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François Robinet est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et membre du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il a publié Silences et Récits. Les médias français à l’épreuve des conflits africains (1994-2015), chez Ina Éditions en 2016. Son livre vient d’être distingué par le prix « Recherche » des Assises du journalisme 2017.
Quelle est l’origine de cette recherche ?
François Robinet : La genèse du projet remonte au milieu des années 2000. J’étais étudiant en histoire à l’époque et j’avais travaillé sur l’image des parlementaires français dans la presse, durant la période mitterrandienne. Je m’intéressais alors aux rapports entre représentations médiatiques et pouvoir politique. Dans le contexte du milieu des années 2000 existaient déjà de nombreux débats sur le rôle de la France en Afrique, notamment au Rwanda. Or, il n’existait que peu d’ouvrages scientifiques de référence sur la manière dont l’Afrique était représentée dans les médias français, sur les discours construits par les journalistes sur l’Afrique – hormis quelques ouvrages comme ceux du journaliste Thierry Perret.
Des historiens avaient porté attention à des conflits plus anciens. Quant aux sciences de l’information et de la communication, elles s’étaient intéressées, par exemple, aux représentations de la première guerre du Golfe (1990-1991), mais pour ce qui est des rapports entre l’Afrique et les médias français, nous manquions encore de chercheurs ayant ouvert des chantiers d’envergure. Il me semblait donc assez crucial d’essayer de questionner la manière dont l’Afrique était présentée, vue, comprise, dans les médias, d’où le choix d’étudier la couverture médiatique des conflits africains.
Plutôt que de travailler sur un unique conflit, il m’a paru intéressant d’introduire une dimension comparative et d’essayer de voir quels étaient les conflits largement couverts et ceux qui n’ont bénéficié que d’une faible attention. Au sein de cette hiérarchie, j’ai choisi de questionner les mises en images et les mises en discours des guerres qui ont bénéficié d’une très forte visibilité dans l’espace public national. J’ai tenu à introduire cette dimension comparative - alors même que ces conflits sont de nature différente – afin de traiter la question sur le temps long et de voir si, entre 1994 et 2015, se dégageaient des évolutions. 1994 correspond en effet à un moment d’inflexion de la politique française sur le continent africain – mise en cause de la France au Rwanda, dévaluation du franc CFA, décès en décembre 1993 de Félix Houphouët-Boigny, un moment qui modifie les rapports de forces et les équilibres au sein de ce qu’on a parfois appelé « la Françafrique ». Par ailleurs, à la suite du génocide contre les Tutsis au Rwanda, les journalistes français et occidentaux ont été mis en accusation. On s’est interrogé sur les raisons expliquant la difficile identification d’un événement tel qu’un génocide, au milieu des années 1990, alors même que des journalistes étaient sur le terrain.
Quelle a été la principale difficulté de ce travail qui couvre une vingtaine d’années ?
François Robinet : Une première difficulté a été d’ordre méthodologique ; il s’agissait de délimiter un corpus documentaire, qui soit représentatif, permette de répondre aux questions posées tout en restant maîtrisable dans un délai raisonnable. La collecte de documents – notamment au sein des fonds de l’Inathèque pour la radio et la télévision mais aussi parmi les collections de presse écrite de la Bibliothèque nationale de France – m’a conduit à constituer un corpus relativement important avec environ 5 000 articles, 500 sujets de JT, près de 900 photographies. Il fallait donc parvenir à articuler habilement le traitement statistique de cette grande quantité de productions journalistiques, des analyses macro à l’échelle de l’ensemble du corpus, sans oublier de revenir à une échelle plus micro, sur l’analyse précise des productions, des images, des séquences. C’est grâce à la confrontation de ces différents niveaux d’analyse que sont apparues certaines des pistes explorées par l’enquête restituée dans l’ouvrage.
Une autre difficulté importante fut de travailler sur des événements très contemporains qui ont généré une violence protéiforme et destructrice. Outre les contextes de guerre relativement traditionnels, certains de ces événements ont été marqués par un projet génocidaire, par des tentatives de nettoyage ou de purification ethnique, par des exactions nombreuses à l’encontre des populations civiles (viols, mutilations, exécutions…). Les traumatismes individuels et collectifs sont donc profonds et traversent encore aujourd’hui la vie des rescapés, des proches des victimes et plus largement celle des sociétés locales et de certains des acteurs impliqués dans ces conflits. Travailler et écrire sur ce type d’événement vous conduit à une forme de confrontation à cette violence que vous transformez en objet d’étude et sur laquelle vous vous efforcez de porter un regard objectif, dépassionné, tentant de maintenir à distance émotion, dégoût et indignation. Les traumatismes générés par cette violence et les guerres mémorielles qui ont parfois suivi ces événements conduisent par ailleurs à une forte exigence de vérité et de clarification des faits de la part des rescapés et des familles de victimes. Ce type de recherche se doit de répondre à ces attentes sans pour autant que la démarche, les questionnements ou les rythmes de travail soient orientés par celle-ci.
