Fiche du document numéro 29024

Num
29024
Date
Mardi 21 septembre 2021
Amj
Taille
32848
Sur titre
Par un collectif d'universitaires, de personnalités civiles et politiques
Titre
Génocide des Tutsis : un «Que sais-je ?» qui ne sait pas grand-chose
Sous titre
Après une première édition contestée, la deuxième édition du «Que sais-je ?» de Filip Reyntjens parue cet été continue de diffuser des thèses niant des éléments fondamentaux du dernier génocide du XXe siècle, alerte un collectif de 90 personnalités.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La première édition du « Que sais-je ?» de Filip Reyntjens sur le génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda avait, lors de sa parution, suscité l’indignation d’une liste impressionnante d’historiens et d’experts du sujet, exprimée dans une lettre ouverte en 2017. Le 18 août dernier paraissait la deuxième édition de cet ouvrage, ne comprenant que des mises à jour mineures et des modifications superficielles. A l’évidence, les critiques soulevées lors de la première édition n’ont guère retenu l’attention de son éditeur, lequel n’a exigé aucun remaniement de fond du manuscrit.

Nous ne pouvons que nous étonner qu’un éditeur, visant à mettre le savoir à la portée de tous, ait pu ignorer les alertes d’historiens reconnus et participe à la diffusion, une deuxième fois, de thèses niant des éléments fondamentaux du génocide des Tutsis. Ce faisant, le groupe d’édition Humensis (propriétaire des PUF) a non seulement contribué à la vulgarisation de thèses historiquement obsolètes, mais apporte également du crédit à un auteur défendant des thèses révisionnistes sur le dernier génocide du XXe siècle.

Cette nouvelle édition ne répond aucunement aux abondantes critiques formulées en 2017. Filip Reyntjens, qui aime rappeler que l’histoire a besoin d’être constamment révisée par le débat, n’applique vraisemblablement pas ce principe à son propre travail et a choisi d’ignorer les remarques n’allant pas dans son sens. De nouveau, il persiste à inverser l’ordre des responsabilités du génocide et à soutenir, contre toute logique historique et intellectuelle, l’absence de planification du génocide.

Le résultat d’un processus non prémédité



Reprenant l’un des arguments fétiches des auteurs du génocide, Filip Reyntjens nie la planification préalable du génocide commis contre les Tutsis, en soutenant qu’il fut le résultat d’un processus non prémédité, déclenché par l’assassinat du président Habyarimana et facilité par la peur du Tutsi existant au sein de la population.

Cette négation de la planification du génocide, étayée de manière douteuse par des sources limitées et sélectives, est d’autant plus étonnante que ce même Filip Reyntjens déclarait en 1995, sous serment devant la justice belge : « Cependant je sais d’après de nombreux témoignages fiables qu’un projet génocidaire et de massacres politiques existait depuis longtemps et dont on voit les premiers signes déjà à la fin de l’année 1991.»

Engagé dans une guerre médiatique contre le Front patriotique rwandais (FPR) depuis 1990 au détriment de l’objectivité de ses travaux, Filip Reyntjens reprend les thèses nauséabondes attribuant la responsabilité du génocide des Tutsis au FPR qui, dès octobre 1990 « ne pouvait ignorer […] que l’attaque mettrait en péril de façon aiguë les Tutsis de l’intérieur », accablant les victimes du génocide d’une partie de la responsabilité de leurs bourreaux (cf. notes 1 et 2).

La boussole qui refuse de montrer le nord



Il minimise ainsi dans son analyse le non-lieu prononcé en décembre 2018 en faveur du FPR par la justice française sur l’attentat qui coûta la vie au président Habyarimana, ignore les éléments apportés par les enquêtes balistique et acoustique prouvant le départ des missiles depuis le camp de Kanombe contrôlé par les extrémistes hutus, et parle envers et contre tout d’un « faisceau d’indications désignant le FPR comme auteur de l’attentat (3).»

Alors que nous avions accordé le bénéfice du doute lors de la première édition, et pensé que le petit livre à la boussole avait involontairement perdu le nord, cette deuxième édition nous confirme qu’il s’agissait d’un choix délibéré.

En choisissant d’ignorer les critiques d’historiens et d’experts de renom, et en publiant de nouveau, inchangées, les théories d’un « chercheur acteur » ayant plus d’une fois exprimé des propos se situant à la limite du négationnisme, les responsables de la collection ne peuvent plus feindre l’ignorance ou plaider la négligence (4). C’est donc bien la boussole qui refuse de montrer le nord !

Alors qu’en France, le rapport Duclert a récemment mis un terme à vingt-sept années de déni sur la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis, les responsables de la collection « Que sais-je ?» décident quant à eux d’en republier une lecture révisionniste.

L’histoire du génocide des Tutsis, la mémoire du million de victimes et les rescapés ne méritaient pas un tel mépris. Les lecteurs de la collection « Que Sais-je ?» ne méritent-ils pas davantage de rigueur historique et académique ?

(1) Front patriotique rwandais (FPR), mouvement politique et militaire créé en 1987 par des réfugiés rwandais. Leur objectif est le retour des réfugiés et la suppression des discriminations ethniques et régionales établies par les deux premières républiques.

(2) Les Risques du métier de Filip Reyntjens, éditions L’Harmattan, Paris (2009), p. 25 : « Dans le cadre des débats évoqués plus haut, je suis associé à une initiative du régime, qui tente de reprendre le dessus dans la guerre médiatique qu’il est en train de perdre face au FPR. Début novembre, je suis contacté par Fabien Singaye, diplomate en fonction à l’ambassade du Rwanda à Berne.»

(3) Le Génocide des Tutsi au Rwanda, de Filip Reyntjens, « Que sais-je ?» PUF, page 34.
(4) Les Risques du métier de Filip Reyntjens, éditions L’Harmattan, Paris (2009).

Parmi les signataires : Guillaume Ancel, Ancien lieutenant-colonel, vétéran de l’opération Turquoise, témoin et auteur de Rwanda, la fin du silence, Stéphane Audoin-Rouzeau, Historien, directeur d’études à l’EHESS, Mehdi Ba, Journaliste à Jeune Afrique, Annette Becker, Historienne, Paris-Nanterre, Benjamin Beeckmans, Président du Centre communautaire laïque juif David-Susskind (CCLJ), Hervé Berville, Député de la République française, Diogène Bideri, Docteur en droit, auteur, conseiller juridique principal à la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), Juliette Bour, Doctorante en histoire à l’EHESS et au CNRS, Marguerite Carbonare, Témoin privilégiée de l’histoire rwandaise depuis 1989, Cloé Carbonare, Professeure agrégée d’arts plastiques…

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024