres étaient trop âgés ou
trop traumatisés pour envisager un retour au Rwanda, ou estimaient qu'ils ne pouvaient pas travailler
dans un pays dirigé par le FPR. Le 31 décembre, Lenssen rouvrit la maison provinciale de Kigali. En
février 1995, il annonça fièrement, dans un article du Petit Echo intitulé « La région revit », que dix-
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neuf confrères travaillaient désormais au Rwanda et onze dans les camps de réfugiés (Petit Echo
1995/4, 173).
10. Débat idéologique
La question de savoir s'il fallait donner une chance au nouveau régime et l'aider dans son entreprise de
reconstruction, ou au contraire s'y opposer vigoureusement en raison de ses exactions contre la
population hutu n'a jamais cessé d'être débattue au sein de la congrégation. Malgré quelques
réticences, ceux qui avaient choisi de rentrer au Rwanda ont généralement opté pour la première
option, avec le soutien du Conseil général de Rome. Ceux qui restèrent en Europe, et surtout en
Belgique, et ceux qui travaillaient dans les camps de réfugiés jusqu'à leur fermeture progressive en
1995 et 1996, eurent tendance à adopter une ligne dure contre le gouvernement du FPR. Le débat était
interne et externe. Lorsque les journalistes, tant dans les médias catholiques que dans les médias
laïques, souhaitaient obtenir des informations sur le Rwanda, ils se tournaient souvent vers les Pères
Blancs, la congrégation missionnaire la plus connue au Rwanda.
Tout en déplorant les actes de vengeance commis par les soldats du FPR, par les réfugiés tutsi revenus
au pays et par certains survivants du génocide, les Pères Blancs qui étaient retournés au Rwanda
reconnurent sans ambages la réalité du génocide et exprimèrent leur sympathie pour les survivants,
Clément Forestier, qui revint en février 1995, trouva que les témoignages des survivants étaient
« épouvantables et dépassaient l'imagination ». Il estima également que la plupart des nouveaux
arrivants étaient venus avec un esprit de vengeance et que « leur arrogance est pénible à vivre ». « Je
suis revenu ici au service d’une Église traumatisée qui se cherche. N’étant plus une puissance comme
autrefois, elle réapprend l’humilité dans le service » (Petit Echo n° 864, 1995/8, 395-396). Dans le
même sens, Henri Blanchard écrivait en 1997 que « beaucoup d'énergie et beaucoup de courage
[seraient nécessaires] pour reconstruire quelque chose » et que « toutes les forces morales du pays
doivent aider les gens à se reconnaître, à s'accepter, à s'accueillir ». « Ne discréditons pas trop vite les
Églises, ajoutait-il, même si elles doivent faire une révision de vie » (Petit Echo n° 881, 1997/5, 233).
Le ton était différent dans les écrits des Missionnaires d'Afrique qui travaillaient dans les camps de
réfugiés ou qui étaient restés en Europe. Yves Vermeire, un Père Blanc belge qui fit un travail de
réconciliation dans les camps de réfugiés de Benaco en Tanzanie, est l'un des rares à avoir reconnu,
certes de manière voilée, que certains des réfugiés avaient participé au génocide. Leur cœur, écrivait-il
dans un rapport du 20 décembre 1994, peut être torturé par des sentiments « de honte au souvenir des
scènes horribles dont ils ont été témoins ou même acteurs malgré eux » (Petit Echo n° 869, 1995/4,
175).
En revanche, la plupart des témoignages des missionnaires et des coopérants présents dans les camps
de Bukavu ou de Goma pendant cette période minimisaient ou même niaient la possibilité que des
réfugiés aient pu être impliqués dans le génocide. Typique de ce point de vue était le texte que le Père
Blanc belge Philippe de Dorlodot écrivit au retour d'une visite des camps de réfugiés autour de Goma,
alors en proie au choléra, le 26 juillet 1994. Basé à Bukavu à l'époque, il fut l'un des premiers à parler
explicitement de « deux génocides », celui perpétré par «certaines autorités, des militaires et les
‘lnterahamwe’ à l’encontre des Tutsi », et le génocide « dont on ne parle pas », commis par le FPR
contre les Hutu dans les zones occupées. « On sait, commentait-t-il, qu'il y a eu des massacres massifs
et les témoignages précis qui manquaient commencent à arriver ». Dans une autre partie du document,
il qualifiait de « génocide » l'afflux d'un million de réfugiés à Goma, paniqués par le FPR qui
« voulait vider le nord-ouest [du Rwanda] pour ne pas avoir à gérer une population hostile ». Il
qualifiait seulement de « crimes » les appels lancés par le gouvernement intérimaire et la radio
extrémiste hutu RTLM pour fuir le FPR et s'enfuir au Zaïre. La seule solution, concluait-il, était de
revenir à la situation d'avant 1990 où les droits respectifs des Hutu et des Tutsi, qui représentaient 85
% et 15 % de la population, étaient protégés (de Dorlodot 1996, 88-89).
