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A l’annonce du verdict, Claude Muhayimana est resté stoïque et impénétrable comme il l’a été tout au long de son procès. Jeudi 16 décembre, l’ancien chauffeur de la guest-house de Kibuye, dans l’ouest du Rwanda, a été condamné à quatorze ans de réclusion pour « complicité de génocide » par la Cour d’assises de Paris au terme de délibérés qui ont duré une dizaine d’heures, les jurés devant répondre à au moins 100 questions. Agé de 60 ans, le Franco-Rwandais, qui comparassait depuis le 22 novembre, a été reconnu coupable d’avoir transporté des miliciens sur différents lieux de massacres pendant le génocide des Tutsi au printemps 1994.
Les faits étant liés au « crime des crimes », ils sont imprescriptibles. « En suivant quasiment les réquisitions du ministère public [qui réclamait une peine de 15 ans], la Cour a considéré qu’il n’y avait pas de petites mains, ni de petits exécutants dans un génocide, a déclaré Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka, une association de soutien aux rescapés, qui s’était constituée partie civile. Il n’y a pas de faits mineurs dans un génocide dans lequel un million de Tutsi ont été massacrés. »
« Claude Muhayimana n’est peut-être qu’un maillon mais chaque maillon, chaque individu, a joué un rôle dans l’entreprise génocidaire, a ajouté Matthieu Quinquis, avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), également partie civile. A un moment donné, chacun doit rendre des comptes et c’est ce qui s’est passé ce soir. »
Au cours du procès, une quinzaine de témoins ont affirmé, pendant les trois semaines et demie d’audience, avoir vu Claude Muhayimana transporter, au volant « d’une Daihatsu Bleue » puis « d’un Hilux rouge », des Interahamwe, des miliciens responsables de très nombreux massacres, dans les alentours de Kibuye et sur les collines de Bisesero. Autour du lac Kivu, les tueries ont fait au moins 72 000 morts entre le 7 avril et la fin du mois de juin 1994.
Claude Muhayimana « s’est positionné au plus près des crimes », a déclaré le ministère public à l’audience. L’accusé « ne peut ignorer à quoi il a contribué », notamment parce que, sur la plateforme de son véhicule, les miliciens chantaient qu’il fallait « exterminer les Tutsis ». « Du fœtus au vieillard, dans des charniers à ciel ouvert, une chaîne de vie a été éradiquée », avait expliqué Myriam Fillaud, avocat général.
Claude Muhayimana a rejoint la France à la fin des années 1990. Un mandat d’arrêt a été émis contre lui par les autorités rwandaises en décembre 2011. Quelques mois plus tard, la cour d’appel de Rouen, où il vivait avant son incarcération, a donné un avis favorable à son extradition avant que la Cour de cassation n’annule cette décision. Ce refus a été réitéré en 2014, à la suite d’un avis favorable de la cour d’appel de Paris. L’audience devait initialement se tenir en septembre 2020 mais elle a ensuite été décalée à deux reprises à cause de la pandémie de Covid-19.
Rescapés et anciens tueurs
En juin 2013, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui traque les présumés génocidaires réfugiés sur le territoire français, avait déposé plainte contre lui. « C’est un long processus judiciaire qui s’achève ce soir et il se termine par une condamnation, a fait savoir Alexandre Kiabski, avocat du CPCR. Cela signifie que les victimes ont été entendues et que le Collectif que je représente ne s’était pas trompé. »
L’accusé, placé un an en détention provisoire en 2014, travaillait jusqu’à présent en tant que cantonnier à la mairie de Rouen. Immobile pendant les longues heures d’audience, bras et jambes croisés devant ses avocats, Claude Muhayimana est-il cet « homme ordinaire » que sa défense a décrit au fil du procès ? « Les crimes que nous avons évoqués sont extraordinaires, a tranché Aurélie Belliot, avocate générale. Il a été un acteur dans le dispositif de la traque des Tutsi. »
Les deux parties ont toutefois reconnu la fragilité des témoignages entendus. Rescapés des massacres ou anciens tueurs, une cinquantaine de témoins se sont succédé à la barre. « Ils ne permettent pas de concourir à l’éclosion de la vérité, a plaidé Me Philippe Meilhac, l’un des trois avocats de Claude Muhayimana. Il est impossible de dater certaines attaques car il y a peu de détails et finalement très peu de concordances. On s’est installé dans un flou, on ne voit pas grand-chose. »
Claude Muhayimana est difficile à cerner. Avant sa naturalisation en 2010, il avait effectué une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Celle-ci avait été refusée parce que son parcours comprenait déjà des zones d’ombre et des éléments mensongers, comme la mort d’une partie de sa famille. Il l’a justifié à la barre par « une erreur de traduction ».
Même s’il parle bien le français aujourd’hui, Claude Muhayimana s’est exprimé en kinyarwanda, la langue communément parlée au Rwanda, pour nier en bloc toutes les accusations portées contre lui. « Ces témoins accusateurs, ils sont formés pour accuser », a-t-il martelé. Le président a parfois semblé irrité par ces dénégations, notamment lorsque l’accusé a dû expliquer pourquoi le planning des gendarmes français censés enquêter sur lui au Rwanda avait été retrouvé à son domicile avec la liste des témoins que ces derniers devaient rencontrer. Après quelques hésitations, Claude Muhayimana a reconnu qu’il avait mandaté une avocate rwandaise pour contacter des témoins à Kigali et leur proposer de l’argent.
Crise de malaria
Le Franco-Rwandais est resté fidèle à la version des faits qu’il avait initialement présentée, selon laquelle il ne se trouvait pas à Kibuye pendant les massacres de masse. Il a présenté un certificat attestant qu’il était en déplacement à Ruhengeri, dans le nord du Rwanda, entre le 14 et le 27 avril, afin d’acheminer la dépouille d’un gendarme, tué pendant des combats.
D’après lui, il ne pouvait donc se trouver dans la région de Kibuye lorsque se sont déroulées les tueries perpétrées dans l’église (le 17 avril, près de 2 000 morts) et au stade Gatwaro (le lendemain, 11 400 morts), contrairement à ce qu’ont dit certains témoins.
L’accusé a ensuite déclaré que, après son retour de Ruhengeri, il était resté chez lui « sans pouvoir conduire » pendant quasiment deux mois, à la suite d’une crise de malaria. Mais il a cette fois été contredit par son ex-femme, qui l’a qualifié de « menteur » et de « manipulateur ». « Il partait avec des miliciens le matin et revenait avec eux le soir », s’est-elle souvenue, soulignant toutefois qu’elle « n’avait jamais vu de traces de sang sur ses habits ». « Claude Muhayimana a toujours préservé son véhicule, a déclaré pendant l’audience Matthieu Quinquis, avocat de la Licra. Il lui aurait suffi de couper une durite ou de dégonfler un pneu pour ne pas conduire les miliciens et préserver ne serait-ce qu’une vie. »
Les avocats de Claude Muyahimana ont plaidé la contrainte, rappelant que son ex-femme était une Tutsi et qu’il avait « peut-être été contraint de donner des gages minimums comme conduire des Interahamwe » pour lui sauver la vie. Ils ont enfin souligné que l’accusé est membre du Congrès national rwandais (RNC), un parti d’opposition au régime de Paul Kagame, et que, en tant qu’opposant, il était victime d’une persécution de Kigali. Mais l’élément de contrainte n’a pas été retenu par la Cour d’assises de Paris. Ses avocats ont annoncé qu’ils entendaient faire appel de ce jugement.