Citation
DE NOTRE CORRESPONDANTE
À KIGALI (RWANDA),
PAULINE THÉVENIAUD
SUR LA COLLINE de Nyanza-
Kicukiro, des jardiniers s’affairent
parmi les fleurs blanches
ou roses, au coeur d’un cocon
vert tendre. « Quand on est ici,
on se rappelle qu’il y avait des
cadavres, du sang. Ça ramène
le chagrin », souffle Brave
Olivier Ngabo, le directeur
du mémor ial où plus de
96 000 victimes sont enterrées.
Trois mille Tutsis ont
afflué ici, le 11 avril 1994, quand
les forces belges de la MINUAR
ont quitté l’École technique
officielle (ÉTO) où ils avaient
pensé pouvoir trouver refuge.
« Cent personnes ont survécu
», poursuit Naphtal Ahishakiye,
secrétaire exécutif
d’Ibuka — « Souviens-toi » —,
association de rescapés du
génocide des Tutsis, qui a fait
plus de 800 000 morts. Ce jardin,
il vient dire que l’« on peut
remplacer le mal par le bien »,
dit le directeur.
Brave Olivier Ngabo. Son
nom à lui seul dit ce qu’il lui a
fallu de courage. Il avait 7 ans
en 1994. Sa gorge se noue lorsqu’il
évoque ce qui avait commencé
comme des vacances
de Pâques chez son grand-père
paternel. Suivront cent jours
à courir pour échapper aux
bourreaux hutus qui ont tué ses
parents, son frère et la majeure
partie de sa famille. « Donner
un témoignage du début à la fin,
sans plonger dans la mémoire,
ce n’est pas facile », confie-t-il.
« Une thérapie
pour les survivants »
Ce matin, à l’autre bout de
Kigali, Emmanuel Macron
plongera dans ce douloureux
passé, en se rendant au
mémorial de Gisozi où reposent
plus de 250 000 âmes.
Ici aussi, des arbres ont repoussé.
Le président français y prononcera
un discours très attendu,
alors que depuis vingt-sept
ans le rôle joué par la France
dans le génocide des Tutsis
empoisonne la relation entre
Paris et Kigali. Le chef de
l’État s’y adressera notamment
aux « rescapés », temps fort
d’une visite qui devrait consacrer
l’« étape finale de la
normalisation des relations »
entre les deux pays, selon l’Élysée.
Les mots seront pesés
au trébuchet.
« Les Français ont besoin
de porter sur (le passé) un
regard lucide et décomplexé »,
a estimé le chef de l’État, interrogé
au sujet de son entreprise
mémorielle, dans le magazine
« Zadig ». Il ajoutait n’être « pas
du tout dans la repentance »,
mais estimer « que nous avons
la possibilité de revoir notre
histoire dans la durée ».
Prononcera-t-il des excuses
au nom de la France, comme
l’ont déjà fait la Belgique, les
États-Unis, les Nations unies,
l’Église catholique ? Jugeant
récemment dans « le Monde »
qu’elles « ne peuvent venir à la
demande », le président rwandais,
Paul Kagamé, ne l’exige
pas. Certaines associations, si.
« C’est à lui de le dire, mais c’est
le minimum », estime Jeanne
Allaire Kayigirwa, rescapée et
membre d’Ibuka France, association
reçue à l’Élysée en
avril 2019. Cette visite, Naphtal
Ahi shakiye la juge par avance
« très significative », estimant
que depuis la publication du
rapport dirigé par l’historien
Vincent Duclert, « les relations
sont fondées sur la vérité historique
». Il poursuit : « C’est une
thérapie pour les survivants du
génocide. Vingt-sept ans sans
rien dire… Ça pesait lourd dans
les coeurs et les mémoires. »
Le précédent (et seul) geste
d’un président français remonte
à 2010, quand Nicolas
Sarkozy avait reconnu « de
graves erreurs d’appréciation »
et « une forme d’aveuglement
» lors d’une conférence
de presse à Kigali.
« Le pardon,
c’est l’avenir »
Étape majeure en mars dernier,
le rapport Duclert a conclu
aux « responsabilités lourdes et
accablantes » de la France et à
l’« aveuglement » du président
de l’époque, François Mitterrand,
et de son entourage,
face à la dérive raciste et génocidaire
du gouvernement hutu
que soutenait alors Paris.
« Il faut parvenir à une forme
d’épilogue », a d’ailleurs jugé
Paul Ka g amé touj our s
auprès du « Monde », tandis
qu’Emmanuel Macron affirmait
la semaine dernière qu’il
aurait « à coeur d’écrire une
nouvelle page ». « Si on veut
tourner la page, il faut la tourner
proprement », estime en écho
Pierre Kalinganiré, rescapé du
génocide, aujourd’hui ingénieur
de 43 ans. Des quatorze
personnes qui composaient
sa famille à Nyamata, il n’en est
plus resté que trois après 1994.
« Si vous avez commis des
erreurs, il faut le reconnaître,
que l’on aille de l’avant. Le pardon,
c’est l’avenir », dit-il. Que
dirait-il à ceux qui, comme le
patron du MoDem, François
Bayrou, début mai sur France
Inter, rejettent l’idée d’excuses
de la part de la France ? « Cela
fait quoi de dire J’ai eu tort ?
C’est ça, l’humanisme. »
Comme Naphtal et Brave
Olivier, ou Jeanne Allaire, quels
que soient les mots, il attend
surtout des actes au plan judiciaire.
« Si Macron veut faire
quelque chose de vraiment
fort, il faut arrêter les génocidaires
qui sont en France, qu’on
les voie devant la justice », dit
Pierre Kalinganiré. Ces derniers
pourraient être une centaine
selon les associations.
Tous confient « parfois
refuser » de fouiller dans leurs
souvenirs. Tous s’y confrontent,
dans le même temps.
Sur la stèle du mémorial
de Nyanza-Kicukiro, on peut
lire : « Une pierre, telle la
mémoire pour l’éternité.
Un jardin, telle la renaissance
après un génocide. »