Comment et pourquoi un conflit est-il ou devient-il médiatisé ?
François Robinet : Deux facteurs principaux sont souvent avancés pour expliquer l’intérêt des rédactions. Le premier est la présence ou non d’enjeux français – présence de militaires français ou de ressortissants français sur le terrain. Pour l’Afrique, ce facteur joue de manière remarquable dans près de 60 % des cas étudiés.
Un deuxième facteur souvent avancé est la « loi du nombre de morts-kilomètre » qui veut que vous ayez beaucoup plus de chances d’entendre parler d’un mort à proximité de chez vous que de 10 000 à plusieurs milliers de kilomètres. Effectivement, certains des conflits couverts ont été particulièrement meurtriers – le génocide contre les Tutsis du Rwanda a fait entre 800 000 et un million de victimes – et ce nombre élevé de morts constitue un des enjeux de la médiatisation. Mais ce qui me semble aussi intéressant, c’est que le conflit sans doute le plus meurtrier de la période, la deuxième guerre du Congo – des estimations donnent de 3,5 à 4 millions de victimes directes ou indirectes – n’a suscité qu’un intérêt très ponctuel. Donc, la « loi du nombre de morts-kilomètre » a pu jouer dans certains cas, mais elle est loin d’être automatique.
Dès lors, il faut interroger d’autres facteurs de mise en visibilité. Le plus important a été identifié pour des conflits non-africains par Arnaud Mercier ou Laurent Gervereau, par exemple : il s’agit de l’engagement de journalistes sur le terrain (correspondants de l’AFP ou de RFI), de prescripteurs d’opinion ou d’acteurs de ces conflits (diplomates, humanitaires, responsables politiques…) afin d’attirer l’attention sur ces guerres et d’en proposer une grille de lecture relativement intelligible par les différents publics, et par les journalistes eux-mêmes. La convergence de leur discours contribue à imposer une représentation relativement homogène du conflit et à mettre en alerte les rédactions.
À la suite de cette première phase de mobilisation des rédactions, comment expliquer l’intensification forte de certaines couvertures au point de voir certaines guerres africaines faire plus ou moins durablement la « une » de l’actualité ? Plusieurs facteurs peuvent jouer. Une intervention directe des soldats français, des menaces pesant sur la vie des ressortissants ou une forte implication diplomatique de la France peuvent contribuer à cette intensification. Des événements marquants, parce que dramatiques, peuvent aussi y contribuer. Dans le cas des violences post électorales au Kenya, il y a au départ une faible attention des rédactions françaises lorsque les violences se déclenchent à la fin du mois de décembre 2007. Par la suite, la tension monte et les violences s’intensifient, ce qui pousse les rédactions à se mettre en alerte : elles diffusent alors plus régulièrement des informations. Ce qui va décider plusieurs rédactions à envoyer des journalistes sur le terrain, c’est le fait que plusieurs dizaines de personnes vont être brûlées vives dans une église à Eldoret le 1er janvier 2008, un drame qui rappelle la situation rwandaise de 1994, situation mal évaluée par les rédactions à l’époque ; il s’agit donc de ne pas de commettre la même erreur. L’événement se retrouve alors pendant plusieurs jours au sommet de l’agenda médiatique français.
Quand un conflit cesse-t-il d’être médiatisé ? Est-ce quand il y a une intervention d’un tiers – la France, l’ONU –, quand il y a un cessez-le-feu, ou tout simplement quand une actualité en France devient plus forte ?
François Robinet : C’est assez difficile de parler de manière générale. Il faut d’abord souligner que dans beaucoup de rédactions prévaut l’idée – c’est peut-être un peu moins vrai depuis cinq ou six ans – que ce qui se passe en Afrique intéresse peu les Français.
On souligne un sentiment de répétition quant aux événements conflictuels en Afrique, sentiment qui peut permettre de comprendre la faible attention portée à certains conflits, comme au Liberia, en Sierra Leone ou en Angola. Il s’agit de conflits qui ont duré dix ou quinze ans, qui ont fait l’objet d’enquêtes ponctuelles dans la presse écrite notamment, mais qui ont rarement été couverts sur de longues périodes car l’idée prévalait que la situation avançait peu. De la même manière pour les conflits largement couverts, quand la situation semble s’enliser, l’intérêt des rédactions décline.
L’intérêt décline rapidement aussi lorsque des guerres sont perçues comme difficiles à rendre intelligibles en raison de la diversité des acteurs ou de la complexité des facteurs de conflictualité. C’est le cas de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), qui est couverte pendant les trois premières semaines, et puis très vite, face à la complexité de l’événement, face au fait que la diplomatie française s’en désintéresse, les médias français s’en désintéressent également.