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11. Serge Desouter, l’ennemi juré du FPR
En Europe, l'ennemi le plus résolu du FPR parmi les Missionnaires d'Afrique était Serge Desouter.
Solitaire, il vit depuis longtemps en marge de la congrégation et ne peut certainement pas être qualifié
de représentant des Pères Blancs.
L'animosité profonde de Desouter envers le nouveau gouvernement rwandais avait plusieurs racines.
La première était son travail de développement au Rwanda dans les années 1970 et dans divers autres
pays par la suite. Il éprouvait de l'amertume à l'égard du FPR, qui, selon lui, avait détruit, par sa
décision irréfléchie d'attaquer le Rwanda, un pays qui était sur la voie du développement. Il n'aurait
évidemment pas été d'accord avec des auteurs tels que Peter Uvin (1998) ou Jean-Paul Kimonyo
(2017), qui affirment que les agences de développement internationales qui avaient lourdement investi
au Rwanda dans les années 1980 avaient obtenu des résultats limités en termes de développement
économique, avaient favorisé le népotisme et n'avaient pas su répondre aux violences ethniques qui
affectaient le pays avant le génocide.
La deuxième raison était sa proximité avec le CVP, un parti chrétien-démocrate flamand faisant
campagne à la fois pour les droits de la nation flamande et pour ceux de l'Église catholique. Le CVP
avait des liens étroits avec le régime Habyarimana. De nombreux politiciens et faiseurs d'opinion
flamands voyaient des homologues dans le peuple hutu qui, comme eux, avait longtemps subi
l'oppression d'un groupe ethnique dominant (Brille 2008 ; Desouter 2014).
La troisième raison était plus personnelle. La première affectation de Desouter, peu après son
ordination, fut la paroisse de Muyanza dans le diocèse de Byumba de 1968 à 1974. C'est là qu'il
s'intéressa à l'aviculture et commença à étudier l'histoire du Rwanda. En 1972, il écrivit un texte
intitulé « Cailloux, pierres et roches sacrés. Réflexions à propos de l'autel de Muyanza » (Desouter,
Curriculum Vitae remis au TPIR, 3 avril 2006). En 1994, il fut bouleversé d'apprendre par des
personnes qu'il connaissait sur place que le 22 avril, l'armée du FPR aurait tué huit cents personnes
(Desouter 2014). Ce crime, qui n'a jamais fait l'objet d'une enquête, est mentionné dans divers sites
internet anti-FPR. Il a certainement renforcé la détermination de Desouter à dénoncer le plus
largement possible les exactions attribuées au FPR.
Lorsque la nouvelle du génocide arriva en Belgique, les partis politiques et les agences de
développement qui avaient soutenu les Habyarimana pendant de nombreuses années devinrent très
inquiets. C'est ainsi que Rika De Backer, ancienne ministre du CVP et présidente de l'Agence de
Coopération Technique (ACT) flamande, demanda à son ami Serge Desouter, en juin 1994, d'écrire
un article sur la situation rwandaise alors que le génocide était toujours en cours. Sous le titre
Rwanda. Achtergronden van een tragedie (Rwanda. Contexte d'une tragédie), il fut publié sous forme
de livre par l'ACT en juillet 1994, avec la traduction néerlandaise d'un article de François
Nzabahimana, ancien ministre rwandais en exil, sur les événements qui conduisirent au génocide. Une
édition révisée et augmentée de ce livre avec quelques ajouts fut publiée en néerlandais en décembre
1994 (Desouter et Nzabahimana 1994b) et, avec une structure quelque peu différente, en français en
février 1995 (Desouter et Nzabahimana 1995). Ces livres donnaient le point de vue de l'opposition
hutu en exil sur les récents développements au Rwanda. Les auteurs affirmaient que la responsabilité
du désastre qui frappa le Rwanda incombait entièrement au FPR. Il était vrai qu'un génocide avait eu
lieu, mais les crimes du FPR étaient encore pires. La seule solution consistait à appliquer une version
révisée des accords d'Arusha et à empêcher le FPR de diriger seul le Rwanda.
