Fiche du document numéro 29643

Num
29643
Date
Lundi 21 février 2022
Amj
Taille
41295
Titre
«#Védrine», «#Rwanda» : que peut-on dire sur les réseaux sociaux du rôle de la France pendant le génocide des Tutsis ?
Sous titre
Le procès intenté par Hubert Védrine, ex-secrétaire général de l’Elysée en poste en 1994, contre l’ancien officier français de l’opération Turquoise Guillaume Ancel a surtout réveillé les fantômes du passé. Verdict le 16 mai.
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
«Vous n’êtes pas le tribunal de l’histoire», rappelle la procureure en s’adressant aux trois magistrats qui siégeaient vendredi à la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, chargée des affaires de presse. Il est déjà tard quand s’exprime la représentante du parquet. Mais au cours des sept heures et demie d’une audience interminable, c’est bien l’histoire qui s’est sans cesse invitée à la barre. Ce jour-là, l’ancien ministre et actuel président de l’Institut François-Mitterrand, Hubert Védrine, poursuivait pour diffamation et injure publique Guillaume Ancel, un ancien officier de l’opération Turquoise déclenchée par la France en juin 1994 au Rwanda.

1994, c’est l’année du génocide contre les Tutsis du Rwanda. A l’époque, Hubert Védrine était le secrétaire général de l’Elysée, sous la présidence de François Mitterrand. Il accuse l’ex-officier d’avoir «bafoué la présomption d’innocence» et d’avoir «sali l’honneur d’un homme», souligne son avocat Alexandre Mennucci dans sa plaidoirie. En cause, 24 publications, des tweets et des articles publiés par Guillaume Ancel sur son blog, entre fin mars et fin avril 2021 qui interpellent directement l’ancien haut responsable français. En début de séance, la présidente du tribunal égrène les textes incriminés, ponctuant ses citations de «#Rwanda», «#Védrine», «#VédrineOut», ou encore «#Génocide». On le sait, les réseaux sociaux ont imposé l’ère des indignations intempestives.

Le 30 mars, après que Védrine a affirmé dans une émission de télévision «de quoi devrions-nous nous excuser ?» Ancel commente sur Twitter : «Le déni sans fin par un personnage tellement arrogant qu’il est incapable de se remettre en cause après un génocide qui a fait un million de morts et dont l’Elysée a soutenu les auteurs.» C’est l’un des tweets qui lui sont reprochés. Autre exemple, posté quatre jours plus tard : «Depuis vingt-sept ans, Hubert Védrine ose nous raconter, avec sa morgue sans limite que, de l’Elysée, ils ont parfaitement agi et que ce fut une bonne politique.»

Drame ancien mais encore clivant



A plusieurs reprises, Guillaume Ancel accuse l’ex-secrétaire général de l’Elysée d’avoir «collaboré avec les nazis du Rwanda», remet en cause «son expertise géopolitique», et ose un «parallélisme avec Papon». En référence à l’ex-secrétaire général de la préfecture de la Gironde, accusé de la déportation des Juifs de la région bordelaise sous le régime de Vichy et condamné en 1998 pour «complicité de crimes contre l’humanité». Un retweet en l’occurrence, que l’auteur avoue avoir supprimé, sans désavouer pour autant la «similitude d’impunité» qu’il voit entre les deux cas.

«Trop, c’est trop», s’indigne pour sa part Hubert Védrine en début d’audience, estimant «avoir enduré depuis de nombreuses années des accusations monstrueuses pour un génocide que la France a essayé d’empêcher». C’est «l’accumulation», souligne-t-il, qui l’a poussé à porter plainte.

Ce n’était pas une audience facile pour les magistrats, soudain confrontés à tant de références historiques, de polémiques ancrées dans l’interprétation d’un drame si ancien et pourtant toujours aussi clivant. La procureure rejettera une partie des tweets concernés, tout en estimant que d’autres pourraient avoir un caractère «diffamatoire».

Auparavant, en évoquant son propre parcours, de Saint-Cyr au Cambodge, puis au Rwanda, avant de se retrouver un an plus tard à Sarajevo, Guillaume Ancel dit être resté hanté par «ces voyages aux portes de l’enfer». Depuis plusieurs années, l’ex-officier, qui a quitté l’armée en 2005, accuse Turquoise, sous couvert d’opération «humanitaire», d’avoir tenté de «remettre au pouvoir» les forces génocidaires, alors en déroute face à la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR). La seule alors à combattre et faire reculer les chefs d’orchestre des massacres. «Depuis dix ans, en tant que citoyen et ancien officier, j’essaye de contribuer publiquement au débat sur le rôle que nous avons réellement joué au Rwanda», se défend Ancel qui estime que son combat rejoint désormais la ligne officielle de la politique française. Il cite ainsi le message écrit laissé par l’actuel ambassadeur de France au mémorial du génocide à Kigali : «Le génocide au Rwanda n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique.»

