Fiche du document numéro 28958

Num
28958
Date
Dimanche 26 juin 1994
Amj
Hms
20:00:00
Taille
50944
Sur titre
Journal de 20 heures
Titre
Didier Tauzin : « S'ils agressent qui que ce soit, il est évident que nous réagirons par la force, et violemment. Il n'y aura pas de quartier »
Sous titre
Édition spéciale Rwanda [avec notamment des reportages à Kibuye, au camp de Nyarushishi et à Kigali et des interviews du cardinal Etchegaray, d'Alexis Kanyarengwe, du colonel Tauzin et du général Lafourcade].
Nom cité
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FPR
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Résumé
- The headquarters of the French forces is located in Goma. Since Thursday [June 23], four reconnaissance missions have been carried out by soldiers in Rwandan territory.

- Close to the Kibuye church, the stadium. All the testimonies speak of a carnage of 3,000 people killed around mid-April. The dead were buried in quarries and forests all around the city.

- The investigations into these massacres are only just beginning. It will take a lot of courage to listen to all the stories of these atrocities.

- Today, in the north-west of the country, the French army carried out its deepest intervention in Rwandan territory, about a hundred kilometers. The region is totally controlled by the government army and Hutu militias. In fact, there are hardly any Tutsis left here. For the Hutus in this region, it therefore seems obvious that the French army has come to help them. Even if the French soldiers carefully avoid making contact with the Hutu authorities on the spot.

- Five kilometers from the Zairian border, a sacked religious mission bears witness to a massacre that took place following the attack on President Habyarimana on April 6. Today, 300 Hutu refugees are settled in the mission. They fled the regions conquered by the RPF rebels. Here, French soldiers are welcomed as true heroes.

- On the side of the road to Goma, Cardinal Etchegaray, special envoy of Pope John Paul II, declared: "The Church has been really weakened, beheaded. This Church, which has betrayed a lot here, deserves when even a comfort".

- In Kigali, the Patriotic Front of Rwanda now controls the entire periphery of Kigali, including the airport and the large stadium in the capital. A few RPF soldiers listen idly to the radio of the Hutu militias, the Interahamwe, which broadcast from downtown Kigali. "Young girls of Rwanda, put on your best clothes and roll out the red carpet in front of the French soldiers who are coming to save you", proclaims the announcer. Which is not precisely done to reassure the rebels.

- The first French incursions into Rwandan territory seem to have alleviated the concerns of the RPF. These concerns are nonetheless real, as its president, Alexis Kanyarengwe attests: "Our apprehensions are mainly due to the past, following the presence of French troops here in our country".

- The propaganda has done its work: that of the Patriotic Front of Rwanda which denounces the French intervention. That especially of the government and the Hutu militias who applaud him with virulence. It will take a lot of caution for the French government and its army to make this propaganda lie.

- In Nyarushishi camp, we are satisfied with the strict minimum provided by the Red Cross. The refugees, resigned, do not complain but they still have in their heads the memory of the days of hell. The Tutsi were the main victims of the massacres. But in some camps, there are Hutus. And among them there are very particular Hutus who would have participated in the massacres and who would have abandoned their weapons to blend in with the refugee population. Impossible of course to recognize them. The French are here to protect all the survivors of this appalling genocide.

- It was at Nyarushishi that the first French landed in Rwanda. The camp here is a bit of a showcase for the operation. For three days, the uninterrupted broom of helicopters has supplied them with food and ammunition. The men are already equipped with Milan missiles and rockets. They believe that this weaponry is currently sufficient to respond to a possible threat. At the slightest serious alert, helicopters can deliver reinforcements within a quarter of an hour.

- For Colonel Didier Thibaut [Tauzin], "If they attack anyone, it is obvious that we will react by force, and violently. There will be no quarter".

- For the moment, nobody evokes the hypothetical subsequent phase of the operation which would consist for the French soldiers to penetrate more deeply inside Rwanda. A mission that would probably be high risk this time around.

- For General Jean-Claude Lafourcade, commander-in-chief of the Turquoise mission, "it is not planned in my UN mandate to go to Kigali! My mandate is to stop the massacres, in using force if necessary against the troublemakers who have committed all the atrocities you know".

