Fiche du document numéro 28511

Num
28511
Date
Jeudi 3 juin 2021
Amj
Taille
188595
Titre
France-Rwanda. Pas d’excuses mais un nouveau départ
Sous titre
Vingt-sept ans après, Emmanuel Macron a reconnu la “responsabilité” de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Cela suffira-t-il pour décrisper les relations entre les deux pays ? s’interroge cet éditorialiste burkinabé.
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
—L’Observateur Paalga
Ouagadougou

Rarement les mots d’un
discours auront été aussi
pesés que ceux prononcés
jeudi 27 mai au mémorial de
Gisozi, à Kigali, par le président
français. Cette allocution a été prononcée
avec le ton qui sied. Afin
de panser avec le verbe les blessures
de cette tragédie : celle du
génocide rwandais de 1994, qui a
fait entre 800 000 et 1 000 000
de morts en l’espace de trois mois.
Pendant longtemps, le Rwanda
a pointé un doigt accusateur
vers la France pour sa complicité
supposée ou réelle dans le
drame. D’abord pour son soutien
presque inconditionnel au
régime de Juvénal Habyarimana
[président du Rwanda de 1973 au
6 avril 1994, lorsque son avion
est abattu. Cet événement a
été le déclencheur du génocide].
Ensuite pour la mise en
œuvre de l’opération Turquoise,
accusée de tous les péchés du
Rwanda [le rôle de cette opération
française, déployée en juin
1994 “pour stopper les massacres”,
est toujours controversé]. C’est
peu dire, donc, que le locataire
de l’Élysée marchait sur des œufs
au pays des Mille Collines.
La première et dernière visite
d’un chef de l’État français depuis
1994 remontait à février 2010, avec
Nicolas Sarkozy. Il avait pudiquement
écrit dans le livre d’or : “Au
nom du peuple français, je m’incline
devant les victimes du génocide des
Tutsis.” C’est tout dire de la délicatesse
du sujet. De petits pas dans
cette longue marche pour le rapprochement
entre les deux États.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé
sous les ponts de la Seine. Macron,
dès son arrivée à l’Élysée, a montré
sa disponibilité à assainir les relations
avec Kigali. Mais ce qui a
accéléré le dégel de l’axe Kigali-
Paris, ce sont deux rapports publiés
coup sur coup en l’espace d’un mois
(le 26 mars et le 19 avril 2021).
D’abord celui de Vincent Duclert,
commandé par la France ; ensuite
celui du cabinet d’avocats américain
Levy Firestone Muse, commandé
par le Rwanda. Ils ont tous
les deux pointé du doigt la responsabilité
accablante de l’Hexagone
dans cette tragédie innommable,
sans pourtant parler de complicité.
C’était suffisant pour que, au
cours de son séjour à Paris pour
le sommet sur le financement des
économies africaines [les 17 et
18 mai], Paul Kagame se félicite
de cette avancée notable.
De là à ce que Jupiter présente
des excuses officielles au peuple
rwandais, il y a un pas qu’il n’a
pas osé franchir face aux restes
des 250 000 victimes [enterrées
au mémorial]. Extraits : “En s’engageant
dès 1990 dans un conflit
dont il n’avait aucune antériorité,
la France n’a pas su entendre la
voix de ceux qui l’avaient mise en
garde. Ou bien avait-elle surestimé
sa force en pensant pouvoir arrêter
ce qui était déjà à l’œuvre ? La
France n’a pas compris qu’en voulant
faire obstacle à un conflit régional
ou à une guerre civile, elle est
restée de fait aux côtés d’un régime
génocidaire. Ignorant les alertes des
plus lucides observateurs, la France
endossait alors une responsabilité
accablante dans un engrenage qui
a abouti au pire alors même qu’elle
cherchait précisément à l’éviter…
Avec humilité et respect, à vos côtés,
ce jour, je viens reconnaître nos responsabilités.”
C’est à un véritable
exercice de trapéziste politico-diplomatique
que s’est livré le
président français.
Ni excuses ni déni. Telle est
la ligne de conduite que semble
s’être fixée Emmanuel Macron. Il
fallait plaire aux amis rwandais
sans heurter ceux de ses compatriotes
qui estiment que, si la
France n’était pas intervenue,
les choses auraient peut-être été
pires. Et que finalement la France
a agi, quand d’autres puissances
se sont bien gardées de lever le
petit doigt. Commentaire de Paul
Kagame après le discours d’Emmanuel
Macron : “Ces mots ont plus
de valeur que des excuses.”
En tout cas, c’est un nouveau pas
décisif qui vient d’être fait dans le
sens de la décrispation entre les
deux pays, et il faut espérer qu’ils
sauront regarder ensemble vers
l’avenir sans pour autant oublier
ce douloureux passé.
—Issa K. Barry
Publié le 28 mai

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