Citation
LES PREMIERS VOYAGEURS ÉTRANGERS AU BURUNDI ET AU RWANDA :
LES « COMPAGNONS OBSCURS » DES « EXPLORATEURS »
Jean-Pierre Chrétien
Verdier | « Afrique & histoire »
2005/2 vol. 4 | pages 37 à 72
ISSN 1764-1977
ISBN 2-86432-455-5
DOI 10.3917/afhi.004.0037
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Les premiers voyageurs étrangers
au Burundi et au Rwanda :
les « compagnons obscurs » des « explorateurs »
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Jean-Pierre Chrétien est directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’histoire de la région
africaine des Grands Lacs.
. D. Simpson ().
. Voir N. Wachtel ().
h i s t o i r e ,
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ouvrage consacré à ces explorateurs noirs qu’ont été en fait les auxiliaires et les
intermédiaires des voyageurs européens en Afrique orientale . La période dite des
« explorations » se réduit en général au récit des aventures d’une série de héros
blancs venus « ouvrir à la civilisation » des « terres inconnues ». À cette occasion
pourtant, le monde occidental a aussi été « exploré » dans le regard des
populations qui observaient les étranges comportements de ces visiteurs non
annoncés ; il y a là aussi une « vision des vaincus ». Mais, ce que l’on oublie
encore davantage, c’est que ces personnages qui faisaient la une des magazines de
géographie européens ne voyageaient pas seuls. Mettons-nous ici dans la position
des habitants du sud de la région des Grands Lacs (Rwanda et surtout Burundi)
qui assistent entre les années et les années au passage d’une série d’expéditions étrangères où se distinguent des êtres bizarres à peau blanche et aux
pieds sans orteils (enveloppés par les souliers), mais comprenant des centaines
d’hommes venus tantôt de loin, tantôt de régions voisines déjà connues. Qu’ils
aient été recrutés sur la côte de l’océan Indien, aux différentes étapes des
expéditions ou au Burundi même, ces gens étaient non seulement les jambes et
&
Les « compagnons obscurs » des explorateurs : nous reprenons ici le titre d’un
A f r i q u e
Les « explorateurs » européens de l’Afrique ne furent pas les glorieux pionniers que l’on
peut croire. À l’exemple de la région des Grands Lacs, ils furent partout accompagnés
de porteurs, de guides et d’interprètes, rarement crédités pour leur aide et leurs
informations dans les récits de découverte. L’attention portée aux mentions éparses
concernant cet aspect, révèle pourtant un univers cosmopolite d’informateurs et
d’accompagnateurs africains professionnels qui s’emploient auprès des diverses
expéditions. L’étude révèle aussi l’extension des réseaux de marchands et
d’intermédiaires asiatiques et africains qui pavent la voie de la pénétration européenne.
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Illustration : Sharp traversant une rivière « à gué » au sud du lac Kivu.
E.S. Grogan et A.H. Sharp ( : ).
Le personnel des caravanes :
WAPAGAZI
(les « porteurs »)
L
es effectifs des expéditions, indiqués sur le tableau qui suit, donnent une
première idée de l’importance des auxiliaires africains .
. L’image laissée par les récits d’exploration est le plus souvent celle de bêtes de somme plus ou moins
dégourdies : voir l’illustration .
. Il s’agit d’expéditions qui ont pénétré ou approché de près le Rwanda et le Burundi. Les indications
chiffrées sur lesquelles nous nous appuyons peuvent se retrouver dans les publications des voyageurs,
soit dans leurs préfaces, soit dans les annexes techniques, soit encore au fil de leur récit. On en
trouvera la liste dans la bibliographie. Nous ne revenons pas ici sur la personnalité de ces Européens,
ni sur l’itinéraire de leurs expéditions.
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les épaules des Blancs dont ils transportaient les charges, mais aussi, très souvent,
leur regard, sur des chemins qu’eux-mêmes connaissaient déjà, et leur voix, face à
des groupes dont ils comprenaient la langue. Dès lors, les Blancs ne marchaient
plus tout à fait comme des aveugles (babitabóna, disaient les Barundi), car ils
étaient guidés par des voyageurs africains ou asiatiques initiés avant eux à la
géographie de la région. Les interrogations et aussi les quiproquos entretenus
durant les premières décennies du contact avec l’espace « interlacustre » se sont
enracinés dans les informations recueillies auprès de tels intermédiaires, qui sont
les précurseurs des collaborateurs de la colonisation . On peut distinguer parmi
eux trois catégories, d’influence inégale : les porteurs des caravanes, les réseaux
régionaux de colporteurs et le petit groupe des fidèles interprètes des Européens.
Un bilan de leur influence idéologique pourra ensuite être proposé.
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Effectifs des caravanes « d’exploration » en région des Grands lacs
Burton
Speke
Stanley
Stanley
re Caravane des Pères Blancs
Baumann
Von Götzen
Scott Elliot
R.P. Van der Burgt
R.P. Van der Burgt
Kandt
Kandt
R.P. Van der Burgt
Moore
R.P. Van der Burgt
Mgr Hirth
Decle
R.P. Van der Burgt
Année du
recrutement
Nombre
Observations
à partir de Tabora
à partir de Tabora
au Burundi
avec femmes,
à Ushirombo
À partir du lac Edouard
À partir d’Uzumbura
À partir d’Uzumbura
Au départ de Mugera
Et un renfort de Bashubi
À Uzumbura, à Muyaga
À Uzumbura
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Les plus grands nombres de porteurs (wapagazi en kiswahili), de à
environ, s’observent dans les grandes caravanes organisées sur le littoral de l’océan
Indien. À l’arrivée dans la région des lacs (Victoria et Tanganyika), au moment où
de nouvelles équipes doivent être recrutées et où les paquets ont diminué, les
effectifs se réduisent. Les porteurs de l’Autrichien Oscar Baumann ne sont plus
que à son arrivée au Burundi, mais ils ont été renforcés d’un certain nombre
de chasseurs d’éléphants banyamwezi et il faut ajouter les nombreuses femmes de
porteurs qui les accompagnent. La suite du comte Von Götzen qui se monte, en
comprenant les femmes, à personnes sur la côte, n’est plus que de unités
au départ d’Ushirombo (en Unyamwezi). Lors de ses deux entrées au Burundi, en
et en , le Père Van der Burgt n’est accompagné que d’une centaine de
personnes, comme le naturaliste J.H.E.S. Moore en . Quant aux recrutements effectués au Burundi même, notamment au nord du lac Tanganyika, ils
sont en général encore plus modestes : quelques dizaines en général. Le journaliste
Lionel Decle fait scandale à Muyaga en exigeant porteurs. Les Barundi étaient
très réticents à se laisser enrôler par des étrangers dont ils ne connaissaient rien et
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Explorateur
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pour des itinéraires lointains qui les inquiétaient. En outre, comme l’observe le
Père Van der Burgt en , ils n’avaient pas l’habitude de porter des fardeaux sur
les épaules comme les Banyamwezi, mais seulement sur la tête, ce qui les faisait
rechigner aux colis trop gros .
Devant l’absence de candidats spontanés, les recrutements devaient parfois
s’effectuer sous la contrainte, avec la complicité de chefs amenés bon gré mal gré
à répondre aux exigences des Européens. En mai , on voit ainsi le Père Van
der Burgt exploiter la bonne volonté de deux petits batware (chefs) voisins de sa
mission de Mugera. En juin suivant, à Muyaga, Lionel Decle joue de la double
autorité de ses fusils et de la mission où il campe pour forcer dix chefs des
environs à lui fournir corvéables destinés à renforcer la cinquantaine de
porteurs qu’il a amenés avec lui. Le docteur Richard Kandt, bloqué à Uzumbura
de septembre à décembre par ce problème de portage, nous en donne, selon
son habitude, une description particulièrement colorée : la caravane qui l’avait
accompagné jusqu’au lac Tanganyika depuis Tabora s’étant disloquée et presque
tous ses porteurs ayant regagné Ujiji par bateau, il s’emploie à les remplacer par
des recrues locales. Ses efforts restant vains malgré l’appui de la station militaire
allemande, il doit finalement faire venir hommes de Tabora et se contenter de
porteurs et de quelques domestiques recrutés sur place .
Ce genre de difficultés revient comme une antienne dans les récits d’explorations. Richard Burton par exemple nous fait part de son impatience quand à
Tabora, en novembre-décembre , ses porteurs le quittent ou bien cherchent à
régler leurs affaires avant de repartir : revendications, criailleries, disputes et négociations n’en finissent plus, qu’il s’agisse des salaires, des rations quotidiennes de
nourriture (le posho), de l’heure des départs ou des sites de campement . Dans une
certaine mesure, les premiers Européens qui s’aventurèrent dans les montagnes du
Burundi se virent épargnés par ces difficultés pendant quelques semaines,
justement parce que leurs porteurs, aussi inquiets qu’eux-mêmes durant la
traversée d’un pays qui leur était également inconnu, serraient les rangs, prêts à
toute éventualité, comptant sur les armes et l’esprit de décision de leur patron et
de ses guides. Néanmoins, beaucoup désertaient à la veille d’y pénétrer : le Père
Capus eut à s’en plaindre au Bushubi en juillet ; en janvier encore, le
Père Van der Burgt déplore, à son entrée à l’est du Burundi, la fuite de porteurs
d’origine sumbwa ou ngoni . Et même Oscar Baumann, malgré toute l’autorité
qu’il avait établie sur sa troupe, dut affronter une fronde de ses askari (tirailleurs
mercenaires) qui lui demandaient, près de la rivière Kanyaru, de revenir en
. PBR [Pères Blancs Rome, archives de la maison générale], Diaire de Muyaga, -// ; Diaire
de St-Antoine, -//.
. PBR, Diaire de St-Antoine, // ; Diaire de Muyaga, -//. R. Kandt (, II : -).
. R. Burton ( : -).
. PBR, Capus, Ushirombo, //, PBR, V.A. Uynyanyembe, divers, .
. PBR, Diaire de St-Antoine, //.
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arrière . Baumann se flatte de les avoir convaincus par quelques arguments
« frappants » de continuer à le suivre dans son Anabase. On pourrait multiplier
les exemples de tels incidents. Leur évocation doit rappeler que le personnel de
ces expéditions a aussi sa part d’initiative et que la caravane, avec les soucis qu’elle
apporte, représente une sorte d’écran entre le voyageur européen et les habitants
des contrées visitées.
Trois ensembles ethniques ont fourni l’essentiel du personnel de ces caravanes :
d’abord les différents groupes swahilisés du littoral de l’océan Indien, qualifiés
souvent de Wamrima, et que l’on retrouve dans toutes les expéditions vers les lacs ;
ensuite les Banyamwezi, forts de leurs traditions de colportage, notamment les
Basukuma et les Basumbwa, venus des régions situées au sud et au sud-ouest du
lac Victoria (avec Burton et Speke, Stanley, von Götzen, Van der Burgt, Mgr
Hirth…) ; enfin plusieurs peuples des environs du lac Nyassa (Yao, Makua,
Bangindo, par exemple chez Stanley en ou chez Richard Kandt). Dans les
années , d’autres populations de la région des lacs jouent un rôle croissant,
tels que les Basubi (avec Van der Burgt ou Mgr Hirth) et les groupes ngoni
installés au sud-ouest du lac Victoria (avec Van der Burgt et Lionel Decle).