D’autres situations sont observables. Prenons l’exemple du Rwanda en 1994. Au début du génocide des Tutsis, et de la guerre civile au Rwanda entre le FPR (Front patriotique rwandais) et les Forces armées rwandaises (FAR), la situation est couverte presque immédiatement par les rédactions, parce qu’il y a une opération militaire française, l’opération Amaryllis. Entre quinze et vingt journalistes sont sur le terrain et couvrent pendant une grosse semaine l’opération d’évacuation des ressortissants français. Et puis quand les militaires français et belges repartent, la grande majorité de ces journalistes repart en même temps. Et on cesse de couvrir le conflit et le génocide – qui n’avait d’ailleurs pas encore été identifié comme tel à l’époque. Seuls quelques rares journalistes restent sur le terrain sans parvenir à faire passer leurs papiers ou leurs photographies et qui s’entendent dire : « On a déjà couvert le Rwanda pendant plus d’une semaine, il ne se passe rien de vraiment nouveau » – l’effet de lassitude. Ainsi, il va falloir attendre plusieurs semaines pour que l’attention des médias français soit de nouveau focalisée sur ce qui se passe au Rwanda.
Dans votre livre on mesure combien l’information sur les conflits que vous étudiez est co-construite. Comment les médias arrivent-ils à récolter de l’information ? Il y a les ONG, les humanitaires qui peuvent apporter des informations ou un certain cadrage. Il peut y avoir la dépendance aux agences de presse pour les images – vous parlez de Reuters et de AP notamment, même si l’AFP est présente également. Les journalistes et les reporters se tournent-ils aussi vers les médias locaux ? Ceux-là sont assez absents…
François Robinet : Pour ce qui est de l’accès aux sources, plusieurs cas sont à distinguer. Il y a d’abord le cas des journalistes qui sont spécialistes de l’actualité du continent. Ils sont encore relativement nombreux dans les années 1990 mais un peu moins durant les années 2000. Ces spécialistes ont un « background » sur un certain nombre de pays du continent et des réseaux de sources au niveau local qui sont particulièrement denses. Grâce à ces canaux d’information, ils sont à même de proposer une couverture assez fine, qui va dans la profondeur, qui déconstruit les stéréotypes… C’est cependant une petite minorité de journalistes.
Des journalistes généralistes vont aussi être amenés à couvrir l’événement durant les phases d’intensification de la couverture. Pour eux l’accès aux sources est souvent plus délicat. Ces envoyés spéciaux restent très dépendants de leur « fixeur » – cette personne qui va jouer le rôle d’intermédiaire, de guide, parfois de chauffeur également, de traducteur. De concert avec ce « fixeur », l’équipe de journalistes ou le journaliste établit une sorte de « casting » des témoins et essaye d’aller collecter la parole de personnes susceptibles de ramener de l’information, sur la situation ou sur le conflit. Très souvent également, ces journalistes se dirigent vers les sources d’information les plus aisément accessibles en fonction du contexte : l’ONU, des humanitaires, l’armée française…
Parce que l’accès au terrain est souvent difficile…
François Robinet : Effectivement, l’accès au terrain peut, dans certains cas, être très délicat du fait de la distance, du danger ou des entraves politiques. Dans le cas du Darfour, par exemple, l’accès est extrêmement difficile et c’est ce qui explique que les couvertures se font souvent depuis les camps de réfugiés du Tchad lors des débuts du conflit. Puis certains journalistes vont parvenir à pénétrer au Darfour, en se faisant « embedder » [ou « embarquer », NDLR] par des rebelles ou en circulant avec les humanitaires ou avec l’ONU. Cet accès souvent problématique au terrain explique que les couvertures se fassent aussi beaucoup depuis Paris. Dans ce cas de figure, les journalistes sont alors très dépendants des sources d’informations françaises – en gros les humanitaires, le quai d’Orsay, l’État-major des Armées et éventuellement la cellule africaine au moment où elle existait. C’est alors un regard français qui est porté de manière dominante sur le conflit. J’ai essayé de décrypter tous ces subtils jeux d’influences qui pouvaient exister en fonction du poids des différentes sources, du type de journaliste, de la nature des rédactions, du format dans lequel le journaliste s’exprime…
L’influence des formats est notamment très forte : un sujet de JT de 1 minute 30 n’est bien évidemment pas un sujet de reportage d’Envoyé spécial, des différences de format qui modifient en profondeur les mises en images, les mises en récit, et les modalités selon lesquelles le conflit est perçu, interprété et compris.
Vous avez évoqué tout à l’heure le cas de journalistes qui avaient du mal à faire passer leurs sujets sur un conflit qui durait depuis des années. Quels sont les principaux motifs de tensions qui peuvent naître entre un reporter sur place et une rédaction en chef à Paris ? Y-a-t-il des difficultés récurrentes ?
François Robinet : Je ne sais pas si je parlerais de sujets de tensions récurrents, mais en tout cas, à travers les entretiens que j’ai pu mener, notamment pour les JT, une inquiétude récurrente de la part des journalistes est de faire passer leurs sujets en particulier quand il n’y a pas d’intérêts français explicites et visibles en jeu.
