Citation
Le FPR s'oppose à l'intervention projetée par la France. Le Dr
Jacques Bihozagara, membre du Bureau politique du FPR, que nous
avons interrogé, nous le répète sans détour: C'est non! La France
n'est pas qualifiée pour ce type d'opération, et cela pour
plusieurs raisons. Tout d'abord parce que nous considérons que la
France était au courant, sinon complice des plans de génocide:
l'entraînement des commandos a été assuré par les Français, ce sont
eux qui leur ont fourni les armes: 80 % des armes que nous avons
saisies sur les forces gouvernementales sont d'origine
française. Les Interahamwe se divisaient en trois catégories: des
membres de la garde présidentielle démobilisés, mais qui avaient
gardé leurs armes, des commandos, formés par les militaires
français et de simples paysans auxquels on avait distribué des
armes. Aujourd'hui le plan de génocide est consommé: les deux tiers
des Tutsis du Rwanda ont été exterminés ainsi que 90 % de l'élite
intellectuelle et politique hutu. Nous considérons aussi que la
France est disqualifiée, car nous disposons d'éléments
d'information suivant lesquels elle a participé à l'attentat contre
l'avion du président. Depuis le début, nous avons affirmé que la
boîte noire de l'avion se trouvait à Paris et on ne nous a jamais
démentis sur ce point. Mais les informations de la boîte noire
n'ont jamais été analysées ou communiquées.
Reste-t-il des civils à sauver ?
Oui, et le FPR est capable de le faire. Nous constatons
également une évolution de l'armée rwandaise, par rapport aux
miliciens: lorsque ces derniers ont fait irruption dans l'hôtel des
Mille Collines, c'est l'armée gouvernementale qui est intervenue
contre eux. En outre, nous avons enregistré des propos conciliants
à l'égard du FPR émanant du chef d'état-major et nous savons que
les troupes gouvernementales sont démoralisées. Nous avons le
sentiment que l'armée rwandaise est prête à faire ce qu'il faut
pour libérer les otages et c'est à ce moment précis, où les choses
pourraient se dénouer, que la France veut faire un geste.
Comment expliquer cette attitude?
Il y a plusieurs raisons: la première est
que la France ressent une dette morale à l'égard du Rwanda, et que
le gouvernement se sent pressé de faire quelque chose, y compris se
lancer dans l'aventure. Mais nous pensons aussi que dans les
troupes en débandade, il se trouve des témoins gênants qui
pourraient mettre la France en cause et qu'il s'agirait
d'éliminer. Je vous signale aussi que le rapporteur spécial des
Nations unies qui se trouve au Rwanda pourrait, au cours de son
enquête sur le terrain, être amené à mettre en cause des membres de
l'Akazu (entourage du président) qui se trouvent actuellement en
France.
Disposez-vous d'éléments suivant lesquels des militaires
français se trouveraient au Rwanda, et seraient bloqués aux côtés
des forces gouvernementales?
Oui, nous aussi nous disposons
d'informations suivant lesquelles des militaires français seraient
traqués dans des camps militaires à Kigali et nous croyons que
l'opération actuelle a aussi pour but de les faire sortir. Nous
croyons même que c'est cela la raison déterminante de l'opération
prévue, c'est pour cela qu'il faut aller si vite. La France veut
brouiller les traces, et nous nous y opposons... Nous avons demandé
à tous les Rwandais d'Europe de regagner le pays pour s'opposer à
cette action. Bernard Kouchner se trouve en ce moment au Rwanda, et
est passé par les lignes du FPR. A quel titre? Lorsque je l'avais
vu à Genève et qu'il m'avait dit vouloir repartir, je lui avais
suggéré de se rendre plutôt du côté gouvernemental, pour plaider
auprès des miliciens afin qu'ils relâchent leurs
otages. Précédemment, il avait déjà essayé, mais les miliciens
avaient refusé et il était rentré bredouille. Actuellement il est
retourné au Rwanda en passant par le Nord, mais il était là à titre
privé, et s'est retrouvé accompagné de M. Larome, chargé des
opérations humanitaires. Si nous refusons la France c'est aussi en
souvenir des innombrables victimes de notre pays. Nous refusons
aussi l'intervention d'anciennes colonies françaises trop liées à
Paris, comme le Togo par exemple. Quant au Sénégal, nous étions
d'accord pour sa participation à une intervention onusienne, que
nous acceptons toujours, mais si les Sénégalais reviennent aux
côtés des Français comme Alain Juppé le leur demande, là, c'est
autre chose.
Propos recueillis par C. B.