- In front of the French embassy in Brussels, several hundred people from Rwanda and Zaire wanted to protest against the French military presence in Rwanda and against President Mobutu's regime in Zaire.

- Gérard Longuet expressed his "pride that France and that its army were able to provide a response, late certainly but the fastest of all Western countries". He hopes that we can "help ensure that those who survived the massacres do not experience further abuses".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Commentaire
In Kibuye on June 26, we see a P4 jeep, if not two, of the French army. This goes against the argument that Duval had not received his materials. This or these two P4 jeeps went to Bisesero the next day. We can assume that Gillier accompanied GIGN gendarmes to Kibuye with their P4 jeep. P4 jeeps are equipped with a means of transmission. Duval in Bisesero on the 27th therefore had means of transmission.
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Claire Chazal :] Madame, Monsieur, bonsoir. Dans ce journal, une longue page spéciale sur le Rwanda avec toutes nos équipes sur place et Patrick Poivre d'Arvor que nous tenterons de rejoindre en direct de Goma. Il nous décrira le déploiement des militaires français à la frontière entre le Zaïre et le Rwanda, les opérations de repérage de camps tutsi et le désarmement des civils. Une opération Turquoise qui se déroule pour le moment sans incident sous le commandement du général Lafourcade.

Tandis qu'à Kigali, la situation reste extrêmement tendue.

[…]

Tout de suite, donc, nous rejoignons Patrick Poivre d'Arvor qui se trouve en direct à Goma, c'est-à-dire au nord de la frontière entre le Zaïre et le Rwanda, là où est installé le quartier général des forces françaises. Depuis jeudi [23 juin], quatre missions de reconnaissance ont été effectuées par les soldats en territoire rwandais. Ce matin Patrick, vous avez pu, je crois, vous rendre plus au sud à partir de Bukavu, dans un camp de Tutsi où les militaires s'efforcent bien sûr de rassurer la population ?

[Patrick Poivre d'Arvor, dans la nuit de Goma :] C'est cela Claire. Alors je vais essayer de…, de vous brosser le décor : euh, à Goma nous sommes ici à…, à quelques kilomètres de la frontière, euh, du Rwanda. Nous sommes en territoire zaïrois. Nous sommes à la pointe nord du lac Kivu. Et à la pointe sud, il y a une ville qui s'appelle Bukavu. Alors maintenant nous allons passer de l'autre côté pour que vous compreniez mieux : nous sommes au Rwanda et c'est toute cette zone que nous avons sillonné aujourd'hui. Alors là vous avez…, en face de l'endroit où nous sommes, vous avez Gisenyié [Gisenyi]. Et puis au sud du lac Kivu, vous avez, euh, le camp de Cyengugu [Cyangugu]. Et c'est toute cette zone, donc, que nous avons sillonné avec l'ensemble, euh, des équipes de TF1. Zones contrôlées par les forces gouvernementales hutu mais avec des camps de réfugiés tutsi. Les deux ethnies semblant pour l'instant en relative bonne intelligence. Mais inutile de vous dire que les, euh…, centaines de milliers de morts qui ont, euh, surtout, euh, frappé le mois d'avril ont laissé évidemment de très sanglantes cicatrices.

Il n'est qu'à regarder ce sujet de Marine Jacquemin, de Frans-Yves Marescot et de Gilles Tuban. Nous sommes là dans la région de Kibuye que les journalistes découvraient aujourd'hui pour la première fois. Et visiblement ce qui s'est passé -- massacres, charniers et tout et tout -- a été atroce. Regardez.

[Marine Jacquemin :] C'est dimanche à l'église [inaudible mais on devine qu'il s'agit d'une église pentecôtiste] de Kibuye, les fidèles prient [on voit une foule en train de chanter et danser dans une église ; un militaire en treillis porte un béret à l'épaule ; une femme en transe crie : "Amen ! Libérez !"]. Dans cette religion, nous explique-t-on, les croyants remettent leur âme à Dieu et il en fait ce qu'il veut. Qu'a donc voulu Dieu ces dernières semaines ?