Un journaliste de France 2 m’expliquait, par exemple, sa difficulté à faire passer les sujets sur le Kenya en 2008 avec un de ses rédacteurs en chef. Alors qu’il avait obtenu une interview exclusive d’un des principaux acteurs de la crise Raila Odinga – qui est un des candidats à l’élection dont les résultats ont généré par la suite des violences, il m’expliquait que son rédacteur en chef lui demandait en gros « du français ». Il avait beau expliqué qu’au Kenya il n’y avait que peu de Français et que ces derniers n’étaient pas directement menacés, il a tout de même dû enquêter pour trouver une famille française et parvenir à faire dire aux membres de celle-ci qu’ils se sentaient en danger. L’anecdote est un peu facile mais elle traduit cette préoccupation des reporters ou des envoyés spéciaux sur le terrain, d’« angler » leurs sujets de JT, de calibrer leurs papiers, pour que l’accroche soit suffisante pour que le sujet passe auprès de la rédaction. Il faut parfois un peu ruser, dramatiser, scénariser. Ce sont des techniques qu’on a observées pour d’autres événements, qui sont assez courantes dans la profession. Il ne s’agit pas de travestir les faits mais de les mettre en récit et de construire l’information de manière à ce qu’elle puisse séduire la rédaction en chef et être intelligible par le plus grand nombre.
Et justement, à propos de la construction du récit, vous identifiez la récurrence d’un récit centré autour de trois figures : la victime, le sauveur et le persécuteur. C’est quelque chose qui vous a frappé.
François Robinet : Mon point de départ était de questionner les représentations du continent africain et de ses conflits. J’ai travaillé méthodiquement en prenant conflit par conflit, et en voyant quels étaient les cadrages dominants, quel était le vocabulaire mobilisé pour chacun des conflits étudiés, quelles étaient les formes de mises en images.
Plusieurs caractéristiques m’ont frappé. Je me suis par exemple rendu compte que, quand les conflits font la « une », si on prend un corpus iconographique – et qu’on définit très clairement le rôle des personnes qui y sont représentées – on observe que les populations africaines sont assez systématiquement représentées en vertu de deux rôles : le premier c’est le rôle de victimes, le second c’est le rôle de persécuteurs, de belligérants ou de populations violentes. Il peut sembler assez normal que dans ces situations conflictuelles, ces deux types de populations soient mises en valeur. Mais ce qui est frappant, c’est que ces représentations effacent complètement des figures ou des acteurs qui pourraient apporter plus de nuances, plus de profondeur ou plus d’objectivité à l’information. Dans le cas des violences post-électorales au Kenya par exemple, l’homme de la rue qui vit à Nairobi et qui pourrait mettre en ordre lui-même les événements par un discours rationnel, n’apparaît quasiment jamais à l’écran. Est-ce à dire qu’il n’existe pas ? On comprendra qu’il est moins spectaculaire que les bandes de jeunes qui défilent dans les rues avec des machettes d’autant que celles-ci font écho au génocide des Tutsis. Il est aussi moins émouvant ou révoltant que les scènes montrant des populations civiles regardant leurs maisons ou leurs quartiers partir en fumée.
Ajoutons qu’on observe aussi une sorte de valorisation, voire de survalorisation, du rôle des acteurs français, très souvent placés dans un rôle de « sauveur » : il peut s’agir de l’humanitaire, du militaire, du diplomate. On retrouve là une sorte de binarité qu’on avait déjà connue à d’autres époques, notamment à l’époque coloniale, avec une Afrique qui est une sorte d’image inversée de la modernité – l’Afrique du chaos, du désordre – quand la France est au contraire placée dans un rôle de puissance « salvatrice ». Se dégage alors une véritable trame narrative qui se déplace d’un conflit à l’autre et qui est très présente pour la douzaine de rédactions généralistes étudiées. Quelques titres singuliers comme Le Monde Diplomatique ou L’Humanité se démarquent bien évidemment de cette trame narrative, voire la déconstruisent. Cette récurrence des récits transmédiatiques dominants fut à l’origine d’un étonnement qui m’a conduit à tenter d’en déceler les ressorts.
Et là on touche aux acteurs qui réussissent, qui concourent à la construction de ce que vous appelez le « cadrage interprétatif », aux acteurs qui arrivent à construire le sens qu’on va donner aux événements et vous dites que finalement, les populations africaines, c’est-à-dire les premiers concernés, n’ont quasiment pas voix au chapitre.
François Robinet : Il n’y a pas d’explication simple. Il y a faisceau de facteurs qui permet de comprendre pourquoi on a cette répétition, cette récurrence de la trame narrative. Un premier facteur qui est important, mais qui n’est pas celui sur lequel j’ai enquêté le plus longuement, est la question de la persistance d’un imaginaire colonial ou postcolonial, notamment chez des journalistes qui ne connaissent pas bien le continent, ou qui, quand ils prennent l’avion, partent avec un petit dossier d’articles qui peuvent dater des années 1960 ou 1970.
