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Berlin (Allemagne).– C’est vendredi matin, à l’aube, que le ministre allemand des affaires étrangères Heiko Maas, via un bref communiqué, a enfin confirmé les rumeurs qui circulaient ces dernières semaines. Dans un accord déjà paraphé mais encore secret, l’Allemagne reconnaît sa culpabilité dans l’extermination de 80 000 membres des tribus des Hereros et des Namas entre 1904 et 1908.
« Nous appellerons désormais officiellement ces événements ce qu’ils étaient d’un point de vue actuel : un génocide », a répété le ministre dans la journée. Cette prise de position officielle sera assortie d’une demande officielle de pardon de l’Allemagne auprès de la Namibie. Et, ultérieurement, d’une rencontre et d’une cérémonie correspondante à Windhoek, capitale de cet État d’Afrique australe.
Berlin va en outre verser plus de 1 milliard d’euros d’aides au développement. Heiko Maas s’est empressé d’ajouter qu’« il n’est pas possible d’en déduire des demandes d’indemnisation ». Cette petite précision confirme bien que l’accord annoncé n’est pas considéré comme un acte de droit international mais comme un acte purement moral et sans obligation.
Deux crânes revenus d'Allemagne et exposés le 4 octobre 2011 à Windhoek en Namibie, un siècle après que les autorités coloniales allemandes ont saisi les restes d'Africains pour des expériences raciales. © Brigitte Weidlich / AFP
Le génocide en question, premier du XXe siècle, est la séquence la plus brutale de la courte histoire coloniale allemande. L’Empire allemand, projeté au rang de grande puissance coloniale lors de la conférence de Berlin de 1884, quand les États d’Europe occidentale se sont partagé l’Afrique, colonise la Namibie entre 1884 et 1915.
Au début, la cohabitation des fermiers allemands avec les tribus locales est relativement paisible. Mais au fur et à mesure que le nombre des colons et des exploitations grossit, les conflits se multiplient, notamment avec les peuples de bergers semi-sédentaires que sont les Hereros et les Namas. Évidemment, ceux-ci utilisent l’espace et les points d’eau comme l’ont toujours fait leurs ancêtres, comme bon leur semble. Ce qui dérange les intérêts des colons allemands.
La colère et les brimades des fermiers déclenchent mouvements de révolte et actions punitives contre les Allemands. Le 12 janvier 1904, un groupe de Hereros, privés de leurs terres et de leur bétail dans le territoire semi-désertique de l’actuelle Namibie, massacrent 123 civils allemands. La rébellion des Namas suit de peu.
L’Allemagne envoie alors un corps expéditionnaire de 15 000 hommes. La répression est féroce. Après la sanglante bataille de Waterberg, en août 1904, quelque 80 000 Herero fuient avec femmes et enfants pour gagner le Botswana voisin. Les troupes allemandes les poursuivent à travers les étendues désertiques de l’actuel Kalahari. Seuls 15 000 d’entre eux survivent. Le commandant militaire de la colonie, le général Lothar von Trotha, décrète alors que « dans les frontières [coloniales] allemandes, tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail, d[oit] être abattu ».
Ce que les historiens qualifient de premier génocide du XXe siècle est déjà l’occasion de l’installation de camps de concentration et d’expériences scientifiques sur des « spécimens » d’une « race » jugée inférieure. Plusieurs centaines de corps et de crânes sont ainsi expédiés en Allemagne pour mener des expériences scientifiques censées prouver la supériorité des Blancs sur les Noirs.
Il faut attendre un siècle pour que l’Allemagne commence à réagir. En 2004, le gouvernement allemand envoie sa ministre du développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, à la commémoration du centenaire du génocide. Celle-ci présente ses excuses pour les « atrocités » commises et qui « seraient appelées aujourd’hui génocide ». Mais rien de plus. En 2011 puis en 2018, des ossements de membres des tribus Herero et Nama sont aussi remis à la Namibie. Et les temps changent lentement. C’est finalement à partir de 2015 qu’un groupe de négociation germano-namibien est créé pour tenter de trouver une solution commune et officielle.
Statuette africaine d'un colon allemand. © Deutsches historisches Museum
Pour le chercheur germano-camerounais Paul-Simon Handy, spécialiste des questions stratégiques africaines pour le prestigieux Institut d’études stratégiques de Pretoria (ISS), l’accord annoncé est tout à la fois intéressant et ambigu : « C’est le premier acte de repentance d’une ancienne puissance coloniale qui mette en cause et en contexte l’ensemble de la politique coloniale, et place le génocide en son centre. C’est inédit, estime-t-il. Je pense qu’à terme, cela peut avoir un impact historiographique important sur l’histoire du colonialisme, qui est toujours présenté par certains comme un acte d’enrichissement culturel. »
Mais l’accord est à double tranchant, surtout en ce qui concerne le versant financier : « Négocier des réparations officielles inscrites dans un contexte juridique de droit international n’est pas une garantie de vraie réconciliation. Dans le même temps, si l’Allemagne avait officiellement négocié des réparations dans le cadre du droit international, le dossier serait bientôt clos et les sommes seraient directement attribuées aux familles des victimes », explique Paul-Simon Handy.
Or, selon lui, l’insistance de l’Allemagne à ne pas se soumettre au droit international et à ses servitudes, si elle a permis d’instaurer un cadre de négociation plus libre, « a aussi permis au gouvernement namibien de prendre le contrôle des négociations et d’en exclure des représentants importants des deux tribus », précise le chercheur.
Pour Christian Kopp, porte-parole de l’ONG berlinoise critique Berlin Postkolonial, « les représentants des descendants des groupes de population les plus touchés à l’époque, qui ont été exclus des pourparlers bilatéraux, ne doivent pas être ignorés dans le processus de réconciliation : sans eux, la réconciliation - qui ne peut être forcée - est impensable ! »
Par ailleurs, l’aide financière allemande de 1,1 milliard d’euros sera étalée sur 30 ans, à raison de 30 millions d’euros par an. Ces sommes doivent être attribuées à des projets sociaux et de développement, essentiellement dans les régions où vivent les descendants des Hereros et des Namas. En principe…
« Il faudra voir avec le temps si ces aides profitent vraiment aux Hereros et aux Namas. Car si ce n’est pas le cas, les revendications risquent de reprendre de plus belle », prévient Paul-Simon Handy en attirant l’attention sur les déclarations ambiguës d’Alfredo Hengari, porte-parole du président namibien. « L’acceptation de la part de l’Allemagne qu’un génocide a été commis est un premier pas dans la bonne direction. C’est la base de la deuxième étape, qui consiste à présenter des excuses, suivies de réparations », a déclaré celui-ci.