Je savais la chance que j'avais d'être présent à un moment aussi fort de l'histoire mondiale ! Ce 11 février 1990, lorsque Nelson Mandela est libéré de prison, près de Paarl, Jeanny Lorgeoux est avec ceux qui l'attendent. «
J'étais l'un des rares blancs européens à être là. L'émotion était intense. Et j'étais fier d'avoir participé dans le secret à tout cela… »
Cela faisait quelque trois ans, en effet, que, à la demande de l'Élysée, le maire de Romorantin se rendait «
régulièrement et clandestinement en Afrique du sud ». L'objectif de la France, alors, «
était d'éviter la déflagration qui menaçait entre populations noire et blanche. Il y a eu d'autres médiations, d'autres pays, c'est sûr… Mais François Mitterrand avait compris avant tout le monde que Frédérik de Klerk et Nelson Mandela étaient des hommes exceptionnels, capables d'imposer à leurs camps respectifs l'idée qu'il fallait négocier. »
La cellule Afrique de l'Élysée s'est donc mise au travail. Et Jeanny Lorgeoux avec elle. Mais attention : «
Je n'étais qu'un petit téléphoniste, un porte-parole, un facteur… Nous ne faisions que représenter le Président. »
J'étais un porte-parole, un facteur…
Paris-Maputo en avion de ligne d'abord ; vers Pretoria en avion militaire ; avant de prendre un hélicoptère pour rejoindre Pik Botha, alors ministre des Affaires étrangères d'Afrique du Sud, et Roelf Meyer, ministre du Développement constitutionnel… Avec les hommes du président de Klerk comme avec l'ANC (le congrès national africain, anti-apartheid) que la France soutient, les négociations sont sur le fil. «
L'idée était de lier un possible desserrement du blocus politico-économique à des progrès dans la libéralisation du régime… » Et des temps forts ont ainsi marqué le Français : «
Comme cette fois où, avec Jean-Christophe(ndlr, Mitterrand) on a réuni tous les " belligérants " en face à face, pendant trois jours, dans le Kalahari à la lisière du Botswana. C'était incroyable… »
Puis vint le 11 février 1990. Et là, «
c'était fantastique… Mon rôle était fini… » Jeanny Lorgeoux a de nouveau rencontré Nelson Mandela dans les semaines qui ont suivi sa libération. Au moins une photo a été prise. Désormais accrochée au mur dans le bureau du maire de Romorantin depuis devenu sénateur. Mais Jeanny Lorgeoux ne se souvient pas avoir dit grand-chose à Madiba le jour de cette photo : «
Quand vous avez un monument comme ça en face de vous, qui a passé 27 ans en prison ! Quand vous avez la chance de passer un petit moment avec lui. Vous ne dites rien. Vous écoutez… C'est l'Histoire que vous avez en face de vous. »
Lire aussi en pages 50 et 51.
Emmanuelle Pavillon