À deux pas de l'église, ce stade, presque abandonné [on voit le stade de Gatwaro et sa tribune]. Quelques traces [gros plan sur deux trous de balles dans un mur], ceux d'une bataille. Qui peut répondre ? Tous les témoignages que nous recueillons loin des caméras parlent d'un carnage de 3 000 personnes tuées vers la mi-avril [on voit une salle dont le sol est recouvert de papiers]. Dans un coin de la pelouse, ils sont une poignée qui s'entraînent encore [on voit des Interahamwe en train de s'entraîner, couchés dans l'herbe avec des fusils en bois ; un autre court]. Les fusils sont en bois mais la haine toujours là.

[Un Interahamwe parlant en français : "Ouais, on est à l'attente de l'ennemi [sic], sûrement s'ils arrivent…, s'ils tentent de venir ici…, qu'on puisse se défendre".]

Les militaires français ont été informés sur ce qui s'est passé dans cette ville [quatre hélicoptères Puma survolent le lac Kivu]. 34 hommes des commandos de l'air de Nîmes sont héliportés ce matin à Kibuye [on voit des militaires français descendre d'un hélicoptère Puma]. Leur objectif : cette mission des Sœurs Sainte-Marie. La messe, ici, offre un autre visage. Elles sont 37, belges et rwandaises. En danger depuis plusieurs semaines, leurs regards et leurs larmes suffisent à expliquer ce qu'elles ne peuvent nous dire [on voit une Sœur noire pleurer].

[Une Sœur blanche [il s'agit de la Sœur André, belge] : "Non, ça je ne peux pas vous dire. Je crois que…, c'est mieux pour tous de ne pas vous dire".

Une autre Sœur rwandaise : "Personne ne prévoyait que ça pouvait prendre vraiment une telle envergure, c'est…".

Une autre Sœur belge : "Nous sommes contentes de vous voir".]

Leur confiance acquise, elles commencent à nous parler les unes après les autres [on voit Marine Jacquemin assise en retrait, en pleine discussion avec une Sœur]. Elles confirment les massacres du stade, au moins 3 000 personnes.

Le Home Saint-Jean, où tout le monde chante aujourd'hui [Marine Jacquemin se trompe, il s'agit de l'église de Kibuye]. Assassins et survivants frappés par la même amnésie.

[Un homme noir en chemise blanche devant l'église : "Moi, je ne sais pas. Je…, je suis un réfugié".

Un jeune homme noir à moustache : "Enfin moi je… ne sais pas, parce que j'étais à Kigali".]

Les morts ont été ensevelis dans les carrières et les forêts tout autour de la ville [on voit passer une jeep P4 bâchée suivant une camionnette ; une autre jeep P4 décapotée passe devant une église]. Et le périple macabre ne s'arrête pas là. Sur la route, ce village de Giteni [?] où il y aurait une fosse commune de plusieurs centaines de personnes. Les barrages ici sont toujours aussi agressifs [gros plan sur un jeune garçon portant une machette et un bâton].

[Marine Jacquemin : - "Y'a pas eu de massacres de Tutsi ?". Réponse d'un homme noir : - "Non, non". On entend un autre homme dire : - "Non, non, non !".]

Un peu plus loin, ces maisons de Tutsi détruites. Le militaire des Forces armées rwandaises a sa version des faits.

[Le militaire en cause vocifère ; il a mis la capuche de son treillis sur sa tête : - "Ils tuent ! Ils commencent par enlever le cœur ! Ils enlèvent des reins ! Ils enlèvent des… estomacs ! Ils crèvent des…, des yeux et tout le bazar ! Ce sont des…, des assassins, des vrais assassins !". Marine Jacquemin : - "Et vous pas ?" [le militaire, visiblement décontenancé par la question, reste sans voix].]

Affabulation, mensonge, vérité, les enquêtes sur ces massacres ne font que commencer. Il faudra avoir beaucoup de courage pour écouter tous les récits de ces atrocités [une barrière se remet en place après le passage du véhicule des journalistes].