Mais le plus important est peut-être la question des pratiques journalistiques. Parce qu’en terrain de guerre, il y a du danger, il y a un inégal accès au terrain, il y a souvent l’idée de produire dans l’urgence, et quand on produit dans l’urgence, on cherche d’abord les informations qu’on s’attend à trouver. On va aussi chercher les scènes que l’on juge comme les plus représentatives, ou les plus facilement intelligibles pour le public : j’évoquais tout à l’heure le cas du Kenya et la bande de jeunes avec des machettes. Si vous faites parler un banquier kenyan qui, en gros, vous explique rationnellement la situation, vous n’allez pas donner au téléspectateur l’impression que le Kenya tombe dans le chaos, ce qui est pourtant votre but.
Troisième élément, celui que vous venez de mettre en valeur : le poids différencié des sources parisiennes et des sources locales. Effectivement, sur l’ensemble de mon corpus, les sources africaines ne représentent qu’environ 10 % des sources citées par les journalistes dans leurs productions. À l’inverse, les sources officielles françaises constituent une majorité des sources mobilisées. Or, ces sources-là pèsent sur le cadrage interprétatif ainsi que sur la mise en récit de l’information. C’est-à-dire qu’elles nourrissent, souvent – notamment lorsqu’on analyse la communication de l’exécutif et de l’armée, les représentations, classiques, d’une Afrique continent vouée au chaos et d’une France pays des droits de l’homme, qui aide les populations vulnérables. Ceux qui résistent le mieux à ces représentations dominantes sont les quelques journalistes spécialistes de ces conflits, de ces terrains-là – comme Jean-Philippe Rémy – qui sont capables à travers d’autres sources de contourner cette communication, de la déconstruire. Le poids de cette communication est particulièrement fort lorsque l’armée française est directement impliquée sur le terrain. Les journalistes sont dans une logique démocratique qui vise à couvrir l’information de manière transparente et pluraliste tandis que les militaires, que la France soit impliquée directement dans la guerre ou qu’elle soit juste une opération de sécurisation, ou d’interposition, sont dans une logique de guerre, donc de maîtrise de l’information. On l’a vu encore récemment au tout début de l’opération Serval au Mali, les journalistes n’avaient pas de liberté de circulation pendant les premières semaines ; l’argument donné par l’État-major était celui du danger alors que le front n’était pas encore stabilisé. L’argument est recevable, mais il masque le souci qu’a l’armée française de se préserver de la diffusion d’informations qui pourraient être gênantes pour sa stratégie ou pour son image. L’armée a d’ailleurs perfectionné ses techniques de communication, elle a des officiers de presse qui sont particulièrement compétents, qui ont souvent fait les mêmes études qu’un certain nombre de journalistes qui couvrent les conflits ; il existe donc des jeux de relations, de rivalités, de confiance, qui se mettent en place (« l’information que je te donne, tu ne la sors pas avant 24 heures »). Mais ce qui est sûr, c’est que, quand l’armée française est engagée sur le terrain, elle défend d’abord ses priorités stratégiques, et l’intérêt de ses missions. Et elle n’est pas du tout dans une logique de transparence de l’information.
Vous expliquez que la guerre est aussi un moment particulièrement favorable à la désinformation. Comment les journalistes tentent-ils de se prémunir vis-à-vis de ce risque-là ?
François Robinet : C’est une vaste question qui est aussi très ancienne. Souvenons-nous dans un passé pas si lointain des débuts de la guerre du Golfe (1991) où les journalistes français, vexés d’avoir été pris de court au moment de l’affaire du faux charnier de Timisoara (1989), avaient annoncé qu’ils allaient faire vivre la guerre en direct, et qu’enfin on allait approcher au plus près du réel ; on a vu finalement la manière dont la désinformation était parvenue à s’imposer.
Évidemment, pour les journalistes, il y a toujours ce désir de se défaire de la communication notamment quand on se fait « embedder ». En même temps, dans des logiques de guerre, les journalistes n’ont pas accès à l’ensemble des acteurs, ils n’ont pas forcément accès à l’ensemble des zones géographiques, ils ne disposent pas d’une vision globale de ce qui se passe et des intérêts stratégiques, des différents groupes qui sont impliqués. Or, les acteurs français sont souvent les plus accessibles. Que vous le vouliez ou non, vous allez être plus facilement exposés à leur vision du conflit, qu’à la vision du conflit d’autres acteurs, parfois inaccessibles, parfois hostiles.