Certains personnels des caravanes, notamment les gardes armés, dénommés
tantôt askari (terme swahili dérivé du persan lashkar, « soldat »), tantôt ruga-ruga
(selon le modèle des guerriers-aventuriers qui s’étaient multipliés en pays
nyamwezi dans les années -) , se recrutaient en partie dans les ethnies
déjà mentionnées, en partie dans des régions plus lointaines : des Béloutches
(Baluchi) dont quelques milliers avaient été enrôlés au milieu du xix e siècle dans
les troupes du sultan de Zanzibar et qui, une fois démobilisés, s’employaient au
service des marchands itinérants arabes sous la conduite d’un jemadar ; des
Hottentots, fournis à Speke en par le gouverneur du Cap ; des Soudanais de
Haute Nubie recrutés à partir des années sur les côtes de la mer Rouge à la
suite de l’effondrement du mouvement mahdiste (par exemple ceux rassemblés
par Baumann à Massawa ou ceux ramenés par Emin Pacha en ) ; des Somali
(quelques serviteurs de l’expédition von Götzen). D’après certains vieux Barundi,
ce panorama ethnique était encore celui des premières expéditions allemandes
arrivées en Imbo à partir de : des Banyamwezi, des Baha, des Bajiji et des
soldats nubiens . Dans l’ensemble, il s’agissait des populations qui avaient été
parmi les premières à établir des contacts avec les Européens du fait de leur
situation géographique, de leurs activités commerciales ou d’évènements politico. O. Baumann ( : ).
. Voir F. Renault (, I : -).
. F. Bontinck ( : ). En , Burton et Speke louent auprès du jemadar Yaruk les services de
Baluchi venant de la garnison côtière de Kaole : cf. R. Burton ( : ).
. Outre les récits des voyageurs eux-mêmes, voir R.C. Bridges () et D. Simpson (). Le
témoignage oral est celui de Baruwani, Bujumbura, // (un ancien soldat des Allemands
originaire d’Ujiji).
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Emile Mworoha (dir.), Histoire du Burundi. Des origines à la fin
du XIX e siècle, Paris, Hatier, , p. .
Une étude fine, sociale et culturelle, du monde des caravanes est-africaines du
xix e siècle serait à faire. On semble être passé de la sociabilité extra-lignagère, peu
éloignée de celle des classes d’âge ou des confréries d’initiés, qui animait les
expéditions annuelles des colporteurs banyamwezi jusqu’à la côte, à une organisation de type quasi militaire remodelée selon les normes du sultanat de Zanzibar
ou des colonnes coloniales, comme on peut l’observer dans la discipline des
caravanes menées par Oscar Baumann ou par le comte von Götzen à l’ombre des
trois couleurs noir-blanc-rouge du Reich allemand. Le trait socio-économique le
plus net durant toute la période qui va des années aux années est la
mainmise de négociants arabes et surtout indiens sur les recrutements de porteurs
au départ de Bagamoyo .
. Sur les caravanes nyamwezi au milieu du siècle, voir R. Burton ( : -). On peut retrouver
leur style dans celle de Speke au départ en (illustration ).
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militaires, et qui par ailleurs étaient en relation avec les côtes de l’océan Indien.
Beaucoup de ces recrues des caravanes étaient plus ou moins en rupture avec leur
milieu villageois et lignager d’origine : elles incarnaient donc un milieu africain
contrastant très vigoureusement avec les Barundi ou les Banyarwanda enracinés
sur leurs montagnes.
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Nos « explorateurs », une fois arrivés à Zanzibar, cherchent évidemment à
bénéficier de l’appui de leurs compatriotes : Burton et Speke vont voir le consul
britannique, Stanley le consul américain, les Pères Blancs le consul français, Oscar
Baumann les agents de la Deutsch-ostafrikanische Gesellschaft. Des firmes commerciales européennes sont certes représentées : les négociants Rabaud ou Greffulhe
de Marseille, l’Américain Masury de Salem, la maison O’swald de Hambourg
sont cités ici et là. Mais on peut relever que les voyageurs sont aiguillés
rapidement vers les véritables spécialistes de la constitution des caravanes : choix
des cotonnades, des perles et des fils de laiton destinés à négocier les approvisionnements en cours de route et surtout enrôlement des porteurs. Ces entrepreneurs
en caravanes sont des Asiatiques. Les Pères Blancs eux-mêmes, malgré l’aide que
peuvent leur apporter en les Spiritains de Bagamoyo, doivent recourir à des
hommes d’affaires musulmans. Une fois parvenus à Tabora, ils ne pourront
continuer que grâce à l’intervention du fameux marchand arabe Said bin Habib,
lui-même lié financièrement à deux négociants indiens de Zanzibar qui agissent
pour le compte des missionnaires . Dans certains cas, ce sont des esclaves qui sont
loués, par exemple ceux que Burton et Speke se procurent auprès du Banian
Ramji, un commis de la douane de Zanzibar, pour la modique somme de
. [Pères blancs], À l’assaut des pays nègres, Paris, , p. - et -.
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Illustration : La caravane de Speke au départ
en ; gravure tirée de J.H. Speke ( : ).
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dollars par porteur et pour une période de six mois (un prix supérieur d’au
moins % au tarif normal du portage !). Dans la plupart des cas, cependant, il
s’agit d’hommes libres, gens de la côte ou Banyamwezi en quête d’une charge de
retour chez eux, rassemblés par les soins de l’entrepreneur.
Les deux organisateurs les plus réputés de l’époque – une réputation souvent
présentée comme exécrable par les Européens – sont les Khoja ismaëliens Taria
Topan, le financier du sultan Said Bargash, et surtout Sewa Haji Paroo, protégé du
précédent. Sewa Haji est décrit par Stanley en comme un jeune homme particulièrement avide de gain : « Ce garçon de vingt ans m’a donné plus de fil à
retordre que tous les escrocs de New York n’en donnent à la police ». Vingt ans
plus tard, alors que Sewa Haji organise à Bagamoyo des caravanes pour son compte
et pour des voyageurs de toutes nationalités (Anglais, Français, Belges de l’État
Indépendant du Congo, Allemands), qu’il a des agents à Tabora et à Mwanza et
une grande factorerie à Bukumbi, au sud du lac Victoria, Oscar Baumann explique
qu’il a eu suffisamment affaire à lui en pour son expédition en Usambara, car
ce trafiquant exige à roupies par mois . Les Européens essaient donc de se
passer parfois de ces intermédiaires, tel Baumann en , en s’efforçant
notamment de retrouver les caravanes utilisées par leurs prédécesseurs : Stanley en
récupère des porteurs qui avaient déjà servi pour Speke dix ans plus tôt. Von
Götzen en reprend ceux que l’officier Otto Schloifer avait utilisés deux ans
auparavant au nom du Comité antiesclavagiste allemand .
Le statut socio-économique des porteurs les distinguait dans tous les cas des
paysans restés à l’écart des circuits monétaires. Selon Burton, au milieu du xix e
siècle, les Banyamwezi se faisaient payer l’équivalent d’une dizaine de dollars
(c’est-à-dire de Thaler de Marie-Thérèse, la monnaie de compte de l’Afrique
orientale) pour se rendre de la côte à la région de Tabora, soit environ francs
français de l’époque. En , Stanley dut payer à Sewa Haji l’équivalent de
, dollars pour le trajet de chaque porteur jusqu’à Tabora, soit francs, un
montant dont il faut déduire de à francs de profit pour l’Indien, ce qui laisse
à francs par porteur. En , Oscar Baumann affirme que le tarif est de
roupies par mois (compte non tenu des bénéfices des négociants) : comme le trajet
de Tabora demandait trois mois, il devait coûter au voyageur roupies, soit
francs. Les estimations sont étonnamment stables durant cette quarantaine
d’années, puisque la fourchette n’est que de à francs pour l’itinéraire
Bagamoyo – Tabora. Comme il fallait ajouter à ce prix les frais de nourriture,
estimé par Stanley en à environ % de supplément, le salaire représentait
un profit net pour le porteur. Pour nous faire une idée, comparons ces rémuné. H.M. Stanley ( : -). Sewa Haji y est appelé Hadji Pallou. Sur Taria Topan, cf. F. Bontinck
( : , note ).
. O. Baumann ( : -). Sur Sewa Haji, voir J.-S. Mangat ( : -).
. Selon O. Schloifer ( : -).
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rations avec celles des ouvriers européens de l’époque : dans les années -,
ces salaires s’élevaient à environ francs par jour en France, c’est-à-dire à peu près
francs par mois. Avec à francs par mois, les porteurs est-africains
gagnaient donc six fois moins que ces travailleurs. Mais on notera deux points
permettant de donner à la comparaison sa dimension réelle : à la veille de la
Première Guerre mondiale, les porteurs employés par la société allemande des
salines de l’Uvinza (la Central-afrikanische Seengesellschaft) gagnaient à roupies
par mois, soit au mieux , francs, c’est-à-dire, dans ce cadre strictement
colonial, moins d’un quart de la rémunération de leurs collègues de l’âge des
« explorateurs » ; d’autre part, dans une situation de grande rareté de la monnaie
et des denrées de commerce lointain, les porteurs pouvaient faire figure de
« richards » aux yeux du milieu villageois. Ajoutons que les traitements des responsables africains de la caravane pouvaient déjà se rapprocher plus sensiblement de
ceux des travailleurs européens : Bombay, chef de l’escorte armée de Stanley en
(et sur lequel nous reviendrons), reçut dollars pour une année, soit près de
francs par mois, représentant % d’un salaire ouvrier français de l’époque .
Les trois gravures publiées par Stanley, ici reproduites sur l’illustration , visent
à rappeler qu’une « exploration » n’est pas tant l’affaire du « héros » européen qui
la commande, avant de la raconter outre-mer, que celle d’une chaîne de
partenaires, depuis le riche marchand indien de Zanzibar jusqu’aux humbles
porteurs qui pataugent dans les gués des rivières et pour lesquels l’arrivée sur les
bords du Tanganyika était plus un immense soupir de soulagement qu’une
émotion esthétique. Mais une caravane était un monde non dénué de hiérarchies :
simples porteurs avec leur fardeau d’une trentaine de kilos, gardes équipés d’armes
à feu, techniciens (tailleurs, bergers ou muletiers), cuisiniers, tambour et porteétendard, responsables des équipes et, au sommet, le ou les chefs de caravane,
héritiers du kirongozi des expéditions commerciales nyamwezi. Ce « guide » se
distinguait par certains insignes, notamment une coiffure de plumes et une peau
de singe, mais aussi, et de plus en plus, une étoffe écarlate qu’il porte drapée ou
parfois enroulée en turban. Le choix du guide en chef, souvent différent du
kirongozi chez nos voyageurs, était très important. Burton et Speke reçurent du
sultan de Zanzibar un Arabe (en fait un métis) de Kilwa nommé Said bin Salim
al Lamki, qui devint plus tard gouverneur de la communauté zanzibarite de
Tabora . En , Stanley avait comme kirongozi un Mswahili nommé Hamadi,
mais les vrais guides étaient Bombay et Mabruki, dont nous reparlerons.