[Patrick Poivre d'Arvor, toujours en direct de Goma :] Pendant ce temps aujourd'hui, euh, dans le Nord-Ouest du pays, euh, l'armée française a réalisé son intervention la plus profonde dans le territoire rwandais, à peu près une centaine de kilomètres. Dans cette zone, donc, qui est toujours contrôlée par l'armée gouvernementale rwandaise, Nahida Nakad, Sébastien Renouil et, euh, Jean-François Corruble étaient avec avec les hommes du colonel Sartre. Et ils ont par ailleurs -- vous allez le voir -- rencontré l'envoyé spécial de Jean-Paul II, le cardinal Etchegaray.

[Nahida Nakad :] Les 40 soldats sénégalais ont fait la fête ce matin sur l'aéroport de Goma. C'est la seule troupe non française qui participe à l'opération Turquoise [on voit des soldats sénégalais en train de chanter en tapant dans leurs mains ; une incrustation "Kayove, Rwanda" s'affiche à l'écran]. Le dispositif militaire a encore été renforcé. La mission de l'armée aujourd'hui : pénétrer dans le territoire rwandais pour évaluer les besoins des habitants. Nous sommes dans le Nord du Rwanda, une région totalement contrôlée par l'armée gouvernementale et les milices hutu [on voit d'abord à l'écran un VAB équipé d'un canon ; la séquence suivante montre une colonne de véhicules militaires français en train de sillonner les collines du Rwanda ; elle passe devant deux soldats des FAR].

[L'envoyée spéciale Nahida Nakad interroge une femme et un homme, probablement hutu : - "Est-ce qu'il reste des Tutsi ici ?". Réponse de la femme : - "Ils se cachent. Ils vivent en cachette [sourire de la femme et rire narquois de l'homme]. La journaliste : - "Pourquoi les Tutsi vivent en cachette ?". La femme [avec un sourire gêné] : - "Je ne sais pas. On ne sait pas pourquoi". La journaliste : - "Peut-être qu'ils ont peur d'être tués, non ?". L'homme et la femme éclatent de rire et cette dernière répond : - "Peut-être !".]

[Nahida Nakad, face caméra, au milieu d'un village à Kayove : "En fait, ici, dans le Nord du Rwanda, il ne reste pratiquement plus de Tutsi. Pour les Hutu de cette région, il semble donc évident que l'armée française est venue pour les aider. Même si les soldats français évitent soigneusement de prendre contact avec les autorités hutu sur place [on voit une jeep à l'arrêt avec trois militaires français ; juste devant eux, un véhicule est stationné et deux militaires des FAR sont en train de discuter].]

À cinq kilomètres de la frontière zaïroise, une mission religieuse saccagée témoigne d'un massacre qui a eu lieu suite à l'attentat contre le Président Habyarimana le 6 avril dernier [on voit des bancs renversés et des papiers jonchent le sol]. Aujourd'hui, 300 réfugiés hutu sont installés dans la mission [des enfants courent à toute vitesse vers le véhicule des militaires français]. Ils ont fui les régions conquises par les rebelles du FPR [les enfants applaudissent les militaires]. Ici, les soldats français sont accueillis comme de véritables héros. Quand ils quittent le camp, leur jeep est couverte de fleurs, un camouflage très particulier [les enfants accrochent des fleurs sur le capot de la jeep puis tous les gens de la mission applaudissent au départ des Français].

Sur le bord de la route de Goma, nous rencontrons le cardinal Etchegaray, envoyé spécial du Pape Jean-Paul II.

[Cardinal Roger Etchegaray : "L'Église a été quand même vraiment a…, affaiblie, décapitée. Et alors, euh, cette Église, qui a trahi beaucoup ici, mérite quand même un réconfort. Mais c'est tout le peuple rwandais qui attend de la part du Pape, c'est sûr, un message d'espérance pour, euh, l'avenir".]

Mais pour l'instant, les Hutu que nous avons rencontrés ici [on voit à l'image des soldats hutu au béret noir et au béret rouge] rêvent surtout de récupérer les territoires qu'ils ont perdu.