Desouter fit partie d'une délégation de politiciens européens, dont Rika De Backer et l'ancien
conseiller de l'Internationale chrétienne démocrate Alain de Brouwer, qui tenta de mettre en place une
solution politique pour le Rwanda dans ce sens lors d'une réunion tenue du 23 au 25 octobre 1994 à
Bukavu. Des représentants des réfugiés du Kenya, de Tanzanie, du Burundi et du Zaïre, ainsi que des
membres des quatre principaux partis politiques présents au Rwanda avant le génocide y participèrent
(Desouter et Nzabahimana 1995). Cela conduisit à la création en avril 1995 du Rassemblement pour
le Retour de la Démocratie au Rwanda (RDR), dirigé par François Nzabahimana (Saur 1998 ;
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Chrétien et Kabanda 2016), un parti d'opposition hutu qui s'est éteint lors du démantèlement des
camps de réfugiés fin 1996.
La réunion de Bukavu adopta une « Charte de retour rapide et pacifique des réfugiés rwandais » qui
proposait la création d'un tribunal international pour tous les crimes commis depuis octobre 1994 et la
relance du processus de pluralisme démocratique conformément aux accords d'Arusha (Dcsouter et
Nzabahimana 1995). Dans ses mémoires, Desouter rappela avoir « travaillé dur » pour rédiger ce
document (Desouter 2014, 360).
Dans la préface du livre qui contient la Charte, Rika De Backer mentionne que les organisateurs de la
réunion de Bukavu n'ont invité personne qui pouvait « d’aucune manière être associé aux massacres
d'avril et mai 1994 » (Desouter et Nzabahimana 1995, 8). Si tel était le cas, pourquoi François
Nzabahimana, recommandait-il dans le même volume (Desouter et Nzabahimana 1995) que Théodore
Sindikubwabo, l'homme qui, en sa qualité de président intérimaire du Rwanda, avait incité la
population de Butare à se joindre aux campagnes de massacres contre les Tutsi le 19 avril 1994 (Des
Forges 1999), reste dans la même position dans un règlement post-génocide en vertu de la
Constitution de 1991 ? Cette contradiction montre que les organisateurs de la réunion de Bukavu
avaient une vision très restrictive du génocide. Il n'est pas étonnant que le FPR ait ignoré leur
proposition.
Rentré chez lui, Desouter continua dans la même ligne. En juin 1995, il publia en association avec
Filip Reyntjens, un politologue de l'Université d'Anvers qui partageait son aversion pour le FPR, un
rapport intitulé « Rwanda : Les violations des droits de l'homme par le FPR/APR. Plaidoyer pour une
enquête approfondie ». Tous deux avaient séjourné au Rwanda après le génocide, Reyntjens pendant
une semaine à la mi-octobre 1994 (Reyntjens 1994) et Desouter en transit sur le chemin de
Bujumbura à Bukavu à la même période. Ils eurent peu de temps pour recueillir des informations sur
les exactions attribuées au FPR. Pour leur compilation de juin 1995, ils s’appuyèrent essentiellement
sur des rapports de Human Rights Watch et d'une organisation espagnole de défense des droits de
l'homme, ainsi que sur des témoignages de Rwandais en exil.
En mars 2006, Desouter fut l'un des témoins à décharge lors du procès d'Aloys Ntabakuze, un
commandant militaire accusé de crimes de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de
guerre par le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. Ntabakuze fut déclaré coupable et
condamné à la prison à vie. Desouter ne mentionnait pas le nom de l'accusé dans son « rapport
d'expertise » de 90 pages. Au contraire, il témoignait contre le FPR, qui selon lui cherchait le pouvoir
à tout prix, et s'efforçait de démontrer que le génocide n'avait pas été planifié. Une version augmentée
du rapport, complétée d'annexes, fut publiée l'année suivante sous le titre Rwanda. Le procès du FPR.