Baumann distingue deux wanyampara en assimilant le premier, un certain
. R. Burton ( : ) ; H.M. Stanley ( : - et ) ; O. Baumann ( : et ) ;
J.-P. Chrétien ( : ) ; C. Ambrosi et al. (, I : ).
. Emin Pascha (, II : ).
. Mnyampara (pl. wanyampara), chef en second d’une caravane en kinyamwezi, passé en kiswahili, finit
par désigner toute autorité subalterne. Kirongozi, du verbe kurongora, « précéder, marcher en tête »,
signifie le guide en kiswahili. Cf. C. Sacleux (-).
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Illustration : Trois visages d’une exploration : le porteur noir, le « héros » anglo-saxon et le marchand
indien. Gravures tirées de H.M. Stanley (, I : ; : et ).
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Mzimba bin Omari, à un Feldwebel (adjudant) de l’armée allemande, tandis que
le second, doté d’une belle prestance, est défini comme kirongozi.
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En guise de première conclusion sur ces explorateurs noirs, imaginons un
moment la caravane qui se présenta au Burundi en septembre avec Baumann,
le premier Européen qui ait traversé le pays. Les personnes qui accompagnaient
ce Blanc que les gens appelèrent ensuite Bakari se répartissaient ainsi :
• wanyampara
• interprète
• askari (dont un Soudanais)
• ruga-ruga
• askari-artisans (cordonnier, tailleur, scribe)
• bergers
• porteurs (recrutés à Bagamoyo, Tanga, Pangani, Mtangata)
• tambourinaire
• clairon
• serviteur-cuisinier.
S’y ajoutait un certain nombre de chasseurs d’éléphants et de bergers massaï.
À cette époque où la mainmise coloniale se précise, une caravane d’exploration
ressemble très fortement à une expédition militaire (ici un tiers de l’effectif ).
Vingt ans plus tôt, les Burton et les Stanley devaient s’inscrire dans le réseau des
trafics commerciaux et renouveler une grande partie de leur personnel à Tabora.
Les nouvelles recrues étaient prises dans des populations voisines du Burundi,
dont le rôle ne fut pas négligeable pour ces premiers contacts.
WACURUZI
(les « colporteurs »)
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À l’ouest de Tabora, que ce soit sur la route du Buganda (à l’ouest du lac
Victoria) ou sur celle du lac Tanganyika (vers Ujiji), les voyageurs européens
avaient la possibilité de rencontrer des marchands africains de la région que leurs
activités de colportage avaient déjà conduits sur les frontières du Burundi ou du
Rwanda Ces colporteurs étaient appelés en kingwana, le kiswahili de l’intérieur
du continent, des wacuruzi (du kiswahili kucuuza, faire le petit commerce de
revente) .
Il ne faut pas oublier que les premiers renseignements sur les Grands Lacs
étaient venus des marchands : le Munyamwezi Lief bin Saïd dont le témoignage
fut publié par les « géographes en fauteuil » de Londres Cooley et Macqueen ;
Bana Kheri, le Mswahili de Mombasa que Krapf et Rebmann recrutèrent comme
guide en ; l’Arabe Snay bin Amir qui accueillit Burton et Speke à Tabora en
- et auprès de qui Burton recueillit au retour une masse d’informations
. O. Baumann, ( : -).
. C. Sacleux (, I : ).
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Les intermédiaires locaux :
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sur la région ; Hamed bin Sulayman que Speke alla, en vain d’ailleurs, consulter
dans l’île de Kasenge (au nord-est de l’actuelle ville de Kalémié au Zaïre) en
mars à propos du cours de la rivière Rusizi ; ou encore Hamed bin Ibrahim
qui fut interrogé par Stanley à Kafuro sur la géographie du Rwanda en
février …
Sur les rives du Tanganyika, nos voyageurs se trouvent en fait mêlés à la vie, aux
expéditions et aux calculs des réseaux mercantiles zanzibarites centrés sur la
factorerie d’Ujiji. Nous en donnerons deux exemples que nous pouvons
dénommer d’après les marchands les plus importants signalés dans les récits d’exploration, à savoir le réseau de Said bin Majid al Maamri et celui de Mohammed
bin Gharib. Le premier est un Arabe dont une expédition armée vers le comptoir
d’Uvira en avril offrit à Burton et Speke l’occasion de se rendre au nord du lac
dans une pirogue louée chez les Bajiji. À Uvira, ils rencontrèrent effectivement
deux agents de cet Arabe, les jeunes Majid et Bakari, qui allaient embarquer de
l’ivoire. En novembre , c’est encore à lui que Stanley s’adressa pour louer une
pirogue afin d’explorer le delta de la Rusizi avec Livingstone. En janvier , un
Mswahili nommé Sungura, devenu un marchand important sur les côtes du lac
Victoria et qu’Emin Pacha rencontre à la cour royale du Buganda, se flatte d’avoir
servi de guide à Burton et Speke lors de leur visite à Uvira : Burton et Speke ne le
citent nulle part dans leurs ouvrages, mais lui ne les avait pas oubliés vingt ans plus
tard. Sans doute faisait-il partie de l’expédition commerciale de Said bin Majid .
Le deuxième personnage, Mohammed bin Gharib, surnommé Kolokolo
(« Dindon »), est un Mrima qui était devenu familier des pistes du Maniéma et
du Katanga dans les années et qui, à ce titre, put servir de guide à Livingstone
à l’ouest du lac, notamment en . Dix ans après, nous le retrouvons, lui ainsi
que son frère Mwinyi Hassani, à Ujiji au moment où les premiers missionnaires y
parviennent. Le Père Deniaud les décrit comme des Waswahili déjà âgés et
devenus très influents. Hassani est le secrétaire de Mwinyi Kheiri, un autre Mrima
devenu le chef du comptoir zanzibarite. Les deux frères font essentiellement le
commerce de l’ivoire avec les régions situées au nord-ouest du lac (chez les Barega
et les Babembe, et au comptoir d’Uvira) et ils s’emploient à freiner la curiosité des
missionnaires dans cette direction, en particulier celle de l’Anglais de la London
Missionary Society, Edward Hore . Autrement dit, les explorateurs passent, les
marchands restent, au moins jusqu’à la fin du siècle, et les services rendus par les
. R. Burton ( : et ) ; H.M. Stanley ( : ) ; Emin Pascha ( : -) ; [Pères
blancs] ( : ) ; J. Marissal (, t. I : -). Sungura, originaire de Zanzibar, que les Pères
Blancs décrivent en comme le responsable d’une flottille de pirogues du kabaka Mutesa, lancera
en un boutre sur le lac Victoria. Ce bateau est détruit lors des guerres civiles du Buganda par
les troupes du chef catholique Gabriel Kintu en .
. D. Livingstone (, t. II, : , juillet , et -) ; V.L. Cameron ( : ) ; PBR, Diaire de
Rumonge, et // ; , et // ; //. Bin Gharib fournit aux Pères Blancs
un de ses fidèles nommé Yusuf pour leur servir de contremaître. SOAS, archives de la London
Missionary Society., C.A., ..B., lettre de Hutley, Kawele, le //.
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seconds aux premiers, si importants au début, se sont faits plus mesurés quand les
Européens manifestèrent la tendance à se fixer dans leur aire d’influence. Ces
rapports débouchèrent sur une tension nettement politique dans les années , à l’époque de Rumaliza : en , ce nouveau leader arabe d’Ujiji décourage
Hermann Wissmann de poursuivre vers le nord du lac ; en , il organise pratiquement lui-même l’expédition de l’Anglais Alfred Swann dans cette direction.
On peut noter, cependant, que par-delà les péripéties de la conquête coloniale
certains s’installèrent dans le rôle d’auxiliaires des Européens tout en continuant
leur activité commerciale. En , Oscar Baumann rencontre au Rusubi un
Arabe nommé Rachid, qui est devenu l’agent du commerçant irlandais Charles
Stokes après avoir connu jadis Burton et Speke . Mais l’exemple le plus typique
d’une telle évolution est celui de Sef bin Rachid qui, après avoir été employé très
jeune comme caravanier par l’Association Internationale Africaine et avoir géré la
station de Karéma à la veille de sa cession aux Pères Blancs (en ), eut plusieurs
fois l’occasion de mettre le boutre qu’il avait acquis au service des voyageurs
européens et de les approvisionner : le Britannique Scott Elliot en , le
capitaine Leue en , le capitaine Ramsay en , Moore en et beaucoup
d’autres se félicitent successivement de son appui .
D’une manière générale, ce que nous voulons souligner, c’est le rôle de ce
milieu mobile par excellence et curieux de tout, dans la diffusion des informations. Ces dernières, mêmes fantaisistes ou réservées, sont souvent utilisées par les
« explorateurs » comme plus fiables que celles des « indigènes ». On voit Stanley
et Livingstone de passage chez le chef Mukamba au Burundi, prêter spécialement
attention aux dires d’un mngwana qui prétend les informer sur les conflits locaux
et sur la géographie de la région , alors qu’il raconte des sottises sur le cours de
la Rusizi, que rectifient aisément les témoignages des autochtones. D’un autre
côté, et on risquerait de l’oublier, des renseignements sur les explorateurs sont
colportés par ce milieu swahili le long des itinéraires commerciaux et au sein des
populations qu’il fréquente. En , c’est à l’ancien centre ngwana de Rubenga
qu’un officier belge entend parler du passage d’un Européen (Von Götzen) au
Rwanda . Ces intermédiaires culturels ne sont pas seulement des porteurs de
nouvelles, ils véhiculent aussi des idées et nous aurons à revenir sur leur rôle
idéologique.
Cependant, les Waswahili ou les Arabes suivaient eux-mêmes des pistes plus
anciennes et s’inséraient dans les échanges régionaux. Les contacts avec les
Barundi ou les Banyarwanda furent d’abord assurés par leurs voisins qui se firent
. O. Baumann ( : ).
. PBR, V.A. Tanganyika, Corr. Randabel, Karéma, // (C., ) ; G.F. Scott Elliot
( : ) ; J.E.S. Moore ( : ) ; A. Leue, ( : -) ; PBR, Diaire de St-Antoine,
/ et //. Il est fréquemment appelé Sefu.
. H.M. Stanley ( : -) ; D. Livingstone (, II : ).
. AAB [Archives Africaines de Bruxelles], Aff. Etr. E.I.C., : Descamps, Mtoa, //.
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J. P. Chrétien, L’Afrique des Grands lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, , p. .
On observe d’abord à l’est de la région, des groupes ou des localités qui représentent des carrefours de produits et de marchands, mais aussi de nouvelles, et qui
en renvoient l’écho auprès de tous les voyageurs. Il y aurait bien sûr beaucoup à
dire sur la place de Tabora de ce point de vue. Mais les récits des « explorateurs »
mettent aussi en valeur, plus près de la région qui nous intéresse, le rôle du Rusubi
et du Karagwe, sur l’axe commercial qui mène au Buganda. Il y a notamment ce
que Stanley appelle en la « société de géographie du Karagwe » (après Speke
et Grant en ), à la cour royale de Bweranyange, non loin de la factorerie
swahili de Kafuro : des colporteurs venus d’un peu partout – Banyambo, Zanzibarites, Baganda, Banyoro, Bashubi, Baha, Banyarwanda des bords de la Kagera –
leur dirent plus ou moins complaisamment tout ce qu’ils croyaient savoir sur les
pays situés plus à l’Ouest et en particulier sur le Rwanda . La politique de la
. H.M. Stanley (, I : -) ; J.H. Speke ( : -) ; J.A. Grant ( : et ).