[Patrick Poivre d'Arvor :] Nous allons maintenant nous rendre dans la capitale Kigali, où nous attend une autre de nos équipes, celle de Loïck Berrou, de Jean-François Monnet et de Thierry Marquez. Ils ont voulu savoir si le Front patriotique, euh, rwandais était toujours aussi hostile à l'intervention militaire. Euh…, vous allez voir, apparemment toujours autant. Écoutez bien.

[Loïck Berrou :] Quelques soldats du Front patriotique du Rwanda écoutent désœuvrés la radio des milices hutu, les Interahamwe, qui émettent depuis le centre-ville de Kigali. "Jeunes filles du Rwanda, mettez vos plus beaux vêtements et déroulez les tapis rouge devant les soldats français qui viennent vous sauver", clame le speaker. Ce qui n'est pas précisément fait pour rassurer les rebelles.

[Un soldat du Front patriotique, lunettes noires et béret noir [il s'exprime en anglais mais ses propos sont traduits] : - "Oui c'est sûr, ils sont très satisfaits depuis que les Français ont franchi la frontière. Il est évident qu'ils en attendent beaucoup". Question du journaliste en anglais : - "Et vous, à quoi vous attendez-vous ?". Réponse du militaire : - "On peut toujours leur accorder le bénéfice du doute. Il est probable qu'ils sont venus pour faire de l'humanitaire, ainsi qu'ils l'ont dit. Je ne crois pas qu'ils tentent quelque chose d'aussi stupide que de tromper le monde entier qui leur a donné un mandat pour faire de l'humanitaire ici, et rien d'autre".]

Les premières incursions françaises en territoire rwandais semblent en effet avoir atténué les inquiétudes du FPR [on voit Alexis Kanyarengwe passer devant des journalistes ; il est accompagné de quelques soldats en arme]. Ces inquiétudes n'en restent pas moins réelles, comme en atteste son président, Alexis Kanyarengwe.

[Alexis Kanyarengwe, "président du Front patriotique rwandais - F.P.R." :] "Une action humanitaire en tant que telle, elle est vraiment appréciable, hein. Je ne m'opposerai pas à une action en tant que telle. Mais c'est lorsque cette action -- soi-disant humanitaire -- cache autre chose. Et nous…, nos appréhensions, c'est surtout dû au passé, euh…, suite à la présence des troupes françaises ici dans notre pays".]

Le Front patriotique du Rwanda contrôle à présent toute la périphérie de Kigali, dont l'aéroport et le grand stade de la capitale [on voit à l'image le stade Amahoro]. Ici, une compagnie de Casques bleus ghanéens protège 4 500 réfugiés, hutu pour la plupart. Mais les rares Tutsi n'hésitent pas à apostropher les journalistes français.

[Une femme interroge le journaliste : "Je me demande si vous êtes venus pour nous chasser ici. Parce que nous sommes des réfugiés, le gouvernement rwandais nous a chassé chez nous. Il nous tue chaque fois. On a tué beaucoup de gens. Et nous avons, nous, réfugiés ici [sic]. Alors tout le monde, on a peur que…, que les Français sont venus pour…, pour…, pour nous tuer. Parce que les Français sont…, ils sont aidés beaucoup [sic] le gouvernement rwandais" [à noter que l'image se fige pendant plusieurs minutes sur le visage de cette femme].]

La propagande a fait son œuvre : celle du Front patriotique du Rwanda qui dénonce l'intervention française. Celle surtout du gouvernement et des milices hutu qui l'applaudissent avec virulence. Il faudra beaucoup de prudence au gouvernement français et à son armée pour faire mentir cette propagande.

[Patrick Poivre d'Arvor :] Voilà, nous sommes toujours sur l'aéroport de Goma, d'où le bruit que vous entendez car un certain nombre de gros-porteurs sont en train de se poser. Et puis derrière moi, vous voyez, un feu de camp avec un certain nombre de légionnaires, d'hommes du RICPM de…, de Vannes et également, euh, des Sénégalais qui viennent de les rejoindre.