Le rôle de la communication officielle fut fondamental dans les errements de la couverture médiatique du génocide au Rwanda. Les journalistes commencent à identifier le génocide en mai 1994 au moment où certains journalistes avancent aux côtés des troupes du FPR, qui progressent au Rwanda et libèrent le pays. Les journalistes sont conduits de charniers en charniers, et là ils réalisent l’ampleur, la nature et la dimension politique de ces massacres. Jusque-là, l’essentiel de la couverture avait eu lieu en avril au moment d’Amaryllis et les journalistes avaient largement relayé la vision très dépolitisée de l’événement portée par l’exécutif français et par l’état-major : les militaires français notaient bien la guerre civile et la dégradation de la situation, mais ils ne mettaient pas en valeur la nature politique des massacres. Il y a là un enjeu fort car ne pas mettre en valeur la nature politique des massacres, c’est se laisser une marge de manœuvre pour se désengager. Parce que si, dans votre communication, vous mettez en valeur la nature génocidaire des massacres en cours et que les soldats français sur le terrain n’empêchent pas ces massacres, voire pire, se désengagent, cela risque d’être difficilement audible et compréhensible pour l’opinion française et pour l’opinion internationale. Donc, dans la communication, il y a toujours le désir de présenter la situation d’une manière qui permette à l’armée française de conserver la plus grande marge de manœuvre possible sur le terrain et qui permette aussi pour les politiques français à Paris de conserver la totalité de l’éventail des décisions ou des options envisageables. Soulignons également que les belligérants locaux ont également leur propre agenda et leur propre stratégie de communication, parfois très perfectionnée. Au cours de la première guerre du Congo, Laurent Désiré Kabila, à chaque fois qu’il progressait vers Kinshasa, organisait médiatiquement son entrée dans les villes conquises, pour construire son image de libérateur du pays face à Mobutu.
Peut-on parler d’effet « Fox News », c’est-à-dire d’alignement de la couverture sur la position officielle du gouvernement ?
François Robinet : Là encore, cela dépend des contextes, mais il y a effectivement des moments où on observe une co-construction de l’information : journalistes, diplomates et militaires français sont immergés dans le même contexte et finissent par produire la même vision du conflit. Si je reprends l’exemple rwandais, pendant l’Opération Turquoise, seule une petite dizaine de journalistes va continuer à enquêter sur le génocide et mettre en valeur les ambiguïtés de l’opération française. Évidemment, ce sont les journalistes qui connaissent le mieux le contexte, qui le plus souvent étaient allés au Rwanda avant 1994. Est-ce qu’il y a eu alignement diplomatique de la part des autres journalistes ? Pas forcément de manière volontaire, mais le dispositif mis en place par les militaires, le contexte dans lequel s’est effectuée la couverture, les conditions de travail sur le terrain avec des journalistes qui vivaient en proximité avec les militaires, font qu’il y a une vision un peu angélique du rôle de l’armée française ; l’armée française a certes sauvé plusieurs milliers de personnes touchées par le choléra dans un contexte difficile, mais la couverture a eu tendance à édulcorer, euphémiser, voire oublier, d’autres dimensions de l’événement, qui auraient mérité d’être mises en valeur. Celles-ci ne correspondaient pas à la ligne officielle souhaitée par l’armée et par l’exécutif à l’époque.
Sans que cette tendance soit propre aux conflits africains, vous notez une évolution par rapport aux années 1960-1970, qui est d’accorder de plus en plus de place aux victimes civiles, par rapport aux victimes militaires.
François Robinet : Cette tendance se remarque effectivement sur un temps qui est plus long que ma période d’étude, et qui dépasse aussi son cadre géographique. Elle a notamment été identifiée par Laurent Gervereau pour d’autres conflits.
À partir des années 1960 et 1970, on observe une mise en visibilité croissante de la périphérie du front et donc de l’arrière, des civils, des camps de réfugiés au détriment de la couverture du front et des combats. Les raisons de cette évolution sont diverses. Il y a d’abord la dangerosité des zones de combats dans des contextes où les fronts sont souvent mouvants : comme il est très difficile d’être en première ligne avec les combattants, on s’intéresse donc aux à-côtés – les camps humanitaires, les retraits de troupes, éventuellement les moments de cantonnement des armées, la scène diplomatique, les sommets, les négociations, les poignées de mains… C’est assez intéressant de voir que, dans la représentation qu’on nous propose de la guerre, la violence n’est pas totalement absente, il ne faut pas exagérer, mais disons qu’elle tend à passer à l’arrière-plan.
Au cours de la période que vous étudiez, quelles sont les évolutions principales que vous avez constatées dans la couverture des conflits africains ?
François Robinet : Il y en deux qui sont frappantes. La première : dans les années 1990, on pouvait avoir une attention encore assez soutenue pour des situations de crises humanitaires, liées à un conflit.