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les relais des gens de toutes origines venus de la côte orientale. On peut distinguer
parmi eux quatre niveaux de relations, en fonction des distances non seulement
géographiques ou économiques, mais aussi culturelles, ce qui fait ressortir le rôle
éminent des piroguiers bajiji.
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monarchie rwandaise sous le mwami Rwabugiri donne toute leur signification à
de tels centres, puisque, les étrangers se voyant interdire l’accès du pays, les
échanges devaient être effectués sur des marchés extérieurs par les soins de
caravanes contrôlées par des chefs de l’est du Rwanda (notamment ceux du
Gisaka). Les produits exotiques (perles et cotonnades) étaient achetés au Karagwe
ou au Rusubi. Il en va de même pour les rapports politiques : d’après Alexis
Kagame, Rwabugiri envoya des délégués chez le roi Rumanyika du Karagwe pour
s’informer sur les Européens avant de décider de l’accueil éventuel qui devrait leur
être réservé .
Au Burundi, du moins sur les frontières orientales et occidentales du pays, des
étrangers pouvaient pénétrer. Il était possible, à la fin du xix e siècle, de rencontrer
des colporteurs ou des aventuriers susceptibles de fournir des témoignages directs
sur ce pays. À l’Est, les Basumbwa contribuent largement à articuler le réseau
commercial nyamwezi, auquel ils appartiennent, avec celui des colporteurs
burundais. Cette population reste malheureusement très peu étudiée. Mais nous
trouvons de nombreux Basumbwa dans les caravanes organisées à partir de Tabora
ou surtout d’Ushirombo, où une mission catholique a été établie, dans leur pays,
en . En juillet , c’est surtout parmi eux que les Pères Van der Burgt,
Capus et Van den Biesen ont recruté leurs porteurs, y compris le responsable de
la colonne, un certain Mugwanyuma. En janvier , les Pères Van der Burgt,
Van der Wee et Desoignies arrivent également à l’est du Burundi suivis de
dizaines de Basumbwa. Et – cela est plus étonnant –, en février , lorsque Van
der Burgt quitte cette fois Uzumbura pour traverser le Burundi d’Ouest en Est,
c’est encore des ressortissants de cette ethnie qui l’accompagnent, leur activité
commerciale les ayant attirés jusque sur les bords du Tanganyika à l’ombre des
Zanzibarites ou des Européens . C’est aussi à Ushirombo que Von Götzen
rencontre en un guide nommé Mugusagusa qui avait déjà commercé au
Rwanda . D’autres groupes peuvent aussi être mentionnés : les Basubi et les
Bangoni déjà évoqués, et également les Barongo, un groupe clanique réputé pour
ses forgerons et que l’on rencontrait, dispersé, chez les Bazinza, les Basumbwa et
les Baha du Nord. L’un des guides de Van der Burgt en janvier , qui était un
Murongo, lui raconta qu’il avait déjà été au Rwanda dans une délégation envoyée
par le roi Nkanza du Buyungu (Buha du nord) auprès du mwami Kigeri . Un
nombre important de Bangoni sont aussi avec Van der Burgt en et en .
À l’Ouest, certaines populations habituées aux échanges sur les rives du
Tanganyika avant d’être maltraitées, voire disloquées, par la traite esclavagiste,
fournissaient également des éléments prêts à se mettre au service des expéditions
. R. Heremans ( : -).
. PBR, Diaire de St-Antoine, -//, //, // ; V.A. Unyanyembe, Courrier
Muyaga, Astruc, //.
. G.A. von Götzen ( : -).
. PBR, Diaire de St-Antoine, //.
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arabo-swahili ou européennes. Il s’agit notamment des Bavira et des Babwari dont
les pirogues étaient réputées et qui circulaient entre les deux rives du lac, soit pour
la pêche, soit pour le commerce. En novembre , Van der Burgt note que sept
Babwari l’ont suivi depuis Ujiji jusqu’en Uzige et que deux ménages de Bavira
rencontrés à Uzumbura veulent aussi s’attacher à lui . Les Pères Blancs de
Rumonge, entre et , reçurent aussi la visite fréquente de ressortissants de
la presqu’île d’Ubwari qui essayaient de commercer avec eux et qui les
informaient sur la rive ouest du lac.
À un troisième niveau, nous trouvons des relations plus étroites encore avec le
Burundi et le Rwanda, lorsque les affinités culturelles s’ajoutent à la fréquentation
commerciale et en particulier quand une intercompréhension quasi immédiate
existe sur le plan du langage. Il faudrait considérer la carte de la région des Grands
Lacs en oubliant les frontières des royaumes pour lire en filigrane les grandes
démarcations linguistiques. Les voyageurs étrangers appréciaient par exemple le
fait que le runyoro, le rutoro, le ruhaya et le runyambo, c’est-à-dire toutes les
langues parlées du lac Luta Nzige (futur lac Albert) à la Kagera et au sud-ouest du
lac Victoria, constituaient une entité homogène : c’est ainsi qu’un interprète
nommé Makjera recruté par Emin Pacha au nord du Bunyoro a pu ensuite s’entretenir même avec des Bahima (sans doute originaires du Karagwe) installés dans
la région de Tabora . De même, le Burundi appartient, comme on le sait, à un
espace linguistique englobant aussi le Rwanda et le Buha, voire le Bushubi (malheureusement à peine étudié) qui semble être au carrefour d’influences zinza et
rundi . Les Baha en particulier menaient un commerce important avec les
Barundi : exportations de houes et de sel, importations de bétail ; or le giha,
notamment dans son lexique, apparaît comme plus proche du kirundi que ne l’est
même le kinyarwanda. C’est auprès de Bashubi (gens dits du « West Usui ») et de
gens du Buha du nord que Stanley recueille en le plus de renseignements
dignes de foi sur le lac Kivu et la Rusizi . En juillet , Van der Burgt et ses
collègues établissent les premiers contacts avec le chef Rumonge à l’extrême ouest
du Burundi par l’intermédiaire d’une délégation composée d’un Musumbwa et de
deux fidèles du mwami du Buyungu (Buha du nord) . En outre, les Bamoso (de
l’est du Burundi) qui pratiquaient aussi le commerce du sel et des chèvres, étaient
culturellement très proches des Baha, ce qui facilitait encore les relations de ce
côté-là. Cinq Bamoso suivirent même Van der Burgt jusqu’à Uzumbura, sans
doute avec des arrière-pensées mercantiles. Les missionnaires se trouvèrent en
effet impliqués sans toujours s’en rendre compte dans les relations et les conflits
. PBR, Diaire de St-Antoine, //.
. Note parue dans Ausland, , , p. .
. O. Baumann ( : et ).
. N.R. Bennett ( : -).
. PBR, Diaire de St-Antoine, //.
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de ce milieu marchand de la frontière orientale du pays . Une catégorie s’avéra
très utile dans les premiers temps aux missionnaires-explorateurs : il s’agit des
groupes de pasteurs batutsi installés en Unyamwezi et dont la mission
d’Ushirombo avait su attirer à elle certains éléments. Beaucoup d’entre eux étaient
originaires du Burundi, du Buha ou du Bushubi . Le Diaire de Saint-Antoine cite
par exemple un Mututsi chrétien, prénommé Herman, devenu l’un des
« suivants » des Pères Blancs d’Ushirombo et qui rend visite à plusieurs reprises à
leurs confrères du Burundi, en et en . On peut se demander si ce n’est
pas également le cas de ces trois « chrétiens warundi d’Ushirombo » qui accompagnent Van der Burgt en sur les bords de la Ruvubu, puis en Uzige (nord
du lac Tanganyika), et qui fraternisent de façon particulièrement chaleureuse avec
leurs compatriotes à leur arrivée . Mais ces guides exceptionnels semblent avoir
été rares.
Ceux qui ont joué un rôle de premier plan sont les Bajiji. Ils rassemblent en
effet dans leur communauté les trois niveaux de relations que l’on vient
d’analyser : Ujiji est un centre accueillant des marchands barundi depuis
longtemps ; des Bajiji vont commercer eux-mêmes au Burundi, notamment pour
y acheter de l’huile de palme en échange du sel venu de l’Uvinza ; enfin leur
langue, qui n’est autre que le giha, leur permet de comprendre sans difficulté la
population. Il faut y ajouter les facilités de circulation sur le lac, vu leur expérience
en matière de navigation . C’est à Ujiji que Stanley en et , comme tous
les autres voyageurs, rassemble le plus de données sur le Burundi. C’est là que
Burton ou le Père Deniaud se procurent des rameurs. Burton décrit leur vivacité
et leur maîtrise, tout en déplorant leur fantaisie, leurs trafics (des ballots de sel
sont chargés dans les deux pirogues louées par lui-même et par Speke) et leurs
tarifs prohibitifs : les deux équipages, rameurs en tout, et leur « capitaine » (le
nahoda) reçoivent shuka de cotonnades, kete de perles bleues et kete de
perles rouges (sans parler du prix de la location des pirogues réglé au chef
Kannena). Les récriminations de l’ « explorateur » ne nous semblent d’ailleurs pas
justifiées car, d’après les calculs que nous pouvons effectuer sur la base des chiffres
fournis par Burton lui-même, l’ensemble de ces denrées représentait l’équivalent
d’un millier de francs français (prix d’Ujiji), soit quelque francs par rameur
pour une expédition d’un mois : guère plus que le tarif des porteurs analysé plus
haut. Burton affirme que les « Arabes » quant à eux n’ont à payer qu’une shuka
de cotonnade (environ à francs) pour se rendre à Uvira, mais sans préciser si
. Ibidem, / et //. Le août , un Muha demande à Van der Burgt d’arbitrer une affaire
de sel avec le chef Rumonge.
. Par exemple R. Kandt (, I : ) recruta à Tabora en un interprète connaissant le « kitussi »,
c’est-à-dire le kirundi. Voir E. Dahl ( : -).
. PBR, Diaire de St-Antoine, // et //.
. Ibidem, // et //.
. Cf. J.-P. Chrétien ( : -).
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ce montant inclut le retour . Les Européens se trouvaient simplement en
présence d’une population habituée aux marchandages et dont ils pouvaient difficilement se passer. Les piroguiers bajiji prolongeaient en quelque sorte sur le lac
Tanganyika l’axe caravanier tracé depuis Bagamoyo. C’est grâce à eux que les
Waswahili, avant les Européens, purent s’implanter au nord du lac, à la recherche
d’ivoire dans une région jusque-là réputée pour ses palmiers à huile. Ce ne sont
pas seulement des rameurs (ou des porteurs entre Tabora et le Tanganyika,
comme ceux recrutés par Stanley en ) que nos « explorateurs » cherchent
parmi eux, mais aussi des guides et des interprètes, des hommes connaissant les
rivages burundais et capables de s’exprimer aussi bien en giha-kirundi qu’en
kiswahili. Burton et Speke s’offrent les services d’un guide local nommé Saifu au
prix de shuka et de livres de verroterie . Stanley et Livingstone recrutent
deux « marchands et pêcheurs », Ruango et Para, payés environ shuka chacun,
pour les guider jusqu’à la Rusizi. Ce sont les mêmes qui racontent à Stanley en
, à son retour dans leur pays, la légende du lac Tanganyika que l’on retrouve
dans son récit . Même Oscar Baumann, qui pourtant ne passe pas à Ujiji,
bénéficie de l’aide précieuse de plusieurs membres de sa caravane originaires de
cette région (« nés à Ujiji », écrit-il), lorsqu’il s’agit d’assurer un dialogue entre son
interprète Massaï qui connaît le kiswahili et les populations du Burundi ou du
Bushubi .