Mise au point historique.
12. L'activisme médiatique de Guy Theunis
Après le génocide, le Père Blanc le plus présent dans les médias francophones sur les questions
concernant le Rwanda était Guy Theunis. Beaucoup ont cru, à tort, qu'il était le porte-parole de sa
congrégation. Son ton analytique et son sens de la nuance étaient rassurants. Cela ne signifie pas pour
autant qu'il était neutre, loin de là.
Présenter Theunis comme pro-Hutu serait incorrect (Braeckman 2005). Il avait autant d'amis tutsi que
hutu. Lors de sa première affectation pastorale à Cyanika près de Gikongoro au début des années
1970, il avait entendu de son confrère Stanislas de Jamblinne l'histoire des crimes commis contre les
Tutsi dans la région en 1963 et 1964 et avait été témoin de visu des violences entre Hutu et Tutsi. S'il
est devenu controversé dans certains milieux après le génocide et applaudi dans d'autres, c'est en
raison de son positionnement politique. Il était résolument et sans concession un critique du FPR. Il
serait difficile de trouver quelque chose de positif sur le nouveau gouvernement rwandais dans ses
écrits. Sans aller aussi loin que Desouter ou de Dorlodot dans la dénonciation d'un double génocide, il
13
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a toujours tenu à mettre en balance le génocide, dont il convenait qu'il était tragique, et les crimes tout
aussi exécrables que ses nombreux contacts dans la communauté hutu en exil attribuaient au FPR.
Membre actif de l'ADL au début des années 1990, comme nous l'avons déjà mentionné, il s'est
souvent présenté après le génocide comme un militant des droits de l'homme, un titre qu'il savait
susceptible de lui donner de la crédibilité.
Theunis n'a jamais reçu de formation formelle en tant que journaliste. Il a appris sur le tas en tant que
rédacteur en chef de la revue d'information et de réflexion chrétienne Dialogue à Kigali de 1989 à
1992, en tant que compilateur d'une revue de presse rwandaise par la suite, et en tant que présentateur
hebdomadaire sur la radio catholique rwandaise. Il était doué pour compiler des rapports et envoyer
des bulletins d'information. L'une des premières tâches qu'il a accomplies à son retour en Belgique en
avril 1994 a été de préparer pour la publication le numéro de la revue Dialogue qui aurait dû sortir à
Kigali le même mois. Il est resté le rédacteur en chef de Dialogue jusqu'en 1995. François
Nzabahimana était membre du comité de rédaction à Bruxelles jusqu'à ce qu'il prenne la direction du
RDR. Le numéro d'août-septembre 1994 de Dialogue comprend une remarquable collection de
témoignages de première main sur le génocide. Le Dialogue belge – par opposition au Dialogue
« rwandais » publié à Kigali depuis 2004 (Mugesera 2017) – est paru jusqu'en 2009. Theunis est
progressivement devenu le porte-parole de la communauté hutu en exil, avec de nombreux articles
critiques envers le gouvernement du FPR.
La radio Amahoro, que Theunis administra à son retour en Belgique, joua un rôle similaire. Elle
diffusait des programmes en kinyarwanda pour les Rwandais du monde entier, y compris dans les
camps de réfugiés en Tanzanie et au Zaïre. Selon sa charte originale, sa mission était de « fournir au
Rwanda et aux pays voisins des informations crédibles permettant aux Rwandais d'obtenir des
éléments d'information que les radios rwandaises actuelles ne mentionnent jamais » (cité dans
Mugesera 2013).
En 1996, la congrégation de Theunis l'affecta à d'autres ministères. Cependant, les journalistes et les
organisateurs de conférences continuèrent à faire appel à lui. En juin 1997, il fut interrogé par le Sénat
belge et en avril 1998 par l'Assemblée nationale française sur des questions liées au génocide au
Rwanda.