Dans les années 2000, une situation humanitaire particulièrement grave ne suffit plus à susciter l’intérêt des rédactions, et leur implication. Du coup, il faut souvent passer à une autre nature d’événement, et la grille d’intelligibilité qui va pousser les rédactions à l’action dans les années 2000, c’est celle du risque génocidaire. On l’a vu au moment de la dégradation de la situation en Centrafrique en 2013 : l’exécutif français a communiqué autour d’un risque de génocide et c’est un des éléments de légitimation de l’action française ; c’est aussi pour cette raison qu’on s’est intéressé à la Centrafrique assez tôt, parce qu’on avait peur que se renouvelle le génocide qu’on a connu quelques années plus tôt au Rwanda. Au Kenya aussi, c’est la grille de lecture génocidaire qui s’impose et qui fait qu’on va aller couvrir ce qui se passe. Jouent ici le massacre de l’église d’Eldoret, mais aussi le fait que les deux dirigeants kenyans eux-mêmes, Raila Odinga et Mwaï Kibaki, ainsi que l’ONU évoquent le risque de génocide à l’époque ce qui favorise l’arrivée des médias occidentaux.
Le deuxième changement important, c’est une grille de lecture qui était peu présente voire absente dans les années 1990, et qui s’impose progressivement dans la deuxième moitié des années 2000 : il s’agit de la grille de lecture d’une Afrique en proie à l’essor du terrorisme qui suscite un intérêt croissant pour la présence et les actions des groupes terroristes – Boko Haram au Nigeria, Aqmi, au Sahel, au nord du Mali – sur le continent africain.
Les réseaux sociaux et le développement des médias en ligne changent-ils beaucoup les choses ?
François Robinet : Oui, les réseaux sociaux changent le rythme de la production, de la circulation et de la diffusion de l’information. Avec l’arrivée du Web 2.0, à partir de 2006, 2007, les mises en narration de l’information voient leur rythme s’accélérer. Désormais, les récits d’information se reconfigurent plusieurs fois par jour, des faits nouveaux sont régulièrement injectés dans la narration, de nouvelles formes de déploiement de l’action peuvent être observées…
Le tournant numérique a aussi contribué à une profonde mutation des conditions de production de l’information sur le terrain. Prenez une équipe de télévision, au milieu des années 1990 : ils sont surchargés en matériel, ils sont trois, la transmission peut être particulièrement complexe s’ils n’ont pas à proximité une antenne satellite – ils peuvent avoir à parcourir des centaines de kilomètres pour transmettre leur sujet. À partir du milieu des années 2000, souvent ils ne partent plus qu’à deux, les caméras sont plus légères, ils ont l’ordinateur portable avec leur propre antenne pour émettre, ce qui veut dire beaucoup plus d’indépendance, beaucoup plus de mobilité, beaucoup plus de rapidité et donc, là aussi, cela explique en partie l’accélération des rythmes de l’information.
Pensez-vous possible, pour le lecteur ou le téléspectateur, de s’informer correctement sur un conflit en cours ? Et le cas échéant, comment ? Parce qu’on voit qu’il est extrêmement difficile pour un média de s’abstraire complètement de logiques extérieures.
François Robinet : S’informer correctement exige d’abord l’effort de mettre à distance les représentations dominantes, surtout lorsqu’elles sont stéréotypées et de s’interroger (« tiens, c’est étrange, c’est un type de récit ou de représentation que j’ai déjà observé pour d’autres contextes »).
Il est ensuite précieux de croiser ses sources d’information, de ne pas se contenter d’un journaliste ou d’une rédaction, d’être attentif aux dissonances éventuelles entre rédactions. On peut aussi identifier un ou plusieurs journalistes, spécialistes de la zone qui est au cœur de l’actualité – il y a des gens qui sont beaucoup plus compétents que d’autres sur certaines zones. La question des compétences, des connaissances, de l’expérience des journalistes est importante.
Troisième élément, il ne faut pas oublier qu’il existe des chercheurs spécialistes de ces terrains et qui, lorsque ces zones conflictuelles sont au cœur de l’actualité, prennent la parole, à la radio, plus rarement à la télévision, et dans la presse. Lors du génocide contre les Tutsis, Jean-Pierre Chrétien dénonce dans Libération, dès la fin du mois d’avril 1994, un « nazisme tropical ». Et il montre assez explicitement la nature politique et génocidaire des massacres en cours. Un ou deux journalistes l’avaient fait avant lui : Jean-Philippe Ceppi dans Libération, Madeleine Mukamabano de RFI, mais ces voix n’ont pas été suffisamment entendues à l’époque. Elles étaient isolées au regard de la vision générale qui était celle d’un conflit tribal, d’une guerre interethnique.
Il faut ajouter aujourd’hui un quatrième élément : les réseaux sociaux ont la spécificité de nous permettre d’être connectés à des fils d’actualités de personnes qui sont souvent très proches des faits. Lors des événements récents au Burundi, vous pouviez être abonné aux fils Twitter de certains journaliste burundais, de correspondants de l’AFP au Burundi, et vous aviez en temps réel l’état des manifestations, la réaction du pouvoir, les pressions menées par celui-ci – évidemment il faut à chaque fois être prudent – à un moment où nous n’avions pas forcément de « papiers » dans la presse, de sujets de journaux télévisés ou de radio sur le Burundi. C’est quand-même une nouveauté assez radicale par rapport au milieu des années 1990.