Il est curieux, compte tenu de tous ces faits, de constater le mépris avec lequel
les voyageurs européens traitent les Bajiji : insolents, cupides, moqueurs,
querelleurs, insensibles, ivrognes, selon Burton. À vrai dire, seuls les Arabes « pur
sang » trouvent grâce à ses yeux comme à ceux de Livingstone. Les Waswahili du
lac Tanganyika sont eux-mêmes traités de « méprisables métis » par ce dernier,
pourtant ami du Mrima Mohammed bin Gharib . Cette agressivité envers des
groupes qui pourtant servent de relais indispensables se retrouvera dans d’autres
situations coloniales, reflétant les contradictions de l’attitude des Européens en
Afrique. D’une manière générale, les voyageurs sont peu prolixes sur les intermédiaires locaux sans lesquels leurs expéditions ne seraient pas arrivées à terme,
sinon pour s’en plaindre ou pour les railler. D’autres auxiliaires étaient plus
choyés.
. Selon R. Burton ( : , -), une shuka de cotonnade (l’unité de deux yards, soit environ
, m, permettant de se faire un pagne) vaut alors , francs sur la côte, prix qui doit être multiplié
par dans l’intérieur, soit , francs. La rangée (kete) de perles bleues vaut à Ujiji trois fois moins
et la rangée de perles rouges neuf fois moins à cette époque. Kannena avait aussi reçu de son côté
l’équivalent d’un millier de francs. Ces taux étaient très fluctuants et très spéculatifs et ne peuvent
donner qu’un ordre de grandeur.
. Ibid, p. .
. H.M. Stanley ( : ) ; (, II : ). Les noms des deux guides étaient sans doute Rwango et
Mpara.
. O. Baumann ( : ).
. R. Burton ( : ) ; D. Livingstone (, II : ). Voir J. Marissal ( : -).
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Les hommes de confiance :
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(les « interprètes »)
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. J.H. Speke ( : l). Voir aussi H.H. Johnston ( : -).
. H.M. Stanley (, I : ).
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S
’il y eut de véritables « explorateurs » de métier parmi les compagnons
obscurs des premiers Européens, c’est sans doute dans le milieu des « guides »
africains qu’il faudrait les chercher. On les trouve en effet sur les pistes estafricaines, d’expédition en expédition, et certains auraient mérité autant d’hagiographies que le sémillant Stanley ou le bon Livingstone ! La première fonction de
ces hommes de confiance des Européens était d’ordre linguistique : ils étaient par
définition des interprètes, c’est-à-dire en l’occurrence des gens capables de
s’exprimer couramment en kiswahili. Le terme wasemyi ou basemyi (en kirundi)
qui a été appliqué, jusqu’à aujourd’hui, à ces hommes dans la région des Grands
Lacs est révélateur du rôle véhiculaire pris de plus en plus par cette langue à partir
de la fin du xix e siècle, puisqu’il signifie littéralement en kiswahili « ceux qui
parlent » (de kusema, parler) : un peu l’équivalent de speaker en anglais. À vrai dire,
leur fonction était double : les interprètes devaient pouvoir converser avec
différentes populations africaines, mais aussi avec des Européens de nationalités
variées. Les expéditions s’aventuraient en effet dans des régions où la masse des
gens ignorait le kiswahili, la langue de la côte, et d’autre part, les premiers
voyageurs blancs l’ignoraient eux-mêmes complètement ou ne faisaient que le
balbutier. Les interprètes devaient donc connaître si possible une des langues
pratiquées par ces Européens ou avoir au moins assez de psychologie pour se
mettre à leur diapason ; ils avaient également intérêt à connaître aussi un peu l’une
ou l’autre des langues de l’intérieur ou, à défaut, à savoir trouver les éléments
bilingues susceptibles de les relayer, tels les Bajiji sur les rives du Tanganyika.
Plus on avance dans le siècle, plus les voyageurs pratiquent eux-mêmes le
kiswahili. La situation est cependant différente au début. Voyons rapidement
quelques cas. Bien que Burton ait eu dans ses bagages la grammaire swahili de
Krapf, ni lui ni Speke ne pratiquaient cette langue. Speke le reconnaît : « Ni le
capitaine Burton ni moi-même n’étions capables de converser en aucune langue
africaine avant d’être presque arrivés à la côte à notre voyage de retour ». Leur
interprète privilégié fut le fameux Bombay : ayant été élevé en Inde, celui-ci
pouvait utiliser l’hindi que comprenaient les deux Britanniques. Burton
connaissait en outre l’arabe, ce qui explique ses relations préférées à Tabora ou à
Ujiji. Stanley reconnaît en qu’il ne parlait quant à lui que du « mauvais
kissouahili ». En revanche, Livingstone semble s’être familiarisé avec cette
langue, au fil des années passées sur les bords du Tanganyika. Dans les années
, les voyageurs venus du monde germanique, Baumann, von Götzen, Kandt,
ont fait l’effort d’apprendre le kiswahili, soit sur la côte orientale, soit en
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Allemagne même (comme Kandt). De même les Pères Blancs, en se reconvertissant de l’Afrique du Nord à l’ « Afrique centrale », sont passés de l’arabe au
kiswahili. À ce moment-là, le problème linguistique essentiel se trouve donc
reporté en aval, dans la relation entre swahilophones et Barundi ou Banyarwanda :
ce sont les interprètes riverains du Tanganyika, notamment les Bajiji, et non plus
les Wamrima de l’océan Indien qui dès lors occupent une position stratégique.
Van der Burgt avoue en que ni lui ni Van den Biesen (pourtant en train de
préparer un catéchisme en langue locale) ne sont capables de s’entretenir avec les
Barundi et qu’ils dépendent des interprètes . Grâce à l’aide de ces derniers, luimême publie dès un Dictionnaire français-kirundi, incluant des synonymes
en kiswahili et en allemand. Il nous cite le nom de l’un d’entre eux dans sa
grammaire éditée en : un jeune Mututsi, dit-il, nommé Bernard Kitwe,
peut-être un de ces « chrétiens barundi » amenés d’Ushirombo en .
L’évolution est donc allée dans le sens d’une simplification de la chaîne parlée :
anglais-hindi-kiswahili-giha-kirundi avec Burton à Nyanza en , françaiskirundi avec les pères Blancs de Mugera au début du xx e siècle.
On devine les incompréhensions et les malentendus qu’a pu susciter durant ce
demi-siècle la transmission des messages par le biais d’un ou deux intermédiaires.
Une erreur initiale concernant le sens du cours de la Rusizi peut être en partie
imputée à un contresens dans le « dialogue », mi-swahili, mi-hindi, établi entre
Hamed bin Sulayman, Bombay et Speke à l’île de Kasenge. Plus tard, c’est de son
interprète, sans doute aidé par quelques Banyamwezi ou Bajiji connaissant plus
ou moins le kirundi, que Baumann apprend que les cris de la foule saluent en lui
l’héritier des rois au « visage pâle », traduction pour le moins fantaisiste d’un
terme désignant en fait le surnom du mwami Mwezi (Gisabo, « La baratte ») ! Cet
interprète était un Massaï, nommé Kiburdangop, intégré à la culture swahili sous
le nom de Bakari bin Mfawme ; il accompagna l’expédition au moins jusqu’à
Busambo, sur les contreforts de la crête de la Kibira, où il fut tué lors d’une
attaque de guerriers barundi. Le choix de ce personnage était lié à l’objectif initial
de l’expédition : la traversée de la steppe massaï en direction du lac Victoria. Il
n’est pas sûr qu’il ait été adapté pour la traversée du Burundi improvisée par le
voyageur autrichien. La situation la plus comique est sans doute celle décrite par
Richard Kandt en juin à la cour royale du Rwanda . Comme il s’était aperçu
au Burundi que le guide qu’on lui avait confié à Tabora ignorait le « kitussi »,
écrit-il (amalgamant sous cette rubrique le giha, le kirundi et le kinyarwanda), il
dut recourir à la femme de son cuisinier supposée connaître « l’idiome des
Watussi de l’Uganda ». Comment s’étonner ensuite que lors de son entrevue avec
un représentant du mwami Musinga, il n’ait pu entretenir avec ce dernier qu’une
. PBR, Diaire de St-Antoine, //.
. J.-M. Van der Burgt ( : ).
. R. Kandt (, I : et ).
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Illustration 4 :Baumann, Mkamba et Mzimba :
trois « explorateurs du Burundi.
Gravure tirée de O. Baumann ( : ).
. G.A. von Götzen ( : -), O. Baumann ( : ). Voir l’illustration où Baumann pose avec à
ses pieds ses deux chefs de caravane.
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« conversation au compte-gouttes » ! En effet, la langue dite tutsi de cette femme
était probablement celle des Bahima du Nkore qui avaient migré au Buganda : or
la différence entre le runyankore et le kinyarwanda est très sensible. Clichés
ethniques et quiproquos linguistiques…
Malgré leurs faiblesses, ces intermédiaires africains, interprètes ou guides,
surent se rendre indispensables en assurant le contact humain avec la caravane et
avec les factoreries zanzibarites, grâce à leur expérience toujours plus grande des
expéditions continentales au long cours. La plupart se retrouvent dans plusieurs
voyages d’exploration. Le guide Saïd bin Salim, fourni à Burton et Speke en ,
est repris par Speke et Grant en . De même le fameux Bombay a été employé
successivement par Burton en , Speke en , Stanley en , Cameron en
. Mabruki, Ulimengu, Ferraji et Uledi, des anciens de Speke, sont avec
Stanley lors d’une ou deux de ses expéditions africaines. Edward Gardner et
Hassan bin Safeni, anciens suivants de Livingstone, sont repris par Stanley en
. De même, on voit von Götzen recruter Hussein Fara, un Somali, ancien
guide de Carl Peters en Uganda, Hassan Duncan, un autre Somali, ancien
compagnon du voyageur hongrois Teleki, le tirailleur Hamis wadi Ismaili, un
ancien des expéditions de Stanley en - et d’Emin Pacha en -, et enfin
le tirailleur Hailala wadi Baruti qui avait suivi Baumann au Burundi. Ces deux
derniers sont ombasha (caporaux) dans son expédition. Les deux responsables de
caravanes choisis par Oscar Baumann, les jeunes Mkamba et Mzimba bin Omari,
étaient, si l’on peut dire, des spécialistes, qui avaient commencé leur carrière
comme porteurs à Pangani. Le premier était un esclave qui revenait alors du lac
Rodolphe, le second avait prouvé son efficacité lors de la précédente expédition
de Baumann lui-même en Usambara .