Theunis ne peut être accusé d’avoir nié le génocide. Ainsi, dans une conférence qu'il donna le 24
septembre 1995 à Bruxelles, il évoqua le « massacre programmé des Tutsi ». Il observa également que
certaines personnes n'avaient « pas encore accepté la réalité de ce qui s'est passé, soit parce qu'elles
nient la réalité du génocide, soit parce que, personnellement, elles ont été profondément
traumatisées » (Theunis 1995c, 1). Dans un article écrit à l'invitation du sociologue français André
Guichaoua en juillet 1994, Theunis n'hésita pas à parler du « mariage » entre l' glise et l'État au
Rwanda, et de la crainte de l'Église de se prononcer sur les questions de justice, de paix et de
développement en raison de ses liens avec l'État (Theunis 1995a). Enfin, contrairement à nombre de
ses confrères flamands, il n'a jamais eu l'idée que le problème principal du Rwanda était
« l'oppression » des Hutu par les Tutsi.
Pourtant, dans ses déclarations publiques, Theunis a si souvent jeté le doute sur l'intégrité des
dirigeants du FPR en matière de droits de l'homme, mettant toujours en balance le génocide et les
crimes présumés du FPR, que sa reconnaissance de la réalité du génocide, pourtant attestée, est
devenue inaudible. Malgré le fait que lui et ses amis aient apporté leur soutien aux survivants du
génocide au Rwanda et en Europe, il est apparu comme le porte-parole de la communauté hutu en
exil. C'est un fait qu'il a souvent exprimé en public sa sympathie pour leur détresse. Cette déclaration
à un journaliste le 30 août 1994 est typique : « Depuis 1990, il n'y a peut-être pas eu de génocide
[contre les Hutu], mais il y a eu des massacres qui se poursuivent aujourd'hui. Chaque jour, nous
recevons des messages disant que des tueries ont eu lieu dans telle ou telle région... Nous devrions
peut-être parler, comme au Burundi, d'un génocide sélectif » (Theunis 1995b). Ailleurs, il dénonçait
dans un langage qui rappelait involontairement la théorie hamitique « cette injustice criante actuelle :
un pays conquis qui se peuple d'étrangers alors que les habitants premiers croupissent dans la misère,
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soit comme réfugiés à l’étranger, soit comme déplacés à l'intérieur de leur propre pays » (Theunis
1994, 9).
L'ambivalence de Theunis apparut lors d'un débat organisé par le magazine missionnaire
néerlandophone Wereldwijd en juin 1997. « Les Hutu sont généralement pacifiques », déclara-t-il à
cette occasion. « Ils voulaient une évolution non-violente. La violence vient toujours du même côté.
D'un seul côté ! » Au journaliste qui lui demandait de qui il s'agissait, il répondit, en faisant référence
à l'agression d'un sous-chef tutsi contre Dominique Mbonyumutwa en novembre 1959 et à l'invasion
du FPR en octobre 1990 : « Du côté tutsi. Ce sont toujours les Tutsi qui provoquent, qui d'une façon
ou d'une autre gâchent les choses. » La co-débatante du Père Blanc, Colette Braeckman, intervint
alors à propos du génocide. Theunis voulait-il dire que les Tutsi étaient toujours à l'origine de la
violence ? Se rendant compte qu'il était sur un terrain glissant, le missionnaire changea de discours :
« C'est une caricature... Je proteste simplement contre le fait d'opposer deux catégories de gens. Des
deux côtés, il y a toujours eu des pacifistes au Rwanda. Ils forment la majorité » (Goris et Van Laere
1997, 15).
13. Coexistence difficile
Avant de conclure, revenons sur le débat entre le gouvernement rwandais et les Missionnaires
d'Afrique dans le Rwanda post-génocide. Comme nous l'avons déjà mentionné, les Pères Blancs, qui
étaient une quarantaine à la fin des années 1990, soit environ la moitié de leur effectif d'avril 1994,
ont délibérément fait profil bas pendant cette période. Le nouveau gouvernement n'a pas lancé une
persécution contre l'Église catholique, comme le prétendait la propagande anti-FPR à l'intérieur et à
l'extérieur du pays. Il est plus correct de dire que le gouvernement fut irrité et déçu par le manque de
coopération de certains secteurs de l'Église catholique et par la tendance récurrente à mettre sur le
même plan le génocide et les crimes attribués au FPR. Les relations entre l'Église et l'État ont été
tendues à certains moments, mais elles n'ont jamais été rompues. Il faut se rappeler que de nombreux
hauts fonctionnaires du gouvernement sont catholiques.