L’Afrique vous paraît-elle être un continent oublié par les médias, ou négligé ? Que ce soit en termes de fréquence à laquelle on en parle et puis aussi, peut-être, de types de sujets ?
François Robinet : Il y a effectivement deux problèmes principaux. Il y a d’abord le manque d’intérêt pour le continent, même si les médias y sont plus attentifs depuis quelques années. L’intérêt pour le terrorisme a contribué à cette attention croissante, tout comme l’existence d’un public diasporique et africain en attente d’informations sur le continent.
Un certain nombre de rédactions ont d’ailleurs ouvert des sites, spécifiquement consacrés à l’Afrique : pendant longtemps on avait Jeune Afrique, maintenant vous avez Le Monde Afrique, L’Afrique en Face (blog de Vincent Hugueux), Le Point Afrique, Slate Afrique… Donc, à mon sens, si la télévision, la radio – je ne parle pas de RFI, évidemment, mais des radios généralistes – et la presse écrite ont plutôt tendance à ne s’intéresser que très ponctuellement et de manière très diffuse au continent africain, il faut noter cette apparition récente de productions originales, de canaux nouveaux, des rédactions qui tentent de proposer un suivi de cette actualité, quitte à recruter de nouveau des journalistes spécialisés dans l’actualité du continent. Ainsi, pour un lecteur ou pour un auditeur qui souhaiterait suivre l’actualité africaine, il y a quand-même plus de possibilités qu’il y a une vingtaine d’années. Reste que dans le cas des grandes rédactions généralistes, pour qu’il y ait un événement couvert en profondeur sur le continent africain, il faut quand-même qu’il y ait quelque chose de particulièrement dramatique – on revient à ce que nous évoquions tout à l’heure.
Le deuxième élément c’est que, même si on a peut-être progressé à certains égards, il y a un regard qui peut être condescendant, un peu stéréotypé, très normé, sur les populations africaines. Cela est sans doute lié à des héritages historiques, à l’évolution du rapport post-colonial, autant de questions qui jouent encore. On voit ainsi resurgir des visions fantasmées du continent. L’exemple type c’est que, régulièrement, quand vous avez un sujet sur l’Afrique à la télévision, il faut qu’à un moment donné il y ait quelqu’un qui chante ou qui danse. Alors bien sûr cela existe, mais pourquoi le mettre en valeur ? Parce qu’on imagine très certainement que cela va résonner avec l’imaginaire des téléspectateurs. À l’inverse, certains spécialistes du continent comme Dominique Derda, qui traite certains sujets un peu à contretemps pour France 2, le fait avec finesse, avec plus de profondeur, parce qu’il est constamment sur le terrain, et il mobilise donc un peu plus rarement les stéréotypes et les clichés.
Pourquoi mettre ces stéréotypes en valeur plutôt qu’autre chose…
François Robinet : Ils font partie des grands classiques, des passages obligés, des scènes considérées comme immédiatement signifiantes. Ce regard très normé s’exprime parfois jusque dans la manière dont les journalistes de télévision captent la parole des gens : la parole du Blanc en Afrique va être enregistrée dans un espace plutôt calme ; la voix est aisément audible, la personne clairement identifiée (nom, prénom, éventuellement un titre, ou une profession)… À l’inverse, les identités et statuts de l’homme ou la femme africain-e sont très rarement mentionnés ; les témoignages sont alors un peu « bruts » et visent à exprimer une souffrance, des états d’âme, des émotions, mais presque jamais à exprimer un contenu informatif sauf s’il s’agit d’un responsable politique.
Ces schémas se retrouvent très souvent même si j’ai le sentiment que, depuis plusieurs années, une nouvelle génération de journalistes est peut-être un peu plus attentive à ces écueils, qui sont aussi liés à des habitudes, à des routines. Ajoutons que ces écueils ne sont pas seulement liés au continent africain : regardez comment sont représentées à la télévision d’autres minorités : c’est le lot des groupes marginalisés ou des minorités d’être représentés de cette manière-là. Or, il me semble qu’on peut entendre une victime pour autre chose qu’un témoignage qui soit de l’ordre exclusif de l’émotionnel. Et c’est sans doute ce qui est le plus intéressant d’ailleurs : entendre les gens pour l’expérience singulière qu’ils ont pu avoir d’un conflit, tout en faisant surgir ce que cette expérience traduit des formes de violences qui se sont exprimées, de la gestion politique de la crise ou des responsabilités des différents acteurs impliqués dans l’événement. Effacer ou euphémiser cette singularité ne peut que conduire le public français à un sentiment de répétition des crises en Afrique et à la fabrique de l’indifférence envers les souffrances générées par ces guerres.