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Ainsi, de véritables carrières de « cadres » caravaniers se distinguent, tantôt au
service des marchands zanzibarites, tantôt à celui des voyageurs européens, pour
devenir ultérieurement, dans certains cas, des intendants de postes administratifs
coloniaux ou de missions chrétiennes. Stanley rencontre en Uledi, un ancien
compagnon de Speke et de Grant, devenu trafiquant d’ivoire sur l’Ituri . Avant
de servir Livingstone et Stanley, Hassan bin Safeni avait été un agent de
Mohammed bin Gharib au Maniéma. Tofik, originaire d’Uganda, avait été réduit
en esclavage par des Wangwana, puis il avait combattu avec Rumaliza jusqu’au lac
Kivu et il connaissait le kirundi : von Götzen trouva en lui un guide précieux et
il le recruta à Dar-es-Salaam où il était devenu cabaretier . Majwara, encore un
Muganda, employé par Stanley, sera plus tard auxiliaire de la mission protestante
de la London Missionary Society à Urambo. D’autres eurent une existence encore
plus étonnante. Le dénommé Dallington ou Miftah, un affranchi originaire de la
région du Zambèze, envoyé un moment s’instruire en Angleterre, compagnon de
Stanley en -, reste au Buganda comme interprète à la cour royale à
l’intention des futurs visiteurs européens : Emin Pacha bénéficie de ses services en
; il devient même kitongole, c’est-à-dire chef du kabaka en . Plus
romanesque encore, voici la courte biographie de Kalulu (« Gazelle » en
kiswahili) : jeune esclave d’origine lunda racheté par Stanley en à Tabora,
éduqué en Angleterre, il accompagne son protecteur en Afrique centrale quatre
ans plus tard et périt noyé au Congo ; Stanley lui consacre une biographie
attendrie . Dans certains cas, des servants finirent par devenir de véritables
adjoints, tel Ali Kiongwe, originaire de Zanzibar, qui travailla au service du consul
Johnston sur le Zambèze, puis en Uganda, et qui accompagna à ce titre le missionnaire protestant Alfred Swann en jusqu’aux rivages du Burundi, où il
jouera même un rôle politique non négligeable.
Parmi les « fidèles » des Européens, se distinguent les affranchis, anciens esclaves
libérés et éduqués par des Blancs, pour lesquels le milieu caravanier représentait une
nouvelle famille. On peut distinguer deux grandes périodes : celle des affranchis
originaires de la région du Zambèze, du lac Nyassa et de la Rovuma dans les années
- ; celle des esclaves rachetés de la région des Grands Lacs, soit d’Uganda, soit
du sud du lac Victoria, soit encore des rives du Tanganyika, dans les années -.
Parmi les premiers, un certain nombre était issu de l’ethnie yao, dont le rôle de
courtiers entre le lac Nyassa et la côte de l’océan Indien est connu : on peut citer
Bombay et Mabruki (avec Burton et Speke), Cuma et Suzi (avec Livingstone) ou
Hailala wadi Baruti (avec Baumann). Cuma et Suzi avaient été emmenés en en
Inde et élevés dans une école missionnaire, comme beaucoup d’autres compagnons
. H.M. Stanley (, I : -). Sauf autres références, indiquées ici, les données sur ces « explorateurs noirs » viennent surtout de l’ouvrage de Simpson mentionné au début.
. G.A. von Götzen ( : - et ).
. Emin Pascha (, II, ), note de décembre .
. H.M. Stanley () : il s’agit d’une biographie romancée.
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de Livingstone de toutes origines. Mais le plus célèbre de ces Yao reste Bombay : né
vers , il avait été réduit en esclavage à l’âge de ans, puis emmené en Inde (d’où
son nom) par son maître ; à la mort de ce dernier, il était revenu en Afrique et était
devenu soldat au service du sultan de Zanzibar, puis il avait travaillé pour les Anglais,
ce qui l’avait amené à rejoindre Burton, puis Stanley et Cameron. Il reçut une pension
de la Royal Geographical Society de Londres en et il mourut en . C’était la fin
d’une époque .
Dans les années -, les missions protestantes ou catholiques implantées
dans l’intérieur se créent une clientèle. Parfois, il s’agit d’hommes libres ralliés au
christianisme, notamment au Buganda, qui fournit les premiers catéchistes,
comme ceux qui accompagnent Mgr Hirth au Rwanda en . Mais le plus
souvent, il s’agit d’esclaves rachetés, premier noyau de la communauté chrétienne,
ceux que les religieux appellent leurs « enfants » même quand ils sont devenus
adultes. Parmi eux, on trouve des gens originaires de l’Uganda actuel ou des
contrées du sud du lac Victoria (Basumbwa, etc.) ou encore des victimes des
razzias effectuées dans l’est du Congo (gens du Maniéma, Babembe…). Au début,
les missionnaires louaient ou achetaient des esclaves, comme de simples clients
des « Arabes » : le Père Deniaud et ses confrères arrivent à Ujiji en avec deux
« domestiques » originaires du Maniéma ; ils en embauchent quatre autres sur
place, puis un Arabe leur loue cinq esclaves, et ainsi de suite . Ultérieurement, en
juin , les Pères Blancs entrent au Burundi, suivis de fidèles déjà baptisés : six
chrétiens accompagnent Van der Burgt et Van den Biesen vers la Ruvubu, parmi
lesquels quatre d’origine burundaise (dont Jean Ndobewa) et deux Babembe ;
seuls trois Barundi chrétiens seront encore avec eux en Uzige .
On pourrait trouver dans ce milieu des émules de leurs prédécesseurs, de
loyaux serviteurs à la manière de Bombay ou des déserteurs à la manière d’Uledi.
En août , Mgr Roelens, vicaire apostolique du Haut-Congo, remonte la vallée
de la Rusizi sous la conduite de François Bulani, responsable africain de la mission
de Baudouinville, un ancien esclave racheté, originaire de la région du lac Kivu .
Autre exemple : un certain « Mariani », plus exactement Maridyani (« Corail » en
kiswahili), un affranchi amené de l’intérieur à Zanzibar par le Père Girault avant
, devient un des principaux auxiliaires de la mission d’Ushirombo dans les
années - : on le voit rendre visite à Van der Burgt en Uzige en
décembre , puis passer plusieurs fois à Mugera en à la tête de caravanes
qui assuraient la liaison entre la nouvelle mission du Burundi et le chef-lieu du
Vicariat ; certains le surnomment « le Muzungu » (le Blanc) ! À l’opposé de ce
. R.C. Bridges ( : -).
. PBR, Diaire de Rumonge, / et //.
. PBR, Diaire de St-Antoine, au //, / et //.
. V. Roelens (, I : -).
. Son nom est orthographié « Mardyani » dans une lettre du Père Bresson, Zanzibar, le //,
Missions d’Alger, , p. . PBR, Diaire de St-Antoine, // ; /, /, /, //.
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bon intendant, on voit également circuler en sa compagnie en un chrétien
qui semble d’origine bembe, nommé Xaverio Makoba (« Fusil à piston », en
kiswahili) : celui-ci reste à Uzumbura même après le départ de Van der Burgt en
, puis on le retrouve à Mugera en . De conflit en conflit et de rapine en
rapine, il se retrouve trafiquant à Uzumbura, puis bandit de grand chemin. Les
Allemands le pendent en . Fin d’une pieuse carrière …
S’il fallait récapituler l’histoire internationale des « explorateurs », au Burundi
par exemple, entre et , elle apparaîtrait singulièrement cosmopolite,
faisant figurer neuf Britanniques, un Américain, un Belge, un Suisse , un
Autrichien, une quinzaine de Pères Blancs, pour la plupart français ou hollandais,
et une douzaine de militaires allemands ; mais il faudrait également mentionner
cinq Asiatiques : les Goanais Valentino Rodrigues et Gaeteno Andrade et les deux
Beloutches qui accompagnent Burton et Speke en ; le Palestinien Selim
Heshmy, recruté par Stanley à Jérusalem en . Il ne faudrait pas oublier non
plus les cinq guides yao mentionnés plus haut, quelques Massaï et Soudanais venus
avec Baumann, un grand nombre de Banyamwezi, de Basumbwa, de Basubi, de
Bajiji, de Babembe, intégrés au personnel de ces premiers visiteurs européens. Tous
ont été au Burundi parmi les initiateurs d’un contact extérieur, sans parler de tout
le trafic habituel qui se développe à la fin du xix e siècle. Rien de l’aventure de
Christophe Colomb chez les Burton, les Livingstone ou les Baumann : les
Européens sont portés par le mouvement d’échanges de la région des Lacs.
WASHENZI
des sources du Nil
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Q
ue l’on considère les plus fameux ou les plus obscurs de ces voyageurs
africains ou asiatiques, on trouve des gens qui connaissent « le monde », fiers de
leurs équipées, de leur expérience et de leurs relations, volontiers hâbleurs et
arrogants avec les villageois. Les incidents sont fréquents entre les caravanes et les
populations visitées : en à Nyanza, le Goanais Valentino tue un des piroguiers
(mais « ce n’était qu’un esclave », se console Burton…). Les réquisitions et les
heurts ne se comptent pas : on n’en parle que lorsque le conflit dégénère. Il suffit
par ailleurs d’observer l’allure, la tenue vestimentaire (cotonnades cousues,
turbans ou chéchias à l’orientale…) et enfin l’importance des armes à feu chez les
principaux compagnons des Européens, si l’on en juge d’après les illustrations de
l’époque , pour mesurer, à travers ces signes d’autorité, la distance matérielle et
culturelle qui les séparait de la paysannerie burundaise ou rwandaise de l’époque.
. Ibid, et // ; /, /, // ; -/, // ; /, / et // ;
au //.
. Le Belge est l’ancien zouave pontifical Félix D’Hoop venu aider les missionnaires à Rumonge. Le
Suisse est le Frère Gustave, de Kibanga.
. Voir l’illustration .
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Regards africains sur les
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Illustration : Explorateurs méconnus
du Burundi (novembre ) :
on reconnaît le Palestinien Selim
(d’après H.M. Stanley, : ),
Suzi et Cuma (d’après D. Livingstone 1876, II : 53)
et Bombay (d’après V.L. Cameron, : )
. PBR, Diaire de Rumonge, //.
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Ils pouvaient se remémorer selon les cas la tradition virile des porteurs
banyamwezi ou les légendes des voyageurs des Mille et une nuits. Disons
brutalement qu’ils se considéraient comme des hommes « civilisés », aux côtés des
Européens, donc supérieurs à la masse des « sauvages » (washenzi) de l’intérieur.
Ce complexe de supériorité de semi-citadins s’exprimait même à un niveau très
humble : un cuisinier swahili d’Ujiji abandonna les Pères Blancs de Rumonge en
car il refusait, leur dit-il, de « vivre au milieu des sauvages ». Les intermédiaires africains n’étaient donc pas des guides neutres et, malgré la pauvreté des
sources, on peut essayer de déceler des éléments de leur idéologie.
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Il est exceptionnel que les guides aient laissé des souvenirs personnels de leurs
voyages. Sur le Rwanda, nous disposons d’une source de cette nature grâce au
linguiste allemand Carl Velten qui a publié le récit d’Abdallah bin Rashid, un
« Arabe » de Tanga qui accompagna von Götzen dans sa traversée de l’Afrique .