Seul un Père Blanc, un Flamand du nom de Stefaan Minnaert, s'est écarté publiquement de l'attitude
commune d'opposition au FPR. Après avoir travaillé comme enseignant à Kigali après le génocide, il
a été archiviste général à Rome avant de quitter la congrégation et de rejoindre le diocèse de Gand en
Belgique. Ces dernières années, il a régulièrement collaboré à l'édition post-génocide de la revue
Dialogue basée à Kigali, qui soutient les actions du gouvernement rwandais actuel.
Dans « Missionnaires de l'évangile ou apôtres de la haine », l'article de juin 1998 cité au début de cet
article, Rutazibwa critiquait principalement l'attitude des Églises rwandaises avant le génocide et les
attaques contre le nouveau gouvernement depuis l'Europe après le génocide. Il n'avait pas grand-chose
à dire sur les Pères Blancs présents au Rwanda pendant cette période. Tout au plus reprochait-il à
deux d'entre eux, Jan Lenssen, le supérieur régional, et Antonio Martinez, l'administrateur apostolique
du diocèse de Ruhengeri, de faire partie d'un « cercle idéologique » anti-gouvernemental (Rutazibwa
2017, 144).
La réponse des supérieurs religieux à l'article de Rutazibwa fut remarquablement modérée. Lors d'une
réunion extraordinaire du Comité de l'ASUMA à laquelle avait été invité Jean-Damascène
Ndayambaje, le supérieur des Frères Joséphites du Rwanda, congrégation majoritairement tutsi qui
avait perdu beaucoup de ses membres pendant le génocide, ils discutérent de toutes les questions
soulevées par Rutazibwa. Dans une déclaration publiée ultérieurement dans La Nouvelle Relève, ils
reconnurent que la publication de leur précédent document le 7 avril 1998, jour de la commémoration
du génocide, avait été inappropriée. Ils admirent également qu'avant 1994, l'Église n'avait « pas réagi
à l'idéologie officielle raciste ou ethniste » et qu'elle devait parfois « reconnaître les péchés de ses
enfants ». En même temps, ils invitaient leurs critiques à considérer les événements passés dans leur
contexte et à éviter toute globalisation (« Réunion du Comité de l'ASUMA 11.7.98 », La Nouvelle
Relève, n° 364, 30 juillet 1998, 26).
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14. La détention de Theunis
Après 1998, les relations entre l'Église catholique et le gouvernement rwandais continuèrent à
s'améliorer. À deux reprises, en 2000 et en 2004, les évêques catholiques reconnurent publiquement
que certains de leurs membres avaient pris part au génocide (Denis 2021). L’arrestation soudaine de
Guy Theunis le 6 septembre 2005 à l'aéroport de Kigali alors qu'il était en transit entre Goma et
Bruxelles, sa détention dans une prison d'État et sa comparution devant un tribunal gacaca à Kigali
(Theunis 2005) révélèrent que, dans certains milieux, les Missionnaires d'Afrique étaient encore mal
vus. Theunis a été accusé d'incitation au génocide, de révisionnisme et de négationnisme du génocide.
Après onze semaines d'emprisonnement, son cas fut transféré à un tribunal belge, qui le disculpa.
L'espace est trop court ici pour analyser les accusations portées contre Theunis, les réponses de ses
partisans à l'époque, sa propre réponse dans un livre publié en 2012 (Theunis 2012), et les réponses
des Rwandais qui restaient convaincus de sa culpabilité (Bizimana 2012 ; Mugesera 2013). Il est clair
que le dossier contre lui était faible. Les rapports de l'ADL qu'il a compilés en 1992 montraient sa
volonté de publier les crimes commis par le régime d'Habyarimana et ses alliés contre les Tutsi. En
même temps, le fait qu'il niait carrément l'existence d'une idéologie du génocide (Theunis 2012) est
troublant. Comment l'extermination planifiée et systématique de la population tutsi aurait-elle pu
avoir lieu sans une idéologie ? D'où venait la propagande meurtrière de la RTLM ?