Nous allons continuer notre découverte du pays avec cette fois-ci le Nord-Ouest…, le Sud-Ouest pardon, parce que c'est là que l'armée française a découvert le premier camp de réfugiés tutsu…, tutsi, en territoire hutu. Ces témoignages que vous allez entendre maintenant -- qui ont été recueillis par, euh, Régis Faucon, par, euh, Gilles Hémart et par Hubert Leconte -- sont très impressionnants. Vous comprendrez à les écouter, euh, l'importance du traumatisme vécu par tous ces villageois qui se sont retrouvés un jour massacrés.

[Régis Faucon :] Toute la misère du Rwanda martyr dans les yeux de ce vieillard tutsi. Pour lui la vie s'est arrêtée le jour du déchaînement il y a deux mois. Jeté sur les routes de l'exode, il s'est retrouvé avec les autres : hommes, femmes et enfants. Certains n'ont été que blessés -- ils ont perdu un bras ou une jambe --, ils survivent dans ce bidonville improvisé, plutôt bien tenu mais sommaire. Ici on se contente du strict minimum fourni par la Croix-Rouge : une toile, des branchages, une marmite pour toute la famille. Ils ne se plaignent pas, résignés, ce sont après tout des survivants. Mais ils ont encore dans la tête le souvenir des jours d'enfer.

[Un rescapé : "C'est ici, vraiment, au cou…, ils mettaient un coup de machette. Le…, tout le monde, de tout les Tutsi qui mourraient [sic]. Ils te tuaient par… coup de machettes, ici, au crâne".

Un autre rescapé : "Je ne savais pas là où mon papa était allé, ma maman, mes sœurs et mes petits frères. Je ne savais pas là où ils sont…, là où ils étaient allés. Et puis j'ai passé la nuit dans la brousse. Ils sont allés chercher ma mère, ma sœur et mes trois petits frères ! On…, on est allé les chercher là où ils étaient cachés. On les a tués !".

Régis Faucon s'adressant à un groupe de rescapés : - "Est-ce que vous avez votre famille qui a été tuée ? Vous avez des cousins ?". Réponse en chœur de plusieurs rescapés : - "Oui, oui". L'un d'eux précise : - "Le père, le petit frère, la maman aussi. Toute la famille déjà a été tuée".]

Ces hommes nous montrent les papiers d'identité de la honte -- celle que le gouvernement leur obligeait de porter -- où figure leur appartenance à l'ethnie tutsi et qui les désignaient d'office aux tueurs [un homme montre sa carte d'identité à la caméra, les mentions "Hutu" et "Twa" sont biffées].

Les soldats français essaient d'apaiser ces souffrances : ici le capitaine Hugues [béret rouge] va voir ses protégés, discuter avec eux. Échanges limités car ce sont des paysans qui ne parlent pratiquement pas le français.

Le Rwanda aujourd'hui, c'est cette image [on voit un militaire français, béret et lunettes noirs, devant un groupe d'enfants] : ces enfants sont sauvés sous bonne garde de l'élite de l'armée française mais il reste des enfants inconscients [un enfant tient un fusil en bois].

[Régis Faucon, face caméra, devant des réfugiés du camp de Nyarushishi : "Bien sûr il y a réfugiés et réfugiés : il y a prioritairement les Tutsi qui ont été les principales victimes de ces massacres. Mais dans certains camps, il y a également des Hutu. Et parmi eux des Hutu très particuliers qui auraient participé aux massacres et qui auraient abandonné leurs armes pour se fondre dans la population des réfugiés. Impossible bien sûr de les reconnaître. Les Français, eux, sont ici pour protéger tous les survivants de cet effroyable génocide".]

[Patrick Poivre d'Arvor :] Intervention humanitaire mais aussi intervention militaire car l'armée française, euh, qui est sur ses gardes, avance sur des œufs. Le reportage de Catherine Jentile, de Thierry Froissart et de Fabrice Maillard. Écoutez.