Ses notations, très proches de celles du voyageur allemand, traduisent le même
étonnement et parfois le même mépris pour des populations considérées comme
arriérées. Mais, par ailleurs, une lecture attentive de la littérature de voyages
permet, indirectement, de reconstituer au moins partiellement l’état d’esprit et les
préjugés de la plupart de ces intermédiaires. Un aspect très visible est celui des
revendications matérielles et des négociations qui s’ensuivent. Manifestement,
avec ces interprètes, soucieux tantôt de faire plaisir au « chef » blanc, tantôt de
ménager leurs intérêts, la formule rebattue selon laquelle traduction et trahison
vont de pair doit se compléter du terme de tractation, venant épaissir l’écran entre
les réalités du terrain et ce qu’en connaîtront le voyageur européen et ses futurs
lecteurs. Mais, plus profondément, deux facteurs doivent être mis en valeur : le
langage et les fantasmes véhiculés par la culture arabo-swahili de l’Afrique
orientale.
La médiation du kiswahili, langue des caravanes et des marchands, se lit dans
les dénominations diverses reprises par nos « explorateurs » comme autant de
termes africains authentiques. On le voit dans la cartographie : un lieu reçoit le
nom d’un chef connu des traitants d’Ujiji (par exemple Rumonge) ; le préfixe
swahili u- est employé spontanément et systématiquement à la place du buemployé en kirundi dans le mêmes cas ; la plaine de Bujumbura est longtemps
appelée Uzige d’après le nom d’une haute colline (Buzige) bien visible depuis le
lac ; les caps ou les promontoires sont parfois précédés du terme ras (qui a ce sens
en arabe et en kiswahili), etc. Ce placage linguistique subsistera jusqu’à l’indépendance avec l’emploi du terme Urundi pour désigner le Burundi.
Il en va de même pour les anthroponymes, en particulier pour les surnoms
attribués aux étrangers. Kanayogi, « Le Petit qui se baigne », a été appliqué à
Richard Kandt : il s’agissait initialement d’une plaisanterie de porteurs née de son
goût pour les baignades en rivière . Or ce nom s’est diffusé au nord du Burundi
et au Rwanda au début du xx e siècle, parfois interprété comme une allusion aux
enquêtes hydrographiques du voyageur allemand en , mais le plus souvent
sans que les gens connaissent sa signification initiale exacte. Cette ignorance
correspond en partie au mécanisme de la dation du nom dans la région, où seuls
les parents et les voisins proches peuvent apprécier le contexte ainsi désigné .
Mais dans ce cas, la difficulté est aggravée par le fait, nous expliqua un notable
burundais, que les gens n’osaient pas approcher les Blancs à l’époque des
. Abdallah bin Rashid ().
. R. Kandt (, II : ).
. Voir P. Ntahombaye ( : - et -).
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Allemands : ils ne pouvaient donc leur donner des noms en connaissance de
cause, et se contentaient d’entendre parler de tel ou tel . Or qui était apte à
colporter ces surnoms sinon les auxiliaires de culture swahili ? Une telle situation
se présente dès le début des contacts.
Plus généralement, tout un vocabulaire se diffusa auprès des Européens
concernant les réalités les plus quotidiennes du pays. Les écrits coloniaux fourmilleront de termes swahili : la bière de bananes est toujours appelée pombe
au lieu de urwarwa, les chefs sont définis comme wanyampara au lieu de batware,
le mwami est intitulé sultani. Cette façon de draper la société burundaise dans une
étoffe culturelle venue de la côte de l’océan Indien n’a pas été décidée par les
« explorateurs » : ils y ont été naturellement menés par le parler de leurs
auxiliaires.
À ces mots, déjà non innocents, s’ajoutaient des images plus ou moins stéréotypées ou fantasmatiques. Rwanda et Burundi font en effet figure de pays de
monstres et de merveilles dans les milieux zanzibarites du xix e siècle. En ,
Grant apprend à Tabora que les « Wahuma » du Karagwe avaient des bras et des
jambes d’une telle longueur qu’ils ne pouvaient marcher que sur les genoux et les
coudes ! En , von Götzen recueille auprès des milieux arabo-swahili des
légendes analogues sur le Rwanda : montagnes de feu, armées d’Amazones, nains
à grande barbe portant le souverain, gens dont la tête est si disproportionnée
qu’ils perdent leur équilibre sans cesse et doivent porter sur eux une flûte pour
appeler à l’aide ! À vrai dire, ces fantasmagories ont persisté dans certains esprits,
y compris en Afrique : c’est aujourd’hui l’effet de retour des stéréotypes anthropologiques européens sur la « race hamitique ». Mais les Arabes, les Indiens et les
Waswahili du xix e siècle ne manquaient pas non plus d’imagination. Trois grands
thèmes se détachent pour faire des populations des sources du Nil des « sauvages »
à part : la terreur exercée par ces montagnards, la qualité des esclaves qu’on
pouvait en tirer, enfin des affinités étranges entre fils de Cham et fils de Sem dans
ces parages. Examinons ces trois imageries.
De terribles guerriers
Ce ne sont pas les Européens qui ont inventé l’image des farouches Barundi
ou Banyarwanda. Avant même qu’ils aient mis les pieds sur les rivages du lac
Tanganyika ou sur les premiers contreforts orientaux de ces pays, ils étaient mis
en garde par les voisins. Hamed bin Ibrahim, depuis le Karagwe, décrit les
Rwandais comme des diables méchants et fourbes. À Ujiji, Wangwana et
autochtones détestent les Barundi pour leur « inhospitalité » : aussi bien Hamed
. Ntavyibuha, Bujumbura, //.
. J.A. Grant ( : ).
. G.A. von Götzen ( : -).
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bin Sulayman que le chef Kannena les décrivent devant Speke ou Burton comme
de « turbulents barbares », comme des « sauvages », presque des cannibales .
Livingstone entendra les mêmes propos une dizaine d’années plus tard chez ses
amis d’Ujiji. Et à l’est du pays, les Bashubi de Rwabigimba inquiètent la caravane
de Baumann par leurs récits ; le roi Gihumbi au Buha du nord prévient les Pères
Blancs en de ce qui les attend au-delà de la frontière. La rumeur semble
même s’être répandue depuis le milieu du siècle jusqu’à la côte de l’océan Indien,
s’il faut en croire les instructions remises à Burton avant son départ. La raison
d’une telle réputation est claire. Écoutons ce que l’Arabe Ben bin Ibrahim
explique lui-même à Stanley en : « Ils n’ont jamais permis à un Arabe de
trafiquer dans leur pays, ce qui prouve que ce sont de mauvaises gens ». Von
Götzen lui fait écho en en notant que les échecs des Arabes dans la région
expliquent les légendes fantastiques courant sur ces peuples. De même au
Burundi les échecs des Zanzibarites sur les frontières de l’ouest et, en , la
déconfiture de Mirambo à l’est rendent compte de la réputation négative diffusée
par des voyageurs européens, eux-mêmes « informés » par leurs intermédiaires
wangwana, banyamwezi ou bajiji.
Un auteur récent explique que les Bajiji qui transportèrent Burton et Speke sur
le lac ont évité les rivages du Burundi pour aller à Uvira, par peur des
« redoutables Tussi ». Ni Speke ni Burton n’attribuent aux Batutsi cette
prudence de leurs piroguiers : c’est globalement l’agressivité des Barundi qui est
mise en cause et, on peut le dire, à juste titre. Toute la littérature sur les « pasteurs
guerriers » qui s’est développée depuis explique cette interprétation récente.
Pourtant, certaines des expériences faites par les Zanzibarites sur les bords du lac
Tanganyika peuvent aussi avoir aidé à cristalliser cette idée d’un monopole
politico-militaire tutsi dressé contre l’étranger. Nous voulons parler de l’histoire
du royaume du Bujiji au milieu du xix e siècle, et en particulier de ses districts
riverains du lac (la région de la factorerie d’Ujiji). À une date située approximativement entre (date probable du raid ngoni) et (le passage de Burton), un
soulèvement éclata contre le mwami Ruyama, présenté comme un usurpateur,
mais surtout comme un Mututsi des montagnes du Manyovu (le cœur du
royaume), hostile aux usages de la plaine (notamment la consommation de
poisson). Le chef des rebelles était un muteko (chef de la terre), donc un Muhutu
dans ce contexte, nommé Hebeya : il eut l’appui des gens de la plaine, mais aussi
des Wamrima Mwinyi Akida et Mwinyi Hassani dont nous avons vu l’influence
durant au moins deux décennies. Ruyama dut fuir et fut remplacé par son frère
Mugasa. On notera aussi qu’en Kannena, le petit chef qui accueillit Burton,
. J.-P. Speke ( : ). Le thème du cannibalisme semble être une extrapolation de commentateurs
(Cf. Das Ausland, //, p. ).
. H.M. Stanley (, I : ).
. C. Oliver ( : ).
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était semble-t-il, d’origine servile . Autrement dit, aux yeux des étrangers du
comptoir, les riverains du lac, essentiellement bahutu, incarnaient la collaboration
et l’amitié, tandis que les chefs de la montagne, classés comme batutsi,
incarnaient la résistance, donc la sauvagerie et l’inhospitalité. L’image a pu
fonctionner plus au nord, au Burundi, car les rapports entre l’Imbo et l’intérieur
présentaient des analogies avec ce que nous venons de voir et, dans les années
en particulier, les Wangwana purent opposer l’accueil des chefs de la plaine à la
résistance irréductible de la crête, c’est-à-dire les Bahutu aux Batutsi : les préjugés
ne sont pas gênés par le schématisme, ils peuvent même s’en nourrir.
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Tout commence par des impressions, des visages qui en évoquent d’autres,
notamment par des comparaisons avec des traits physiques de la Corne de
l’Afrique, chez les Somali ou les Galla (Oromo). Les Wamrima ou les Arabes ont
naturellement tendance à faire des rapprochements avec ce qu’ils connaissent sur
les côtes de l’océan Indien. Abdallah bin Rashid croit retrouver au Rwanda des
visages somali, comme il avait déjà comparé les Wafiome (un groupe de langue
sud-kouchitique) avec les Galla et les étoffes d’écorce sukuma avec celles du
Buganda, non sans la tentation de discerner chaque fois des influences et des
parentés . Le petit jeu des comparaisons est encouragé par la diversité des ethnies
représentées dans les grandes caravanes : des Somali se comparent à des Bahima,
mais Bombay discerne des usages yao dans la région . Comparaison n’est pas
raison et l’histoire ne peut se satisfaire des schémas diffusionnistes, mais on voit
comment de tels schémas germent spontanément, de façon impressionniste : nous
retrouvons ici la façon dont, à partir de types physiques dits éthiopiens ou
nilotiques dans la région des Grands Lacs, notamment chez les catégories
pastorales, a été élaborée l’hypothèse hamitique.
