Cela fait jour pour jour six ans que Jean-Paul Gouteux nous a quittés.
Le 30 juin dernier, l’association Ibuka France organisait à Montégut-sur-Arros, dans le sud de la France, un dépôt de gerbe en hommage à Jean-Paul.
Dans le cimetière* de ce village du Gers, non loin de ce qui fut sa dernière demeure, nos amis d’Ibuka tenaient à clôturer les commémorations françaises 2012 du génocide des Tutsi du Rwanda par cet hommage rendu à l’indéfectible engagement de Jean-Paul aux côtés des rescapés.
Aux côtés de Jacques Morel et de Jean-Luc Galabert, certains des collaborateurs réguliers de la revue
La Nuit rwandaise auront pu assister à ce moment solennel. Parmi eux, Yves Cossic aura eu la gentillesse de lire le texte que j’aurai adressé à l’association Ibuka France, ce pour quoi je le remercie ici chaleureusement.
Je me permets donc de vous livrer ci-dessous ces quelques mots de remerciements à l’association Ibuka France pour souvenir de l’engagement auprès des rescapés et du combat pour la justice et la vérité qu’aura mené mon père.
A l’association Ibuka France,
et aux amis réunis ce jour
pour honorer la mémoire de Jean-Paul Gouteux
Ne pouvant malheureusement me joindre à vous, je vous transmets le message suivant, en vous remerciant de votre présence en cette occasion solennelle.
En 1994, nous avons perdu des parents. La presque totalité de notre famille rwandaise, à l’exception de notre regretté oncle, Basile Museminali, qu’un sort cruel nous aura enlevé quelques années plus tard, en France. Marie et Bernadette auront aussi perdu de nombreux amis. De trop nombreux amis...
Comme vous le savez, par sa femme et par ses enfants, par ses amis, Jean-Paul était lié au Rwanda.
Le 13 avril 2002, dans la paroisse de Saint-Christophe, lors des premières commémorations organisées par l’association Ibuka France, alors naissante, c’est en connaissance de cause que Jean-Paul exprimait l’urgence et l’absolue nécessité d’apporter aide, soutien et soins aux rescapé(e)s du génocide.
Cette obligation morale, Jean-Paul n’aura eu de cesse de la proclamer aux côtés de ses amis rwandais et français -- dont certains nous ont malheureusement également quittés.
Parce qu’il fallait absolument aider « ceux qui ont tout perdu » -- « leurs familles », « leurs parents », « leurs époux et épouses », « leurs enfants », « leur maison » : comme il le disait, « tout ce qui faisait leur vie ».
Il soulignait les difficultés de la société civile et du gouvernement rwandais à aider les rescapés, rappelant que les efforts de ces derniers ne pouvaient suffire : le Rwanda était alors un petit pays pauvre et abandonné de la communauté internationale. Un État qui sortait de ce qu’il aura appelé « la nuit rwandaise », cette longue maladie, fruit de la division, du racisme et de la haine.
Parce qu’il était selon lui du devoir de TOUS d’aider les survivant(e)s, celles et ceux qui ont tout perdu, celles et ceux contre lesquels aura été perpétrée l’horreur absolue, un crime contre l’humanité : le génocide.
Parce que, dès lors qu’il s’agit d’un génocide, si « c’est toute l’humanité qui est fondée à réclamer justice » au nom des victimes, c’est également « toute l’humanité » qui doit venir en aide aux rescapé(e)s.
L’engagement de Jean-Paul pour soutenir et aider les rescapé(e)s rwandai(se)s était total. Il le restera jusqu’aux derniers jours de sa vie.
Parce que, sur les collines, « la misère des paysans et paysannes rescapés du génocide n’est pas seulement matérielle », comme il l’écrivait, mais « qu’elle se double d’un désespoir moral », les rescapé(e)s ont aussi besoin de justice.
Ce besoin de justice et de vérité sera l’autre combat de Jean-Paul. Ce besoin de justice n’était pas seulement du aux rescapé(e)s, mais également aux Français, dont le gouvernement et l’armée – il aura ardemment travaillé à le démontrer – étaient coupables de s’être rendus complices de l’horreur absolue.
Cette histoire que Jean-Paul qualifiait de « difficilement audible » -- et qui l’est encore aujourd’hui -- de la participation française au génocide des Tutsi, il aura contribué à l’écrire. Comme il le disait, cette « complicité avérée » oblige son pays à un devoir de réparation envers les rescapé(e)s.