[Catherine Jentile :] Les tentes sont de couleur turquoise [une incrustation "Nyarushishi, Rwanda" s'affiche à l'écran]. C'est un hasard mais c'est ici que les premiers Français ont débarqué au Rwanda. Depuis trois jours, le balai ininterrompu d'hélicoptères les approvisionnent en vivres et en munitions [on voit deux soldats faire rouler un bidon en haut d'une colline]. C'est la montée en puissance de cette opération. Les hommes sont déjà équipés en missiles Milan et en roquettes [on voit à l'image des véhicules et de l'armement militaire]. Ils estiment que cet armement est suffisant actuellement pour répliquer à une éventuelle menace. Le danger pourrait venir des milices, responsables des massacres [on voit des militaires français au béret rouge devant des camions militaires équipés de mitrailleuses].

["Colonel Didier Thibaut [Tauzin], "11ème D.P. de Toulouse", à Nyarushishi : "S'ils agressent qui que ce soit -- nous d'abord mais aussi la population --, eh bien il est évident que nous réagirons par la force, et violemment. Il n'y aura pas de quartier".]

Les paras ont mis sur pied tout un dispositif de sécurité : pour cette première messe depuis le début des massacres il y a deux mois [on voit les réfugiés célébrer une messe], ils se déploient pour éviter aux fidèles toute mauvaise surprise.

Soudain, la rumeur court que des individus suspects se rapprochent du camp. Une patrouille démarre immédiatement [un camion avec à son bord des militaires français quitte le camp]. On organise ensuite le départ des prêtres tutsi dans cette région hutu, sous très forte protection [le véhicule part devant et le camion de militaires le suit]. À la moindre alerte sérieuse, les hélicoptères peuvent acheminer du renfort en l'espace d'un quart d'heure [un VAB passe devant la caméra].

["Lt Colonel André Colin [il s'agit d'Hervé Charpentier], 11ème D.P. de Toulouse", à Nyarushishi : "C'est une première…, enfin, c'est une première dans…, comme manœuvre humanitaire. Euh…, ça nous pose pas de problème, euh, ni tactique, ni technique, hein. Il faut…, faut bien le voir comme tel".]

Pour l'instant donc, personne n'évoque l'hypothétique phase ultérieure de l'opération qui consisterait pour les militaires français à pénétrer plus profondément à l'intérieur du Rwanda. Une mission qui serait, cette fois-ci, probablement à haut risque.

[Catherine Jentile à Nyarushishi, face caméra, devant des véhicules militaires : "D'après les militaires, Turquoise se passe bien, très bien, et le camp ici est un peu la vitrine de l'opération. Les Français veulent que ça se sache et l'armée fait preuve d'une remarquable coopération pour faciliter le travail des journalistes".]

[Patrick Poivre d'Arvor interviewe à présent Jean-Claude Lafourcade, en direct de Goma.]

Patrick Poivre d'Arvor : Avec nous le général Lafourcade, qui est le patron de l'opération Turquoise, donc l'ensemble de cette opération française au Rwanda. On a l'impression que la première phase de votre opération est surtout diplomatique : vous avez essayé de convaincre les gens qui sont en face de vous que finalement vous…, vous veniez dans une…, dans un bon esprit.

Jean-Claude Lafourcade, "Commandant en chef Mission 'Turquoise'" : Alors écoutez, euh, nous avons, euh, commencé à la fois initialement à remplir la mission que nous a confié l'ONU. Mission de…, d'arrêter les massacres, euh, au Rwanda. Et à la fois nous…, nous mettons en place un dispositif que, vous le voyez…, que vous voyez important. Euh, ce dispositif, il faut quelques jours pour le mettre en place. Mais nous…, nous ne voulions pas attendre avant d'aller au Rwanda, euh, faire les premières reconnaissances sur les camps de réfugiés et commencer à faire de la présence pour arrêter les massacres. Je crois qu'initialement, euh, cette mission se déroule, euh, dans de bonnes conditions.

Patrick Poivre d'Arvor : Est-ce que vous envisagez d'aller plus loin, et par exemple jusqu'à Kigali ?

Jean-Claude Lafourcade : Alors il n'est pas prévu dans mon mandat de l'ONU -- hein, qui est la résolution 929 -- d'aller à Kigali. Mon mandat c'est d'arrêter les massacres, en employant la force si nécessaire contre les trublions, hein, qui ont, euh, commis toutes les exactions que vous connaissez. Je commence par, euh, faire des découvertes de camps de réfugiés. Nous en faisons un bilan, un constat pour que les organisations humanitaires puissent les prendre en compte et…

Patrick Poivre d'Arvor : Au besoin vous pourriez les évacuer ?