La comparaison d’une partie des habitants de la région des lacs avec les Galla
ou les Somali n’était pas innocente. Ces deux peuples fournissaient les esclaves
domestiques africains les plus appréciés au Moyen-Orient. On vantait leur
amabilité, leur intelligence et surtout la beauté des filles . Peut-être était-ce le
prolongement d’une imagerie très ancienne dans le monde arabe, où le modèle
des beaux Noirs était plus éthiopien ou nubien que centre-africain. Les observateurs européens sont frappés par la faveur accordée par les Arabes aux groupes
. SOAS, District Book de Kigoma (D.B., vol. VII, p. -, « Tribal History and Legends »). R.C.H.
Risley, in Tanganyika Notes and Records ( : ).
. Abdallah bin Rashid ( : , , ).
. Cf. G.A. Von Götzen ( : ) ; H.V. Von Schweinitz (), d’après Das Ausland, , ,
p. . ; F. Ratzel (, I : ).
. F. Renault (, I : ) ; J.-L. Krapf ( : ).
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Des esclaves potentiels
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répondant à ces critères. Ces derniers sont d’ailleurs variés au milieu du xix e
siècle, avant que les stéréotypes raciaux ne se soient fixés : Livingstone note que
les Arabes de Tabora admirent les « tribus de rang supérieur » qui se distinguent
par un nez droit et peu aplati, telles que les Batutsi, les Balunda du Kazembe ou
les gens du Maniéma . La réputation des filles hima du Nkore et du Karagwe ou
celle des filles tutsi du Rwanda offraient un grand sujet de conversation dans les
factoreries zanzibarites. Hamed bin Ibrahim affirme à Stanley qu’il épouserait une
femme du Rwanda aussi volontiers qu’une compatriote de Mascate . Emin Pacha
note que leur valeur était très élevée, car les traitants pouvaient les revendre au
Moyen-Orient, à condition qu’elles aient le teint clair, avec autant de profit que
des filles galla ou abyssines . On sait que cet aspect des choses joua également un
rôle non négligeable dans la séduction exercée sur Speke par la cour royale du
Karagwe.
L’image des montagnards des Grands Lacs était donc ambivalente comme
dans tous les fantasmes raciaux. Elle avait un revers détestable et redouté et une
face séduisante et fascinante. Des hypothèses historiques, tendant à expliquer la
contradiction à partir de la tradition anthropologique biblique circulèrent parallèlement dans les milieux monothéistes, musulmans ou chrétiens .
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Les Somali, islamisés et fiers de se distinguer des « païens » galla (le sens
même de cet ethnonyme accolé aux Oromo), se forgèrent précocement des
traditions d’origines arabes, auxquelles Speke fait écho . L’hypothèse d’un
mélange chamito-sémitique fit son chemin, on le sait, jusqu’à la région des Lacs.
Les Arabes, les premiers, rattachaient volontiers les peuples ou les potentats qui
leur plaisaient à leur propre communauté : les rois de la région ont une origine
arabe, disait Hamed bin Ibrahim à Stanley en . Burton avait également
recueilli à Tabora l’hypothèse d’une origine somali des dynasties hinda. Les
Waswahili, de leur côté, du fait de leur position de métis culturels, étaient très
intéressés par toutes les généalogies susceptibles de les mettre en valeur ou
simplement d’expliquer leur situation. La malédiction des enfants de Cham
aurait été le fait de Mohammed sur la route de Médine à La Mecque, selon un
récit que Bombay avait entendu de la bouche de son ancien maître arabe : une
femme avait voulu cacher son troisième enfant au Prophète qui la punit en
. D. Livingstone (, II : ).
. H.M. Stanley (, I : ).
. Emin Pascha ( : ).
. Cf. J.-P. Chrétien ( : -).
. J.H. Speke ( : -).
. H.M. Stanley ( : ).
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Fils de Cham et fils de Sem
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vouant la lignée de ce dernier à la négritude et à la servitude. On comprend
l’intérêt des filiations persanes ou arabes si répandues dans les cités swahili. Des
sermons populaires semblent avoir largement contribué à la diffusion de ces
pieuses légendes . Les néophytes du christianisme ont la même ardeur à se
classer par rapport à des généalogies des Écritures saintes : des chrétiens
baganda, convaincus par les missionnaires que Kintu, héros fondateur du
royaume, venait du haut Nil, porteur d’éléments du message biblique, s’enthousiasment pour cette idée, note le Père Denoit en , parce qu’elle leur fournit
« un argument contre ceux qui les accusent d’abandonner les traditions des
ancêtres ». Les va-et-vient intellectuels entre les hypothèses des Européens et les
suppositions de leurs alliés ou de leurs adjoints ne sont pas aisés à démêler. Von
Götzen a pu se laisser abuser par deux Bahima de la région d’Ushirombo qui,
en présence du Père Capus servant d’interprète, lui affirment leur parenté
ancienne avec les Blancs : l’hypothèse de Speke leur avait été suggérée, mais euxmêmes n’avaient-ils pas sauté sur l’occasion d’être privilégiés par les nouveaux
maîtres de la région ?
L’idéologie des intermédiaires africains ou asiatiques associait donc des intérêts
du moment et des traditions locales, musulmanes ou chrétiennes selon les cas. Les
premiers sont assez faciles à discerner ; les secondes relèvent d’une grille culturelle
est-africaine qui mériterait des études plus approfondies. C’est aussi dans cet
univers imaginaire que circulaient les voyageurs européens : la source du Nil, les
Monts de la Lune et les villes de cuivre des géographes antiques ou des Mille et
une Nuits hantaient les Arabes et les Waswahili qui accueillaient ou qui accompagnaient les « explorateurs ». Comment s’étonner dès lors que le jeune Oscar
Baumann, déjà lecteur de Speke et de Stanley, ait, une fois arrivé sur le terrain,
écouté avec complaisance son interprète lui parler des redoutables « baronspillards batutsi », oppresseurs des autochtones « barundi » et lui raconter le roi
Mwezi-au-visage-pâle, ancien empereur des Monts de la Lune ! Ses guides lui
répétaient ce qui était déjà peu ou prou dans l’imagination des guides qui avaient
accompagné ses prédécesseurs dans la région vingt ou trente ans plus tôt. La
science des races put se greffer sur cet imaginaire merveilleux. Certains avaient
bien dit à Baumann que Mwezi était un Murundi, donc un « souverain
national », note-t-il, mais cette conception, trop banale sans doute pour être vraie,
ne retint guère son attention . La vérité devait être, non celle des sauvages
washenzi, mais celle de ses compagnons plus civilisés : c’était les premiers pas d’une
. J.H. Speke ( : -). Nous devons cette indication sur l’importance des sermonnaires
populaires au regretté J. Ducatez.
. Lettre de Denoit à Lavigerie, Ouganda, // (Missions d’Alger, , p. -).
. Voir à ce sujet le témoignage du capitaine K. Herrmann, in Deutsch-ostafrikanische Zeitung,
//.
. O. Baumann ( : ).
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Les premiers voyageurs européens dans cette région d’Afrique orientale ont
donc mis leurs pas sur les sentiers déjà tracés par des voyageurs africains. On peut
distinguer plusieurs cercles ou plusieurs réseaux de mobilité, aux horizons plus ou
moins lointains, et de nature essentiellement commerciale, qui préparent, sans
même le savoir, la « pénétration » étrangère. Aux aventuriers des débuts succèdent
rapidement des conquérants (militaires, administratifs ou religieux), qui vont
transformer les colporteurs et les guides africains en porteurs et en agents. La
colonisation suscitera de nouvelles formes de mobilité (chemins de fer, etc.), mais
après avoir au préalable instrumentalisé, contrôlé et parfois figé les mobilités préexistantes.
L’évolution des conditions de « voyage » et du profil des « voyageurs » étrangers
en Afrique orientale au cours de la deuxième moitié du xix e siècle conduit à faire
éclater la notion « d’explorateur ». Ce terme désigne en fait un mirage, nourri
autant de l’enthousiasme romantique qui s’installe dans la tête des découvreurs de
terres nouvelles (et inspire leurs récits) que des fantasmes sur les sources du Nil
entretenus auprès des publics européens par les magazines spécialisés et par les
sociétés de géographie. Il n’existe pas de métier « d’explorateur » : parmi les
Européens, il s’agissait de militaires (ou anciens militaires), de missionnaires
(catholiques ou protestants), de journalistes, de scientifiques (notamment des
naturalistes), qui avaient bénéficié de financements liés à des objectifs
économiques ou politiques. Leur statut d’explorateur est une construction
culturelle. De même nos voyageurs africains, visiteurs du Burundi, ont une
activité économique et une expérience des expéditions à moyenne distance et ils
gagnent leur vie auprès de leurs patrons blancs (ou asiatiques). Ils n’en sont pas
moins explorateurs à leur échelle. Ils savent aussi ouvrir les yeux et tendre les
oreilles, ils savent raconter et même parfois écrire ou inspirer des écrits. Plus tard,
des années aux années , les jeunes migrants burundais ou rwandais qui
iront à pied chercher du travail (et des shillings) dans les plantations d’Ouganda
ou du Tanganyika, concevront aussi ces déplacements pénibles comme des
aventures et comme une véritable initiation qui nourrira leurs récits au retour
dans leurs enclos . Ils allumeront l’imagination de leurs familles au même titre
que celle des amateurs d’exotisme européens à l’écoute des explorateurs du siècle
précédent.
. Sur la complexité des circulations et des allers-retours entre imaginaires locaux et imaginaires
coloniaux et sur le rôle des différents intermédiaires culturels, on pensera aux travaux de Serge
Gruzinski ().
Voir J.-P. Chrétien ().
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autorité fondamentale de l’époque coloniale, l’interprète. Les rêveries des intermédiaires musulmans, peuplées de harems orientaux ou de pasteurs géants, ont nourri
aussi la rencontre des imaginaires qu’a représentée cette époque en Afrique .
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Abstract
European “explorers” were not the glorious pioneers one may imagine. In the Great
Lakes Region of East Africa, as everywhere, they were accompanied by porters, guides,
and interpreters, whose help as well as the information they provided are seldom acknowledged in European narratives of discovery. New attention to the scattered
mentions concerning these travels points towards a cosmopolite universe of professional African informants and travel companions who found employment with these
varied expeditions. This essay also discloses the extent of the networks used by African
and Asian traders and middlemen who paved the road to European penetration in
Burundi and Rwanda.
Résumé en kirundi
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Abazungu ba mbere bagendeye Afirika sibo bahateye isemo ya mbere nk’uko abantu
benshi bavyibaza. Dufatiye nko ku ibihugu vyo hagati y’ibiyaga, izo ngenzi zaherekezwa
n’abikorezi, ababereka inzira hamwe n’ababafasha gutahura ibivuzwe muzindi ndimi.
Abo bantu ntibavugwa cane mu nkuru zivuga ivyo abo Bazungu babonye. Ariko wihweje
neza ibivugwa muri izo nkuru, baravuga rimwe rimwe aba nya Afirika baharekeje abo
Bazungu babasigurira ivyerekeye ibihugu baciye mwo, kandi uwo murimo bakawukora
nk’abawumenyereye. Ivyanditswe mur’iki gikorwa birerekana kandi n’imirwi
y’abadandaza hamwe n’abandi ba nya Afirika, n’aba nya Aziya, bakoreshwa muri urwo
rudandazwa, abo nabo akaba aribo bateguriye Abanyaburaya inzira zo kwinjira mu
Burundi no mu Rwanda.
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