Malgré son travail et malgré l’accumulation, toujours plus importante, de documents et de témoignages nous indiquant l’ampleur des complicités françaises dans le génocide des Tutsi, le combat de Jean-Paul pour la vérité reste à terminer.
Si, au Rwanda, la justice a pu être rendue (il y a quelques jours le travail des Gacaca prenait fin), en France, le « besoin de justice » dont parlait Jean-Paul est encore pleinement d’actualité. Il aurait souhaité être à nos côtés pour le continuer.
Et si ce besoin de justice est encore d’actualité, la nécessité de soutenir les rescapé(e)s l’est également. Et le sera malheureusement toujours.
Si Jean-Paul manque atrocement à sa famille, aujourd’hui, par leur présence, ses amis nous montrent qu’ils souffrent également de cette cruelle absence. Comme toutes les victimes de la tragédie rwandaise, Jean-Paul nous a été enlevé trop tôt.
Vous êtes réunis en ce jour pour honorer la mémoire de Jean-Paul, aux côtés de -- et à l’initiative -- de l’association Ibuka France, dont il partageait l’engagement.
Vous êtes réunis en ce jour avec les amis de Jean-Paul. Ses amis rwandais, avec lesquels il aura tenté d’apporter soutien, soin et aide aux rescapé(e)s. Ses amis français, eux aussi compagnons de son combat pour la vérité et pour la justice.
En 2006, lorsque Jean-Paul nous a quittés, Francois-Xavier Ngarambe se joignait à la douleur de notre famille et nous envoyait de Kigali un message de réconfort dans lequel il nous disait «
qu’il nous revient de veiller à ce que l’esprit de Jean-Paul vive à tout jamais, en perpétuant son héritage et en ne cédant aucun pouce de terrain dans la lutte contre la haine, la discrimination, le racisme, et contre le point culminant de tous ces maux qu’est le génocide ».
«
Au nom de tous les rescapés », le Président d’Ibuka tenait à honorer «
un combattant valeureux, et un ami généreux et fidèle ».
C’est précisément ce que fait Ibuka France aujourd’hui et ce pour quoi vous êtes réunis.
Jean-Paul en était persuadé : «
La nuit rwandaise finira. La vérité d’un génocide finit toujours par émerger. » En France, ce travail pour la vérité reste donc à mener. Sans lui, dorénavant, mais en tachant de faire vivre l’esprit rigoureux qui toujours présida à son combat.
« Itsembatsemba ni icyaha kidasibangana. »
Un génocide est un crime qui ne s’oublie pas.
Nous, ses enfants, sa femme, sa famille, remercions chaleureusement l’association Ibuka France qui, six ans après qu’il nous a quitté, nous assure par cet hommage que l’engagement de Jean-Paul, que les liens d’amitié qu’il aura créés avec le Rwanda, avec ses amis Rwandais, avec les rescapé(e)s que vous représentez en France, sont toujours aussi vivaces et que Jean-Paul n’est pas oublié.
Du fond du cœur, n’ayant malheureusement pas pu me joindre à vous, et au nom de toute la famille, je vous en remercie vivement.
Bruno Gouteux — 30 juin 2012
* Jean-Paul aura voulu être incinéré.
C’est donc tout naturellement sur la sépulture de Basile Museminali, son beau-frère et ami, qu’aura été déposée la stèle d’Ibuka, à quelques centaines de mètres de la propriété de Jean-Paul, où ses cendres auront été dispersées au pied d’un grand chêne qu’il affectionnait particulièrement.
La Nuit rwandaise, le livre de Jean-Paul, était dédié à la mémoire de :
"A Basile Museminali (1970-1999), mon Beau-frère et ami,
A la mémoire de sa famille, paysans de la région de Kibuye, commune de Gishyita :
Kabano Donati, son père,
Kabayundo Rose, sa mère,
ses frères et sœurs : Nkussi Vincent, Nyirahategeka Dative, Mukantagala Anastasie, Ngarambe Philippe, tué à Bisesero, Kabahiga Vital, tué à Kigali, Mukasine Anathalie
Leurs maris et épouses, leurs 13 enfants.
A toutes les innocentes victimes, morts au Rwanda sans sépulture, tués parce qu’ils étaient Tutsi ou parce qu’ils refusaient d’obéir à l’État génocidaire.
A tous les enfants dont les cris ont déchirés la nuit rwandaise et que nous n’avons pas entendus."