Fiche du document numéro 28460

Num
28460
Date
Vendredi 28 mai 2021
Amj
Taille
695090
Titre
Génocide des Tutsis : « Je viens reconnaître nos responsabilités »
Sous titre
RWANDA. En déplacement à Kigali, Emmanuel Macron n’a pas explicitement demandé pardon, au risque de décevoir les associations de victimes.
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
AU MÉMORIAL de Gisozi à
Kigali (Rwanda), dont la sépulture
abrite les restes de plus de
250 000 victimes, ce qui en
soi dit déjà l’horreur, il s’agissait
pour Emmanuel Macron
de poser des mots sur le rôle
de la France dans le génocide
des Tutsis, qui a fait plus
de 800 000 morts en 1994.
Le président a choisi minutieusement
ses mots : « Je
viens reconnaître l’ampleur de
nos responsabilités… » Une
première. Vingt-sept années
se sont écoulées, gonflant « la
part de souffrance qu’elle
[la France] a infligée au peuple
rwandais en faisant trop
longtemps prévaloir le silence
sur l’examen de vérité »,
rappelle le chef de l’État. Ce
que l’historien Stéphane
Audoin-Rouzeau appelle « le
mur du déni français », percé
par le rapport dirigé par l’historien
Vincent Duclert établissant
les « responsabilités lourdes
et accablantes » de Paris.
Passif si pesant.
Des excuses étaient attendues
« impatiemment »
par les organisations de
survivants. Ce n’est pas la
formule retenue par Emmanuel
Macron — « un génocide
ne s’excuse pas », estime-t-il.
Pourtant déjà prononcé par
les États-Unis ou les Nations
unies, le terme est sensible
dans l’Hexagone. À Gisozi,
le président a choisi ces
mots : « Sur ce chemin, seuls
ceux qui ont traversé la
nuit peuvent peut-être pardonner,
nous faire le don
de nous pardonner. »
Ils sont forts, pesés. Mais
pas aussi limpides, directs,
qu’espérés par certains, en
particulier les survivants du
génocide. Ce pardon, le président
français ne le demande
pas, comme l’avait fait le Premier
ministre belge en 2000.
Il « l’espère ». Telle une mise
en musique de sa philosophie
mémorielle, un dossier explosif
qu’il aborde macronien en
diable : « pas de repentance »,
mais « une reconnaissance ».
Réminiscence de son fameux
« en même temps ».
Des mots calibrés
L’histoire, comme il entend
« la regarder en face », c’est
notamment dire à Gisozi que
« la France n’a pas compris
que, en voulant faire obstacle à
un conflit régional ou une
guerre civile, elle restait de fait
aux côtés d’un régime génocidaire
». Ces mots-là aussi sont
calibrés. Sa visite du Mémorial
l’a conduit à passer devant un
panneau mentionnant l’arrivée
« des militaires français »
pendant l’opération Turquoise,
soi-disant pour créer un lieu
de refuge dans le sud du pays
entre les parties « en conflit ».
Réponse du président, doublée
d’un message appuyé à
l’armée : « Les tueurs qui hantaient
les marais, les collines,
les églises, n’avaient pas le
visage de la France. Elle n’a
pas été complice. »
Emmanuel Macron assume
« les risques » de sa ligne
mémorielle. Car, « c’est en
même temps précisément
décider de ne contenter personne
parce qu’on ne choisit
pas sa vérité », avance-t-il peu
après, lors d’une conférence
de presse commune avec Paul
Kagame au palais présidentiel.
Le président rwandais au diapason
: « Ses paroles avaient
plus de valeur que des excuses.
Elles étaient la vérité. » La
chorégraphie manifeste la
volonté des deux chefs d’État
de renouer des relations
« puissantes et irréversibles »
entre les deux pays, après
« vingt-sept années de distance
amère » (ces mots sont de
Macron). Elle passe notamment
par la nomination d’un
ambassadeur de France au
Rwanda, poste vacant depuis
2015, signe de la tension qui
put régner. Ou par l’inauguration,
en fin de journée, du Centre
culturel francophone.
Autant de signaux également
adressés, par-delà les frontières
rwandaises, à l’Afrique, en
particulier à sa jeunesse.
« C’est le début
d’un long chemin »
Il reste qu’au pied de l’estrade
à Gisozi, juste après le discours,
avant que la parole officielle
du régime autoritaire
ne donne le la, certains confiaient
un sentiment d’inachevé
malgré « l’émotion forte ».
« On attendait qu’il présente
des excuses au nom de l’État
français. Emmanuel Macron
ne l’a pas dit clairement, il a
vraiment évité le mot exact.
Même quand i l parle de
pardon, il ne demande pas
pardon », glisse ainsi Egide
Nkuranga, le président d’Ibuka,
la principale organisation
de rescapés, qui, malgré « une
sorte de déception », philosophe
: « C’est le début d’un long
chemin. » « Cette reconnaissance,
c’est ce que je peux
donner », lui répond (à distance)
Emmanuel Macron lors de
sa conférence de presse.
L’une de ses traductions
tient dans l’engagement du
président « à ce qu’aucune
personne soupçonnée de crimes
de génocide ne puisse
échapper à la justice ». Soit,
« à construire toutes les solutions
administratives qui
peuvent faciliter les poursuites,
l’établissement de la vérité
et les extraditions ». Un point
crucial pour les rescapés
qui ne cessent de regretter
que des présumés génocidaires
« se trimballent en liberté »
dans l’Hexagone. Et ne pourraient
comprendre que
cette déclaration ne soit pas
suivie de résultats.
« J’apprécie et j’attends la
suite, nous confie l’un d’eux,
Pierre Kalinganiré. Si la France
renvoie les génocidaires, ce
sera plus important qu’une
demande de pardon. Comme
il l’a dit, nous, on vit éternellement
avec le génocide. »

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