Jean-Claude Lafourcade : Alors pour l'instant, il n'est pas question d'évacuation à mon niveau. Mais les organisations humanitaires, derrière, vont prendre en charge ce problème. Et nous avons actuellement dans, euh, notre force une cellule qui s'occupe particulièrement de ce problème en liaison avec les organisations humanitaires.

Patrick Poivre d'Arvor : Alors on sent bien que votre mission est d'aller…, de faire le point de jonction jusqu'à l'arrivée des troupes de l'ONU. Est-ce que c'est vraiment fin, euh, juillet comme on le dit -- ou comme l'a dit le Premier ministre -- que devrait se terminer votre mandat, le mandat… précis des forces françaises ?

Jean-Claude Lafourcade : Alors vous savez qu'actuellement, un certain nombre de pays étrangers se…, sont volontaires pour participer à cette force de l'ONU qui s'appellera MINUAR 2. Dans le mandat que j'ai reçu de l'ONU…, que la France a reçu de l'ONU, il était prévu un délai d'environ deux mois. Euh, je ne sais pas où en sont actuellement cette montée en puissance [sic]. Mais je pense qu'en liaison avec le général Dallaire qui se trouve à Kigali et qui commande actuellement la force MINUAR 1, nous organiserons, euh, ce passage de témoin et ce relais.

Patrick Poivre d'Arvor : Bien. Merci beaucoup général Lafourcade.

Euh, Claire, voilà, se termine ainsi cette page spéciale. Pardonnez-moi je n'ai pas pu dialoguer avec vous parce que nous avons eu d'énormes problèmes de son. J'espère que vous avez reçu et toutes les images et tout le son que nous avons adressé en direct de Goma. C'était une première. Demain nous nous retrouverons à…, à Paris pour une autre page spéciale consacrée au Rwanda. Car, euh, nous n'avons pas le droit de fermer les yeux sur ce qui s'est passé en avril, en mai, en juin et peut-être même encore en ce moment même. Merci au nom de Philippe Perrot, de Jean-François Tissot et de toute l'équipe. Et… la suite de l'actualité avec vous Claire.

[Claire Chazal :] Merci Patrick. Et merci encore une fois à toutes les équipes de TF1 de nous avoir fait vivre cette opération Turquoise…, cette opération militaire française au Rwanda.

Un dernier mot sur cette opération pour vous dire qu'il y a eu des manifestations cet après-midi dans les rues Bruxelles [on voit des manifestants, essentiellement noirs, brandir une banderole sur laquelle figure une caricature de Mobutu criant "Ah ! François au secours…" et des inscriptions comme "Vol, corruption, mensonge", "Complicité" ou "Mitterrand assassin"] : devant l'ambassade de France, plusieurs centaines de personnes originaires du Rwanda et du Zaïre ont voulu protester contre la présence militaire française au Rwanda et contre le régime du Président Mobutu au Zaïre. Vous voyez, mani…, manifestation assez violente [les gens crient et se prennent à partie avec les forces de l'ordre].

[Claire Chazal demande à Gérard Longuet, en plateau, de réagir.]

Claire Chazal : Voilà avec nous, donc, pour poursuivre l'actualité -- notamment l'actualité politique nous allons y revenir avec le conseil national du Parti républicain --, Gérard Longuet. Euh…, un mot peut-être sur ce…, cette opération militaire au Rwanda.

Gérard Longuet, "Président du P.R., ministre de l'Industrie" : Oui Claire Chazal, euh, la fierté que la France et que son armée aient pu apporter une réponse, tardive certes, mais la plus rapide de tous les pays occidentaux. Je souhaite la relève par les Nations unies. C'est ce qui est prévu pour juillet. Mais nous avons pu répondre rapidement avec des moyens, avec [inaudible], avec un savoir-faire. Et si nous pouvons contribuer à faire en sorte que ceux qui ont survécu aux massacres ne connaissent pas d'autres exactions, euh, c'est une fierté collective.

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