Citation
Études, juillet-août 2021, 144 p., 13 euros.
Après le temps des médias, celui des revues. Dans sa livraison de l’été, Études donne la parole à l’historien François Robinet pour analyser le rapport rendu à Emmanuel Macron par une commission d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, le 26 mars 2021. Un texte important qui a établi la responsabilité de la France dans le soutien continu au régime raciste qui a préparé et commis le génocide des Tutsis.
Un travail très pédagogique
En excellent pédagogue, François Robinet réussit à synthétiser en 11 pages les apports, les oublis et les silences d’un texte que peu de monde, au-delà du petit cercle des initiés, a vraiment lu en entier, compte tenu de son volume – 992 pages auxquelles il faut ajouter 232 pages de notes – et de la complexité du sujet (1).
Après avoir rappelé les conditions problématiques de la création de cette commission – des historiens récusés par le pouvoir politique, une commission ne comportant aucun spécialiste du sujet, un membre soupçonné de parti pris en faveur de l’armée (2) – François Robinet constate que ce rapport a consolidé ce que les spécialistes de la question avaient depuis longtemps écrit et documenté, à savoir : « Un petit groupe de décideurs français a fait le choix de soutenir le régime de Juvénal Habyarimana en dépit du non-respect des droits de l’homme par celui-ci et des risques de génocide qui pesaient sur la minorité tutsie. »
Parmi les points importants étayés par la commission, souligne-t-il, la mise en lumière des dysfonctionnements des institutions françaises quant à sa politique africaine.
Le rôle de la France dans les accords d’Arusha surévalué
Ceci posé, l’historien a repéré, aussi, une demi-douzaine de points contestables parmi ces 992 pages. Parmi eux, la place accordée au discours de La Baule pour justifier la politique française au Rwanda. Cette commission a fait sienne la thèse selon laquelle l’Élysée aurait fait de ce pays son « laboratoire d’une nouvelle politique de l’Afrique » en le poussant à se démocratiser en échange de son soutien.
Or, note François Robinet, cette théorie ne résiste pas « à l’étude de la nature des pressions françaises, souvent de pure forme et qui ne préviennent pas la bienveillance des autorités françaises à l’égard de certaines tendances extrémistes de la vie politique rwandaise. » Et de rappeler les travaux de Jean-François Bayard et Philippe Marchesin « qui ont montré à quel point La Baule valait surtout pour sa valeur symbolique, mais que ce moment ne pouvait en aucun cas être considéré comme un tournant de la politique française en Afrique. »
De même, le rôle de la France dans les accords d’Arusha a été surévalué par la commission, juge l’historien : « La lecture de certaines sources rwandaises aurait pu permettre de préciser la relative marginalisation de la diplomatie française, accusée de partialité par certains négociateurs », précise-t-il.
Les sujets étonnamment sous-évalués
Autre point contestable, la question de l’engagement « semi-direct » de l’armée française au Rwanda contre le FPR : « Des faits trop systématiquement restitués à partir du regard unique des acteurs français, d’où le manque de profondeur de certaines analyses et l’exclusion presque totale de l’étude de l’influence du jeu des acteurs rwandais. »
François Robinet remarque aussi que la « piste des responsables français dans l’attentat du 6 avril 1994 » est à peine évoquée : « Évacuée en trois lignes alors qu’il s’agit d’une des principales hypothèses, étudiée depuis 1994. »
Plus surprenantes encore sont les trois courtes références à l’ancien capitaine de gendarmerie Paul Barril, présent à Kigali dans les premiers jours du mois d’avril 1994, dont la société Secrets a signé un contrat avec le gouvernement génocidaire « pour une opération "Insecticide" et qui s’est employée, dès la fin du mois de juin 1994, à brouiller les pistes sur les responsabilités de l’attentat du 6 avril. » De noter, enfin, que le sujet de la poursuite des livraisons d’armes pendant le génocide « n’a pas réellement été l’objet d’investigation. »
Une avancée historique
Malgré ces raccourcis, ces négligences et ces oublis, ce rapport des historiens a permis une évolution considérable dans la manière dont la France juge son rôle au Rwanda, comme en témoigne le discours d’Emmanuel Macron à Kigali, le 26 mai 2021. Pour la première fois depuis 27 ans, la responsabilité de la France dans la tragédie rwandaise est reconnue par un président de la République. En ce sens, c’est le plus grand apport de cette commission : en finir avec le déni et les contre-vérités qui ont dominé la vie politique française pendant 27 ans et dont on peut encore entendre l’écho persistant parmi les proches de l’ancien président François Mitterrand.
À côté de l’analyse très équilibrée et convaincante de François Robinet, la revue Études donne également la parole à l’historienne Hélène Dumas pour évoquer son travail sur les récits des orphelins du génocide des Tutsis. Un texte magnifique qui, après celui consacré aux responsabilités françaises, plonge le lecteur dans le génocide à hauteur d’enfants. Des mots qui racontent des choses que l’on peine à se représenter, mais qui sont indispensables pour regarder en face ce dont il est question ici.
Une réalité si absente des documents français cités dans le rapport des historiens, comme si tous les massacres de Tutsi entre 1990 et 1994 n’avaient aucune réalité charnelle dans l’esprit des décideurs français. Or, comme le conclut Hélène Dumas dans son article, citant un proverbe rwandais : « Le cœur est le siège de l’intelligence. »
[Notes :]
(1) Il s’agit de l’historienne du fait militaire Julie d’Andurain. On peut aussi évoquer l’étrange cas de Christian Vigouroux. Cet ancien collaborateur des cabinets ministériels du temps de François Mitterrand a démissionné de la commission quelques jours avant la publication du rapport.
(2) https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994.