15. Conclusion
Comment les Missionnaires d'Afrique ont-ils réagi au génocide contre les Tutsi ? La première
observation est qu'ils n'ont pas parlé d'une seule voix. Comme à la fin des années 1950 et au début des
années 1960, lorsque les premiers pogroms contre les Tutsi ont eu lieu, certains missionnaires ont fait
preuve de compassion et ont essayé de sauver des vies. La majorité des quelque quatre-vingts Pères
Blancs qui exerçaient leur ministère au Rwanda avant le génocide ont quitté le pays en avril. Parmi
ceux qui sont revenus plus tard sur une base volontaire, un certain nombre ont reconnu la douleur des
survivants, ont reconnu que l'Église avait commis des erreurs dans le passé et se sont efforcés de
relancer la mission sur de nouvelles bases. Nous avons vu que le Conseil général des Missionnaires
d'Afrique à Rome avait tendance à soutenir ce type de réponse au génocide. Dans l'ensemble, le
Conseil général a réagi à la situation rwandaise de manière non partisane.
A partir des déclarations des Missionnaires d'Afrique à la presse, de leurs publications et de diverses
conversations, on peut dire qu'un nombre significatif d'entre eux, surtout parmi ceux qui ne sont pas
retournés au Rwanda, ont adopté une attitude défensive face au génocide et ont promu, explicitement
ou non, la théorie du double génocide, et ce de deux manières différentes. Les missionnaires les plus
anciens, ceux qui sont arrivés au Rwanda dans les années 1950 et 1970, ont accrédité dans leurs
déclarations après le génocide le stéréotype des Tutsi méchants et fourbes qui oppriment la majorité
hutu. Aucune considération n'a été accordée au fait que, en 1994, beaucoup de Tutsi vivaient en zone
rurale et étaient aussi pauvres que leurs voisins hutu. Comme à l'époque coloniale, certains Pères
Blancs ont continué à adhérer à la théorie hamitique discréditée. Les missionnaires plus jeunes se sont
abstenus d'utiliser un langage ouvertement ethniciste, mais leur opposition au FPR n'en était pas
moins résolue. La meilleure façon de décrire l'attitude de la majorité des Pères Blancs à l'égard de la
question rwandaise est de dire qu'ils ont longtemps été et restent partisans. En septembre 1991, le
supérieur régional Jef Vleugels a invité ses confrères à combattre la « désinformation » dont
bénéficiait le FPR en documentant ses crimes dans le nord du Rwanda, afin d'« équilibrer »
l'information. Des campagnes similaires se sont poursuivies, notamment depuis la Belgique, après le
génocide, mais cette fois en réponse au génocide.
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Dans un article présenté en juillet 1994, Guy Theunis dénonça à juste titre l'alliance entre l'Église et
l'État dans le Rwanda colonial et post-indépendance (Theunis 1995). En adoptant systématiquement le
point de vue de l'opposition au gouvernement rwandais actuel, lui et nombre de ses confrères ont
maintenu, de manière inversée, les positions politiques du passé.
Le génocide rwandais est un point douloureux de l'histoire des Missionnaires d'Afrique. Une
génération plus tard, il suscite encore de la tristesse et, pour certains, de l'amertume. Nous pouvons
tirer quelques leçons de l'histoire complexe et à multiples facettes de leur attitude avant, pendant et
après le génocide contre les Tutsi. La première est le danger d'une trop grande proximité avec le
gouvernement du jour, nourrie par le désir de faciliter le développement de l'entreprise missionnaire.
Il est vrai qu'en ce qui concerne le Rwanda, les Missionnaires d'Afrique ne sont plus impliqués
désormais dans les affaires politiques. Cependant, leur longue association avec les gouvernements de
la Première et de la Deuxième République continue d'influencer leurs opinions, notamment en
Europe. Une deuxième leçon est que pour les missionnaires comme pour beaucoup d'autres personnes
de bonne volonté, l'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est au nom de la justice sociale que, dans sa
tristement célèbre lettre pastorale de Carême de 1959, Mgr Perraudin a involontairement renforcé les
stéréotypes ethniques, exacerbant plutôt qu'apaisant les tensions qui allaient conduire au génocide
contre les Tutsi trente-cinq ans plus tard. Bon nombre des missionnaires qui ont souscrit à la mortifère
théorie hamitique étaient de fervents adeptes de l'enseignement social de l'Église catholique.
L'association non critique des Missionnaires d'Afrique en tant que corps – à l'exception de quelques
individus indépendants – à la cause hutu, aussi légitime qu'elle ait pu paraître à l'époque, était une
erreur.
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Note : La traduction de l’article a été faite par Guy Theunis, avec reprise des textes originaux en français. Elle a
été approuvée par l’auteur.
Rome, 21 novembre 2021
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