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Le Rwanda n’a pu renaître de ses cendres qu’en renouant avec ses racines et reconquérir son indépendance nationale. Ainsi, depuis 1995, je suis fier de fêter cette Libération, tous les 4 juillet. Par André Twahirwa, africaniste
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J’avais 13 ans et j’y étais, sur la (future) Place de l’Indépendance, ce premier juillet 1962. «Bugle» dans la fanfare de mon collège, j’étais fier d’accompagner le hissement des couleurs nationales. Et de faire résonner, sous le soleil de juillet, «Rwanda rwacu» (Littéralement, «Rwanda de nous»), l’hymne national.
Mais, j’ai vite fait de comprendre que je ne faisais pas partie de ce «nous», que, du haut de mes 13 ans, j’avais cru inclusif. J’ai vite compris que l’indépendance nationale n’était qu’une coquille vidée de sa substance. Et la démocratie, une dictature de la majorité «ethnique». «Les Blancs sont venus et ils ont fini par retourner chez eux. Mais l’indépendance, elle, quand est-ce qu’elle partira?» aurait soupiré, amer, un vieux compatriote.
Dès la rentrée 1962-1963, j’ai failli ne pas réintégrer le collège! Il me fallait, en effet, fournir une «attestation de résidence» (sic). Sauf que les autorités communales Parmehutu refusaient de m’accorder le précieux sésame: réfugié de l’intérieur depuis 1960, le bourgmestre de ma nouvelle commune de résidence m’envoyait à celui de ma commune d’origine, qui me renvoyait à celui de ma commune de résidence qui me renvoyait à… Et les sièges des deux communes étaient à 4 heures de marche l’un de l’autre. Il a fallu l’intervention du brave curé de ma paroisse pour que j’obtienne, à quelques jours seulement de la fin des «grandes vacances», le sauf-conduit.
Et l’exclusion ne faisait que commencer. Pour moi et mes «semblables». Une trentaine d’années, plus tôt, nos parents avaient été «fichés» Tutsis. Et pourtant, la plupart d’entre eux, dont les miens, ne répondaient plus au critère - posséder dix vaches au moins pour être «classé» tutsi - retenu au grand Recensement racial(iste) de 1934-1935: leur cheptel bovin avait fait l’objet de «l’umusangiro», du repas partagé entre les voisins Hutus qui les avaient pourchassés et leur avaient tout pris.
Je fais partie de ceux qui se sont accrochés. Envers et contre tout. Malgré les pogroms de 1963 et 1966. Malgré les interdictions d’entrée aux prestigieuses écoles ou facultés et autres humiliations. Jusqu’à cette nuit du 12 avril 1973, que j’ai passée dans les marais de papyrus de l’Akanyaru en fuite vers le Burundi voisin. Je venais de perdre le peu que j’étais parvenu à construire mais, surtout, mon nom figurait sur la liste noire des Batutsi à «exécuter».
Et il m’a fallu attendre l’après-génocide pour fouler de nouveau le sol natal. Et retrouver ma citoyenneté à part entière. Et la fierté d’entonner «Rwanda nziza» («Bon/beau Rwanda»), le nouvel hymne national, en hissant les nouvelles couleurs nationales, symboles du Rwanda nouveau. Et je suis fier de mon pays, véritablement indépendant. Après trente ans sous un régime populiste et fasciste issu de la «Révolution» de 1959, une révolution «assistée» aux dires du Gouverneur général du Ruanda-Urundi à l’époque, lui-même, dans ses Mémoires (Jean-Paul Harroy, Rwanda: de la féodalité à la démocratie). Après trente de descente aux enfers, jusqu’au génocide, vingt-cinq ans de Renaissance nationale. Le pays de Gihanga n’a pu renaître de ses cendres qu’en renouant avec ses racines. Pour redevenir maître de son destin. Et une véritable et authentique démocratie, inclusive et endogène. Et c’est cela la reconquête de son indépendance nationale. Une nation de nouveau debout. Souveraineté et liberté retrouvées que je suis fier de fêter tous les 4 juillet, depuis 1995.