«Lanceur d’alerte»



L’avalanche de tweets incriminés correspond à la période qui a suivi la publication des conclusions de la commission présidée par Vincent Duclert, chargée d’examiner les archives sur le rôle de la France au Rwanda. Fin mars, le rapport final conclut à des «responsabilités lourdes et accablantes pour la France». Vendredi, le rapport Duclert a d’ailleurs été brandi comme une référence par toutes les parties présentes.

«Guillaume Ancel a été longtemps isolé, mais la situation a changé», fait remarquer pour sa part l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, appelé à la barre par la défense. Il souligne ainsi que le rapport Duclert «est venu corroborer les questionnements et les dénonciations de Guillaume Ancel. Notamment sur le petit groupe qui autour de Mitterrand a préempté la politique française au Rwanda». Pour l’historien, Ancel «est un lanceur d’alerte». Et la place de Védrine est «devant une cour d’assises pour complicité de crimes contre l’humanité».

Védrine évoque lui aussi le rapport Duclert, dont il conteste pourtant les conclusions sur une «responsabilité accablante» de Paris dans cette tragédie. Une «invention», tacle ce proche de Mitterrand, notant pour sa part que la commission Duclert dédouane la France de la «complicité de génocide». Mais quel était le rôle réel de Hubert Védrine à l’Elysée ?

«En réalité, je n’étais pas trop concerné par le Rwanda, je m’occupais de mille choses», balaye-t-il. Son audition en 2014 devant la commission de défense de l’Assemblée, où il avait admis que les livraisons d’armes de la France au régime génocidaire s’étaient poursuivies après le début des massacres ? «Une maladresse», affirme t-il aujourd’hui, «en fait je n’en savais rien». Et d’ailleurs, Vincent Duclert, «après avoir tout lu, tout vu, tout regardé», aurait, selon l’ancien ministre, conclu qu’il n’y avait plus de livraisons d’armes après mars 1993. «La commission Duclert dit simplement qu’elle n’en a pas trouvé de traces dans les archives qu’elle a pu examiner. Alors qu’elle n’a pas eu accès à plusieurs fonds, notamment ceux du renseignement militaire», le contredit François Graner, chercheur au CNRS et auteur de deux ouvrages sur le rôle de la France au Rwanda, également appelé à la barre par la défense. Guillaume Ancel, lui, rappelle avoir été témoin direct d’une de ces livraisons d’armes vers le 15 juillet 1994.

A ce moment-là, les forces génocidaires en déroute traversent la frontière avec le Zaïre voisin (devenu depuis la république démocratique du Congo, RDC). Ils le font en traversant la zone Turquoise, sans être jamais inquiétés. «Nous n’avions pas le mandat pour les arrêter», justifie Hubert Védrine. Sans s’attarder sur les contraintes qui, dans le droit international, exigent, mandat ou pas, d’interpeller ceux qui sont soupçonnés du pire des crimes.

Pression et erreurs



«Le soutien de la France est démenti par les accords d’Arusha», martèle l’ancien secrétaire général de l’Elysée. Ce n’est pas la première fois que Védrine évoque les accords de paix d’Arusha d’août 1993. Ils n’ont pourtant pas été conclus entre «la communauté hutue et la communauté tutsie» comme le prétend son avocat. Réduisant ainsi à une dimension ethnique le partage du pouvoir, prévu à la veille du génocide, entre le régime en place, le FPR et l’opposition hutue. Or à Arusha, en Tanzanie, Paris n’est représenté que par un diplomate de second rang qui a le simple statut d’observateur. Et la seule trace écrite d’une pression française dans les discussions concerne «une demande pour que les extrémistes hutus soient inclus dans les institutions de transition», insiste François Graner.

Face aux affirmations des témoins de la défense, qui ne cessent de convoquer l’histoire, Védrine présente, lui, des témoignages en sa faveur, qui jouent sur d’autres registres. Une ancienne productrice de Canal +, Catherine Lamour, vient à la barre faire part de son émotion : elle dénonce «un harcèlement, une chasse aux sorcières», la volonté de «s’en prendre à un seul homme, un bouc émissaire», alors que «la situation géopolitique était bien plus compliquée».

On peut s’étonner qu’aucun ténor du Parti socialiste, aucun proche de Mitterrand n’ait été convoqué. Il y a certes quatre témoignages écrits qui plaident pour Védrine. Aucun n’est un acteur de la politique de l’Elysée de l’époque. L’un de ces textes, truffé d’erreurs de dates, contredit même les déclarations de Védrine à l’audience. Lequel affirmera n’avoir jamais tranché sur les auteurs de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le 6 avril 1994, celui qui donnera le signal du déclenchement du génocide, se défendant en outre de soutenir les thèses négationnistes du double génocide. En dépit de certaines analyses exprimées dans les témoignages qu’il présente. Le verdict sera prononcé le 16 mai.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024